Interviews de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, à RTL le 30 septembre et le 6 octobre et dans "Macadam journal" de septembre 1993, sur un projet de réforme des transplantations d'organes en France, sur les difficultés d'accès aux soins des plus défavorisés et le développement des "maladies de la grande précarité", et sur l'amélioration du système de santé pénitentiaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL - Macadam journal

Texte intégral

RTL : Vous venez de terminer la présentation de la réforme de la transplantation d'organe en France. La transparence était nécessaire.

Philippe Douste-Blazy : Il y a aujourd'hui 5 000 malades qui attendent une greffe de rein dans notre pays. Je suis cardiologue et j'ai vu des malades mourir devant moi car on n'a pas pu faire une transplantation cardiaque. Durant les dernières années, on a vu un essor considérable grâce aux équipes de transplantation françaises à qui il faut rendre hommage et qui sont les meilleures au monde, et en même temps, on a vu une diminution dramatique des dons.

RTL : 30 % de diminution des cœurs en 3 ans.

Philippe Douste-Blazy : Oui, mais c'est aussi les reins, les foies et d'autres organes importants. Car grâce aux transplantations, on oublie souvent de le dire, des maladies gravissimes et parfois incurables peuvent être traitées et souvent guéries. L'État devait donc prendre ses responsabilités avec ses droits et ses devoirs, d'abord pour garantir l'égalité des Français devant la greffe, uniquement en fonction de leur situation clinique. Ensuite, faire de grandes campagnes de promotion pour augmenter les dons. C'est la solidarité nationale. Chaque fois qu'un organe est donné c'est une vie sauvée. L'État ne devait pas être en dehors d'un débat aussi important. Donc, une première étape a été menée par France-Transplants, le Pr Cabrol, et d'autres grands noms de la médecine qui ont permis de prendre la transplantation pratiquement à zéro en France et de la mener dans les premiers rangs mondiaux. Maintenant, une deuxième étape : une organisation par l'État qui prend ses responsabilités.

RTL : Le trafic d'organes existe en Europe ?

Philippe Douste-Blazy : Nous devons tout faire pour, en ce qui concerne les étrangers. Cette liste d'attente que nous avons dans notre pays où on voit beaucoup d'étrangers s'inscrire. La France doit avoir une politique de formation de collaboration avec les autres pays, plutôt que de recevoir tous les malades étrangers ici pour les greffer. Nous ferions mieux je crois, et c'est ce que l'État va faire, d'organiser des programmes de coopération, de collaboration pour que les malades soient greffés dans leur pays.

 

Septembre 1993
Macadam Journal

"Nous allons promouvoir à titre expérimental des centres gratuits de premier accueil à l'hôpital"

Macadam Journal : Avez-vous conscience qu'il existe aujourd'hui en France, malgré le haut niveau de notre protection sociale, un problème majeur d'accès aux soins pour la partie la plus précarisée de la population ?

Philippe Douste-Blazy : Oui. Nous avons actuellement en France, la crise économique aidant, un véritable problème de santé publique. Il existe une population démunie, exclue non seulement du système économique, mais aussi du système sanitaire. Des épidémies de maladies infectieuses, contagieuses ou transmissibles se développent aujourd'hui parmi cette population. Elles pourraient bientôt essaimer ailleurs. Nous devons donc prendre davantage en compte les pathologies de la précarité, du sida aux tuberculoses résistantes aux antibiotiques, en passant par les maladies dermatologiques.

