Article et interviews de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, à RMC le 17 et dans "Le Parisien" du 18 septembre, dans "Démocratie moderne" du 4 novembre et dans "Le Figaro" du 10 décembre 1993, sur la réorganisation des hôpitaux en France et notamment sur la réforme des urgences.

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Intervenant(s) : 

Média : RMC - Le Parisien - DEMOCRATIE MODERNE - Le Figaro

Texte intégral

P. Lapousterle : Tout à l'heure sera rendu Le rapport du professeur Steg sur l'indispensable réforme des services d'urgence en France, que faire pour ça aille mieux ?

P. Douste-Blazy : Avant tout, il faut mieux accueillir les malades aux urgences. Quand on a l'angoisse, la douleur et la souffrance et, qu'en plus, on est mal reçu, c'est catastrophique ! J'ai donc demandé à tous les hôpitaux, publics ou privés, de mieux accueillir. Il est inadmissible d'attendre plus d'une heure, plus d'une demi-heure dans les urgences. M. Steg a fait un rapport très intéressant. Il dit qu'il faut un réseau gradué en France. Des centres de première urgence où on peut déjà faire une différence entre le petit bobo qui doit être soigné près de chez vous et l'autre urgence plus grave. Cette dernière doit être soignée dans une centre d'urgence particulièrement compétent avec des plateaux techniques de très haut niveau. Il faut aussi des transports aériens et des ambulances très performants.

P. Lapousterle : On aura assez d'argent pour payer tout ça ?

P. Douste-Blazy : Il faut en trouver. Il faut aussi voir le deuxième aspect du rapport Steg, celui de la sous-médicalisation. Quand un Français arrive dans un service d'urgence, il doit voir un médecin qui a une thèse de médecine. Il faut donc faire des efforts sur la formation des médecins des urgences. Il faut que dans les facultés de médecine, il y ait de plus en plus d'heures de cours consacrées aux urgences. Enfin, il faut faire des passerelles avec les généralistes pour que ceux-ci puissent aussi avoir leur mot à dire aux urgences.

P. Lapousterle : Les dépenses de santé augmentent de près de 8 % par an, et il y a de moins en moins d'argent, il faut faire des économies. On dit que les négociations piétinent, S. Veil avait donné le 30 septembre comme date butoir…

P. Douste-Blazy : Je reste persuadé que les médecins vont signer une convention avec les Caisses avant le 30 septembre. Je crois beaucoup à ce dossier médical. Dossier médical pour le malade, mais aussi pour le médecin généraliste, qui permettra de suivre tout ce qui se passe pour un malade. En particulier un malade atteint de plusieurs pathologies. Le malade sera ainsi mieux soigné, et ensuite pour le coût de la santé on verra ainsi mieux ce qui se passe.

P. Lapousterle : Il y a un lien entre le livret médical et les dépenses de santé ?

P. Douste-Blazy : Il est important aujourd'hui que les médecins soient des gens responsables. Nous avons demandé un plan d'économies. Ce plan a trois volets : 1/ Les assurés sociaux, c'est fait. 2/ Le volet hospitalier. 3/ Le volet des médecins libéraux. Nous sommes aujourd'hui à un tournant. Je crois qu'ils nous ont entendus. Cette convention doit être signée avant la fin septembre. C'est un appel que je leur lance ce matin.

P. Lapousterle : Vous avez des signaux positifs ?

P. Douste-Blazy : Je pense qu'ils signeront avant le 38 septembre.

P. Lapousterle : Vous appartenez au CDS, et il y a un peu de remous dans votre parti, B. Bosson demandait la peau de P. Méhaignerie qui est président de votre parti. Est-ce urgent de dénouer la situation par un congrès ?

P. Douste-Blazy : Nous avons un congrès tous les deux ans, il me paraît normal d'en avoir un en avril. Ce qui est important c'est de ne pas tomber dans les querelles intestines ou politiciennes, et essayer au contraire de tout faire pour que le CDS soit visible dans les futures élections européennes, visible dans les futurs combats électoraux. Nous avons des valeurs, des convictions démocrates chrétiennes, et il faut les défendre très fort.

