Texte intégral
La Lettre Confédérale CGC : 25 au 31 mars 1994
Dans le rouge
Le ministre du Travail, en tenant compte des demandes expresses que nous lui avons réitérées lors de la rencontre lundi dernier a rempli les engagements du Premier ministre.
Nous en prenons acte avec Le CIP aura un contenu de formation défini et contrôlé correspondant à 20 % de l'activité au moins. La référence salariale sera dans tous les cas de figure pour un jeune possédant un niveau bac + 2, celle de la grille conventionnelle. Un comité de suivi multi-parties devra permettre d'en contrôler l'utilisation par les entreprises.
Quel que soit le cours futur des évènements notre travail syndical accompli avec persévérance et responsabilité, loin de toute idéologie et de toute démagogie, en gardant notre calme, en refusant de jouer les apprentis sorciers ou les boutefeux, a contribué à gommer ce qui était inacceptable dans le contrat d'insertion. Mais nous pensons aussi à tout ce qui aurait pu être évité si l'on nous avait entendus plus tôt.
Savoir prendre en compte les avis et les demandes de ceux qui vivent les réalités quotidiennes du social, ne semble pas être le propos des états-majors ministériels.
Dès la mise en chantier de projet de loi quinquennale, nous avons alerté, en soulignant qu'elle serait porteuse de problèmes si elle n'était que le dernier avatar d'une politique fondée sur toujours plus de flexibilité – lisez précarisation et durcissement des conditions de travail des salariés – sur la baisse des rémunérations et le recul de la protection sociale.
Vingt-années de crise, dix ans de rigueur, une récession dont nous tentons de sortir, les avantages considérables consentis aux entreprises, les efforts d'adaptation aux mutations technologiques et à la mondialisation de l'économie imposés aux salariés, leur donnent le droit d'avoir aussi des exigences.
Aujourd'hui, la compétitivité des entreprise françaises a été restaurée – ne sommes-nous pas le deuxième exportateur mondial par capital ? – mais le prix payé, en termes de plans sociaux à répétition et de chômage est devenu insupportable et conduit à un climat social dangereux.
Depuis des années maintenant nous proposons un plan cohérent associant des mesures de soutien économique énergétiques et ambitieuses, un nouveau contrat social d'objectifs pour l'emploi avec les entreprises, une prise de responsabilités de l'État pour favoriser les emplois de « qualité de vie ». Celui-ci doit aussi arbitrer, comme il est de son devoir, entre régulation et concurrence sauvage, tant au plan intérieur que dans les échanges internationaux.
La peur du lendemain pour vous les salariés, l'angoisse d'un avenir dont l'horizon ne serait que le mur du chômage ou la sous-rémunération dans des emplois déqualifiés pour les jeunes qui sous-tendent les réactions actuelles, exigent du gouvernement et des entreprises une nouvelle attitude et la mise en œuvre d'une politique volontariste pour l'emploi.
Puissent les évènements actuels servir à persuader tous ceux qui ont des responsabilités politiques ou économiques qu'une attitude bloquée ne peut que conduire à une fracture sociale qui mettra en cause aussi les performances économiques si chèrement acquises.
Nous sommes entrés dans la zone rouge. Mesdames et Messieurs les décideurs, retournez vite à votre établi social, il est tout juste temps.
Paris, le 30 mars 1994
Madame, Monsieur, Cher(e)collègue,
À l'occasion de mes nombreux déplacements dans toute la France, des visites d'entreprises, des rencontres de responsables économiques et sociaux locaux et surtout des échanges que je peux aussi avoir avec des militants et adhérents de notre organisation, il m'a paru nécessaire de repousser un moment la pression frénétique de l'actualité et de m'adresser directement avec vous.
Dans l'affaire du Contrat d'insertion professionnel (CIP), la CFE-CGC a fait un effort d'information sans précédent par voies de communiqués de presse, de circulaires, d'articles, d'interviews, etc.
Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui le message est brouillé.
Il l'est par que les politiques ont essayé de se défausser sur d'autres de leurs responsabilités.
Il l'est par que certaines organisations syndicales ont pas trop mélangé les genres.
Il l'est enfin, parce que le patronat, frileusement replié sur lui-même s'est refusé, une fois de plus, à assumer sa responsabilité d'acteur du social, et à prendre – toute sa part – dans le combat qu'il faut absolument mener au service de l'emploi.