Et pourtant, il ne devrait plus exister de lacune dans notre système de protection sociale depuis le vote de la loi sur le RMI en 1988 et sur la réforme de l'aide médicale en 1992. Par ailleurs, avec l'application de la loi sur l'immigration adoptée au début de l'été, les étrangers en situation régulière qui devaient jusqu'alors justifier de trois ans de domicile sur le territoire français pour obtenir l'aide médicale à domicile, peuvent maintenant l'obtenir sans condition de durée de résidence sur le territoire français. Cependant quels que soient la qualité de notre législation, et les efforts de simplification accomplis, les personnes en situation de précarité ont parfois des difficultés à faire valoir leurs droits. Ces difficultés sont de natures extrêmement diverses. À la complexité inévitable des procédures s'ajoutent des problèmes de comportement des différents acteurs du système de santé et notamment des hôpitaux, ainsi que des problèmes inhérents à la situation dans laquelle se trouvent les intéressés eux-mêmes (perte de papiers, absence de domicile, difficultés à s'exprimer…). Nous allons d'ailleurs rappeler, Madame Veil et moi-même, aux établissements hospitaliers qu'ils ont l'obligation d'accueillir toute personne quelle que soit sa situation financière et ou sa nationalité, dès lors que son état de santé le justifie.

Macadam Journal : Avez-vous, comme Mme Veil en a évoqué la possibilité à l'Assemblée nationale au mois de mai, commencé à réfléchir à une éventuelle réforme de l'aide médicale hospitalière dont la complexité et le mauvais fonctionnement constituent aujourd'hui, tout le monde le reconnait, un frein à l'hospitalisation des malades dépourvus de couverture sociale ?

Philippe Douste-Blazy : Madame Veil et moi-même y travaillons, mais le problème est extrêmement complexe. Nous avons décidé de promouvoir, dès cette année, à titre expérimental, au sein de plusieurs hôpitaux parisiens, des centres gratuits de premier accueil où les malades pourront bénéficier d'un examen de leur situation, de premiers soins et d'un accompagnement social qui leur permettra de retrouver la filière normale de la protection sociale. Nous pourrons ensuite étendre l'expérience à d'autres hôpitaux de la région parisienne et de province. J'ai demandé au directeur de l'Assistance publique d'y réfléchir et de monter l'opération en collaboration avec Jacques Lebas, qui a ouvert à l'hôpital Saint-Antoine une consultation de ce type (voir interview page 8). Je pense que c'est en développant dans les hôpitaux des structures d'accueil spécifiques où se rencontreront des médecins humanistes, qui pourront travailler en réseaux, et les populations qui ont besoin de leur aide que nous commencerons à régler les problèmes. Je suis persuadé que nous éviterons ainsi un grand nombre d'hospitalisations.

Macadam Journal : Vous n'avez pas peur de créer, au sein de l'hôpital, des ghettos pour pauvres et d'instituer ainsi une médecine à deux vitesses que les ONG dénoncent avec vigueur ?

Philippe Douste-Blazy : Non. Il n'est pas question de fabriquer des ghettos pour pauvres à l'intérieur des hôpitaux. Nous mettrons simplement sur pied des endroits spécifiques où l'on aura l'habitude de ce genre de patients, où l'on saura les traiter… Quant aux ONG, je tiens à les remercier. Ce sont elles qui ont pallié pendant tout un temps les carences de l'État. Ce sont d'ailleurs les structures qu'elles ont établies dont nous nous inspirons pour créer nos centres. Il n'est pas question pour nous d'entrer en concurrence avec elles mais de travailler ensemble. Les associations jouent un rôle essentiel à divers points de vue : détection des besoins, accompagnement des personnes en difficulté, mise en place d'actions innovantes et j'entends tirer les leçons dans ce domaine de l'expérience acquise. Je me propose d'ailleurs de reprendre contact avec les grandes associations caritatives dès le début de l'automne afin d'envisager les nouvelles initiatives susceptibles d'être prises dans ce domaine.

Macadam Journal : Monsieur Balladur, lors d'un conseil interministériel sur la ville, le 18 juillet dernier, a parlé de la création, en matière de santé, de réseaux de proximité. De quoi s'agit-il exactement et où en êtes-vous de cette initiative ?

