Interview de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur, à TF1 le 17 avril 1994, sur la guerre en ex-Yougoslavie, les massacres au Rwanda, le voyage en Chine du Premier ministre, le financement du PR et la signature des accords du GATT.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : TF1

Texte intégral

Mme Sinclair : Bonsoir.

Dans chaque gouvernement, il y a toujours quelques ministres qu'on remarque plus que d'autres, mon invité est de ceux-là.

Bonsoir, Gérard Longuet.

M. Longuet : Merci, Anne Sinclair.

Mme Sinclair : Vous avez la charge de l'Industrie, du Commerce extérieur, des Postes, des Télécommunications dans le Gouvernement Balladur, mais avant de vous faire commenter l'actualité dont, cette semaine, sur plusieurs sujets, vous avez été l'un des acteurs, je voudrais commencer par les événements de Bosnie qui se sont accélérés ce week-end.

Après s'être moqués tous ces derniers jours des vraies-fausses menaces occidentales, les Serbes semblaient accepter cet après-midi une force d'interposition de l'ONU à Gorazde mais, une fois de plus, cela n'aura duré que quelques heures.

Reportage

Mme Sinclair : Gérard Longuet, il faut dire que les dépêches étaient très contradictoires tout au long de l'après-midi, – Claire Chazal fera un point encore plus précis à 20 heures avec les dernières informations –, mais nous avons appris cet accord signé par Monsieur Hakachi au nom de l'ONU et les Serbes de Bosnie, ensuite nous avons appris l'entrée des chars serbes dans Gorazde, ils sont en ce moment dans Gorazde, et nous avons appris il y a quelques instants un accord de cessez-le-feu immédiat à Gorazde qui aurait été conclu et qui serait respecté pour les minutes, les heures qui viennent, on ne sait trop !…

Est-ce une trêve d'une journée, est-ce une illusion de paix, est-ce un espoir de plus, qu'est-ce ?

M. Longuet : En tous les cas pour la France qui participe au dispositif, je vous rappelle que 6 000 hommes, 6 000 Français, 6 000 soldats français sont en Yougoslavie, il ne peut y avoir à Gorazde de solution que par un retrait autour des trois kilomètres, une zone de protection, la présence de la Forpronu, vous savez que la Forpronu n'est pas à Gorazde actuellement, et il y avait dans la démarche de Monsieur Hakachi …

Mme Sinclair : … Quelques observateurs …

M. Longuet : … Oui, il y a quelques observateurs et, là, on proposait de mettre 300 hommes et la France était prête à fournir la moitié de ce contingent, à ces conditions-là, nous aurions pu assister à une stabilisation du type Sarajevo. À l'instant, au moment où nous parlons, rien n'est certain et, manifestement, les Serbes de Bosnie poussent leur avantage au plus près, profitant de l'absence des troupes de Forpronu.

Je voudrais dire qu'il y a tout de même 7 000 hommes qui assiègent Gorazde, il y a 3 000 combattants bosniaques qui le défendent et il y a 60 000, ce n'est pas une petite affaire, nous sommes obligés d'en parler avec extraordinairement de gravité parce qu'il n'y a pas de « y a qu'à … », il y a vraiment un devoir absolu d'aller au fond des négociations tant qu'elles sont encore possibles.

Mme Sinclair : Oui, mais a cela on peut tout de même répondre une chose, c'est que ce n'est pas une situation nouvellement créée, Gorazde a été déclaré, il y a un an, zone de sécurité, zone protégée par les Nations-Unies et Gorazde se trouve, depuis quelques semaines, dans l'exacte situation qui était prévue quand elle a été déclarée zone protégée, c'est-à-dire que si elle était encerclée, si elle était attaquée, les Forces de l'ONU s'engageait à des frappes aériennes contre les soldats. Cela n'a pas eu lieu, comment croire encore les Occidentaux ?

M. Longuet : Je crois qu'il y a une double action: les Occidentaux, américains, russes et surtout les Européens s'efforcent de trouver une solution politique. S'il n'y a pas de solution politique acceptée par les trois partis, nous n'aurons jamais les moyens militaires suffisants pour séparer tous les combattants, Bosniaques, Croates ou Serbes orthodoxes de Bosnie, c'est impossible. Donc, le devoir politique est un devoir absolu.

Naturellement, il faut marquer des temps d'arrêt, nous l'avons fait pour Sarajevo, pourquoi l'avons-nous fait ? Parce qu'il y a des soldats de la Forpronu et notamment des soldats français, à Gorazde, nous n'avions pas de soldats.

Mme Sinclair : Parce qu'il y a eu une émotion considérable déclenchée par le massacre de Markale et que les opinions n'ont plus accepté l'atermoiement.

M. Longuet : Vous avez raison, Anne Sinclair, il est évident que lorsque les gouvernements se sentent soutenus par leur opinion, ils peuvent aller de l'avant car, au bout de l'engagement, au bout des bras de fer, au bout des paroles, il y a des vies humaines qui sont en jeu, il y a des soldats qui montent au front et il y a des convois qui peuvent être attaqués, il y a des soldats de la paix qui peuvent être abattus comme 20 de nos compatriotes l'ont été depuis maintenant presque deux ans. Donc, on ne peut s'engager que si on a les moyens.

Dans l'affaire de Gorazde, nous n'avons pas les moyens militaires de casser l'encerclement serbe, il faut dire les choses telles qu'elles sont, nous n'avons pas ces moyens militaires. Tous ceux qui connaissent un petit peu l'armée savent très bien que quand il y a 7 000 assaillants, il faut mettre au moins autant pour briser cet encerclement.

Que pouvons-nous faire ? Mettre des observateurs militaires en grande quantité, c'est-à-dire un détachement de la Forpronu et obtenir ce que nous avons obtenu ailleurs. Il y a actuellement un bras de fer, une négociation, je ne voudrais pas, par des paroles incertaines ou malhabiles, casser cet effort de négociation. Je constate simplement que la France est au cœur de ce dispositif et j'ai une certaine fierté de cela même si, comme vous le dites très justement, il y a plus de témoignages d'impuissance que de témoignages de satisfaction.