J'ai donc souhaité m'adresser directement à vous.
Vous trouverez, jointe à la présente, l'histoire du CIP, sous la forme d'une « chronique d'un échec annoncé » et en regard les actions de la Confédération française de l'encadrement CGC. Vous pourrez constater à la lecture de ce texte :
1) Que le CFE-CGC n'est pas à l'origine de la création du CIP et qu'elle a même condamné, dès septembre 1993, la mise en place « d'un SMIC-jeunes qui ne dit pas son nom ».
2) Que le CIP a été créé par la volonté du gouvernement et voté par le Parlement le 20 décembre 1993.
3) Que la CFE-CGC a toujours demandé le maintien des contrats d'orientation et surtout d'adaptation, nés des accords paritaires.
4) Que ceux-ci étaient supprimés par loi, elle a exigé que l'on tienne compte des jeunes diplômés (ignorés par tout le monde), que le tutorat ne soit qu'une apparence de formation et que les rémunérations soient fonction de la qualification et des conventions.
Les choses sont clairement établies, la ligne de la CFE-CGC n'a pas varié d'un pouce. Elle a voulu par ailleurs s'inscrire ce dispositif dans le cadre général d'une politique plus efficace au service de l'emploi, en gardant à son action, en permanence, un caractère strictement syndical et en faisant preuve ainsi de responsabilité.
Au total, nous avons tous perdu huit mois dans cette affaire. Contrairement aux assertions de certains qui tentent maintenant de faire reporter sur d'autres leurs responsabilités, si l'on avait écouté la CFE-CGC, on en serait resté aux contrats issus de la négociation interprofessionnelle pour le plus grand bien de tous.
Retour à la case départ ? Peut-être. Mais tout de même, huit mois de perdus et tant de risques pris… Alors précisément, où en sommes-nous ?
Nous avons reçu Michel Bon le 29 mars et lui avons précisé, outre notre désaccord sur la création d'une ANPE-jeunes, les positions et propositions suivantes :
1) Le CIP est mort. Il est mort de question de le ressusciter.
2) Il nous appartient d'assumer notre devoir de solidarité vis-à-vis des salariés et des jeunes, c'est-à-dire de refuser de marginaliser les jeunes dans une approche spécifique de l'emploi, mais de les intégrer dans la définition d'uns stratégie globale pour l'emploi. Cette stratégie consiste à lier les aides publiques à l'emploi, à la constatation de la création ou du maintien effectif de l'emploi dans les entreprises bénéficiaires, sur la base de contrats d'objectifs négociés entre l'État et les partenaires sociaux.
3) La déclinaison « jeune » cette stratégie globale consiste à reprendre les contrats d'orientation pour les jeunes non qualifiés et les contrats d'adaptation pour les jeunes diplômés, mais en les revisitant.
Il faut, en effet, en faire des contrats aidés par l'État pour les rendre attractifs pour les entreprises. La rémunération proposée aux jeunes serait dans les deux cas celle correspondant à leur emploi dans la grille de classification de la convention collection qui leur serait applicable. Le différentiel de rémunération, ainsi que les cotisations sociales, seraient pendant un an remboursé par l'État.
Ce financement public serait conditionné à la pérennisation de l'emploi dans l'entreprise : un bilan global des emplois maintenus ou créés devra être fait périodiquement, qui aura également pour objet de contrôler tout effet de substitution jeunes/adultes.
De la même façon, tant pour éviter l'effet rotation jeunes/jeunes, que pour inciter à la pérennisation de l'emploi, la durée du contrat devrait être portée au maximum à 24 mois et les aides publiques servies seulement à la fin de la période.
Au moment où j'écris ces lignes, nous apprenons le plan proposé par Michel Bon et ratifié par le Premier ministre. Ce plan se décline en trois points :
– l'abrogation pure et simple du CIP ;
– la possibilité pour un jeune n'ayant jamais occupé d'emploi stable d'être embauché pour 18 mois dans le cadre d'un contrat normal, sans abattement de salaire ni exonération de charges. Une aide de 1 000 F par mois versée aux entreprises pendant 9 mois, ou 2 000 F par mois pour les embauchés réalisées avant le 1er octobre 1994 ;
– la responsabilité redonnée aux partenaires sociaux d'améliorer les dispositifs d'orientation et d'adaptation.
