Interviews de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, dans "L'Evénement du jeudi" du 9 juillet 1998, "Le Parisien" du 10 et "L'Humanité" du 14 juillet 1998, sur le bilan de la Coupe du monde de football 1998 notamment l'avenir du Stade de France et l'implication des jeunes dans les fêtes autour de la Coupe du monde, et sur son opposition à une cotation en bourse des club de football.

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Média : L'évènement du jeudi - L'Humanité - Le Parisien

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L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI - 9 juillet 1998

Edj : La Coupe du monde s'achève. Que va devenir le Stade de France ?

Marie-George Buffet : Pour le consortium, la rentabilité économique du SDF est assurée. J'ai déjà inscrit dans le budget 1999 du ministère 50 millions d'indemnisation pour absence de club résidant comme m'y oblige le contrat signé par M. Balladur en 1995. Le problème reste l'utilité sociale de cet équipement, qui ne peut pas demeurer sans public ni événements sportifs. D'où le projet d'un club résidant.

Edj : A-t-on donc une chance de voir le Red Star s'y installer ?

Marie-George Buffet : Pour le début de la saison, ce sera difficile, car il faut qu'il remplisse des conditions financières, présente un budget correspondant à ses ambitions et passe du statut de société d'économie mixte (SEM) à celui de société anonyme à objet sportif (SAOS). On a besoin d'un club qui se construise d'une façon nouvelle, à partir de ce stade urbain, du département, du public et qui soit en osmose avec la réalité.

Edj : Pourquoi êtes-vous opposée à la cotation en Bourse des clubs ?

Marie-George Buffet : Je ne crois pas que cela soit la solution. Combien de clubs français peuvent espérer intéresser une cotation en Bourse ? Cinq ou six, au maximum. Il faut penser à l'ensemble des clubs. Ce qui me gêne, c'est de savoir si l'on peut préserver l'éthique sportive dans un monde qui serait dirigé uniquement par des actionnaires qui peuvent décider qu'avant l'enjeu sportif, il y a leurs intérêts. Imaginez une finale dont les deux clubs auraient des actionnaires communs !

Edj : Les clubs français ne vont-ils pas se retrouver à la traîne des autres pays européens ?

Marie-George Buffet : Il n'existe pas une manne financière qui permette de financer tous les clubs. Avec les autres ministres européens, j'essaie de trouver une réponse cohérente pour éviter d'en laisser certains à l'abandon. Nous ne voulons pas que le football tombe dans une déréglementation complète.

Edj : Et le statut fiscal des joueurs ?

Marie-George Buffet : La carrière d'un sportif est limitée dans le temps. Si on ne l'aide pas à construire son avenir, on assistera à des dérives. Il faut trouver des solutions: fiscaliser les revenus de manière différente dont une partie pourrait bénéficier d'exonérations, créer un statut de salarié à part entière et mettre en place une convention collective pour les sportifs professionnels.

Edj : Les droits de télévision seront multipliés par sept pour le prochain Mondial, en 2002. Craignez-vous une dérive de l'« image-business » ?

Marie-George Buffet : Le mouvement sportif doit rester maître de ses règles et ne pas être à la merci des retransmissions télévisées qui sont sans doute le plus grand danger pour l'avenir du sport. Imaginerait-on réduire le temps de repos des joueurs entre chaque match pour répondre au besoin toujours croissant d'images ? C'est pourquoi il faut des règles.


LE PARISIEN - 10 juillet 1998

Q - Durant le Mondial, elle a découvert la pression. Courant d'un match à l'autre, encourageant les initiatives. Ensuite un autre travail l'attend. Comment faire fructifier la passion née de l'évènement ?

Les Français semblent se reconnaître dans cette équipe de France métissée. Pourtant, ils sont majoritairement hostiles au laxisme en matière d'émigration.

Marie-Georges Buffet : J'ai pu réaliser au travers des actions, autour du Mondial, à quel point les jeunes de banlieue s'identifiaient totalement à cette équipe. Elle est à l'image de la France d'aujourd'hui. Cela doit nous faire réfléchir : on peut construire une nation comme on construit une équipe avec des hommes et des femmes d'origines diverses. La force d'un pays, c'est aussi sa diversité. C'est un des enseignements de cette Coupe du monde.

Q - Un but de Zidane ou de Henry fait-il autant sinon plus l'intégration qu'un énième plan banlieue ?

- Je n'irai pas jusque là. Pour faire reculer le rejet de l'autre, il faut faire reculer les difficultés de vie de chacun. Une politique de la ville et de l'intégration est nécessaire. Un but de Zidane ne peut pas remplacer le travail quotidien, même si ça aide.

Q - Le football faisait-il partie de votre culture de jeune fille communiste ?

- De jeune fille, non. Mon père s'intéressait davantage au rugby et au cyclisme. Mais c'est mon fils qui m'a convertie au football. Quand Fabien a eu cinq ans, je l'ai inscrit au pré-club du Plessis-Robinson. Il n'a pas arrêté pendant quinze ans.