Mme Sinclair : On a le sentiment avec les Serbes que les choses se passent de la manière suivante, c'est-à-dire qu'ils conquièrent des positions et qu'après ils négocient sur des positions acquises ?

M. Longuet : Et qu'ils retirent, dont ils peuvent se retirer. Nous l'avons réussi à Sarajevo avec des armes qui ont été regroupés, avec de l'artillerie …

Mme Sinclair : … Vous l'avez vu d'ailleurs cette semaine, les regroupements de ces armes …

M. Longuet : … C'est un effort permanent.

Mme Sinclair : Les Serbes peuvent en prendre le contrôle au moment où ils le décideront, en gros ?

M. Longuet : Oui, enfin, ce n'est pas tout-à-fait exact mais il y a cette menace permanente, il y a un rapport de forces. Le Monde international, on le verrait dans d'autres domaines mais, dans ce domaine-là, est un Monde extraordinairement dur, il n'y a pas de pitié pour les faibles, il n'y a pas de pitié pour les pays qui baissent la garde, il n'y a pas non plus d'honneur pour les pays qui ne tiennent pas leurs engagements.

Ce que nous faisons aujourd'hui, c'est d'essayer de tenir les engagements que nous pouvons tenir et, sans la mobilisation, c'est vrai, de toute l'Europe, c'est pour cela qu'il y a un devoir d'Europe, et sans l'appui des États-Unis et une certaine compréhension russe, je crois que nous n'en sortirons pas. Il faudrait peut-être que les trois parties concernées, celles qui sont directement impliquées, comprennent qu'elles ne pourront pas s'entre-tuer jusqu'au bout, ce n'est pas possible.

Mme Sinclair : Vous parliez des Russes à l'instant, n'est-ce pas une des données fondamentales, c'est qu'on a cru que la fin de la guerre froide et les problèmes de l'ex Union soviétique ne faisaient plus de la Russie une grande puissance. Elle est revenue, à l'occasion de la Bosnie, deux fois, au moment de Sarajevo et maintenant, de nouveau sur le devant de la scène et on voit qu'on ne peut pas les affronter directement sans risque d'escalade ?

M. Longuet : Il y a 160 millions de Russes, plus naturellement tous les pays qui sont dans la mouvance et notamment dans la mouvance orthodoxe, c'est une force importante, ils se sentent directement impliqués. Si les Russes peuvent nous aider, c'est une contribution, je ne crois pas qu'il faille rejeter.

Ce qui m'inquiète en Russie, c'est ce que vous observez, c'est cette surenchère nationaliste, cette minorité turbulente et provocatrice qui a des effets dans l'affaire serbe. S'il y avait plus d'harmonie et plus de réussite en Russie, je pense qu'ils seraient plus détendus à l'extérieur.

Mme Sinclair : Lorsque vous étiez dans l'Opposition, Gérard Longuet, vous faisiez partie, avec François Léotard, de ceux que ce conflit en Bosnie indignait et vous aviez, en effet, le sentiment que les Bosniaques étaient un peu lâchés par le reste du monde devant les réalités de la vie politique et les réalités de la politique internationale. Aujourd'hui, vous êtes au Gouvernement, vous êtes tenu à un devoir, c'est vrai, vous venez de le dire, de ne pas risquer de mettre en jeu des tractations, est-ce que la Bosnie vous empêche encore de dormir ?

M. Longuet : Les responsabilités de la France, la Bosnie me préoccupe mais l'Algérie ? … Je reviens de Marrakech, on en reparlera, un pays qui accède au développement et, à côté, l'Algérie qui est un véritable naufrage à la fois économique, social et surtout humain. Ce sont des pays qui sont proches, avec lesquels nous avons des liens, qui parlent notre langue et qui écoutent nos émissions de télévision. Moi, je suis tout-à-fait bouleversé.

Lorsqu'on voit les responsabilités internationales de la France, on a envie que la France soit un peu plus rassemblée et c'est vrai qu'on s'affronte moins sur le terrain politique dans des enjeux extérieurs ; que dans des enjeux extérieurs on puisse se retrouver parce que les soldats ne sont pas de Droite ou de Gauche, ce sont des soldats français qui ont à mener une politique qui, d'ailleurs, n'est pas simplement une politique française qui, nous l'espérons, est une politique européenne.

Quand on voit les défis qui attendent nos 60 millions d'habitants, on aimerait prendre un petit peu de recul sur le quotidien et avoir un objectif de rassemblement et de construction européenne.

Mme Sinclair : Nous allons voir ce qui se passe dans le reste du Monde où les choses ne sont pas brillantes non plus. Au Rwanda, c'est l'épouvante des massacres, à Strasbourg, c'est le ridicule de Jirinovski, de retour de Pékin, le Premier ministre vient d'un voyage très controversé.

Dimanche : 
Édouard Balladur regrette-t-il son voyage en Chine ? À l'entendre, « pas du tout ».

Lundi : 
Nouveau changement de Gouvernement en Algérie.

On aurait envie d'en rire, mais Vladimir Jirinovski est tout, sauf un comique. Hué lors de sa visite au Parlement européen de Strasbourg, le leader russe, ultra-nationaliste, raciste et antisémite, sort de ses gongs.

Mardi : 
Les rues de Kigali jonchées de cadavres, des images qui attestent de la violence des massacres perpétrés depuis une semaine au Rwanda.

Mme Sinclair : C'est vrai, Gérard Longuet, qu'un est soulagés que les Français soient à l'abri mais on se sent un peu mal à l'aise à l'idée d'abandonner derrière soi ces gens qui se massacrent ?

M. Longuet : Les deux à la fois, Anne Sinclair, parce que les paras français, Michel Roussin, ont fait leur travail, ils l'ont bien fait, mais c'est vrai aussi qu'il y a des scènes déchirantes. Des couples dont les enfants, la femme est Européenne, le mari, Hutu ou Tutsi, abandonné sur place, c'est atroce ! Il y a un vrai devoir de paix, on a envie de mobiliser plus de moyens encore mais, en même temps, est-ce que la France, est-ce que l'Europe peut être le gardien de toutes les guerres civiles lorsqu'il n'y a pas de solution politique ? Car on sait très bien que les querelles durent depuis des dizaines d'années, c'est un peu décourageant, honnêtement.

