Interviews de M. Dominique Perben, ministre des DOM TOM, à RTL le 2 janvier et dans "Le Quotidien de Paris" le 1er février 1994, sur le refus d'extradition de deux terroristes iraniens, sur la lutte contre le chômage et sur le projet de loi d'orientation pour le développement de la Polynésie française.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - LE QUOTIDIEN DE PARIS

Texte intégral

RTL - Le Monde : dimanche 2 janvier 1994

Passages Importants

L'expulsion de deux agents iraniens

Il est exact qu'un avis sur la Cour d'appel favorable à la demande formulée par la Suisse avait été rendu au début de 1993. Après avoir pesé l'ensemble des éléments du dossier, le Gouvernement a décidé l'expulsion.  La Suisse a exprimé ses regrets, mais aussi sa compréhension – ce qui est important en termes de relations internationales entre la France et la Suisse. Le Gouvernement a estimé que, tout bien pesé, cette décision était préférable à l'extradition. Les Français peuvent comprendre cela. Il est des moments, il est des dossiers, il est des risques, il est des menaces internationales, il est des problèmes de relations entre États qui peuvent déboucher sur des décisions de ce type. C'est-à-dire qui font passer l'intérêt global de la nation avant toute autre considération. (…)

Dans les relations franco-iraniennes, la France a bien souvent fait preuve de fermeté. Dans la présente décision, la France a estimé que l'intérêt national était en cause. (…) Cette décision est ponctuelle, et elle ne laisse rien augurer d'autre. (…)

Dans cette affaire, le Gouvernement assume ses responsabilités de façon claire (…), en utilisant les possibilités que nous donne la loi. (…)

Q. : L'intérêt national ne recouvre-t-il pas l'intérêt économique ?

R. : L'intérêt national, c'est l'ensemble des intérêts de la nation, tout confondu. Cela peut intégrer toutes les dimensions de l'intérêt national. (…)

La lutte contre le chômage

Nous avons hérité d'un rythme de croissance du chômage de 40 000 personnes par mois. (…) C'est bien que le Président de la République incite les partenaires sociaux à travailler ensemble. Mais il est Président de la République depuis 1981. Ce qui est en cause pour nous aujourd'hui. C'est de savoir comment casser cette spirale et faire en sorte que l'augmentation du chômage s'arrête au cours de l'année 1994. Le Gouvernement ne peut pas en quelques mois inverser la tendance et créer des emplois de façon massive. Mais nous entendons casser cette spirale par des éléments de gestion de l'économie globale. C'est-à-dire des effets de relance, de baisse des taux d'‘intérêt, d'augmentation de l'investissement, de développement de l'exportation, et par des réformes plus structurelles tels que l'amélioration de la formation du fonctionnement de l'ANPE, le développement du travail à temps partiel, etc. (…)

Nous devons préserver un tissu social cohérent et éviter les déchirures. L'idée du contrat est une idée intéressante. Cela veut dire que l'on marche ensemble dans la même direction quelles que soient les difficultés. (…) Le problème est de savoir quel sera le rythme de l'effet d'une mesure déjà prise. Un certain nombre de réformes ont été engagées au cours de ces derniers mois : le plan de relance, la loi Giraud et diverses dispositions contenues dans la loi de finances pour 1994. Tout cela commence à avoir des effets. Au mois d'avril dernier, on parlait de » récession » : aujourd'hui, on parle des « conditions de la reprise ». Les chefs d'entreprise, interrogés au mois de décembre par l'INSE, parlent d'un « changement de climat ». (…)

Un certain nombre de mesures n'ont pas joué leur plein effet. Je pense qu'elles le joueront dans les mois qui viennent. Peut-être faudrait-il aller plus loin.  Il faut en tout cas aller plus loin en matière de réformes structurelles – je pense notamment au développement du travail à temps partiel, à l'amélioration de la formation professionnelle et le développement de l'apprentissage. (…)

Il faut essayer de rapprocher les offres et les demandes d'emplois le plus possible du terrain, et donner aux pouvoirs intermédiaires des possibilités plus importantes d'ajustement. (…)

