Déclaration de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur, sur l'industrie du bois, à Paris le 25 mai 1994.

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  • Gérard Longuet - Ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur

Circonstance : Assemblée générale annuelle des industries du bois

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie de m'avoir invité à votre assemblée générale annuelle.

Il m'est ainsi donné l'occasion de mieux connaître les préoccupations de vos professions :
     – celle des panneaux à base de bois,
     – et celle de la menuiserie industrielle.

Ce sont des composantes importantes et représentatives des deux grandes familles, celle de la trituration et celle de la transformation du bois d'œuvre, du vaste ensemble que forment les activités liées au matériau bois et que l'on regroupe habituellement sous l'expression "Filière bois". En tant que président d'une région où les industries du bois occupent une place de tout premier plan, je connais bien ce secteur et j'y attache le plus grand intérêt.

J'ai noté avec beaucoup de satisfaction la capacité dont votre industrie à fait preuve à s'adapter à un contexte économique national et international d'une extrême difficulté. Je vais m'efforcer de répondre aux principales préoccupations que vous avez formulées.

1. L'adaptation de vos professions à la crise

Le marché du bâtiment

Vous avez souligné le faible niveau de l'activité liée au bâtiment tant en France qu'en Europe, ce qui a entraîné un sensible recul de vos débouchés, surtout dans la construction neuve.

Je rappellerai que dans ce domaine le gouvernement a obtenu une baisse des taux d'intérêt et pris diverses mesures afin de favoriser une relance dans le secteur du bâtiment. Ces mesures commencent à produire leurs effets et se traduisent par un sensible accroissement de la demande.

Il faut évidemment que ces indices de reprise encore insuffisants se confirment et s'amplifient. Le gouvernement s'y emploie.

Les restructurations industrielles

De votre côté, vous avez consenti les efforts d'adaptation nécessaires au plan de la normalisation et de la qualité, aspects que mon département ministériel a pu accompagner dans le cadre de l'appel à propositions parlementaire pour l'Europe, mais surtout au plan de la productivité et de la rationalisation des structures et des outils industriels et commerciaux, cet important effort s'est traduit par de délicates restructurations, parfois douloureuses puisque il a fallu décider de fermer des sites obsolescents et que des emplois ont dû être malheureusement supprimés. Pour sa part, l'État s'est efforcé de vous accompagner et de minimiser les effets négatifs de ses inévitables restructurations.

Le contexte monétaire

Un autre facteur a fortement affecté votre compétitivité au plan concurrentiel, je pense à l'industrie des panneaux tout particulièrement.

Il s'agit des dévaluations des monnaies des pays européens dans lesquels vous exportez une partie importante de vos produits, Espagne, Italie, Royaume-Unis.

Vous n'ignorez pas que le gouvernement à pris des positions d'une grande fermeté au sujet des incidences néfastes de ces désordres monétaires. La France a réagi vivement vis-à-vis des pays nordiques dont les industriels du sciage et du papier ont exploité l'avantage de compétitivité que leur conféraient les dévaluations de leurs monnaies pour prendre des parts de marchés, provoquant un effondrement des prix. Nous avons fait prendre par la Commission européenne une mesure de "monitoring" et avons pris au niveau national une mesure de surveillance sur ces produits. Ces mesures ont contribué au redressement des prix que l'on observe actuellement.

Dans votre cas, aucune intervention de cette nature n'était hélas envisageable ce que vous avez bien voulu admettre.

Mais je tiens à vous assurer que notre vigilance demeure dans ce contexte de vive concurrence et d'ouverture des marchés, ce qui suppose une adaptation constante.

2. Vos demandes

J'ai retenu de votre exposé deux préoccupations principales : 
    – la fiscalité spécifique forestière,
    – les conditions d'approvisionnement en bois de votre industrie.

Le FFN

S'agissant du fonds forestier national, vous savez que cette taxation spécifique a été instaurée après la libération, en France, en vue de doter notre pays d'un patrimoine forestier susceptible de répondre à une part importante des besoins en bois de notre économie. Bien adapté à "l'économie de reconstruction" de l'après-guerre ce fonds était alimenté par une taxe qui fonctionnant à la manière d'une TVA, était relativement indolore et bien acceptée par les entreprises qui y contribuaient, mais le contexte économique actuel n'a plus grand-chose à voir avec celui qui présidait à sa mise en place.

