Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale et président de la région Poitou-Charentes, dans "Pouvoirs locaux" d'avril 1998, sur le fait régional dans la campagne des élections régionales, la réforme des modes de scrutin des élections régionales et européennes, la modernisation du Sénat et les perspectives d'évolution des aides communautaires aux régions.

Prononcé le 1er avril 1998

Intervenant(s) : 
  • Jean-Pierre Raffarin - Vice-président de Démocratie libérale et président de la région Poitou-Charentes

Média : Pouvoirs locaux

Texte intégral

Pouvoirs Locaux : Le résultat des élections régionales porte-t-il un coup sérieux, sinon fatal, à la régionalisation en France ?

Jean-Pierre Raffarin : Les élections régionales ont été marquées par un excès de « nationalisation ». Au fond il y a là de la malice de la part des jacobins à vouloir nationaliser tous les débats dans ce pays. On a, ainsi, assisté à une tentative d’exportation sur les régions des difficultés nationales. Si notre débat politique a été pollué, c’est qu’on a fait de ces dernières élections un rendez-vous politique national pour savoir si on devait donner quitus au Premier ministre ou s’il s’agissait de la phase numéro un de la reconquête de l’opposition.
Or je considère que la région est plus que jamais une bonne réponse aux problèmes de la société. La régionalisation des aides à l’emploi, par exemple, constituerait un progrès important. Les élections régionales sont des élections locales, et la première conclusion qu’il faut en tirer, c’est que les élections régionales n’aient plus lieu, désormais, toutes en même temps, afin que les débats soient territoriaux, régionaux et traitent effectivement de l’avenir des régions avec les habitants concernés. On serait bien inspiré de proposer un échelonnement des élections se déroulant dans chaque région, à l’instar de l’Allemagne ou de l’Espagne, à raison de quatre à cinq rendez-vous électoraux par an. La pollution des élections régionales tient donc plus à un excès de nationalisme qu’à un excès de décentralisation. La deuxième conclusion, c’est, bien sûr, la modification du scrutin régional, abondamment commentée.
L’enseignement principal est le suivant : nous devons mesurer que la décentralisation est plus que jamais nécessitée. D’une certaine manière, je considère tous les troubles actuels comme l’une des façons de freiner la décentralisation par les forces jacobines. Il faut être conséquent. De deux choses l’une : soit on va vers plus de régionalisation, et alors, il faut garder la région au suffrage universel, soit on se refuse à une régionalisation réelle dans notre pays, et à ce moment-là, il faut en revenir à une circonscription d’action régionale. J’estime, pour ma part, qu’il faut profiter de cette crise pour donner une accélération au fait régional, car, au fond, la crise que nous vivons, c’est une crise nerveuse du national plus qu’une fragilité du régional.

Pouvoirs Locaux : Il a été fort peu débattu, lors de la dernière campagne, des compétences et des enjeux proprement régionaux : quels enseignements en tirez-vous pour votre région ?

Jean-Pierre Raffarin : La région Poitou-Charentes a montré que la question régionale était perçue par l’opinion. Nous avons organisé une campagne régionale en développant les thèmes régionaux autour d’un seul projet régional et d’une seule communication régionale, commune aux quatre listes coordonnées ensemble. C’est bien une thématique régionale qui a animé notre campagne. Je pense que malgré les efforts entrepris, il reste difficile de faire comprendre aux citoyens et électeurs la complexité régionale. La région étant une collectivité jeune, partenariale, contractuelle, il est en effet difficile de défendre et d’assumer la lisibilité de l’action régionale. Au regard des zones d’incompréhension qui demeurent, il faut donc aller à la recherche de relais pour l’expression régionale. La vie associative d’une part, les responsabilités communales d’autre part, sont les deux relais qui doivent être privilégiés pour qu’une région soit bien perçue par la population qui habite et vit sur son territoire.

Pouvoirs Locaux : L’Association des présidents des conseils régionaux peut-elle constituer un relais privilégié ?

Jean-Pierre Raffarin : L’APCR peut bien entendu jouer un rôle actif, mais ce n’est certainement pas par constitution d’une structure suprarégionale qui consisterait à « renationaliser » le fait régional que nous pourrons avancer. C’est bien plutôt par l’infrarégional. La mise en place de relais dans chaque commune, dans chaque association a plus de sens et de portée, toutes les fois que des acteurs locaux initiés à la vie régionale et à sa complexité œuvrent en médiateurs entre le citoyen et la région pour rendre compréhensible l’action régionale.

Pouvoirs Locaux : Quelle est la teneur de la réforme du mode de scrutin régional qui vous tient à cœur ?