Philippe Douste-Blazy : L'idée de créer ces réseaux de proximité est née d'une double constatation. La première tourne autour de la notion de proximité. Nous avons remarqué que les quartiers défavorisés étaient sous-équipés en services publics hospitaliers, médecins libéraux, soins dentaires… Notre souhait était donc d'équiper ces quartiers. La seconde constatation concerne les réseaux. Nous nous sommes rendu compte, par exemple, qu'une antenne de la Croix-Rouge et une PMI qui pouvaient se trouver à 100 mètres l'une de l'autre ne travaillaient pas ensemble. Or pour avoir vraiment accès aux soins il faut avoir accès à l'ensemble de l'offre de soins. Jusqu'à présent, seules les urgences à l'hôpital permettaient de conseiller à la population défavorisée de certaines cités d'aller voir l'assistante sociale, le médecin généraliste… Troisième élément : une association, à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine, Inter-Med Assistance, financée à la fois par le conseil général et la municipalité nous a paru pouvoir constituer un modèle… Elle a un bus – une tête de réseau qui parcourt les marchés. Son personnel peut donner des soins très simples, faire un premier diagnostic médico-social et orienter vers les réseaux : médecins généralistes, assistantes sociales, PMI, hôpitaux qui ont entrepris de travailler ensemble au cœur des cités. Nous avons donc décidé de proposer aux collectivités locales, dans le cadre des contrats de ville, un partenariat avec l'État, pour créer ce type de réseaux de proximité qui pourraient démarrer en 1994. La balle est aujourd'hui dans le camp des collectivités locales.

Plan Veil : Le tour de vis

Depuis le 1er août, le taux de remboursement des consultations chez un médecin est passé de 75 à 70 %, celui de la consultation chez un auxiliaire médical de 65 à 60 %. Le taux de remboursement des médicaments à vignette bleue est de 35 % au lieu de 40, celui des médicaments à vignette blanche de 65 % au lieu de 70, comme celui des autres prestations (appareils, lunettes et frais de transport). Le montant du forfait journalier hospitalier est porté de 50 à 55 F. Ces nouvelles dispositions ne concernent pas les assurés pris en charge à 100 %, ni les ressortissants du régime des travailleurs non-salariés, non agricoles (la CANAM) qui ont déjà un taux de remboursement plus faible pour les soins de ville (50 %). 

 

Mercredi 6 octobre 1993
RTL

J.-M. Lefebvre : On a beaucoup parlé de santé au conseil des ministres à la fois avec des mesures pour réformer l'aide médicale aux personnes emprisonnées et avec des mesures pour lutter contre le retour de la tuberculose. Est-ce que vous n'avez pas un sentiment d'échec, de régression, de retour en arrière de voir revenir la tuberculose ?

Philippe Douste-Blazy : Absolument, un goût d'échec… Aujourd'hui un des principaux problèmes de santé publique qui se pose à notre pays c'est la recrudescence des maladies de la grande pauvreté. Et la tuberculose est un exemple frappant, symbolique. Plus de 500 cas nouveaux déclarés en 1992. Il y avait 32 tuberculeux pour 100 000 habitants en 1990. Il y en a aujourd'hui 38 ou 39. C'est donc considérable. Ce qui me fait le plus peur, c'est que ce sont des maladies de l'exclusion, ce sont des maladies que l'on retrouve dans les milieux urbains, dans les banlieues défavorisées, dans la population démunie et aussi chez les personnes âgées et les personnes immigrées.

J.-M. Lefebvre : Donc, c'est un peu une rançon de la crise ?

Philippe Douste-Blazy : Oui, 400 000 SDF, 2 800 000 familles mal logées. Malheureusement on en paie le prix comme ça…

J.-M. Lefebvre : Comment est-ce que vous allez concrètement pouvoir soigner et sensibiliser les malades ? Parce que les SDF, ils n'écoutent pas forcément la radio ! Qu'est-ce qui est prévu ?

Philippe Douste-Blazy : Nous allons réactiver des dispensaires anti-tuberculeux que l'on fermait progressivement.