Ainsi le CIP, né de la volonté du gouvernement et de la loi quinquennale est mort. La CFE-CGC s'en réjouit. Le dispositif proposé, même s'il me paraît pas assez ambitieux, doit permettre de placer le patronat, étrangement absent dans tout ce débat et les entreprises devant leurs responsabilités sociales. Il devrait aussi favoriser l'embauche des jeunes en recherche d'un premier emploi, dans le respect des contrats de travail et des conventions collectives. L'utilisation de l'argent public pour aider l'emploi est une revendication permanente et constante de toute organisation. Ce que l'on nous présentait hier comme impossible, semble devenir aujourd'hui tout à fait possible. Mais ce n'est qu'une première application. Il est tout à faire pour maintenir l'emploi dans l'entreprise.
Ainsi, Madame, Monsieur, cher(e) collègue, l'objectif est clair : tout pour l'emploi, dans le cadre d'une démarche syndicale, au service d'une société qui reconnaît la qualification et l'encourage.
Dans cet objectif-là, vous identifierez entièrement notre CGE-CGC.
Je vous prie de croire, Madame, Monsieur, cher(e) collègue, à l'assurance de mes cordiales salutations.
Le CIP : chronique d'un échec annoncé
De l'origine du CIP…
Le CIP est d'origine strictement gouvernementale (avant-projets de loi d'août 1993 et projet de loi du 13 septembre 1993) et avait pour but de remplacer « dans un souci de simplification » (sic) les contrats d'orientation et d'adaptation, fruits de la négociation collective (respectivement accord du 13 juillet 1991 et du 286 octobre 1983).
Le CIP, lui, ne peut justifier d'aucune base paritaire.
En réalité, dès le départ, la CFE-CGC a procédé entre la suppression des formules d'insertion professionnelle nées de la politique contractuelle, et en particulier du contrat d'adaptation, seul outil destiné aux jeunes diplômés.
Car là est le fond du problème : la Confédération a été la seule à se préoccuper du sort de jeunes diplômés connaissant des difficultés d'insertion professionnelle.
Ni le gouvernement, ni les organisations ouvrières, ni le patronat n'ont voulu se préoccuper du sort de la qualification et de l'effet d'image désastreux d'un tiers d'une classe d'âge de jeunes diplômés restant au chômage un an après l'obtention de leur diplôme.
OUI, la CFE-CGC a demandé que l'on veuille bien se rappeler de l'existence de ces chômeurs que certains ont qualifié « de luxe » et qui, non contents d'avoir un diplôme, veulent en plus – c'est incroyable – avoir un emploi !
C'est ce que la CFE-CGC a rappelé :
– au Conseil économique et social le 18 août 1993 ;
– au ministre du Travail, le 26 août 1993 (cf. « Lettre confédérale » n° 738-3 au 9/09/93) ;
– à Matignon déjà lors de la 27ème semaine conférence sociale le 6 septembre 1993 (cf. « Lettre confédérale » n° 739-10 au 16/03/93) ;
– au CES à nouveau, en séance plénière, le 7 septembre 1993 (cf. « Lettre confédérale » n° 739).
C'est l'information qu'elle a fait passer, en même temps qu'une première analyse globale du projet de loi quinquennale, dès le 26 août 1993 (SU N° 1545).
Nonobstant toute cette phrase intense d'expression et de discussion, le gouvernement n'a tenu aucun compte de notre demande touchant aux jeunes diplômés. Si ce n'est la promesse d'une « étude qui précisera aux jeunes cadres diplômés, à la recherche d'un emploi, d'accéder à l'entreprise et d'acquérir ainsi une première expérience professionnelle » (Lettre de M. Giraud du 07/09/9193).
De telle sorte qu'après l'adoption du texte en Conseil des ministres, la CFE-CGC faisait tomber un communiqué de presse (15/09/1993) se demandant « à quoi a servi de réunir à grands renforts médiatiques, la conférence sociale du 6 septembre puisque pour le personnel d'encadrement, aucune trace des observations et propositions faites par l'organisation qui le représente n'apparaît dans le nouveau texte ».