Jean-Pierre Raffarin : Plusieurs solutions ont déjà été évoquées qui retiennent l’attention. Je trouve intéressante la proposition de Jacques Blanc de faire élire le président de la région au suffrage universel comme c’est le cas pour le député. Il faudrait pour le moins proposer l’application du scrutin municipal à la région. Ce serait une avancée utile que de parvenir à conjuguer un scrutin régional avec une assemblée régionale élue à la proportionnelle sur circonscription régionale et un président élu au suffrage universel, moyennant une évolution progressive qui permettrait, à l’instar de l’Espagne, ou de la Corse, de distinguer entre le délibératif et l’exécutif.

Pouvoirs Locaux : Faut-il également réviser le scrutin européen ?

Jean-Pierre Raffarin : J’appuie la proposition de loi de Michel Barnier (1) consistant à régionaliser l’élection des députés européens sur la base de circonscriptions inter-régionales. La région Poitou-Charentes serait associée à la Bretagne et aux pays de la Loire dans une circonscription « arc-atlantique ».

Pouvoirs Locaux : Le chantier de la rénovation de la vie publique est ouvert. La réforme du Sénat s’impose-t-elle ?

Jean-Pierre Raffarin : Telle qu’elle est présentée actuellement, la réforme du Sénat semble être inspirée par des visions tactiques. Or par définition, le Sénat est un espace de stratégie ; c’est l’Assemblée qui confère au débat public et politique une certaine distance, une certaine réflexion et sagesse, par son mode d’élection et la nature de son mandat. Il faut donc éviter d’entreprendre une réforme sénatoriale sous la pression de manœuvres tacticiennes et de règlements de comptes politiciens. Le président Monory a ouvert une première piste en suggérant de baisser l’âge pour devenir sénateur (35 ans actuellement). Les réformes doivent être conduites indépendamment de la crise actuelle, dans un climat favorable à la réflexion stratégique.

Pouvoirs Locaux : Peut-on faire de la stratégie si les échelons réels de l’interdépendance et du traitement des problèmes que sont, notamment, les villes et les régions sont peu représentés en tant que tels au Sénat ?

Jean-Pierre Raffarin : Les régions sont représentées de façon satisfaisante dans la mesure où les conseillers régionaux sont de grands électeurs. Et il figure au Sénat un certain nombre d’élus des grandes villes, – Pierre Mauroy n’étant pas des moindres. Ce n’est pas parce que l’on fera accéder plus d’élus urbains au Sénat que la politique de la ville en deviendra plus vivante ou plus efficace. Je ferais remarquer au demeurant que la ville est présente dans toutes les préoccupations, et notamment au sein de la haute administration parisienne où le sujet mobilise beaucoup d’énergies. Donner, dans ces conditions, l’avantage aux territoires notamment ruraux qui comptent moins de défenseurs dans la haute administration ne me semble pas abusif.
On ne peut débattre de la réforme de Sénat, même si la question est ouverte, à un moment où on a l’air de régler des comptes avec le Sénat. Attendons donc une période plus sereine…

Pouvoirs Locaux : La prochaine génération des fonds structurels ne signifiera-t-elle pas une relativisation de l’acteur Région ?

Jean-Pierre Raffarin : La région possède un atout par rapport à d’autre structures : elle a des moyens. Si l’Europe réduit, après 2006, ses concours, comme elle l’envisage, c’est l’État qui se retrouvera fragilisé, car il a beaucoup utilisé les moyens de l’Europe pour défendre ses politiques. Dans l’appréhension du fait régional en général, on a beaucoup sous-estimé les capacités financières, et donc les marges de manœuvre des régions. Dans la mesure où elles ne sont pas dévorées par les dépenses de fonctionnement, elles disposent d’un rapport de force financier important. Je pense que plus le temps ne passera, plus ce rapport de force ne plaidera en leur faveur. Par trompe-l’œil, les régions françaises sont souvent qualifiées de nains économiques par comparaison avec leurs homologues européens, espagnoles par exemple. Or que vaut-il-mieux : une région prenant à sa charge des services et des traitements de fonctionnaires d’État ou une région investissant dans l’avenir de son territoire ?

(1) Écartant l’hypothèse de 22 circonscriptions, la proposition de Michel Barnier de mars 1997 définit 8 grandes circonscriptions régionales : Grand-sud-ouest (11 élus), Arc atlantique (11 élus), Île-de-France (16 élus), Nord-manche (11élus), Grand-est (12 élus), Centre-massif central (6 élus) et Rhône-Alpes-méditerranée-Corse (15 élus).