P. Lapousterle : Unis dans les élections européennes avec une liste centriste ?

P. Douste-Blazy : Il faut tout faire pour qu'il y ait une liste unique. Il ne faut pas diviser cette majorité aujourd'hui, il y a des problèmes trop importants en France pour faire cela. Je reste persuadé que, dans une élection européenne comme celle-ci, notre famille de pensée, qui est européenne de cœur et de combat, doit être présente.

P. Lapousterle : Balladur est une bonne tête de liste ?

P. Douste-Blazy : E. Balladur, D. Baudis, d'autres personnalités… Il est important surtout d'être unitaires, mais aussi très convaincus que l'Europe doit se faire.

P. Lapousterle : Vous partez pour Sarajevo avec L. Michaux-Chevry pour une mission d'action humanitaire "Solidarité avec les hôpitaux de Bosnie" et du matériel. Pourquoi maintenant ?

P. Douste-Blazy : Les dernières heures vécues à Washington nous apprennent que la paix n'est jamais interdite, et que dans tous les cas il y a des hommes, des femmes de bonne volonté, des hommes justes qui sont capables de se serrer la main pour faire inverser le cours de la fatalité. En Bosnie, il faut y croire. D'un côté bien sûr, il y a l'action diplomatique, et je me félicite que durant ces dernières heures, il y a paraît-il des discussions secrètes pour arriver à la fin de ce conflit mais aussi la solidarité. Nous devons être solidaires. J'ai prêté un serment quand je suis devenu médecin, celui de sauver des vies. Aujourd'hui, à côté de l'opulence de cette Europe de l'Ouest, je pense qu'on ne doit pas laisser tomber ces hôpitaux bombardés, cette absence de médecine d'urgence qu'il y a aujourd'hui à Sarajevo, Mostar.

P. Lapousterle : La situation est catastrophique à votre connaissance.

P. Douste-Blazy : La situation est catastrophique, d'abord en termes d'urgence, c'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux directeurs d'hôpitaux, présidents des commissions médicales des établissements hospitaliers s'ils avaient du matériel qui étaient encore bon mais qui ne servaient plus dans leurs hôpitaux. Et nous avons croulé sous les demandes d'envoi. Et aujourd'hui nous apportons 11 tonnes de matériel à Sarajevo. Nous allons aussi tout faire pour prévenir les épidémies. Vous savez que c'est une ville où il n'y a plus d'eau depuis un an, où les égouts sont bouchés ?! Donc, c'est une ville menacée par de grandes épidémies, et puis aussi par la tuberculose. Donc, nous nous devons d'être à leurs côtés. Je crois que c'est un rendez-vous avec la dignité des hommes et des femmes de Bosnie.

P. Lapousterle : Il y en aura pour toutes les communautés ?

P. Douste-Blazy : Nous allons aller dans tous les hôpitaux de Sarajevo, à la fois du côté Musulman, Bosniaque, mais également du côté Croate et Serbe.

 

18 septembre 1993
Le Parisien

Le ministre : "Il faut une formation spécifique"

Le ministre délégué à la Santé se prononce pour une reconversion d'un certain nombre de services d'urgence. Solution envisagée : une meilleure prise en charge des personnes âgées.

Le Parisien : Êtes-vous favorable à la mise en place d'un enseignement spécifique de médecine d'urgence pour les étudiants en médecine ?

Philippe Douste-Blazy : Oui, certainement. L'amélioration de la formation des jeunes médecins des urgences est un des aspects de l'action qui doit être menée pour améliorer la prise en charge des malades. Cet enseignement, à la fois théorique et pratique, doit être inclus dans les études de second cycle.

Le Parisien : Les hôpitaux sont-ils selon vous prêts à accepter de voir fermer leurs services d'urgence ?

Philippe Douste-Blazy : Le renforcement de la qualité des soins est une exigence prioritaire de la santé publique. Vous le savez, il doit s'exercer dans le cadre de la maitrise des dépenses de santé. Ces deux enjeux ne sont pas incompatibles.

Le Parisien : Les corporatismes sont pourtant très lourds dans ce domaine…

Philippe Douste-Blazy : Restructurer ne signifie pas nécessairement fermer les petits établissements. Chacun doit se recentrer sur les missions pour lesquelles il est le plus compétent. Les petits établissements ont en particulier un rôle important à jouer en matière d'accueil, de premiers soins, et d'orientation des urgences plus lourdes vers les grands centres.