Dès le 15 septembre 1993, la Confédération est auditionnée par la Commission des Affaires Sociales de l'Assemblée Nationale (M. Chambard). Devant l'entêtement du gouvernement à supprimer les contrats d'adaptation et d'orientation, elle propose un contrat qualifié de « junior » destiné à donner aux jeunes diplômés, exclus des possibilités d'alternance, la faculté d'acquérir une première expérience professionnelle.
Le 6 septembre 1993, le président Marchelli tient une conférence de presse. Comme à l'habitude, un dossier est remis aux journalistes qui comporte, entre autres, une fiche relative aux aspects « formation professionnelle » de la loi quinquennale.
On peut y lire : « … le remplacement des contrats d'orientation et d'adaptation par un CIP ne doit pas faire illusion. Cette mesure s'apparente plus à la mise en place d'un « SMIC jeunes qui ne dit pas son nom, qu'à une formation en alternance. En outre, ce contrat se traduit par l'exclusion des jeunes diplômés de toute formule favorisant leur insertion alors qu'ils rencontrent de plus en plus de difficultés à trouver un emploi… » Le contrat « Junior » est ensuite expliqué.
Ainsi, dès le 16 septembre, la Confédération dénonçait la création sournoise d'un « SMIC jeunes ». Six mois avant la rue…
Le gouvernement s'étonne, paraît-il, ou silence coupable des partenaires sociaux ? Assurément, pas de celui de la CFE-CGC !
Alors que le débat sur le projet de loi quinquennale pour l'emploi commence à l'Assemblée nationale le 29 septembre 1993, la Confédération adresses aux groupes parlementaires une série d'amendements, dont le onzième, portant sur l'article 40 demandes pour les jeunes diplômés de niveau III et plus, la mise en place du « Contrat Junior », au motif de la suppression par le gouvernement du contrat d'adaptation.
Grâce à l'action des unions territoriales, et conformément à notre demande (cf. SU 1546 du 21 septembre 1993), ces amendements ont été remis à chaque député, contacté individuellement.
C'est la séance du 3 octobre1993 à l'Assemblée nationale que le gouvernement présente un amendement n° 1024 qui mettra en place la version « jeunes diplômés » du CIP. L'amendement est adopté en l'état et comporte déjà les vices rédhibitoires que la CFE-CGC dénoncera constamment par la suite : l'absence d'un vrai contenu en formation et une rémunération identique que le jeune soit ou non qualifié.
Et pourtant, le ministre du travail expliquait : « Quand la rémunération, aux termes de l'article 40 (…), le taux en est fixé par décret ; il peut donc être modulé selon qu'il s'agit d'un jeune qui arrive dans l'entreprise sans diplôme sous contrat d'insertion ». (JO AN 1ère séance du 3 octobre 1993 p. 3817)
Michel Giraud ajoutait un peu plus tard, sur le même sujet : « Si l'on renvoie au décret, c'est pour conserver une certaine souplesse. Si le gouvernement s'est engagé à ce qu'il y ait une concertation avec tous les partenaires sociaux avant l'élaboration du décret, c'est précisément pour recueillir l'avis des uns et des autres. » (JO AN ibidem p. 3820)
L'histoire montrera que le mot « concertation » n'a pas la même signification à Matignon, à Grenelle et rue de Gramont !!! (cf. Éditorial de la « Lettre confédérale » n° 742-1 au 7/10/1993)
En octobre et novembre (malgré le 29ème Congrès confédéral…) le travail de « lobbying » continue, tant auprès du gouvernement que des parlementaires.
Le 5 octobre, le projet de loi est adopté en 1ère lecture à l'Assemblée nationale. La Confédération se retourne vers le Sénat et le 20 octobre, elle est auditionnée par la commission des affaires sociales (J.-P. Fourcade) : elle développera à nouveau son argumentaire : le CIP n'est pas acceptable, car il traite de la même façon des publics différents, ce qui entraîne dévalorisation pour les uns et exclusion accrue pour les autres. Il ne l'est pas non plus en raison d'un déficit de formation qui rend totalement inadmissible une rémunération inférieure au SMIC.
Le 29 octobre, la Confédération adresse à nouveau, à tous les groupes parlementaires, un courrier faisant une fois de plus ressortir ses propositions en matière de temps de travail et d'emplois.
Le 10 novembre 1993, le Sénat vote le projet de loi.