Mme Sinclair : Peut-on expliquer aux gens pourquoi ils s'entre-tuent ?

M. Longuet : Il y a une minorité Tutsie qui est une minorité de pasteurs, de nomades qui a toujours et un rôle dominant au Rwanda et au Burundi, mais très minoritaire. Avec la colonisation d'abord, l'indépendance ensuite, les rôles ont été redistribués et nous avons un pays qui est totalement déstabilisé, c'est-à-dire où la majorité, à juste titre, veut gouverner et où la minorité entend garder un certain pouvoir. Si on ajoute à cela que l'Ouganda, dont les tribus sont proches des Tutsis, soutient ces minorités et que le Zaïre fait sans doute le contraire de l'autre côté, on a tous les éléments d'un conflit dans deux pays qui pourraient être en Afrique de véritables Suisse, en tous les cas des pays qui s'en tireraient par eux-mêmes car ce sont des pays qui ont des capacités, c'est navrant, mais pas de solution politique. Les militaires, c'est bien pour sauver des vies mais ce n'est pas la solution de long terme.

Mme Sinclair : Pouvons-nous dire que nous n'avons aucune responsabilité, nous, les anciens colonisateurs, je parle de l'Europe, et qui avons joué par la suite des rivalités ethniques ?

M. Longuet : Je vais être très mesuré parce que si la colonisation a été acceptée, c'est peut-être parce qu'elle a instauré la paix, une paix forcée, une paix de l'extérieur mais elle a maintenu la paix. Nous n'avons pas réussi la décolonisation …

Mme Sinclair : … Et nous avons peut-être joué des rivalités ?

M. Longuet : Nous n'avons pas réussi la décolonisation et, en particulier, lorsqu'il y a eu des départs très rapides qui n'avaient pas été précédés par une formation d'élites locales.

Il y a des cas tout-à-fait différents, il y a des pays qui ont gardé leurs structures et lorsque le colonisateur est parti ou lorsque le protectorat a disparu, ces pays, en quelque sorte, renaissent spontanément et d'autres dont les structures ont été bousculées, c'est le cas de très nombreux pays d'Afrique noire, nous avons bousculé leurs structures et nous n'avons pas su les remplacer. C'est vrai que nous avons apporté de la paix et de la prospérité lorsque nous étions là, il faut s'en souvenir.

Mme Sinclair : Cette semaine, a été décerné le Prix Pulitzer aux États-Unis qui est une sorte de Prix Nobel du journalisme et ce Prix a été décerné à Kevin Carter, qui est photographe, pour une photo qui a été publiée à la Une du New York Times, – vous l'avez sûrement vue –, on va la voir sur l'écran : cette petite fille soudanaise prostrée, épuisée, visiblement s'écroulant et le vautour la guettant derrière.

M. Longuet : Elle est atroce et, moi, c'est comme père de famille et comme vous sans doute, on fait tant d'efforts pour nos enfants et on s'inquiète quand ils ont une petite grippe ou une mauvaise note en classe et puis on laisse des vies complètement sans protection. Moi, j'ai beaucoup d'admiration pour tous ceux qui consacrent leur vie, Médecins Sans Frontières, toutes les organisations non gouvernementales, c'est formidable et, en même temps, c'est parfois désespérant.

Mme Sinclair : On dit toujours, à propos de la seconde guerre mondiale, « on ne savait pas », aujourd'hui, la mode est de dire : « maintenant, on sait, on ne peut pas dire qu'on ne savait pas » …

M. Longuet : … D'accord, mais c'est tellement compliqué …

Mme Sinclair : … Or, on a l'impression qu'on sait, qu'on voit, qu'on transmet les images, que tout le monde voit tout ce qui se passe mais que l'Humanité ne change guère ?

M. Longuet : Regardez, nous sommes arrivés en Somalie, il y a deux ans de cela, sous les caméras, les soldats, les troupes américaines, les troupes de l'ONU et puis on a fichu une pagaille pas possible. Les Français s'en sont bien sortis, dans des petits coins de campagne, ils ont amené un petit peu de paix mais, pour le reste, nous ne pouvons pas, de l'extérieur, faire la paix du Monde, on peut éviter des excès, on ne peut pas trouver des solutions si les peuples, eux-mêmes, n'acceptent pas cela.

Je reviens sur le Maroc parce que cela m'a beaucoup frappé. Dans son discours, Hassan Il a dit : « Le choix du Maroc, en 56, au moment de l'indépendance a été de refuser le Parti unique », c'est-à-dire d'accepter la liberté, la liberté avec une tradition qui n'est pas peut-être la nôtre mais en tous les cas une compétition. Très souvent, le début de la misère, c'est la guerre et le début de la guerre, c'est le refus de la liberté, de l'échange, de la comparaison. Je crois que la responsabilité est d'abord politique.

Mme Sinclair : Je voudrais vous parler un peu du voyage en Chine du Premier ministre, vous l'avez accompagné, vous étiez là-bas. À propos du CIP, votre ami et collègue, Alain Madelin, a dit un soir cette phrase : « Si on avait su, peut-être aurait-on mieux fait de ne pas faire ! », auriez-vous pu …

M. Longuet : … Il y a des tas de choses qu'on n'aurait dû ne jamais faire, qu'on regrette et dont on se mord les doigts, mais enfin celui qui n'a jamais fait d'erreurs, c'est en général qu'il n'a rien fait.

Mme Sinclair : À propos du voyage en Chine, pourriez-vous être aussi franc qu'Alain Madelin ?

M. Longuet : Je trouve ce jugement extraordinairement injuste, on sait, premièrement, que la Chine existe et que la France a le devoir absolu d'avoir des relations avec la Chine continentale, un milliard 200 millions d'hommes, une force nucléaire, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, on doit parler avec les Chinois, et nous avions hérité d'une situation impossible, on ne se parlait plus. Ceci est la première certitude.