Q - Est-ce que le Gouvernement dans son ensemble est contaminé par cette passion du foot ?

- Oh oui ! Et j'en ai eu encore la preuve au conseil des ministres… Durant les premières minutes, on a beaucoup parlé de football. Mais c'est normal, je ne vois pas pourquoi les ministres vivraient en dehors de la dynamique autour des Bleus.

Q - Que pensez-vous du match que se livrent Lionel Jospin et Jacques Chirac pour communiquer autour de l'équipe de France ?

- Il est normal que le Premier ministre et le Président de la République soient présents dans cette Coupe du monde. L'Etat s'y est fortement engagé au travers du financement et de la mobilisation des services publics. En revanche, il serait déplacé d'utiliser les victoires de l'équipe de France et la passion du public à des fins politiques.

Q - Le parallèle Jospin/Jacquet vous parait-il judicieux ?

- Je ne connais pas assez Aimé Jacquet pour lui trouver des points communs avec Lionel Jospin. Mais il me semble que ce sont tous les deux des hommes qui travaillent, guidés par des idées fortes et une continuité dans leur action.

Q - Comment allez-vous capitaliser l'enthousiasme né autour du Mondial et du football ?

- Il ne faut pas laisser retomber cet élan.
 Il va y avoir dans les prochains mois, de la part des jeunes, une nouvelle envie de football. Il ne faudra pas les décevoir. Je compte, avec la fédération, la ligue et nos partenaires, réfléchir dès maintenant au problème de l'accueil dans les stades et dans les clubs. Le Mondial a très bien montré que les stades sont aussi des lieux de convivialité. Il y a un public nouveau qu'il va falloir fidéliser. De la même manière, je souhaite sauvegarder l'esprit de fête qui s'est manifesté avec des centaines d'initiatives formidables. D'ores et déjà, j'ai en tête d'organiser une fête du sport et de la jeunesse au cours du dernier trimestre 1999. Pour tout cela, les moyens financiers seront inscrits au budget 1999.


L'HUMANITÉ - 14 juillet 1998

Q - Quel bilan faites-vous de cette Coupe du monde, en particulier de la manière dont elle a été vécue par les jeunes ?

- Le bilan complet va demander un peu de temps. Ce sont plutôt quelques enseignements à chaud qui me viennent à l'esprit. Le premier concerne l'équipe de France. Elle a réalisé quelque chose d'extraordinaire. Il y a le titre, bien-sûr, mais aussi un style, un état d'esprit, un comportement qui dégagent de la générosité, de la solidarité. Un jour de match, à Marseille, j'ai discuté avec les jeunes des quartiers nord. La manière dont ils me parlaient de Zidane montre qu'ils l'admirent, mais pas comme on admire une star inaccessible. Il n'y a pas de distance mais de la proximité, de la fierté, une identification valorisante. La liesse populaire de ces derniers jours mérite réflexion. Je crois qu'à travers cette équipe de France, et l'image qu'elle renvoie, s'est fortement exprimée une appartenance à la communauté nationale, fondée sur la diversité, la générosité, la volonté de réussir ensemble. Ce n'est pas un hasard si des aspirations humaines aussi fortes se manifestent à l'occasion d'un évènement à dimension universelle. Les jeunes y sont particulièrement sensibles. Leur implication a été une clé de la réussite de cette Coupe du monde. Le nombre d'animations qui ont réuni le 15/25 ans est incroyable. Tout comme le succès des retransmissions sur écrans géants. Des centaines de milliers de jeunes ont voulu vivre et partager cette fête du monde autrement que devant une télévision. Cet aspect a constitué la priorité de mon ministère, et ne doit pas rester sans lendemain.

Q - Précisément, que comptez-vous faire pour qu'il y ait un après-Coupe du monde ?

- La victoire de la France et le succès d'ensemble de la Coupe du monde ont créé  une dynamique et des attentes très fortes. Nous devons y répondre par des actes. C'est ainsi que le soutien financier du ministère à des animations et des actions de proximité liées à la coupe du monde sera reconduit en 1999, et se portera, cette fois, sur des projets mêlant fortement sport et jeunesse. Par ailleurs, le foot et d'autres sports vont certainement attirer de nouveaux pratiquants et pratiquantes. A condition que le manque d'argent ne leur ferme pas la porte. Nous allons donc aider concrètement les familles les plus en difficulté à payer les licences de leurs enfants, avec des « coupons-sport »mis en place par le ministère. Cette mesure entrera en application dès le mois de septembre. Je crois enfin que, avec cette Coupe du monde, qui a été réussie sans que la France renonce à  ce qui fait son originalité, l'idée que le sport peut créer du lien social, de la solidarité, ou tout simplement donner des moments de bonheur, est certainement mieux comprise.