Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la société des professionnels des papiers de presse, les mesures d'amélioration de la promotion et de la diffusion de la presse et sur la nécessité de rénover la formation des journalistes, Paris le 14 mai 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion de la Société des professionnels des papiers de presse, à Paris le 14 mai 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

C’est par un mot d’excuses, et par des remerciements que je souhaiterai ouvrir mon propos.

J’espère que vous voudrez bien m’excusez d’avoir à vous quitter plus tôt que je l’aurai souhaité pour rejoindre le Festival de Cannes.

Au cours des derniers mois, j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup d’entre vous ; mais les occasions sont rares de voir réunis dans une même assemblée une représentation aussi large des différents métiers du secteur de la presse.

Les remerciements, maintenant, que je ne saurais oublier.

Ils vont au président BROGNIAUX pour l’amabilité de ses paroles d’accueil, mais aussi, et surtout pour l’action menée depuis plus de cinquante ans par la SPPP et dont il a rappelé quelques éléments.

En maintenant haut la tradition de solidarité chère à la presse française, mais aussi en ayant su adapter ses pratiques et modernisé ses structures, la SPPP permet à l’ensemble des entreprises du secteur, et en particulier à celles qui sont de taille moyenne, voire petite, d’obtenir des conditions plus avantageuses que celles qu’elles obtiendraient en agissant individuellement.

À votre place, et avec les équipes qui vous entourent et auxquelles je tiens également à rendre hommage, vous participez au maintien du pluralisme de la presse, en même temps qu’à une plus grande efficacité d’ensemble de son fonctionnement.

Dans les responsabilités qui sont les miennes, je serais attentive à ce que ces acquis de la solidarité soient préservés tout au long de la chaîne qui conduit finalement les publications dans les mains de leur lecteur final.

La mise en œuvre de projets communs représente d’abord, pour leurs promoteurs, la perspective de partage des économies d’échelles ainsi dégagées.

L’association volontaire, la collaboration librement consentie constituent aussi un moyen, pour certains, de préserver leur indépendance, donc une alternative aux phénomènes de concentration capitalistique.
Vous connaissez mon attention sur ce point ; et s’agissant d’une forme de presse au développement de laquelle j’ai déjà eu l’occasion de dire mon attachement, les modalités de fonctionnement du Fonds de modernisation de la presse quotidienne devraient en porter la marque. Nous en reparlerons dans quelques temps.

***

Mais parce que le mois de juin tout proche verra s’achever ma première année à la tête du ministère de la Communication, j’aimerais profiter de ma présence parmi vous pour mettre en perspective quelques actions qui ont pu être menées à bien, quelques travaux qui ont pu être lancés, et quelques pistes de réflexions qu’il conviendrait d’explorer au cours des prochains mois.
– Favoriser la modernisation des conditions de production de la presse ;
– Contribuer à une plus grande efficacité de ses modes de distribution ;
– Participer à la réflexion sur l’entretien d’un niveau de confiance toujours plus grand entre les publications et leurs lecteurs.

Telles sont les orientations qui me paraissent créer les conditions d’un développement durable et équilibré de la presse.

***

I – Participer à la modernisation des conditions de production c’est d’abord savoir supprimer les dispositifs d’aide devenus obsolètes, ou sans objet… de manière à concentrer les fonds dégagés sur les enjeux présents et futurs.

C’est ainsi, par exemple, que j’ai tiré les conclusions du changement radical de la situation dans le secteur des télécommunications en décidant la suppression de l’aide à la réduction des tarifs de communication téléphonique, dont la création remontait au début des années 1950.

Dans le même temps, j’ai souhaité le maintien de l’aide au fac-similé, parce qu’elle favorise le recours des éditeurs à des unités de productions décentralisées et qu’elle leur offre les moyens d’une plus grande souplesse et d’une plus forte réactivité et parce qu’elle contribue, sur l’ensemble du territoire, au maintien d’un tissu vivace de centres d’impression.

Au nom de cette même logique, j’ai réduit l’aide au transport SNCF mais j’ai multiplié par trois, en la portant à 45 MF, l’aide au portage.

Sans prolonger à l’excès cette liste, je voudrais encore mentionner l’effort consenti en faveur du développement de la presse dans le multimédia :
– La dotation de fonds qui y est consacré a été portée de 20 à 35 MF. Et je souhaiterais vous faire partager un projet : j’ai demandé aux services du ministère d’étudier les conditions dans lesquelles une aide à la mise en œuvre de formules d’abonnements électroniques aux publications de presse pourrait devenir l’une des modalités de soutien à l’exportation de la presse française, telle qu’actuellement pratiquée.

Pour les quotidiens notamment, ce mode de distribution mondial, quasi gratuit et instantané, pourrait résoudre certaines des difficultés liées aux délais d’acheminement physique des publications.