La deuxième est que, quels que soient nos bons sentiments et nos bonnes intentions, nous ne pourrons pas, de l'extérieur, imposer des changements politiques autres que par une pression constante de l'échange d'informations, de l'échange économique. Quand Édouard Balladur est parti en Chine, il savait parfaitement qu'on permettait un dialogue politique et que, hélas, il était hors de portée de la France, depuis les beaux esprits jusqu'aux hommes politiques, de changer le comportement des dirigeants chinois aujourd'hui, de le changer aujourd'hui car, ce que nous amenons en Chine, c'est un ferment : le ferment du progrès économique, de l'échange, de la comparaison qui aboutira à faire éclater des structures autoritaires, le temps viendra !

Mme Sinclair : Le voyage en Chine du Premier ministre n'avait pas été discuté, tout le monde se félicitait que les relations avec la Chine puissent être rétablies, néanmoins le traitement qui lui a été infligé, il a même surpris lui-même puisqu'il a été obligé de faire un certain nombre de remarques après avoir prôné plutôt une discrétion en matière de Droits de l'Homme, il a été amené lui-même à s'en indigner. N'est-ce pas justement ce qui s'est passé là-bas qui a été mal ressenti et que les autorités françaises ont réagi de manière qui a été contestée disant : « Puisque les Chinois, eux-mêmes, nous disent qu'il n'y a pas d'arrestations, eh bien, on les croit sur parole » ?

M. Longuet : Anne Sinclair, nous savions dès le départ que nous n'étions pas en mesure de changer la réalité d'un régime qui est un régime autoritaire. J'ajoute que quand on a reconnu la Chine en 64, c'était le Général de Gaulle, très beau geste, mais c'était déjà une dictature. Que tous ceux qui nous donnent aujourd'hui des leçons et qui ont soutenu la révolution culturelle dont on sait qu'elle s'est accompagnée de 20 millions de morts soient, aujourd'hui, les premiers à porter la bannière, je trouve cela un peu exagéré.

Ce que nous faisons, c'est que nous ouvrons un dialogue en espérant que de ce dialogue, comme avec les pays de l'Est, naîtra une attitude nouvelle, plus ouverte, j'en suis persuadé, mais nous ne pouvions pas changer les choses à ce jour. J'ajoute que les Chinois qui ont, à juste titre, la volonté de sauver la face ont manifesté sans doute ces gestes extérieurs, mais sait-on ce que se sont dits, en tête à tête, Balladur et Li Peng ? En tous les cas, ce que je sais, c'est que Li Peng reste à Pékin et c'est très bien ainsi.

Mme Sinclair : Question posée par la SOFRES aux Français à propos de ce voyage en Chine :

À l'occasion de son récent voyage en Chine, diriez-vous que Édouard Balladur a suffisamment insisté sur la question des Droits de l'Homme, il ne fallait pas mettre en jeu nos relations économiques avec la Chine ? 26 %.

Édouard Balladur n'a pas suffisamment insisté sur la question des Droits de l'Homme, il fallait prendre le risque de mettre en jeu nos relations économiques ? 43 %.

J'ajoute qu'il y a 31 % de sans opinion, presqu'un tiers des Français sont sans opinion, avec une majorité de critiques. L'Opposition désapprouve la timidité du Gouvernement, les sympathisants de la Majorité comprennent la diplomatie balladurienne.

M. Longuet : Anne Sinclair, ce sondage me prouve, en tous les cas, une chose, c'est qu'il est bon qu'il y ait des partis politiques à côté du Gouvernement parce qu'un Gouvernement n'a pas la liberté d'expression qu'a une formation politique et je comprends très bien ceux qui parlent avec leur cœur, avec leur générosité et qui aimeraient que la France soit un chevalier blanc parcourant le Monde au nom de la liberté. Nous ne pouvons pas faire que cela, nous le faisons aussi, nous le faisons à notre façon, et il est bon qu'il y ait des intellectuels, des journalistes, des partisans, des hommes de conviction qui s'expriment.

Le Gouvernement a la responsabilité de la France et des relations internationales de la France, c'est parfois plus difficile.

Mme Sinclair : La moralité de tout cela, est-ce que la discrétion en matière de Droits de l'Homme, réclamée par Édouard Balladur, est payante, à votre avis ?

M. Longuet : Avec la Chine, je le pense profondément. Je le pense profondément parce qu'ils n'aiment pas recevoir des leçons de l'extérieur, mais ils écoutent les leçons.

Mme Sinclair : Qu'est-ce que ce voyage, pour vous, ajoute aux points forts et aux points faibles d'Édouard Balladur ?

M. Longuet : Peut-être justement ce que l'on attend d'un homme Je responsabilités, c'est qu'il fasse avancer les solutions et qu'il accepte les situations difficiles. Ce qui me frappe depuis un an que je vois le Premier ministre, c'est une très grande solidité, il y a, à la fois, de la détermination et de la mesure, de la détermination parce qu'il sait où il va et il accepte les erreurs, les difficultés.

Le plus simple, c'était de ne pas aller en Chine, c'est sûr que le plus simple était de ne pas aller en Chine mais nous aurions continué d'isoler la France dans cette partie du Monde qui bouge et il était nécessaire de faire ce qui a été fait, ouvrir mais naturellement ne pas conforter en quelque sorte.

La personnalité de Balladur, c'est cette dimension, l'intérêt national, la détermination avec, c'est vrai, un sens un peu de la mesure qui n'est pas toujours celui de l'actualité mais c'est, à mon avis, pour défendre les intérêts d'un pays, une garantie.

Mme Sinclair : Quand vous dites : « Ce qu'on attend d'un homme de responsabilités », j'ai l'impression que vous hésitiez pour dire homme de responsabilités, pour ne dire ni Premier ministre, ni Président, c'est vrai ?

M. Longuet : Les Institutions sont ce qu'elles sont, il y a un Président qui est là et qui fait son métier de Président, je veux dire qu'Édouard Balladur a une personnalité qui rassure et qui rassemble.