Cette politique doit conduire à la fermeture d'un nombre important de lits actuellement inutilisés en raison du progrès médical, qui a permis la réduction des durées d'hospitalisation, le développement des hospitalisations de jour et des consultations.

Le Parisien : À quoi serviront ces anciens services d'urgence ?

Philippe Douste-Blazy : Nombre d'établissements devront reconvertir des services vers des activités de soins de suivi, ou vers la prise en charge des personnes âgées dépendantes pour lesquelles il y a un besoin important dans notre pays. Les hospitaliers sont aujourd'hui conscients des enjeux, même si légitimement, ils suscitent parfois des réticences. Des fermetures sont possibles, dès lors qu'elles s'inscrivent dans un plan d'ensemble permettant d'assurer une prise en charge optimale des malades.

 

4 novembre 1993

Quel avenir pour l'hôpital ?

Par Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé

L'hôpital occupe dans notre société une place fondamentale : la France dispose en effet de plus de 3 700 établissements de soins qui emploient plus de 1 million de personnes, et accueillent chaque année environ 12 millions de malades. Ce formidable potentiel, qui constitue une des principales richesses de notre pays, est aujourd'hui confronté à une série d'enjeux que dresse Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé, pour "Démocratie Moderne".

Le premier enjeu est celui de la santé publique et de la place de l'hôpital. L'hôpital depuis longtemps s'est vu confier une mission de service public caractérisé par la permanence du fonctionnement et l'égalité d'accès. Ces principes revêtent aujourd'hui d'autant plus d'importance que nous sommes confrontés à l'apparition de nouvelles pathologies (Sida) qui touchent très profondément notre société et à une augmentation des personnes en situation de précarité en raison de la conjonction économique. Face à ces nouveaux fléaux, l'hôpital a une responsabilité particulière en raison de ses atouts et de sa vocation, qu'il est indispensable de rappeler et conforter. Il est nécessaire qu'il relève ces défis et joue son rôle d'institution au service du public.

Le deuxième enjeu concerne la maîtrise des dépenses de santé et les restructurations hospitalières. Les deux sont étroitement liées. Notre système de protection sociale est menacé en raison de la forte progression des dépenses, et le gouvernement s'est donné pour objectif le retour à l'équilibre des comptes sociaux. Ce contexte impose la réorganisation de notre patrimoine hospitalier. À cet égard, la situation de notre pays est tout à fait paradoxale car d'un côté elle dispose de trop de lits pour les disciplines actives, de l'autre elle manque de structures dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées. Le premier effort à accomplir est donc bien de reconvertir une partie de ces lits pour répondre aux évolutions démographiques et aux nouveaux besoins de la population.

À mon sens, la politique de restructuration n'a pas pour seule finalité la maîtrise des dépenses de santé : elle répond aussi à un impératif de sécurité des installations dans nos établissements. Le regroupement des moyens est indispensable pour éviter une trop grande dispersion des activités préjudiciables à la qualité du service rendu.

Mais cette politique de restructuration ne doit pas se faire au détriment du maintien d'activités dans les zones faiblement urbanisées. Le gouvernement vient de lancer une politique ambitieuse en matière d'aménagement du territoire et il faut que la politique hospitalière épouse les données de l'aménagement du territoire. C'est le sens de mon action : je ne serai pas le ministre de la désertification sanitaire. Je préserverai chaque fois que cela sera nécessaire la réponse aux besoins de santé, le maintien de structures de proximité et la qualité des soins prodigués.

La mise en œuvre de ces restructurations se fera par le dialogue et la concertation, en particulier avec les élus, trop souvent tenus à l'écart des décisions en matière de santé. La restructuration ne doit pas donner lieu à un affrontement entre les services de l'État et les établissements.

Le troisième enjeu est celui de la recherche clinique. Elle fait partie intégrante probablement depuis toujours, des activités de nombreux services hospitaliers, particulièrement de ceux des centres hospitaliers universitaires. La recherche est un moyen de formation des jeunes médecins, elle accroît la qualité des soins, elle est un facteur important de mise en place d'une politique de prévention et concourt à l'amélioration de la santé publique. Elle est capitale car il n'y a pas de progrès sans recherche. La recherche clinique actuellement reste trop souvent le parent pauvre, et bénéficie rarement de la place qui lui revient.