Le 15 novembre, la CFE-CGC rencontre une fois encore Michel Giraud et lui rappelle son « souci de faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés : si le personnel d'encadrement s'est résigné aux contraintes le concernant, il n'admettra pas que les efforts de formation de ses enfants débouchent sur l'exclusion ». (« Lettre confédérale n° 748-19 au 25/11/1993)
Les 18 et 19 novembre 1993, l'Assemblée nationale et le Sénat votent définitivement la loi quinquennale, qui fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel le 22 novembre 1993, portant essentiellement sur les dispositions relatives aux institutions représentatives du personnel.
Le Conseil constitutionnel rend une décision le 16 décembre, qui permet la publication de la loi quinquennale N° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, au Journal officiel du 21/12/1993 p. 17.769 et s.
C'est ainsi que s'achève la phase législative de l'histoire du CIP. Elle démontre à l'évidence que la CFE-CGC ne peut, ni de près ni de loin, être associée à la création du CIP. En revanche, elle aura été marquée par la volonté aveugle du gouvernement de privilégier deux cibles particulières dans la définition de sa politique de l'emploi : la non-qualification et la réduction du coût du travail. Autrement dit, la loi du nombre et la voie de la facilité.
De la vie éphémère du CIP…
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Nous entrons dans la phase réglementaire…
La loi est votée : elle nécessitera 44 décrets, 5 arrêtés, 37 circulaires et … 2 négociations interprofessionnelles obligées ! Un véritable inventaire à la Prévert …
La Confédération prévient tout de suite : elle « entend porter une vigilance particulière sur l'insertion professionnelle des jeunes diplômés, la régionalisation de la formation et de l'aménagement du temps de travail ». (« Lettre confédérale » n° 753- 24/12 au 06/01/1994)
À la veille de Noël, le 22 décembre nous recevrons 8 projets de décrets, dont ceux relatifs au CIP.
Dès le 4 janvier 1994, la Confédération fait connaître par courrier au ministre du Travail, son opposition à ces textes.
Les raisons en sont toujours les mêmes, une rémunération identique quel que soit la population visée ; variant en fonction de l'âge et non du niveau de formation au contenu extrêmement flou et facultative de surcroît.
Le ministre, auteur du projet de décret, ne tenait pas les promesses de Michel Giraud défendant son projet de loi à l'assemblée nationale ! (cf. « Lettre confédérale » n° 755-7 au 13/01/1994)
Le 6 janvier 1994, Édouard Balladur écrit à la CFE-CGC pour lui indiquer qu'il réunira une 3ème Conférence sociale à Matignon à la fin du mois de février, afin de faire le point sur l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles liées à la loi du 20 décembre 1993.
Le 12 janvier, dans une interview aux « Échos », Marc Vilbenoît rappelle que « la réussite des entreprises ne peut sans limite s'alimenter du malheur des salariés exclus « et qu'il est temps de responsabiliser les entreprises « en conditionnant les aides qui leur sont octroyées aux efforts qu'elles font pour maintenir l'emploi », propos qu'il confirmera à Lyon le 18 janvier.
Le 19 février 1994 se tient, à la Maison de la Chimie à Paris, la Rencontre CGE-CGC/Gouvernement. Les débats de la seconde table-ronde, le matin, font ressortir les problèmes d'insertion professionnelle des jeunes diplômés. On y réclame « un véritable mécanisme d'immersion dans la profession, avec un véritable salaire ».
Dans le relevé de conclusions qu'il a clôturé cette rencontre, figurent quatre orientations, dont la première indique : « poursuivre les actions tendant à résoudre les difficultés d'accès au premier emploi pour les jeunes diplômés. Plus généralement, rechercher une meilleure efficacité des aides publiques en incitant les entreprises à maintenir ou à créer l'emploi »
Au Journal officiel du 24 février 1994, paraissent alors les deux décret N° 94-159 et 94- 160 du 23 février 1994, mettant en œuvre le CIP. Il n'a pas été tenu aucunement compte des observations de la Confédération.
Dans un communiqué de presse du 25/02/1994, le ministère du travail se réfugie derrière le fait que ces deux décrets « correspondent à l'application stricte » de la loi quinquennale. De fait, on se demande à quoi a pu servir la concertation tant prônée par le ministre dans le cadre des débats parlementaires (cf. ci-dessus).