Mme Sinclair : Je ne sais pas si vous avez lu le livre qui vient de paraître chez Pion et qui s'appelle « Le journal d'Édouard » qui est écrit comme du Balladur, on dirait que c'est du Balladur et ce n'est pas du Balladur, c'est en effet écrit par un anonyme, Paris bruisse du nom que cela pourrait être Stéphane Denis. Je ne sais pas si vous l'avez lu, ce que vous en avez pensé ?

M. Longuet : Je préfère le whisky au canada dry et je préfère l'original à la copie, fut-elle parfaite !

Mme Sinclair : Un mot du sinistre et dangereux Jirinovski ?

M. Longuet : Vous avez raison d'en parler, il tire la Russie vers ses défauts et nous avons besoin que la Russie aille vers sa force qui est l'enthousiasme, la générosité, un certain romantisme mais certainement pas la nostalgie et le repli sur elle-même …

Mme Sinclair : … Il oblige Eltsine à des positions, vous l'aviez dit vous-même tout à l'heure …

M. Longuet : … Il oblige Eltsine à des positions d'excès, c'est extraordinairement dangereux, et nous avons à parler avec les Russes beaucoup plus que nous le faisons.

Mme Sinclair : Après la publicité, on va parler de la politique, des lycées et de la sécurité, et d'Air France. Rendez-vous dans deux minutes.

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Mme Sinclair : Gérard Longuet, vous êtes le Président du PR et vous avez montré votre mauvaise humeur une partie de la semaine. Quant à Christian Blanc, le PDG d'Air France, c'est 82 % de « oui » qu'il a obtenus.

Mercredi : 
Le referendum à Air France tourne au plébiscite, 8 salariés sur 10 disent « oui » au plan de redressement présenté par Christian Blanc.

Jeudi : 
Le PR dans tous ses états. Furieux du choix de Dominique Baudis comme tête de liste aux Européennes au détriment de leur candidat, Jean-François Deniau, les députés du Parti Républicain laissent éclater leur mauvaise humeur.

Au RPR, tout va pour le mieux, la stratégie du Parti est sans ambiguïté, loyauté envers Édouard Balladur et fidélité à Jacques Chirac.

La sécurité de 200 000 élèves menacée.

Le Hamas frappe une seconde fois en Israël.

Mme Sinclair : On va reprendre un peu dans l'ordre les images telles qu'on les a vues.

Air France, question posée par la SOFRES :

Estimez-vous que les referendums en entreprise devraient être organisés pour toutes les décisions importantes ? 36 %.  

Uniquement en cas de difficultés graves pour l'entreprise: 40.

Le moins souvent possible : 14 %.

Sans opinion : 10 %.

Chez les salariés, c'est à peu près les mêmes chiffres, ce qui fait en gros 76 % chez les Français et 82 % chez les salariés qui sont favorables à des référendums au cas par cas dans l'entreprise, même les communistes d'ailleurs sont en majorité d'accord pour que le referendum ait lieu dans l'entreprise à l'initiative du patron.

Est-ce un nouveau moyen de sortir de l'impasse dans les conflits sociaux ?

M. Longuet : En tous les cas, un coup de chapeau aux salariés d'Air France qui ont eu vraiment le sens des responsabilités et très massivement…

Mme Sinclair : … J'ai cru que vous alliez me dire au Président d'Air France ?

M. Longuet : Oui, Christian Blanc est un homme tout-à-fait étonnant et épatant, c'est d'ailleurs pour cela qu'on l'a choisi. Il a bien fait son travail et je lui souhaite beaucoup de succès dans l'avenir, la Compagnie en a besoin. Il faut revenir sur un héritage et cela va être difficile.

Je reviens sur le sondage : je suis dans le gros bataillon, c'est-à-dire les 40 % de Français qui pensent qu'il faut en cas de difficultés majeures … car, de temps en temps, pour sortir et peut-être pour sauver la face de chacun il faut un arbitre extérieur mais le quotidien doit être discuté entre les organisations représentatives et les patrons parce que, tous les jours, une entreprise, ça vit et, tous les jours, le dialogue doit être préparé.

Mme Sinclair : Le PR, le PR dont vous êtes le Président a passé deux jours de forte méchante humeur, vous n'étiez pas contents de Baudis, vous n'étiez pas contents de Giscard et puis tout est retourné un peu comme un soufflet ?

M. Longuet : Le problème n'est pas un problème de personne, Baudis, le Président Giscard, nous les connaissons, c'est un problème de procédure, on a trouvé que ce n'était pas très clair, qu'il y avait des choses qui rentraient et ce qui sortait n'était pas ce qui était rentré. Je ne vais pas embêter les téléspectateurs, je dirais simplement que, sur le plan politique, nous avons comme responsables de Parti, pour ma génération, c'est vrai au CDS, c'est vrai chez les Radicaux, l'intention d'être responsables par nous-mêmes des choix politiques majeurs qui viendront d'ici 95.

Mme Sinclair : Ce qui veut dire clairement ?

M. Longuet : Cela veut dire très clairement qu'on n'entend pas déléguer nos responsabilités dans la préparation des Présidentielles un système de choix aussi obscur que celui qui a été retenu.

Mme Sinclair : C'est-à-dire que, en gros, vous remettez en cause la tutelle de Giscard sur l'UDF ?

M. Longuet : Cela veut dire qu'il y a des institutions à l'UDF, je remercie le Président Giscard de l'avoir créée et de l'avoir rénovée, mais ces institutions existent, elles prévoient un renouvellement des dirigeants, du Bureau politique, du Conseil national, c'est d'ailleurs notre vie intérieure et je souhaite que ce renouvellement statutaire qui vient à l'automne 94 ait lieu et nous donne l'occasion d'un vrai débat et, en quelque sorte, d'un véritable échange sur les présidentielles et que nous ne l'apprenions pas, par hasard, au journal de 20 heures, ce qui arrive trop souvent dans les décisions politiques de ma Confédération.

