Interview de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, dans "Le Parisien" le 19 septembre 1998, sur les missions de l'État relatives à la conservation du patrimoine national et sur les métiers d'art liés à la restauration de ce patrimoine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 15èmes journées du patrimoine, les 19 et 20 septembre 1998

Média : Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien
Avec 10 millions de visiteurs l’an dernier, les Journées du patrimoine n’en finissent pas de battre des records. Comment expliquez-vous cet engouement ?

Catherine Trautmann
J’y vois deux causes essentielles. Tout d’abord le patrimoine monumental est sans conteste la ressource culturelle la mieux répartie sur l’ensemble du territoire. Il est inscrit dans tous les paysages, ruraux comme urbains. Il est le signe de notre histoire et de notre héritage commun qu’il faut préserver. Les Journées du patrimoine concernent donc directement l’ensemble des Français. Et puis, depuis 15 ans, nous avons su renouveler chaque année l’intérêt et la curiosité. Avec bien sûr de nouvelles ouvertures de bâtiments jusqu’à présent inaccessibles, et l’organisation d’animations autour de thèmes. Cette année, nous invitons le public à découvrir les métiers et les techniques qui concernent la restauration et à l’embellissement de notre patrimoine monumental et artistique.

Le Parisien
Le patrimoine se cantonne-t-il aux monuments et jardins ?

Catherine Trautmann
– Non, bien sûr, même si c’est surtout le patrimoine immobilier qui retient l’attention. Mais avec le thème de cette année, nous avons justement voulu montrer que le patrimoine concerne également l’ensemble des objets d’art et les savoir-faire, ainsi que les techniques qui permettent leur réalisation.

Le Parisien
Justement, cette année, les Journées ont pour thème les « métiers et savoir-faire ». Ces professions ont-elles de l’avenir ?

Catherine Trautmann
– Le marché des métiers d’art est évalué à 3 milliards de francs. La conservation des monuments bâtis en détient la plus grande part et engendre le plus grand nombre d’emplois. Huit mille emplois directs sont générés chaque année par les crédits d’État dans le cadre de la restauration des monuments historiques. Mille entreprises et 34 000 salariés travaillent dans ce domaine. Autant dire que ces professions ont de l’avenir. Malgré tout, les responsables des entreprises de restauration se plaignent souvent de ne pas trouver de jeunes intéressés aux métiers qu’ils proposent car ce sont des professions très exigeantes.

Le Parisien
Espérez-vous que des vocations puissent naître de ce week-end ?

Catherine Trautmann
– Bien sûr. Souvent, les jeunes ne sont pas intéressés par ces professions parce qu’ils ne les connaissent pas. Or, cette année, grâce à l’association des compagnons qui a accepté de venir aux Journées du patrimoine, ils pourront entrer en contact avec des professionnels qui leur feront découvrir leur métier.
J’ai déjà pu constater par le passé l’impact de ce genre de démonstrations, notamment avec des tailleurs de pierre.

Le Parisien
En 1997, les crédits affectés à la restauration du patrimoine ont été réduits. L’an dernier, ils ont repris leur niveau précédent. Que va-t-il se passer à l’avenir ?

Catherine Trautmann
– Après la baisse dramatique de 1997, j’ai obtenu que les crédits du patrimoine retrouvent un niveau plus conforme avec les ambitions de la loi de 1993. Sur deux ans, ils ont ainsi progressé de 42,7 % et, en 1999 ils atteindront 1 690 millions de francs. À l’avenir, ces crédits doivent continuer de progresser car nous devons faire face à de nombreux et délicats chantiers de restauration. Les grandes cathédrales, Versailles ou le Grand Palais, pour ne citer que les plus connus, sans oublier par exemple le patrimoine romain et gallo-romain de la France méridionale. Et je suis convaincue que plus on diffère les travaux, plus ils coûtent cher !

Le Parisien
L’État doit-il prendre en charge le sauvetage de tous les monuments ?

Catherine Trautmann
– On ne peut pas tout prendre en charge. Nous menons une politique sélective. Sans réduire responsabilité de l’État, il faut noter qu’il n’est cependant pas le seul à participer aux différentes restaurations puisque les propriétaires privés et les collectivités locales interviennent également sur certains monuments. Même dans le privé, l’État intervient quand des dégradations importantes sont constatées, comme au château de Rosny. Mais il ne peut pas tout protéger.
Je travaille actuellement sur un plan décennal pour Paris afin de mobiliser les ressources et de garantir le devenir et l’usage des monuments classés en Île-de-France, tout en gardant une marge pour les monuments historiques partout ailleurs, en France.

Le Parisien
Le patrimoine coûte cher à l’État. Mais combien lui rapporte-t-il ?

Catherine Trautmann
– Réussir une restauration, cela implique également une complémentarité entre les moyens de l’État et ceux des collectivités. Je ne veux plus de projets entamés puis stoppés faute de prévision suffisante. L’affectation de certains lieux à des projets culturels, lorsqu’elle est annoncée, doit être accompagnée d’une étude des coûts de fonctionnement pour une cohérence maximale du projet de restauration. Il s’agit là d’une gestion rationnelle des fonds publics.
330 millions de recettes, par an, sont perçues par la caisse nationale des monuments historiques pour les visites. Ces fonds permettent de financer les frais d’accueil et d’animations dans les monuments. Sept cents milliards de francs sont par ailleurs générés par le tourisme, dont au moins dix pour cent par le patrimoine. Ce qui représente bien plus d’argent que les dépenses. Le patrimoine est en fait un investissement. On le considère souvent comme une dépense mais il génère aussi des richesses.

Le Parisien
Estimez-vous que le patrimoine soit suffisamment protégé par la loi, en France ?

Catherine Trautmann
– La protection des monuments historiques se fonde sur la loi de 1913. Je pense que le dispositif est opérationnel. Nos outils dans ce domaine sont bons. Et pour améliorer encore la situation, nous préparons un texte qui étendra demain cette protection au mobilier.

Le Parisien
À la rencontre de quels métiers et savoir-faire irez-vous ce week-end ?

Catherine Trautmann
– J’ai prévu un programme éclectique qui rend bien compte de la diversité du patrimoine : Port-Royal, les tailleurs de pierre au château de Vincennes, le village des métiers sur le parvis de Saint-Sulpice et les fresques restaurés de la Bourse du commerce.