Le 23 février, la CFE-CGC fait également tomber un communiqué de presse intitulé : « Insertion des jeunes ; la voie de l'échec » où elle dénonce « la pseudo-concertation, purement formelle » qui a précédé la parution des décrets, et où elle attaque une nouvelle fois, un salaire fixé à 80 % du SMIC et un traitement identique des jeunes, qui ne tient pas compte du niveau de qualification.
À ce mépris de la concertation, et au contenu inacceptable des décrets du 23 février, répond une déclaration commune CFDT / CGE-CGC / FO le 28 février 1994.
Démarche alors purement syndicale, les signataires dénoncent la mise en place d'un SMIC-jeunes permettant aux « entreprises de déroger aux accords conventionnels sur les salaires et classifications, notamment parmi les jeunes diplômés ». Ils rappellent leur attachement aux contrats d'orientation et d'adaptation « mis en place par la négociation » et demandent que les décrets soient rapportés afin que « la négociation engagée par les partenaires sociaux sur la formation professionnelle et permanente (puisse) aller à son terme dans l'intérêt des jeunes.
Entre temps, le 23 février, le Premier ministre nous fait savoir que la 3ème conférence sociale se tiendra à Matignon le 3 mars 1004.
Le 1er mars, dans une circulaire SU 1559, nous informons du déroulement des opérations et indiquons que, situant notre « démarche dans un souci essentiellement syndical, nous n'entendons pas servir des intérêts autres que syndicaux… ».
En conséquence, dans la logique de la déclaration commune du 28 février, nous ne participeront pas à la manifestation du 3 mars regroupant des organisations d'étudiants ou à étiquettes politique, alors que les discussions avec le Premier ministre ne sont même pas encore ouvertes.
3 mars 1994 : 3ème conférence sociale à Matignon. La CFE-CGC fait savoir au Premier ministre qu'elle n'hésitera pas à quitter la réunion, si le gouvernement reste bloqué sur les décrets du 23 février 1994. Sept heures durant, bouleversant l'ordre du jour préétabli, gouvernement et partenaires sociaux discutent pied à pied du seul CIP.
Discussions byzantines, parfois surréalistes, où certains partenaires syndicaux oublient le sens de l'action commune.
Quoi qu'il en soit, dans le cadre d'un relevé de propositions du Premier ministre, la conférence s'achève par l'engagement du gouvernement de prendre un décret complémentaire, de donner un véritable contenu formation au CIP, assorti d'un contrôle et e fixer une rémunération assise sur les salaires conventionnels et non plus le SMIC, celui-ci restant le minimum en dessous duquel il n'est pas possible de descendre. Par ailleurs, les contrats d'orientation et d'adaptation sont prorogés jusqu'au 30/06/95.
Le 3 mars au soir, la CFE-CGC note les avancées faites par le gouvernement et indique attendre de pouvoir examiner le contenu du projet de décret et l'opportunité de son éventuelle participation à une manifestation.
Elle fait savoir, en même temps, qu'elle ne se rendra pas à la « convocation » de FO, dans la mesure où les manifestations communes, en principe, se décident en commun… Tout ceci fait l'objet de la SU N° 1561 du 3 mars 1994.
Dans l'éditorial de la « Lettre confédérale » N° 767 du 4-10/03/1994, Marc Vilbenoît rappelle la problématique du chômage des jeunes diplômés : « Faut-il donner dans la démagogie égalitariste et considérer que ceux-là ont déjà bien de la chance d'avoir pu faire des études : si en plus ils veulent un emploi…
Il rappelle également que nous n'étions pas demandeurs du CIP et que « nos propositions ont été détournées tant dans la loi quinquennale que dans les deux décrets du 23 février 1994.
Il rappelle encore qu'il est tout à l'honneur de la CFE-CGC et elle seule, de se battre pour l'emploi des jeunes diplômés. Il observe enfin que ce qu'elle demandait e, janvier (courrier du 4/01/1994), elle l'obtenait en mars, « notre travail syndical a porté ses fruits ».
Travail syndical ? En effet, à partir du 4 mars 1994, le discours démagogique des uns, mettant de l'huile sur le feu et prenant la lourde responsabilité d'attiser les craintes profondes des jeunes quant à leurs emploi et te de façon plus générale, quant à leur place dans notre société, allié à la proximité d'échéances électorales politiques, font que la CFE-CGC préfère rester sur le terrain syndical. Elle ne participera pas à la manifestation du 17 mars (cf. SU N° 1562 du 8 mars 1994).
