Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "La Tribune" le 2 juillet 1998, sur l'avenir d'EDF et son opposition au projet de privatisation de l'entreprise publique.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Publication du rapport Dumont sur l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, à Paris, le 2 juillet 1998

Média : La Tribune

Texte intégral

« La Tribune ». – Que pensez-vous des propositions du rapport Dumont ?

Christian Pierret. – M. Dumont a fait un travail d'une très grande qualité. Beaucoup d'orientations qu'il préconise sont dans la tonalité que souhaite le gouvernement, c'est-à-dire moderniser le service public de l'électricité, sans l'étatiser et sans le privatiser. Il faut se tenir à égale distance de ces deux écueils : la privatisation, même partielle, que j'exclus absolument. Je rejette aussi toute étatisation, car EDF doit disposer de toutes les armes pour gagner dans le contexte concurrentiel européen. Je suis également d'accord sur la proposition de M. Dumont qui souhaite que le Parlement se prononce régulièrement sur les choix énergétiques du pays. Je le rejoins quand il privilégié le système d'autorisation sur le système d'appel d'offres pour les producteurs d'électricité, car il faut limiter cette dernière procédure aux cas où peuvent exister des divergences entre le programme d'investissement tel qu'il est validé par le Gouvernement et ce que souhaitent faire les opérateurs.

« La Tribune ». – Quel sera le statut du gestionnaire du réseau, maillon clé du système de déréglementation ?

Le réseau de transport doit être géré de manière crédible au sens où EDF ne doit pas donner le sentiment qu'elle emprisonne, dans un carcan, par le transport, les producteurs ou les clients éligibles. Faut-il confier à un établissement public spécifique (Epic) la fonction de gestionnaire du système électrique ? Je n'en suis pas sûr mais je souhaite que cette question soit examinée avec les partenaires sociaux. Epic ou organisation interne, EDF doit rester une entreprise intégrée, c'est-à-dire quelle doit demeurer producteur, transporteur et distributeur d'électricité. En même temps, il faut assurer une véritable ouverture du transport électrique dont les conditions tarifaires doivent être publiques et respecter la concurrence c'est-à-dire n'abusant pas de la position de transporteur unique d'EDF.

« La Tribune ». – Quelle sera l'autonomie, par rapport à l'État, de l'autorité de régulation ?

Il faut séparer la fonction de tutelle et la fonction de régulation qui doit rester placée sous l'autorité de l'État. Soit on retient l'option de la direction d'administration, ce qui ne me paraît pas adapté. Soit la régulation pourrait être assurée par un organisme inséré dans la logique à la française de l'État, tout en étant autonome.

« La Tribune ». – En débat également, la diversification : EDF sera-t-elle sur un pied d'égalité avec ses concurrents ou certains secteurs lui sont-ils interdits ?

EDF doit être sur un pied d'égalité avec ses concurrents. Là encore, le rapport Dumont fait des propositions équilibrées et constructives, mais je souhaite que ce principe dit de spécialité qui doit évoluer ne conduise pas à ce qu'EDF se fourvoie dans des produits ou services nouveaux qui ne correspondraient pas à ses métiers et à ses savoir-faire. EDF doit pouvoir offrir de nouveaux services énergétiques à ses clients industriels et conseiller les consommateurs particuliers dans le domaine énergétique. C'est donc une ouverture maîtrisée du principe de spécialité que j'envisage. Certains concurrents d'EDF se sont diversifiés dans l'immobilier, la restauration collective, la communication… Je ne pense pas que cela soit une perspective positive pour EDF. EDF doit être le meilleur dans tous les services liés à l'énergie. A chacun ses métiers.

« La Tribune ». – Laisserez-vous EDF investir dans les télécoms ?

Je tiens à ce qu'EDF en tant qu'opérateur se concentre sur ses métiers et reste dans la logique que je viens d'évoquer ?

« La Tribune ». – Framatome, qui vient de voir Westinghouse lui échapper, reste à l'écart des restructurations dans le nucléaire. Êtes-vous favorable à une entrée de Siemens dans son capital ?

Il est trop tôt pour se prononcer. Que le britannique BNFL ait obtenu Westinghouse devrait inciter Siemens et Framatome à resserrer leur coopération industrielle. Face à l'accord Siemens-BNFL de l'automne dernier, qui reste au niveau de l'affirmation de principe, je considère que la relation franco-allemande est l'atout majeur pour l'avenir de l'industrie électronucléaire européenne. Nous avons conscience que la répartition du capital de Framatome n'est pas satisfaisante pour tout le monde. Il faut y réfléchir. Mais Framatome restera une entreprise publique.