Le patronat et l'emploi

Le patronat fait tout ce qu'il peut pour que les entreprises fonctionnent dans de bonnes conditions. (…) Le Premier ministre a rappelé la nécessité de considérer la suppression de postes comme la solution ultime, après épuisement de toutes les autres solutions. Mais il fallait aussi – c'est ce que nous avons fait – introduire dans la législation des éléments de souplesse permettant justement aux chefs d'entreprise de trouver d'autres solutions que le licenciement sec ou la suppression de postes, c'est-à-dire toutes les ouvertures qui, dans la loi Giraud, permettant un certain partage du travail, un certain assouplissement en matière de travail à temps partiel, toutes possibilités qui étaient jusqu'alors insuffisantes et qui sont maintenant à la disposition des chefs d'entreprises. (…)

La création d'emplois dans les services

Il y a encore des possibilités importantes de création d'emplois dans les services. Encore faut-il trouver le moyen de les solvabiliser. Des besoins existent effectivement en matière de qualité de services, de services de proximité, de services aux familles, de services aux personnes âgées. Il faut qu'il puisse y avoir une contrepartie financière. C'est un dossier sur lequel nous devrons encore travailler en 1994. (…)

La révision de la loi Falloux

Les choses ne se sont passés ni dans le secret, ni dans la surprise. C'était notre projet au mois de mars dernier, et chacun pouvait donc en connaître. (…) les débats à l'Assemblée nationale au printemps dernier ont donné lieu à la discussion de nombreux amendements. C'est seulement la lecture devant le Sénat qui a été plus rapide. Il faut donc remettre les choses au point quant au caractère prétendument hâtif de l'adoption de ce texte.

Quant au fond, il faut être sérieux. (…) Les collectivités locales avaient le droit d'aider des établissements privés à condition que leur enseignement soit technique ou professionnel. (…) Il suffisait qu'il y ait quelques classes techniques dans un lycée d'enseignement général pour que la région puisse le subventionner. Par contre, s'il n'y avait pas de classes techniques, c'était impossible. Une telle situation n'était pas très cohérente. Par ailleurs, on aboutissait sur le terrain à une insuffisante au niveau de la qualité des bâtiments. (…) Cette loi offrira aux collectivités locales la possibilité d'aider dans leurs investissements qui ont un contrat avec l'État et qui sont donc contrôlés sur le plan pédagogique. (…)

Il y a un côté très archaïque à ce débat. (…) La France aujourd'hui vit sa laïcité de façon très calme, et non plus du tout comme au débat du siècle. Après l'utilisation politique qu'on a pu faire, je pense que les choses se tasseront et tout se passera finalement assez bien sur le terrain. (…) Nous devons faire confiance aux collectivités décentralisées pour gérer ce problème. (…) Dans le concret, cela ne bouleversera ni la vie scolaire, ni l'équilibre financier de collectivités locales.

Q. : Comment faut-il interpréter le rappel par le Président de la République du caractère « laïc » de la République ?

R. : Sur le rappel de la laïcité, chacun ne peut-être que d'accord. Et, faisant partie du mouvement gaulliste, je ne suis nullement gêné par ce rappel. La France vit aujourd'hui dans une attitude de sérénité le problème des relations entre l'État et les religions, en particulier la religion catholique. Rappeler le caractère laïc de la République, c'est très bien. Mais les Français ne mettent aucunement en cause ce caractère laïc, et il ne faut pas croire revenu dans les années 1900-1905. (…)

Formation et orientation des jeunes

Il est difficile d'estimer a priori que telle ou telle filière ne débouche sur rien. On redécouvre actuellement les filières littéraires, ce dont je me réjouis. (…) Cela étant, il faut qu'au cours de la vie scolaire, en particulier au cours de l'enseignement secondaire, nous ayons un dispositif de formation et d'orientation suffisamment efficace pour que, quelle que soit la filière, le jeune puisse toujours avoir la perspective de mener des études longues. Il est très important de réformer le fonctionnement concret de notre système éducatif de manière que le jeune puisse toujours poursuivre des études longues s'il le souhaite. C'est la condition pour qu'il n'y ait pas un système d'orientation par l'échec. Cela passe par une amélioration du fonctionnement des collèges et par une amélioration de la qualité de la formation dans les lycées techniques et dans les lycées professionnels. (…)

Le projet de « TVA sociale »

Il faut distinguer deux problèmes. En premier lieu, la possibilité de budgéter non plus seulement une partie de cotisations familiales, mais une partie des cotisations maladie. Ce dossier est à l'étude. L'autre dossier est la « TVA sociale ». À cet égard, le Gouvernement fait preuve d'un esprit d'ouverture. Il faut examiner les choses, mais il faut savoir qu'une augmentation de la TVA entraînerait une ponction au niveau de la consommation.