Face à la construction de l'Europe, à l'ouverture de marchés, à l'internationalisation des échanges, cet instrument important de la politique forestière est devenu difficilement supportable sur le plan économique pour les entreprises confrontées à une rude concurrence et caduque sur le plan juridique comme l'a rappelé la commission des communautés européennes.

En outre, les objectifs même de reboisement que le FFN poursuivait sont maintenant bien engagés de telle sorte qu'il est légitime de s'interroger sur les priorités qui doivent lui être fixées.

Les deux réformes de 1991 et 1993 que ce fonds vient de connaître sous la pression des circonstances ne me paraissent pas donner à cet indispensable instrument de la politique forestière une assise solide, acceptée par l'ensemble des acteurs de la filière bois.

Le Gouvernement en est bien conscient. C'est la raison pour laquelle il a décidé pour 1994 de compenser certains des effets pervers de la dernière réforme – qui supprimait le Bapsa et, en contrepartie, augmentait de l'ordre de 50 % le taux de la taxe forestière – par une aide exceptionnelle aux secteurs du panneau et du papier, les plus affectés par ces effets. Cette aide, qui provient du budget du ministère de l'Agriculture et qui a été rattachée à celui du ministère de l'Industrie, est en cours de mise en place. Dans le cas de l'industrie du panneau, elle sera consacrée à diverses actions collectives dans le domaine de la normalisation, de l'environnement, des conditions de travail et de la promotion des panneaux à base de bois, définies en liaison avec la profession.

Pour l'avenir, j'estime que le FFN ne peut être maintenu dans sa forme actuelle car il fait peser sur les industriels la charge d'objectifs d'intérêts général au détriment de leur compétitivité et que sa mise en œuvre repose de manière trop exclusive sur la responsabilité de l'État. Il doit donc être profondément réformé en concertation avec les acteurs économiques concernés.

Cette réforme pourrait être précédée d'une mission de réflexion, confiée à une personnalité choisie pour sa connaissance des questions industrielles et forestières afin de rétablir un bon climat de confiance entre les intérêts en cause.

Sans préjuger des conclusions de cette mission de réflexion, il me semble que le nouveau FFN devrait distinguer :

Les actions collectives de recherche et de développement, d'identification de la ressource disponible, de promotion des emplois du bois, etc… des acteurs économiques de la "filière bois" (centre technique du bois et de l'ameublement, CNDB, IFN, etc…) qui devraient être largement placées sous la responsabilité des organisations professionnelles et dotées de règles de type parafiscal.

Le soutien à l'investissement forestier (boisements, équipements des massifs, mobilisation du bois) à vocation prioritaire de production dont les modalités techniques, géographiques, économiques et financières devraient être conçues et appliquées dans un cadre associant étroitement les propriétaires forestiers et les entreprises industrielles de la transformation du bois.

Les actions d'animation, de vulgarisation et d'encadrement de l'amont forestier dont le contenu devrait être lié à la mise en œuvre des actions précédentes.

Mais la mise en chantier de cette réflexion relève avant tout des compétences de mon collègue du gouvernement, M. Puech, ministre de l'Agriculture et de la Pêche, auprès duquel je suis disposé à intervenir.

Les approvisionnements en bois

Vous avez indiqué un autre sujet d'inquiétude, plus économique celui-ci, à savoir le coût de vos approvisionnements en bois dit de "trituration" ou "d'industrie" par opposition au bois d'œuvre.

C'est un souci que vous partagez avec le secteur de la pâte à papier que je connais bien pour m'y être penché au sujet de la cellulose de Ardennes

Votre profession a investi lourdement, elle s'est ainsi adapté – je l'ai dit – pour rentrer dans un univers concurrentiel particulièrement âpre.

Mais il semble bien qu'à la différence des pays concurrents, votre niveau de compétitivité se trouve affaibli par des approvisionnements qui s'avèrent trop chers.

L'industrie du panneau a en effet consommé 3,9 millions de tonnes de déchets de bois sous la forme de rondins (bois d'éclaircies : sous-produits de l'exploitation des grumes) et de produits connexes de scieries.

Par l'importance des volumes ainsi valorisés de façon complémentaire à l'industrie de la pâte laquelle de son côté consomme 9,4 millions de tonnes de bois de trituration, votre industrie est nécessaire à la cohérence économique de l'amont forestier. Elle contribue à l'entretien et à la mise en valeur de la forêt en assurant des débouchés aux bois qui ne peuvent trouver de débouchés en tant que bois d'œuvre. Elle assure également aux scieries un important complément de revenus dont le montant correspondant en gros à leur marge, sans les débouchés de la trituration, ces bois constitueraient des déchets dont l'élimination engendreraient inéluctablement des coûts.

