Interview conjointe de MM. Alain Madelin, ministre des entreprises et du développement économique chargé des PME et du commerce et de l'artisanat, et Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France 2 le 3 mars 1994, sur le contrat d'insertion professionnelle (CIP) qualifié de "SMIC jeunes".

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Alain Madelin - ministre des entreprises et du développement économique chargé des PME et du commerce et de l'artisanat ;
  • Marc Blondel - secrétaire général de FO ;
  • Bruno Masure - Journaliste

Circonstance : Table ronde des partenaires sociaux à Matignon le 2 mars 1994 notamment à propos du CIP

Média : France 2

Texte intégral

B. Masure : Le gouvernement n'a-t-il finalement pas reculé devant ce qui est en France un véritable tabou ?

A. Madelin : Le gouvernement a expliqué et modifié sa position sur un point. Il a expliqué ce qu'était réellement le Contrat d'insertion, avec un seul objectif : faire reculer le chômage des jeunes. Il y a trop de jeunes dans ce pays qui se retrouvent sans la chance d'avoir une vraie formation professionnelle et sans la chance d'avoir une expérience professionnelle. Résultat : ils galèrent, ils envoient des centaines de lettres dans les entreprises, parce qu'ils n'ont pas d'expérience professionnelle. Nous avons expliqué que ce n'est pas un SMIC-jeunes : C'est une sorte de stage d'insertion assorti d'une formation pour donner toutes les garanties nécessaires en matière de formation. Nous avons modifié notre position en ce qui concerne une inquiétude tout à fait légitime, concernant les jeunes diplômés. Est-ce-que nous allions dévaloriser les diplômes ? Je comprends cette inquiétude et elle impliquait une explication et une modification de notre position.

B. Masure : Pourquoi ne pas avoir fait comme la CGT – qui a claqué la porte – et avoir accepté d'amender un projet qui était présenté, il y a quelques jours, comme inacceptable ?

M. Blondel : Il faut être précis : nous n'avons pas amendé un projet. Il n'y a pas d'accord, il n'y a rien. Il y a une déclaration du Premier ministre avec ses conclusions et ses orientations. Aujourd'hui encore, si on applique le texte tel qu'il est présenté, un salarié avec le bac + 2 pourra être embauché à 3 790 francs. C'est le problème de fond. Cela devient un étiage, compte tenu du fait que, maintenant, on n'arrive plus à négocier les salaires dans les entreprises. Cela met en l'air toutes les grilles de salaire ; cela justifie le fait qu'une vendeuse à 5 200 francs, c'est à dire le SMIC, peut s'interroger de savoir si elle est surpayée. Cela veut dire aussi que les gens qui ont 30 ans d'ancienneté, qui n'ont peut-être pas bac + 2 et qui gagnent 7 000 ou 8 000 francs, sont en difficulté. On va dire « vous gagnez de trop », il va y avoir un turnover et l'on va embaucher des jeunes. D'autant plus que l'objectif me semblait mal ciblé, parce que les bac + 2 ce sont notamment les BTS. Or les BTS, ce sont ceux qui trouvent le plus rapidement du travail car c'est un bon diplôme. Selon les chiffres de l'INSEE, 95 % d'entre eux trouvent du travail : c'est plutôt les autres qu'il faudrait aider !

A. Madelin : Nous sommes tout à fait d'accord pour les distinguer. Il y a des bac + 2 qui ont une vraie formation professionnelle : il n'est pas question de les dévaloriser. Mais vous savez aussi qu'il y a des bac + 2 – les études de sociologie, par exemple – qui ne sont pas directement utilisables par les entreprises. Si on ne leur donne pas une chance d'entrer dans l'entreprise, de faire valoir qu'ils peuvent être utiles à quelque chose, si on ne les accompagne pas pour leur apprendre ce qu'est la vie en entreprise, ils n'ont aucune chance. C'est pour cela que nous avons voulu faire le Contrat d'insertion. Cette affaire des jeunes diplômés, n'était pas, à l'origine, dans le projet de loi du gouvernement. C'est à la demande de syndicats, la CGC notamment, que nous avons introduit cette mesure.

B. Masure : Je voudrais que l'on s'intéresse un peu à la situation des intéressés : les jeunes qui cherchent du travail. A Madelin : J.-L. Giral, qui est candidat à la présidence du CNPF, a déclaré que le CIP était une bonne mesure mais ne créera pas d'emplois.

A. Madelin : Cela doit permettre d'ouvrir des chances à des jeunes : la chance d'une première insertion professionnelle. Les jeunes qui sont trop longtemps au chômage perdent tout espoir. Le gouvernement ne cherche pas à faire plaisir à qui que ce soit : il existe à l'heure actuelle – et M. Blondel le sait – bien d'autres formules pour avoir des gens à bon marché pour les entreprises. Il s'agit simplement d'offrir la chance d'une première expérience professionnelle à des jeunes qui galèrent depuis longtemps.

M. Blondel : Je voudrais tout d'abord expliquer que cela ne changera rien car tout dépend du niveau d'activité de l'entreprise. C'est l'élément déterminant. Je connais peut-être un peu la psychologie des employeurs : ils embauchent quand ils ont du travail. Pas pour vous faire plaisir, ni pour me faire plaisir. En fait, ils auront à choisir entre un salarié ordinaire et un salarié qui peut être engagé sous forme de CIP. Vous allez transformer tout simplement le CIP en période de pré-embauche. Je n'ose même pas dire « période d'essai » dans la mesure où vous ne donnez pas la possibilité de maintenir l'emploi après. Je suis pour qu'ils soient tous des salariés ordinaires. Il y a tous les diplômés et il y a ceux qui ne le sont pas : que valent-ils sur le marché du travail, combien va-t-on les payer ? Que vont devenir ceux qui n'ont pas le bac ? Ceux qui ont un CAP, et ceux qui n'ont rien du tout ? Sont-ils des Rmistes en puissance ?

A. Madelin : Il n'existe pas une seule personne sérieuse, un seul observateur, un seul économiste qui, regardant la situation française, ne dise pas qu'il existe une barrière à l'entrée pour beaucoup de jeunes gui n'ont pas le niveau nécessaire pour entrer dans l'entreprise et pour lequel nous devons faire un effort. Ce Contrat d'insertion a un seul objectif. Il y avait un problème avec les jeunes diplômés. C'est terrible, pour une famille, de se saigner aux quatre veines pour avoir un jeune qui, à bac + 2, est dévalorisé. Ce problème, je crois qu'aujourd'hui nous avons fait du bon travail et que nous l'avons résolu.

M. Blondel : Je veux confirmer que nous nous rencontrons demain et nous allons voir comment nous allons répondre à la question. Elle n'est pas encore résolue : je ne voudrais surtout pas que l'on puisse croire et dire ce soir qu'il y a eu un accord entre les organisations syndicales et le gouvernement. Nous négocions aussi avec le patronat qui – et je m'en inquiète – n'a plus qu'un seul objectif : essayer de faire des salariés sous-payés. S'ils pouvaient baisser de 20 % tous les salaires, ils le feraient. Et cela n'apporterait pas de solution car tous les autres pays en feraient bien autant.

A. Madelin : Le seul objectif est que la France ne soit pas le seul pays à laisser 750 000 jeunes sur le carreau.