Cette position est confirmée le 15 mars 1994 (SU N° 1565) en même temps que nous faisons tenir au courrier au Premier ministre, pour leur dire trois choses :
1) Nous n'étions pas demandeurs du CIP. Devant faire avec, nous avons fait es propositions nous ne les retrouvons pas
2) Les améliorations virtuelles apportées le 3 mars, méritent attention mais doivent être complétées pour restituer le CIP dans le cadre général d'une politique de l'emploi. À cet effet, nous proposons de « lier l'utilisation de ce contrat à la création ou au maintien net de l'emploi dans l'entreprise qui y aura recours, ceci apprécié semestriellement ».
3) Il lui appartient de « rechercher avec les partenaires sociaux la définition des mesures concrètes organisant la mise en place des contrats d'objectifs préalables à l'attribution des aides publiques aux entreprises ».
Le 16 mars 1994, la CFTC, gênée comme nous par la tournure de moins en moins syndicale des évènements, signe avec la CFE-CGC une déclaration commune.
Les deux organisations rappellent en premiers lieu que « les évènements montrent qu'il est temps de remettre les préoccupations sociales à leur juste place, c'est-à-dire la première, sans récupération d'aucune sorte ». Elles soulignent que « les formules d'insertion ne sauraient être conçues comme des palliatifs et doivent être construites de manière à permettre l'accès à de véritables contrats de travail ».
Le 17 mars, après cinq minutes communes pour les photographes et la télévision et quelques dissonances d'analyse, chacun défile dans son coin avec une faible mobilisation syndicale et une forte participation des jeunes.
Le 20 mars, premier tour des élections cantonales.
Dans l'éditorial de la « Lettre confédérale » N° 764 du 18 au 24/03/94, Marc Vilbenoît rappelle notre option fondamentale en faveur des contrats d'adaptation et le fait que « ce n'est pas la CFE-CGC qui a demandé leur suppression, mais c'est la loi quinquennale sur l'emploi qui a organisé leur remplacement par le CIP ».
Il rappelle également sa lettre au Premier ministre notre engagement dans un contrat syndical pour l‘emploi et le fait que : « sur ces thèmes sur l'emploi, pour lutter contre les plans sociaux à répétition, nous restons disponibles pour toute forme d'action définie dans la clarté et avec des objectifs identifiés.
Le 18 mars, nous recevons le projet de décret complémentaire. Version après version, le CIP tend à se rapprocher des formules d'insertion conventionnelles. C'est ce que nous dirons au ministre du travail, le 21 mars 1994, en lui demandant d'aller jusqu'au bout de la logique et de tout faire pour le CIP se cale sur les contrats d'orientation pour les jeunes non qualifiés et sur les contrats d'adaptation pour les jeunes diplômés.
Nous lui demandons également de mettre en place le comité de suivi qui pourrait examiner les mécanismes permettant d'éviter tout effet pervers de rotation ou de substitution.
Le lendemain du 22 mars, paraît au Journal officiel le fameux décret complémentaire ? Décidément, la concertation ne fait guère du progrès…
De l'enterrement du CIP…
En réalité, les choses sont d'ores et déjà acquises : le CIP est virtuellement mort, les manifestations de lycéens et d'étudiants, qui se succèdent un peu partout en France, l'enterrent chaque jour davantage.
Le 28 mars, le Premier ministre annonce la suspension des décrets pour une semaine, la désignation de Michel Bon, directeur général de l'ANPE qui, dans ce laps de temps devra proposer une nouvelle formule, la tenue d'État généraux de la jeunesse et la création d'une ANPE-jeunes.
Ce même 28 mars, la CFE-CGC fait tomber un communiqué de presse : le CIP est mort, le chômage demeure.
Tout en regrettant que « le blocage des dossiers sociaux semble devoir nécessairement passer par la rue », elle rappelle « au gouvernement et au patronat ses demandes répétées pour la mise en oeuvre d'un plan ambitieux et réaliste – donc dérangeant – en faveur de l'emploi de tous, y compris celui des jeunes.
Le 29 mars, le ministre du Travail annonce que les dispositions de la loi quinquennale relatives au CIP seront abrogées et que de nouvelles dispositions législatives seront prises.
Le CIP est mort.