Un équilibre entre l'offre de bois et la demande de bois d'industrie s'était instauré au cours des années 80.

La France pouvait alors être considérée comme un pays attractif pour les investisseurs dans la mesure où le prix offert aux propriétaires de bois et le contexte monétaire des concurrents nordiques nous avantageraient. Mais l'analyse des coûts des bois d'industrie effectuée dans le cadre du groupe de stratégie industrielle présidée par M. Blondot, président de la Copacel, faisait déjà ressortir que les coûts de mobilisation de ces bois restaient plutôt supérieurs à ceux des pays concurrents et ce en raison des particularités de la forêt française.

La crise de ces dernières années, caractérisée par l'existence de surcapacités individuelles et les dévaluations des monnaies des pays concurrents ou encore des pays clients, est venue révéler brutalement cet état de fait. Le prix du bois rendu usine est ainsi devenu en France l'un des plus chers d'Europe.

Votre industrie doit parvenir à diminuer des coûts d'approvisionnement en bois, une diminution du prix de bois rendu usine de 30 % sur 3 ans constitue un objectif ambitieux mais non irréaliste. C'est là un objectif qui convient également à l'industrie de la pâte.

La réalisation d'un tel objectif suppose :
    – qu'un consensus s'établisse entre l'amont forestier et l'industrie de la trituration pour maintenir les prix du bois sur pied à un niveau suffisamment attractif par les propriétaires ;
    – mais surtout que les coûts d'exploitation et de débardage diminuent.

Les améliorations à rechercher concernent l'ensemble des acteurs : propriétaires forestiers publics et privé, les entrepreneurs et exploitants, les industriels et enfin les pouvoirs publics.

L'importance des enjeux auxquels vous êtes confrontés actuellement et le poids des investissements qui ont été réalisés sur notre territoire commandent à l'ensemble de vos partenaires cet effort accru de compétitivité.

Or si cette mobilisation à tous les niveaux est la condition de votre propre développement, c'est aussi la garantie d'une plus grande augmentation des volumes de bois transformés, des emplois d'aujourd'hui et de demain et l'amélioration enfin de notre balance commerciale.

Pour toutes ces raisons, nous avons activement appuyé, le plan global mis en place par le ministère de l'Agriculture, destiné à favoriser les conditions de vos livraisons en bois de trituration qui est à mon sens tout à fait prioritaire.

Les exportations et l'environnement

Avant de conclure, je voudrais évoquer deux thèmes d'actualité qui en eux-mêmes mériteraient de longs développements : les exportations et l'environnement.

Sur le premier, je suggère que votre organisation professionnelle examine avec mes services, notamment la DREE, les possibilités d'ouverture que nous offrent les marchés voisins de l'Europe et de la Méditerranée, mais aussi les marchés plus lointains. L'Asie à "faim de bois" et son développement économique offre probablement de nombreuses opportunités de débouchés voire de partenariat sur lesquels vous devez vous interroger.

Quant aux réglementations liées à l'environnement et à la santé, je soulignerai d'un mot qu'à notre avis les réglementations doivent (dans votre domaine comme dans les autres) et ce afin de ne pas compromettre votre compétitivité : 
    – être justifiées en terme d'efficacité tant au plan du coût et des avantages ;
    – être élaborées dans un large esprit de concertation en s'assurant de leur cohérence globale tant au niveau national qu'au niveau européen.

Certains pays cherchent actuellement à détourner au profit de leur industrie le concept nouveau de développement durable que la France a activement contribué à faire admettre au niveau mondial, notamment lors de la conférence de Rio.

Il serait paradoxal qu'entravée par une rigueur intellectuelle excessive dans la mise en pratique de ces idées, notre économie souffre de cet excès de "marketing vert".

La France, tant en ce qui concerne son amont forestier, tempéré ou tropical, que son industrie, doit être fière de ses réalisations en matière d'environnement. Aussi, je ne peux que vous encourager à vous organiser pour exploiter les indéniables atouts que nous détenons en la matière.

En conclusion

Vous, industriels, vous venez de traverser une période très délicate. Vous avez tenu vos obligations d'entrepreneurs, de notre côté, nous nous sommes efforcés de vous accompagner dans cette mutation délicate. Une tendance nouvelle se dessine, c'est la reprise : vos entreprises devraient pouvoir en bénéficier pleinement.

C'est le vœu que je formule. Vous aurez à envisager de nouveaux défis. Nous vous y aiderons.