D'évidence, elle a besoin d'être renforcée si nous voulons faire progresser notre médecine et conserver notre avance. Du point de vue de l'éthique, jamais les perspectives de comprendre n'ont été aussi grandes. En l'espace de quelques décennies, nous avons élucidé les mécanismes de transmission du message génétique ; la mécanique du cerveau commence à être explorée. Les transformations de la médecine soulèvent cependant de graves questions éthiques. Comment choisir la thérapeutique qui améliorera certes la durée de la vie sans risques d'en hypothéquer la qualité ? Comment lutter au mieux contre la douleur ? La science médicale doit-elle permettre de prolonger la vie au-delà des extrêmes, ou de donner la vie dans le respect des règles de filiation ou de succession des générations ? Toutes ces questions sont fondamentales, et sont indissociables des progrès de la médecine. Nous ne pouvons plus retarder le débat sur l'éthique, c'est-à-dire le débat sur les règles qui garantissent le respect de la personne humaine.

Comment faire pour répondre à ces enjeux ?

Déjà, une série d'actions ont été engagées pour favoriser la recherche, pour lutter contre le Sida. D'autres sont sur le point d'être prises pour enrayer la tuberculose, où améliorer la prise en charge des détenus dont l'état sanitaire catastrophique a été passé longtemps sous silence. L'heure n'est pas encore aux bilans. Toutefois, je souhaite faire part du fil directeur de mon action qui repose en réalité sur quelques principes clairs : la transformation du monde hospitalier passe, à mes yeux, par des solutions pragmatiques et souples, et repose pour l'essentiel sur les professionnels de la santé. Je crois profondément, en outre, qu'aucune politique hospitalière ne peut se faire si elle ne place pas au centre de ses préoccupations les malades. Être pragmatique, c'est la règle que je me suis donnée en arrivant au ministère de la Santé. Certains me conseillent de faire une nouvelle loi qui redéfinirait à nouveau les missions de l'hôpital et son organisation. Il est vrai que la loi de 1991 préparée et votée par les socialistes est mal ressentie par les établissements et les professions de santé qui voient en elle un véritable carcan bureaucratique freinant les mutations et les évolutions technologiques et médicales. Mais le débat n'est plus là car même si cette loi est critiquable sur de nombreux points, il ne serait pas opportun d'ouvrir aujourd'hui un nouveau chantier législatif sur les hôpitaux. La politique hospitalière ne pourrait d'ailleurs pas se résumer à faire voter des lois.

En revanche, une autre voie plus fructueuse est possible, en particulier celle de l'expérimentation. Dans cette perspective, je travaille actuellement sur trois séries d'expériences. La première concerne la gestion interne des hôpitaux. Celle-ci est beaucoup trop lourde, peu incitative et pas assez motivante. Un groupe de travail réfléchit en ce moment sur les assouplissements nécessaires pour rendre plus efficace la gestion des hôpitaux. Une deuxième expérience va être lancée dans le domaine du financement des établissements privés et publics. Nos règles actuelles sont trop rigides. Il s'agit de mieux répartir les ressources entre les établissements de pouvoir les comparer, et d'assurer une plus grande transparence qui fait largement défaut et nuit à la prise des décisions.

Enfin, afin de poursuivre la modernisation de nos équipements, le parlement va être amené à se prononcer sur une mesure législative permettant d'installer des équipements médicaux comme les scanographes ou les appareils d'imagerie par résonnance magnétique, sous réserve qu'aucun goût supplémentaire n'en résulte pour l'assurance-maladie. Cette idée de substitution est pour moi fondamentale, car elle est le seul moyen de répondre aux besoins de santé sans accroître les dépenses de santé. Ces trois expériences feront l'objet d'une évaluation. Si les résultats sont positifs, elles seront généralisées. J'estime que seule une démarche de cette nature peut nous permettre, effectivement, de progresser. Je suis convaincu aussi que le changement ne pourra pas se faire sans le concours actif des établissements et professions de santé. Prétendre conduire une politique hospitalière sans eux serait utopique. Deux exemples illustrent l'importance de leur participation.