Mme Sinclair : Vous dites : « Merci, Monsieur Giscard d'Estaing, vous avez fait du bon travail, laissez-nous la place » ?

M. Longuet : Hélas, on vieilli …

Mme Sinclair : … Pour qui parlez-vous ?

M. Longuet : Nous avons Pierre Méhaignerie, André Rossinot, moi-même qui avons la responsabilité des trois principales composantes, nous avons l'intention de prendre nos responsabilités en 95, majeurs et vaccinés, sans déléguer nos pouvoirs, donc toute décision sera collective et transparente.

Mme Sinclair : Si vous ne l'aviez pas fait maintenant, c'est que vous n'aviez pas tout-à-fait la certitude de ne pas être suivis par le plus grand nombre à l'UDF ?

M. Longuet : Il ne faut pas compliquer la vie des Français, il y a un rendez-vous européen, nous avons une liste d'Union de la Majorité qui a été voulue par l'UDF et par le Président Giscard d'Estaing, qui a été entérinée par Jacques Chirac. Chirac et Giscard sont d'accord sur cette liste, c'est l'Union RPR-UDF, on va défendre Dominique Baudis, il faut qu'il fasse le score le plus élevé. D'ailleurs, cela me fera plaisir de défendre cette liste parce que c'est une liste d'union et, sans union, la Majorité ne peut pas gagner les Présidentielles … elle a gagné les Législatives dans l'union, elle s'imposera aux Européennes dans l'union et elle gagnera les Présidentielles, j'en suis persuadé, dans l'union.

Mme Sinclair : J'en viens tout de suite aux Présidentielles, une dernière question …

M. Longuet : … Je crois beaucoup à l'union, je vous coupe, mais vraiment si on se divise, si on relance la machine à perdre les élections comme on l'a fait en 81 et en 88, alors là les Français vont nous prendre pour des rigolos.

Mme Sinclair : J'y reviens tout de suite.

Votre échéance est l'automne, avez-vous dit, on avait parlé du mois de juin ?

M. Longuet : Mon échéance, c'est le 12 juin, je veux que Dominique Baudis et sa liste fassent le score le plus élevé possible pour montrer qu'il y a en France une volonté de construction européenne réaliste.

Mme Sinclair : L'échéance au sein de l'UDF …

M. Longuet : … C'est d'ailleurs la seule liste de la Majorité, c'est pour cela que je la soutiens avec enthousiasme.

Mme Sinclair : L'échéance au sein de l'UDF c'est plutôt l'automne ? Vous aviez parlé d'après les Européennes, mais c'est plutôt l'automne.

M. Longuet : Un rendez-vous après l'autre, après le 12 juin, nous sommes libres et nous sommes libres de réfléchir à notre force d'expression.

Mme Sinclair : Précisément, vous avez dit que c'était la Présidentielle qui se profilait et qui était en jeu aussi pour les Partis …

M. Longuet : … Je crois que c'est évident pour tout le monde.

Mme Sinclair : C'est un secret de polichinelle, tout l'indique, c'est plutôt Édouard Balladur, votre candidat ?

M. Longuet : Je suis pour un candidat d'union, cela veut dire quelqu'un qui porte l'espérance de toute la Majorité …

Mme Sinclair : … C'est-à-dire que si Jacques Chirac est désigné comme candidat, vous êtes favorable à Jacques Chirac ?

M. Longuet : L'union … Jacques Chirac, effectivement, François Léotard. Je crois qu'Édouard Balladur exerce des responsabilités, cela lui donne un inconvénient et un avantage. L'inconvénient, c'est de se frotter au quotidien, l'avantage, c'est d'administrer un type de comportement mais les électeurs choisiront et, grâce à ces débats internes, nous aussi, à l'UDF, nous exprimerons nos préférences.

Comme vous le savez, le Premier ministre nous a demandé de faire du Gouvernement, – et c'est un métier formidable d'être au Gouvernement, c'est difficile mais c'est passionnant –, les Présidentielles, on les fera mais le moment venu, à l'automne par exemple.

Mme Sinclair : Je vous pose une question d'ordre général, il n'y a aucune perversité dans ma question …

M. Longuet : … Je n'imagine pas un seul instant que vous en soyez capable.

Mme Sinclair : L'UDF, c'est un grand Parti, est-ce que l'UDF doit avoir son candidat ou, précisément...

M. Longuet : … Oui, un candidat d'union.

Mme Sinclair : D'union, mais qui ne soit pas forcément un candidat issu des rangs de l'UDF. Qu'est-ce que cela veut dire ? Pour la première fois, l'UDF si puissante aujourd'hui ne devrait pas avoir de candidat ?

M. Longuet : Un candidat qui est libéral, qui veut la construction de l'Europe, qui accepte naturellement la décentralisation, qui a le souci de tous les Français qui souffrent, celui-là, quel que soit son étiquette, est le candidat de l'UDF parce que l'UDF, c'est cela : la liberté, l'Europe, la décentralisation et beaucoup de solidarité, c'est un vrai devoir. J'ai peur d'une France qui éclate, j'ai peur d'une France où les gens ne se sentent plus bien chez eux et cela est quelque chose qui, avec la crise économique, avec les difficultés que nous rencontrons, nous menace en permanence, un regard sur les autres.

Mme Sinclair : Vous avez donné une interview au Figaro il y a à peu près un mois et vous disiez : « Il n'y a pas que le poste de Président qui est intéressant », vous réclamiez alors le poste de Premier ministre en disant : « Nous avons vocation à avoir plusieurs Premiers ministres possibles », comme si c'était celui-là que vous revendiquiez pour vous ranger derrière, en effet, un candidat d'union ?

M. Longuet : Tous les postes de responsabilités sont passionnants et tout le monde ne peut pas être Président, Premier ministre ou ministre de l'industrie mais chacun a sa place et a un travail collectif.

Vraiment ce dont notre pays a besoin, c'est d'avoir des hommes politiques qui sert un peu les coudes et qui ont l'ambition d'un projet commun, et tout le monde n'aura pas la première place, c'est évident ! Et sûrement pas moi, d'ailleurs.