II – Une presse produite dans de meilleures conditions d’efficacité, mais aussi une presse qui sait exploiter au mieux l’ensemble des canaux de distribution et des moyens de promotion pour aller au-devant du lecteur.

Je ne saurais mieux aborder ce deuxième sujet qu’en citant l’un d’entre vous « Plus que jamais, nous devons prendre conscience que le client ne vient plus à nous mais que nous devons aller à lui. Le temps n’est plus où l’on venait nous acheter ; il faut aller nous vendre ».

Ces quelques phrases, relevées dans les vœux que le président du SPQR, Jean-Louis PREVOST, exprimait au début de cette année 1998, recoupent parfaitement le sens du mouvement que je m’attache à impulser.

L’aide au portage ou la possibilité de soutenir le développement des abonnements à des formules de presse électronique, que j’ai déjà mentionnés, vont clairement dans le sens du développement des formes les plus modernes de distribution.

Mais ceci ne me fait pas oublier les formes plus traditionnelles de diffusion, qui représentent encore plus de 90 % des ventes.

Côté abonnements, la mise en œuvre des accords GALMOT semble s’être effectuée, globalement, de manière satisfaisante. Toutefois, j’ai attiré l’attention de mon collègue Christian PIERRET sur les aspects de qualité de service, s’agissant des périodiques en particulier, et j’ai demandé à ce qu’un premier bilan général de l’évolution des rapports PRESSE-POSTE soit établi.

S’agissant de la vente au numéro, j’ai été alertée de plusieurs points de difficulté. La fiscalité appliquée aux diffuseurs de presse, d’abord, avec la modification qui est intervenue dans le mode de calcul de la taxe professionnelle à laquelle ils sont soumis.

J’ai signalé ma préoccupation à mon collègue Dominique STRAUSS-KAHN ; nos services travaillent actuellement à la recherche d’une solution équitable et réaliste.

Inquiétude aussi, de la part du réseau, sur les questions de réglage de la diffusion et de remontée du niveau des invendus. Il est important que la poursuite du plan de modernisation des NMPP et les accords dégagés entre partenaires de la chaîne de distribution puissent faire retrouver le cercle vertueux de 1996, dans le respect des principes de la loi BICHET.

Une remarque encore, pour refermer ce deuxième volet, et une question, concernant la promotion de vos titres :
– La remarque, est celle d’une mère de famille : la meilleure manière de promouvoir la presse, c’est de la mettre dans les mains d’un public jeune, de donner à lire aux écoliers, aux lycéens, aux étudiants. Je vais donc saisir au cours des prochains jours mon collègue Claude ALLÈGRE et les organisations professionnelles, pour arrêter ensemble les moyens de renforcer les relations presse-école.

La question, elle, concerne l’accès de la presse à la publicité télévisée. Certains d’entre vous la réclament, au nom d’une exception française qu’il s’agirait de supprimer. D’autres sont réservés, craignant qu’une telle initiative ne profite surtout aux acteurs les plus puissants.

Ce débat, en tout cas, mérite d’être abordé : la presse, je l’ai dit, est en besoin constant de conquête de jeunes lecteurs. N’est-il pas paradoxal de ne pouvoir, pour se faire, avoir recours au média le plus prisé de cette population ? Plus globalement, on découvre quotidiennement, au détour de vos publications, des publicités pour les programmes phare proposés par les chaînes de télévision. N’est-il pas étonnant que la presse ne puisse avoir droit à la réciproque alors qu’elle dispute à la télévision l’attention des femmes et des hommes, dans un budget temps donné ?

Ces remarques, mais aussi le mouvement d’intégration européenne pourrait amener, à terme, à faire évoluer le cadre existant. Encore cela doit-il se faire après une étude attentive :
– Quel effet en attendre sur le niveau global de la consommation ?
– Doit-on redouter un phénomène de concentration de la demande sur les titres ayant la plus forte capacité d’investissement publicitaire, et si oui comment prévenir cet effet ?
– Quelle conséquence prévoir sur le niveau de rentabilité des entreprises de presse ?

Le chiffre d’affaires additionnel résultant de l’augmentation espérée des ventes ne se trouvera-t-il pas totalement absorbé par l’inflation des dépenses de promotion ?

Comment permettre à l’ensemble de la presse, donc à la presse d’opinion, d’accéder à la publicité télévisée sans mettre en cause le respect des dispositions prohibant la publicité politique ?

À ces questions, spécifiques au secteur de la presse, s’ajoutent une série d’interrogations sur les conséquences que cette opération pourrait avoir sur les autres médias, et sur les conséquences éventuelles qu’il conviendrait d’en tirer pour les secteurs de l’édition – la ministre de la Culture ne saurait l’oublier – mais aussi de la distribution.