Le premier concerne l'évaluation et d'une façon générale la question de la qualité des soins. L'évaluation est un des moteurs du progrès et de la qualité. Il n'est plus possible d'agir sans se préoccuper des conséquences et des résultats de nos actions. C'est surtout vrai dans le domaine de la santé où les enjeux économiques sont considérables. Or, pendant très longtemps, rien n'a été fait en ce domaine, et les timides tentatives de ces dernières années restent trop étrangères aux professionnels pour qu'elles puissent aboutir. Il faut passer à la vitesse supérieure. J'ai la conviction qu'une politique d'évaluation ne peut réussir que si les professions de santé s'approprient, au sens étymologique du terme, cet outil afin de mettre en œuvre une véritable auto-évaluation dans les établissements. C'est la clé de la réussite. Dans cet esprit, je viens de proposer la mise en place dans les hôpitaux de comités pluri-professionnels de l'évaluation.

Deuxième exemple, celui de la mise en place de réseaux de soins coordonnés. Derrière cette expression, se cache en fait la volonté d'organiser plus efficacement la prise en charge des personnes. Elle suppose un réel rapprochement entre les établissements et l'ensemble des professions de santé. Les établissements restent encore trop repliés sur eux-mêmes. Il faut qu'ils s'ouvrent davantage sur la médecine de ville, et s'engagent résolument dans la voie de la coopération pour éviter la multiplication des actes. Pour ma part, je mettrai tout en œuvre pour que des liens durables et solides se tissent entre les établissements et les professions, car il y va de l'intérêt des usagers comme de la gestion de nos ressources.

Enfin, il ne m'est pas possible de penser à une politique de santé sans avoir présent à l'esprit en permanence que nous agissons pour les malades, Je considère, à cet égard, qu'il est de mon devoir de faire en sorte que nos concitoyens trouvent dans nos établissements l'accueil qui leur est dû. Je souhaite mettre en place, à cette fin, une réflexion qui devra déboucher sur les garanties d'un meilleur accueil. Ces garanties porteront non seulement sur des aspects matériels importants comme l'entretien des locaux, la signalisation, les durées d'attente, mais aussi sur les relations, l'information et la communication avec les malades et leurs familles. L'accueil au niveau des urgences doit être amélioré grâce au renforcement de la présence médicale, et à des mesures qui permettront de réduire les délais d'attente. Je souhaite enfin qu'un effort tout particulier soit fait en direction de l'accueil des personnes les plus démunies. Une première série de mesures viennent d'être prises afin de faciliter la prise en charge des frais de séjour de ces personnes.

J'entends aller plus loin en facilitant notamment la mise en place de centres gratuits de premier accueil dans lesquels les malades pourront bénéficier d'un examen de leur situation, de premiers soins et d'un accompagnement social qui leur permettra de retrouver la filière normale de la protection sociale. Dans un premier temps, ces centres seront créés à titre expérimental dans quelques établissements parisiens avant d'être étendus plus largement à d'autres établissements.

Ces réflexions, qui inspirent l'action que je conduis au ministère de la Santé, prennent leur source dans notre doctrine personnaliste. La fidélité aux valeurs de notre famille politique exige de nous que nous prenions à bras le corps les nouveaux problèmes sociaux apparus dans la société française. Les défis, trop souvent méconnus, à relever dans le domaine de la santé, font partie intégrante d'une politique sociale que nous voulons généreuse, ambitieuse et réaliste.

 

10 décembre 1993
Le Figaro

Les voies prioritaires de la réforme des urgences

Un état des lieux a montré que le système en place actuellement ne répondait pas aux besoins. On s'achemine vers un dispositif double : d'accueil et d'orientation, d'une part ; de soins spécialisés, d'autre part.

Les services d'urgence sont sans aucun doute in des points faibles du système hospitalier français. À la suite du rapport établi par le professeur Adolphe Steg, à la mi-septembre, le ministre délégué à la Santé, Philippe Douste-Blazy, a présenté au dernier Conseil des ministres un plan d'action (voir nos éditions d'hier).

On manque de médecins qualifiés : ainsi, moins du tiers des services importants, accueillant entre 10 000 et 20 000 personnes par an, ont un nombre de médecins qualifiés en nombre suffisant. Le rapport Steg préconisait notamment de créer deux types de services d'urgence, selon l'importance et les moyens de l'établissement ; de recruter des médecins "seniors" ! Et de faire de l'urgence une spécialité à part entière ; de mettre sur pied un système d'habilitation des services en fonction des critères retenus, et d'évaluer périodiquement leur activité.