Mme Sinclair : Il y a eu un débat ces derniers jours sur le quinquennat Édouard Balladur est allé rendre hommage à Georges Pompidou et a dit qu'il était d'accord avec sa conception des Institutions, y compris sa volonté d'établir le quinquennat Valéry Giscard d'Estaing l'a pris au mot et lui a demandé de proposer au Président de la République d'établir le quinquennat et de proposer que les Français se prononcent là-dessus, Édouard Balladur a dit que « ce n'était pas de saison », alors ?

M. Longuet : Je crois que le Président Giscard d'Estaing a rappelé d'abord pourquoi il ne l'avait pas fait, puisque de 74 à 81, l'opportunité était offerte, il ne l'a pas fait, il nous a dit pourquoi.

Mme Sinclair : Oui, dans le Journal du Dimanche, aujourd'hui, il s'explique.

M. Longuet : Il a dit pourquoi il ne l'avait pas fait quand il était en charge des responsabilités et, aujourd'hui, il souhaite le faire le 12 juin. Je crois que c'est un débat qui mérite plus car ce n'est pas simplement le changement de la durée, si on passe de 7 ans, crac on passe à 5 ans, il y a une vraie différence. La différence, c'est que quand vous avez un Président élu pour 5 ans, il devient, qu'on le veuille ou non, une sorte de Président à l'américaine, c'est-à-dire le vrai patron du Gouvernement. Quand vous avez un Président de 7 ans, il peut rester un arbitre, on le voit aujourd'hui avec un Gouvernement d'origine parlementaire. C'est donc un vrai changement de nature institutionnelle. Je suis tout-à-fait pour ce débat mais pas en même temps que les Européennes.

Mme Sinclair : Valéry Giscard d'Estaing disait, lui-même, aujourd'hui dans le Journal du Dimanche que c'était une proposition qu'il avait faite de calendrier mais qu'on pouvait imaginer un autre calendrier.

M. Longuet : Un autre calendrier avec un vrai débat, je crois que ce serait indispensable.

Mme Sinclair : Si la question s'est posée, c'est qu'Édouard Balladur a lancé lui-même le sujet en disant qu'il y était favorable, donc s'il y a un consensus en France …

M. Longuet : … Il a toujours été favorable à cela et à l'occasion d'un colloque rétrospectif.

Mme Sinclair : Alain Juppé dit : « Le RPR dit être loyal envers Édouard Balladur et fidèle à Jacques Chirac », si je vous demandais d'expliquer les propos du petit Juppé illustré aux enfants, que diriez-vous ?

M. Longuet : Je trouve que c'est une belle performance de Secrétaire général du RPR et de ministre du Gouvernement d'Édouard Balladur.

Mme Sinclair : Vous avez compris que cela voudrait quoi exactement ?

M. Longuet : Les choses telles qu'il les ressent. Quand on est dans un Gouvernement, on souhaite son succès, je n'imagine pas un ministre qui ne souhaite pas d'abord le succès de l'équipe auquel il participe et Jacques Chirac a créé le RPR, il est Secrétaire général du RPR, tout cela est en ordre.

Mme Sinclair : La Droite comme hier la Gauche et le PR comme hier le PS semblent rattrapés aujourd'hui par les affaires. Vous avez été vous-même, personnellement, mis en cause, Gérard Longuet, dans un rapport du Juge Van Ruymbeke au Parquet de Rennes à propos du financement du PR sur des opérations immobilières et des opérations de régie publicitaire qui serait une sorte de pompe à finances pour le PR. Vous avez mis violemment en cause le juge Van Ruymbeke, était-ce la bonne réponse ?

M. Longuet : D'abord, moi, je n'ai jamais mis personne en cause parce que je ne me suis pas exprimé …

Mme Sinclair : … Le Parti Républicain a fait un communiqué.

M. Longuet : Et je considère que ce n'est pas à un membre du Gouvernement de porter un jugement sur la justice et a fortiori sur un magistrat individuellement Je voudrais dire simplement que l'affaire immobilière, c'est l'achat de notre Siège, c'est-à-dire des bureaux pour travailler. Les quelques 20 collaborateurs avaient besoin d'un endroit pour s'asseoir et travailler, donc ce n'est pas une affaire immobilière, c'est l'achat de notre Siège, appelons un chat, un chat.

Quant à la régie publicitaire qui a été créée en 88, c'était effectivement pour rapporter de l'argent parce que les systèmes politiques ne vivent pas simplement d'amour et d'eau fraîche, ils vivent aussi de recettes que, hélas, les militants n'apportent pas suffisamment. Jusqu'à la loi de 1990, du 15 janvier 1990, nous avons, les uns et les autres, à Droite comme à Gauche, vécu avec des systèmes tuyaux de poêle. Je l'ai d'ailleurs toujours dit comme député, je crois qu'il faut parler franc, c'était vrai jusqu'au 15 janvier 1990. Depuis, je pense très honnêtement que le Parti Républicain est en conformité absolue avec la loi même si, avant, il avait utilisé tout ce que le vide juridique permettait d'utiliser, par conséquent, je n'ai aucune appréhension.

Mme Sinclair : C'est-à-dire que vous dites que le Parti socialiste a mis fin aux activités d'URBA justement à partir de début 90, vous dites, « le PR a fait de même à ce moment-là », il n'a pas poursuivi ce type d'activité de financement ?

M. Longuet : Nous respectons depuis le 15 janvier 1990 la loi puisque, enfin, il y a une loi. Je voudrais vous indiquer que toutes les grandes démocraties d'Europe avaient une loi sur le financement des partis politiques depuis plus de 20 ans, c'est la France qui était en retard et c'est la raison pour laquelle il y a eu toutes ces affaires difficiles. Je ne parle pas des problèmes personnels, hélas, il y a des gens malhonnêtes partout, mais cela n'a rien à voir avec ce qui est évoqué.

Mme Sinclair : Avez-vous l'impression que la justice fait son travail ou qu'elle s'acharne sur les hommes politiques au Pouvoir hier, la Gauche, la Droite aujourd'hui ?