Je m’attacherai à apporter des réponses à ces questions d’ici à l’automne, en m’éclairant, bien sûr de l’avis de l’ensemble des acteurs intéressés.

***

III – Mais une production modernisée, une distribution performante et une promotion efficace ne sauraient suffire à donner à la presse les clés du succès.

Elles représentent des conditions nécessaires ; certainement pas suffisantes.

Enrichissement éditorial permanent.

Souci constant de l’innovation et du service au lecteur.

Relation de confiance quotidiennement affirmée…

C’est par là que je voudrais conclure mon propos.

Cette relation de confiance, elle est d’abord le résultat de la qualité de vos rédactions, de la déontologie qu’elles s’imposent.

Sur ce dernier point, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour vous rappeler les propositions que j’avais faites le 6 avril, devant la Fondation Presse Liberté :

– Sensibilisation des étudiants en école de journalisme, pendant la formation initiale.

– Instauration d’un séminaire de réflexion et de sensibilisation pendant la première année d’activité.

– Possibilité, ultérieurement, d’introduire des « Périodes de rappel » sous forme de séminaires d’éthique organisés au sein des rédactions ou dans le cadre des organismes de formation reconnus par la profession.

Je suis tentée d’y ajouter une quatrième proposition, de mise en œuvre très simple : l’envoi systématique de la charte de déontologie de la profession – la charte de 1918 – sous le même pli que la première carte de « stagiaire » délivrée aux jeunes journalistes.

Mais le niveau de confiance entre le public et les rédactions est aussi affaire de perception des relations existant entre les rédactions et le « monde extérieur ».

Je ne m’attarderai pas sur les relations Presse-Justice.

Ma collègue Élisabeth GUIGOU s’est attachée, dans son projet de réforme de la procédure d’instruction, à prévoir des « fenêtres de communication » appelées de leurs vœux par nombre de magistrats et avocats. C’est une avancée sensible.

S’agissant des mesures conservatoires décidées dans le cadre de procédures en référé, il ne m’appartient pas de commenter les décisions récentes. Le Garde des Sceaux et moi-même partageons un même souci de respect de la liberté d’expression autant que des droits des personnes mises en cause dans tel article ou, d’ailleurs, tel ouvrage, et que les mesures justifiées par l’urgence ne vident pas de leur contenu les garanties de procédure, données à chacune des parties par les dispositions spécifiques de la loi de 1881. Ce sera, à ce stade, mon seul commentaire.

Mais si l’essentiel de la vie quotidienne des rédactions ne se règle fort heureusement pas devant les tribunaux, cela ne dispense pas d’apporter un soin constant à la qualité des relations avec les lecteurs.

Capacité à permettre, quand c’est nécessaire, un exercice serein du droit de réponse, mais aussi, mais surtout, capacité à éclairer le lecteur sur le travail des rédactions, échanges sur les conditions de traitement de l’information, approfondissement éventuel de telle ou telle question… Le médiateur est une réponse possible adaptée au niveau d’exigence et de maturité du public.

J’ai déjà eu l’occasion de souligner l’initiative du quotidien « Le Monde », dans ce domaine, et je m’en suis inspirée pour demander la création d’une fonction similaire dans les entreprises publiques du secteur de l’audiovisuel public. J’espère que la force de l’exemple permettra de faire école.

Dernier aspect de ce « Carré magique de la confiance » que je souhaite chaque jour plus forte, la transparence des relations entre les rédactions et leurs actionnaires, s’agissant, particulièrement, d’opérateurs dont l’activité principale est extérieure au secteur de la communication.

Le traitement de l’actualité peut mener à aborder un sujet que l’actionnaire juge peu favorable à ses intérêts. La rédaction doit pouvoir le faire en toute liberté et en toute indépendance.

Je serai attentive à ce que cela reste le cas, mais je sais que les sociétés des rédacteurs et représentants des personnels partagent ce souci. Je tiens ici à leur en rendre hommage.

Une proposition, néanmoins, la dernière : que se systématise la pratique selon laquelle tout article relatif à l’un des actionnaires significatifs de l’entreprise qui le publie, fasse état de ce lien.

Le public ne peut qu’apprécier ce type de pratiques qui relèvent d’une préoccupation déontologique aujourd’hui élémentaire.

***

Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs ce que je souhaitais vous dire aujourd’hui.

En vous remerciant de votre attention, j’aimerais finir par une note optimiste : une presse modernisée, sûre de ses valeurs et de sa pratique à tout attendre de l’avenir.

Cela devrait se traduire par l’arrivée de nouveaux lecteurs, donc dans vos comptes, Monsieur le Président, par le volume de papier traité par la SPPP.

Je serai heureuse d’être avec vous l’année prochaine, si vous m’y conviez, pour célébrer ce développement.