En outre, il suggérait de créer des services autonomes d'urgence au sein des hôpitaux. Cela pour mieux définir les responsabilités, et aussi doter ces services des budgets spécifiques qui leur font défaut, il notait que les médecins de ville ne sont pas suffisamment impliqués dans les urgences, pour diverses raisons, dont la désorganisation des consultations, coûteuses en temps et en argent. Et le professeur Steg proposait de prévoir une rémunération spécifique.

Nous avons demandé à Philippe Douste-Blazy de faire le point sur son plan d'action.

Le Figaro : Vous retenez le principe des urgences à deux niveaux, pourquoi ?

Philippe Douste-Blazy : Quelque huit millions de personnes sont accueillies chaque année dans les services d'urgence hospitaliers. C'est donc une activité très importante, où l'on doit garantir la qualité des soins. Or de nombreuses critiques portent notamment sur le nombre et la qualification du personnel de ces services. Le plan d'action du gouvernement tire les conséquences des conclusions du rapport du professeur Steg, présenté au nom de la Commission nationale de restructuration des urgences.

Il est nécessaire d'organiser les urgences sur deux niveaux. Les antennes d'accueil permettront de faire le tri, de soigner les petites urgences, mais aussi d'orienter les malades nécessitant des examens plus approfondis ou des traitements plus importante, vers des services d'urgence ayant un plateau technique plus important.

Il faut que le grand public comprenne que la proximité immédiate n'est pas une garantie d'être bien soigné. Au contraire. En contrepartie, il doit avoir la certitude que les différents services d'accueil répondront à des normes de qualité très strictes.

Dans le courant de l'année prochaine, l'ensemble des services d'urgence seront soumis à une autorisation de fonctionnement.

Le Figaro : Les services d'urgence manquent de médecins spécialisés. Quelle sera votre politique ?

P. Douste-Blazy : Il faut effectivement médicaliser les urgences. Les services ne peuvent pas continuer à fonctionner avec des médecins non qualifiés, n'ayant pas passé leur thèse, ou faisant fonction d'interne. Dès 1994, nous débloquerons donc un crédit de 200 millions de francs pour que les services autorisés puissent recruter des médecins expérimentés.

Il faut aussi penser à l'avenir : les jeunes médecins doivent être formés à l'urgence. Un enseignement théorique et pratique va être introduit dans les études médicales entre le deuxième et le troisième cycle.

Le Figaro : Réorganiser les urgences nécessite beaucoup d'argent. Estimez-vous votre effort suffisant ?

P. Douste-Blazy : Deux cents millions, ce n'est quand même pas une somme si modeste. Il faut des crédits pour faire fonctionner les urgences, mais cela doit aller de pair avec une évaluation. Pour rendre plus juste l'allocation des moyens affectés à l'accueil des urgences, nous allons lancer une expérimentation, avec trois établissements hospitaliers volontaires, pour voir comment adapter le financement à l'activité.

La politique de santé ne peut plus se passer d'une évaluation rigoureuse. Et les services d'urgence doivent eux aussi être évalués. Nous allons le faire d'abord sur une base régionale. Les services régionaux du ministère de la Santé, les directions régionales des Affaires sociales seront chargées de faire cette évaluation chaque année. Comment sont accueillis les patients ? Quel est le délai d'attente ? Comment se fait la coordination entre las différentes structures ? Et notamment, il faudra organiser la formation et l'implication des médecins libéraux.

À partir de ces évaluations régionales, il sera établi chaque année un bilan national qui sera rendu public.

Le Figaro : Combien de services d'urgence fermeront-ils, faute de répondre aux normes ?

P. Douste-Blazy : Je ne peux pas répondre actuellement. Il faut progresser graduellement et coordonner les actions. Il est certain qu'il y aura des services qui ne répondront pas aux critères d'antenne, et encore moins d'urgence.

Là encore, il faut avancer progressivement. Il est vrai qu'à ce stade le plan du gouvernement ne prévoit pas l'autonomie des services d'urgence. Ils seront associés aux services d'anesthésie et de réanimation et aux Samu. De même, nous n'engageons pas de réformes budgétaire immédiatement. En fixant des normes strictes, en évaluent régulièrement l'activité des services, en travaillant sur les possibilités de modulation des financements en fonction de l'activité des urgences. Il est possible de réduire considérablement les dysfonctionnements observés dans les services d'urgence.