Il faut donc peser les différents éléments, de manière que, dans une période économique fragile, une décision d'allègement des charges sociales n'entraîne pas une diminution de la consommation. C'est un dossier très délicat, que je connais bien personnellement en tant que ministre des départements et territoires d'outre-mer. En effet, où s'exerce la concurrence des pays voisins. (…) Il y aura un équilibre à trouver et un choix à faire. (…)

La popularité de M. Balladur

Les Français comprennent que M. Balladur fait tout ce qui est possible de faire dans le contexte actuel. Ils sont également sensibles (…) à la manière dont il mène les affaires, dont il a restauré une certaine idée de la politique, de l'acte de gouverner, des comportements publics (…). Tout cela participe de son image très positive. Par ailleurs, les Françaises et les Français sont confrontés aux difficultés de la vie quotidienne (…). Ils attendent avec une impatience légitime le résultat de l'action du gouvernement tout en sachant bien que tout ne dépend pas de lui (…).

Édouard Balladur présidentiable

Les sondages sont faciles à lire. (…) Mais aujourd'hui les choses doivent être bien claires, et le Premier ministre l'a appelé il y a quelques jours à l'ensemble des ministres : l'année 1994 doit être une année de travail gouvernemental pour faire avancer les réformes et les dossiers. En ce qui me concerne, je respecterai cette règle qui consiste à mettre de côté catégoriquement et clairement le débat présidentiel. (…) Il viendra à son heure, c'est-à-dire en 1995. (…) Il faut aussi que l'ensemble de la majorité se consacre entièrement à la préparation de l'avenir (…), à l'action parlementaire (…).

Pour une liste unique de la majorité aux élections européennes

Je suis membre d'un Gouvernement qui mène dans l'unité une politique européenne. Je rappelle que le ministre des affaires étrangères est Alain Juppé, par ailleurs secrétaire général du RPR, et que le ministre des affaires européennes est membre de l'UDF. (…) Comment les leaders politiques pourraient-ils expliquer dans quelques mois que malgré cela il est opportun de présenter deux listes, une RPR et une UDF, pour le renouvellement du Parlement européen ? Les Français ne le comprendraient pas et ils auraient raison. En plus, cela mènerait probablement les deux mouvements politiques à chercher des différences alors que dans l'action (…) Il n'y a pas de divergences, ni d'option, ni d'action. (…) Ce qui est attendu par les électeurs de la majorité, c'est une liste unique aux élections européennes. (…)

Les départements et territoires d'Outre-Mer sont-ils un poids ou un atout pour la France ?

Incontestablement un atout. (…) D'autre, en raison de l'attachement très profond de ces populations à la France. (…) Ensuite, il est bien évident que sur le plan géopolitique, le fait que la France soit présente dans les trois océans (…), constitue un atout considérable pour notre pays. C'est ce qui donne à la France, et à elle seule après les États-Unis, cette capacité d'avoir une vision planétaire des relations internationales. (…)

Bien sûr, il y a des difficultés économiques et sociales. (…) Mais il faut les replacer dans leur contexte régional. (…) Il y a une immigration sauvage dans ces départements et territoires, ce qui prouve bien que la forme française de développement est une bonne formule car autrement les gens des pays voisins indépendants n'essaieraient pas de rentrer de toute force dans les départements et territoires français. (…)

La corruption Outre-Mer

Un des points importants de mon action depuis neuf ans a été de corriger les errements qui se sont produits en raison de la décentralisation. (…) Je me suis efforcé de rétablir la situation financière des collectivités territoriales concernées et de faire en sorte que le sens des responsabilités soit plus clairement établi, aussi bien de la part des responsables élus locaux que de la part des administrations d'État qui n'ont peut-être pas toujours exercé leurs prérogatives de contrôle dans des conditions satisfaisantes. (…) J'ai donné aux préfets des instructions extrêmement claires de façon que la loi (…) soit respectée (…).