J.-M. Lefebvre : Mais là aussi, c'est un retour en arrière parce que la mode c'était plutôt la fermeture ces derniers temps.

Philippe Douste-Blazy : Ça sera la réactivation des dispensaires anti-tuberculeux avec distribution gratuite de médicaments. Et puis, comme vous l'avez dit, il faut le faire savoir. Donc, il y a comme vous le savez des journaux de SDF comme Macadam. Nous allons faire toute une expression auprès de ces gens pour les toucher, pour leur faire comprendre, pour les éduquer, les informer afin que d'ici quelques temps on ait une diminution de l'incidence de cette maladie que l'on croyait à jamais vaincu en effet.

J.-M. Lefebvre : Et d'autres maladies que l'on croyait vaincues sont ainsi en train de revenir à cause de la crise ou c'est la tuberculose qui est l'exemple le plus frappant et le plus flagrant ?

Philippe Douste-Blazy : C'est la tuberculose ! Mais on s'aperçoit aussi que dans les pays de l'Est, on voit la diphtérie, le choléra qui arrivent. Si nous ne faisons pas attention, si on ne met pas un dispositif de santé publique aujourd'hui avec un véritable réseau national de santé publique que nous allons proposer dans quelques mois, il y aura de grandes difficultés. Et à mon avis, le principal problème de santé publique aujourd'hui, c'est celui des maladies de la grande précarité.

J.-M. Lefebvre : Second volet, les soins médicaux dans les prisons là où c'était un peu un état terrifiant, quasiment un état de tiers-monde. Les prisonniers n'étaient pas soignés.

Philippe Douste-Blazy : Je dirais qu'il y a grande urgence. L'état des détenus est totalement catastrophique. 15 % des détenus sont toxicomanes. Plus de 10 % sont séropositifs du virus du Sida. Une étude récente vient de montrer qu'à Fresnes les femmes détenues sont à 80 % séropositives. Dans les prisons françaises, il y a 30 % d'alcooliques, 80 % de gros fumeurs, 80 % de gens qui ont besoin de soins bucco-dentaires. Bref, c'est aujourd'hui catastrophique. Alors, il fallait deux choses. Premièrement, faire rentrer l'hôpital dans les prisons. Nous allons faire passer des conventions entre chaque établissement pénitentiaire et l'établissement hospitalier voisin. Ce ne seront plus des médecins vacataires qui iront mais ce seront des médecins hospitaliers. Il y aura une activité de soins mais aussi une action de prévention. Il y a trois fois plus de tuberculose dans la population carcérale que dans la population générale. Il faut vacciner. Il faut faire des dépistages. Il faut proposer des dépistages du virus du Sida aux détenus. Parce qu'il y a deux problèmes. D'une part, le système de santé pénitentiaire n'était pas bon. Mais surtout, les gens qui rentrent en prison ont un état sanitaire de plus en plus alarmant. On retrouve là aussi la population exclue et démunie.

J.-M. Lefebvre : M. Aubry a lancé aujourd'hui une fondation et elle a affirmé que l'État seul ne pouvait pas régler le problème de l'exclusion.

Philippe Douste-Blazy : C'est vrai ! Il faut que l'État, en particulier dans le domaine sanitaire, prenne ses responsabilités avec ses droits et ses devoirs. Mais dans ce domaine, on ne fera rien sans le milieu associatif. C'est d'ailleurs un des grands engagements que nous avons pris avec M. Veil pour les mois qui arrivent. C'est de développer une lutte contre l'exclusion à la fois sur le plan social mais aussi et surtout sur le plan sanitaire parce qu'il faut savoir aujourd'hui que dans notre pays il y a des gens qui ne peuvent se faire soigner. La tuberculose est un traitement de 18 mois. Il y a des gens aujourd'hui qui ne se font soigner que pendant quatre mois ce qui entraîne des résistances aux antibiotiques. C'est grave pour eux mais c'est grave aussi pour la population générale.