La coopération régionale

Dans le pacifique, la coopération régionale est en train de réussir. (…) Elle n'est plus seulement diplomatique et institutionnelle, elle s'effectue au niveau des chefs d'entreprise, (…) À la réunion, les choses commencent à se concrétiser de façon intéressante (…). Au Caraïbes, il y a des difficultés. (…) Nous allons réformer le système de coopération régionale et l'institution qui en était chargée de manière qu'elle puisse déboucher sur davantage de coopération économique et moins sur la tenue de colloques de nature politique ou institutionnelle. (…)

La Nouvelle-Calédonie

La politique qui a été décidée en 1988 a réussi sur le plan politique. Il y a une bonne entente entre les leaders du RPCR et du FLNKS. (…) Il nous faut maintenant réussir le rééquilibrage économique de ce territoire. (…) Je souhaite que la Nouvelle-Calédonie reste au sein de la République. Il appartiendra aux Néo-Calédoniens de faire le choix en temps voulu. (…) Il est évident que la Nouvelle-Calédonie – tous le disent, même ceux qui se prétendent indépendantistes – a besoin de s'appuyer sur la nation française. (…)


Le Quotidien de Paris : 1er février 1994

Le Quotidien : Êtes-vous satisfait de la manière dont s'est déroulée la discussion parlementaire et la loi d'orientation ?

Dominique Perben : Je suis d'autant plus satisfait que le projet de loi a été adopté sans opposition. Le texte a été non seulement volé à l'unanimité des parlementaires de la majorité, mais surtout personne ne s'y oppose. Les socialistes et les communistes se sont abstenus. J'observe d'ailleurs que le PS était tenté de voter cette loi, et que cela transparaissait dans les discours des orateurs socialistes.

Le Quotidien : Comment expliquez-vous ce consensus ?

Dominique Perben : Cette loi a fait l'objet d'une préparation minutieuse. Le vote du Parlement reflète celui de l'Assemblée territoriale de Polynésie française. Il a été procédé d'une concertation approfondie avec tous les interlocuteurs, aussi bien les élus du territoire que les représentants des forces économiques et des syndicats. C'est la raison pour laquelle il y a cette concurrence entre le vote de l'Assemblée territoriale, celui du Conseil économique de Polynésie, celui du Conseil économique et social à Paris et celui du Parlement. Cette loi est ainsi l'aboutissement d'un processus de négociation au cours duquel rien n'a été laissé dans l'ombre.

Le Quotidien : Quel sera l'importance de l'effort consenti par la métropole en faveur du territoire ?

Dominique Perben : Sur une période de dix ans, les sommes enjeu sont très importantes, 1,4 milliard de contrat de développement et 1 milliard de prises en charge de diverses dépenses qui concernent aussi bien l'éducation, la santé ou la justice.  L'État a ainsi répondu aux demandes du territoire, notamment à celles qui touchent à affiliation au régime général de la sécurité sociale de tous les fonctionnaires de Polynésie.

Le Quotidien : Mais êtes-vous bien assuré que cette loi sera exécutée dans l'esprit qui a présidé à la consternation préalable ?

Dominique Perben : Comme toujours cette loi ne vaudra que par la manière de la mettre en œuvre. Il me semble que tous nos interlocuteurs, à commencer par le président Gaston Flosse son équipe qui ont accompli un travail très remarquable dans la préparation du texte, sont conscients des enjeux et que tous sont décidés à respecter la règle a été fixée d'un commun accord. Il est clair que la réussite est affaire d'exécution. Nous devons maintenant réussir le contrat de plan, et nous assurer que les sommes mises à disposition du territoire seront effectivement consacrées à l'investissement et non à des dépenses de fonctionnement. Il appartiendra au haut-commissaire, représentant de l'État, d'y veiller.

Le Quotidien : Cette loi ne résout pas tous les problèmes de la Polynésie française. Que comptez-vous faire pour remédier aux difficultés structurelles du territoire ?

Dominique Perben : Il est exact qu'il reste beaucoup à faire. Notre action consistera pour l'avenir d'une part à aider le développement des archipels, afin d'empêcher leur désertification, et d'autre part à mettre en place un contrat de ville avec l'agglomération de Papeete, de façon à éviter que la croissance qu'elle connaît depuis bientôt  trente ans se poursuive de façon anarchique.

Le Quotidien : Quel pourrait être l'impact d'une éventuelle reprise des essais nucléaires français en Polynésie sur l'économie locale ?

Dominique Perben : Comme vous le savez, Gaston Flosse, s'est prononcé pour la reprise des essais. Mais je crois que sa position s'inspire « d'abord de préoccupations nationales ». Si le centre d'expérimentation du Pacifique a longtemps et largement contribué à la prospérité du territoire, il serait illusoire de croire que la reprise des essais, forcément limités dans le temps compte tenu des besoins de nos armées, pourrait à l'avenir constituer une manne de la Polynésie française. Le territoire doit compter sur ses propres forces pour assurer son développement et la loi d'orientation a justement été élaborée pour permettre un redémarrage de l'économie territoriale sur des bases saines.