M. Longuet : La justice fait son travail et il y a des procédures. Le PR n'est pas au-dessus des lois, les hommes politiques ne sont pas au-dessus des lois mais ils ne sont pas non plus en-dessous des lois. Nous avons tous, citoyens puissants ou faible, droit à la protection de la loi. Je pense en particulier à un sujet très sensible qui est le secret de l'instruction, je trouve que l'on porte trop facilement atteinte à l'honneur d'une personne ou d'une association par des rumeurs ou des informations partielles qui ne restituent pas la vérité et, de ce point-de-vue, je souhaite que la loi, à l'image de l'Angleterre, permette un vrai secret de l'instruction, c'est tout.

Nous avons réussi en France à protéger la vie privée des personnes, et c'est formidable parce que nous sommes protégés, eh bien, il faudrait que ce soit la même chose pour l'instruction.

Mme Sinclair : L'insécurité dans les lycées, le sujet est réapparu cette semaine avec l'enquête de 50 millions de consommateurs et le rapport qui va être remis, mardi, au Premier ministre, le rapport de la Commission Schérer qui est une Commission qui a été demandée et voulue par le Premier ministre à la suite de tous les débats qu'il y a eus en France sur la révision de la loi Falloux, elle-même inaugurée par un rapport du Doyen Vedel sur les établissements privés.

Là, il s'agit des établissements publics et privés et la Commission a évalué, en gros, 229 établissements dans le public, 110 dans le privé qui auraient des risques graves d'incendie ou qui présenteraient des dangers pour les élèves. Après coup, est-ce que cela vous fait regretter toute cette histoire de révision de la loi Falloux et de cette focalisation sur les établissements privés alors qu'on voit que les établissements publics sont aussi largement en mauvais état ?

M. Longuet : Comme vous le savez, je suis Président de la région Lorraine et, à ce titre, j'ai la responsabilité des lycées dans les quatre départements de la région Lorraine. Il y a encore quelques insalubrités, il y a encore quelques foyers de danger, nous pouvons les rattraper.

Je voudrais simplement rendre hommage aux départements et aux régions de France qui, en quelques années, ont rattrapé un retard formidable dont nous avions hérité de l'État, et des collèges et des lycées. Il reste encore des établissements, 220, 230, je voudrais les mettre en proportion des 3 000 collèges, des 1 000 ou 1 500 lycées qui existent en France, il faut traiter au plus vite ces points noirs mais, avec la décentralisation, hommage au souvenir de Gaston Defferre, nous avons des élus responsables qui connaissent leurs établissements, on va y parvenir.

Quant à la loi Falloux, il faudra bien un jour offrir la liberté de choix complète aux parents. Le texte n'était pas peut-être prêt, les esprits non plus mais, inéluctablement, on y viendra.

Mme Sinclair : Après la Présidentielle ?

M. Longuet : Le moment venu, là encore.

Mme Sinclair : Le GATT, vous l'avez signé à Marrakech il y a deux jours …

M. Longuet : … C'était une grande joie.

Mme Sinclair : Le Sénat, c'était urgent, a connu un grand débat sur la langue française et, en Irak, les Américains prennent leurs propres avions pour cibles.

Vendredi :
Tragique méprise dans le ciel irakien, deux chasseurs américains abattent deux hélicoptères également américains alors qu'ils pensaient tirer sur les forces de Saddam Hussein.

Le français à la mode Toubon bientôt en vigueur.

Paul Touvier a-t-il agi de son propre chef ou sur l'ordre des Allemands ? Cette question essentielle, sur le plan historique et juridique, revient au centre du procès avec les plaidoiries des avocats des parties civiles.

Samedi : 
Le GATT enfin signé.

Nuits de casse dans la banlieue lyonnaise.

Mme Sinclair : Gérard Longuet, le GATT. Vous savez que monsieur Toubon, depuis, on l'appelle comme ça ?

M. Longuet : Vous savez, ça, c'est son problème …

Mme Sinclair : … Vous savez comment s'appelle selon les normes …

M. Longuet : … Oui, c'est l'accord général sur les tarifs et le commerce.

Mme Sinclair : Vous êtes reçu à l'examen, c'est l'AGITAC.

M. Longuet : Ce qui est important dans cette affaire du GATT, c'est que c'est un très beau succès d'équipe. J'ai eu l'honneur de signer pour la France mais Alain Juppé, Jean Puesch ou Alain Lamassoure aurait pu faire la même chose, la partition était voulue par Balladur, on a exécuté la musique, cela s'est très bien passé.

La deuxième chose importante, c'est qu'on a arraché in extremis ce qu'on appelle la clause sociale, c'est-à-dire le fait que, dans le commerce mondial, dans l'avenir, pas tout de suite, la préoccupation de convergences sociales, donner la certitude aux salariés que ce n'est pas la loi du salaire le plus bas, de la protection la plus basse qui s'imposera.

Mme Sinclair : Ca, c'est pour demain parce que pour aujourd'hui …

M. Longuet : … C'est pour demain, mais il fallait commencer aujourd'hui. Dans ces affaires internationales, Anne Sinclair, cela prend du temps mais une fois que vous avez le pied dans la porte, elle ne se referme plus.

Mme Sinclair : Deux questions précises :

Le GATT n'est-il pas considéré comme un succès parce que sur des tas de points qui étaient importants, pour nous, Français ou Européens, les problèmes ont été laissés de côté, je pense, par exemple, à l'aéronautique, l'Airbus toujours contesté par les Américains, je pense aux Télécoms, ce qui vous intéresse en tant que ministre de la Télécommunication ?

M. Longuet : Non, il y a des sujets à terminer. Le GATT est un petit peu un état d'esprit, c'est-à-dire qu'on a décidé de régler nos problèmes et de ne pas jouer simplement la politique du gros bâton, pourquoi ? Parce que les Américains ont le plus gros bâton.

Nous, Français, qui sommes le 4ème exportateur mondial, on ne le sait peut-être pas, c'est que chaque Français a la médaille d'argent de l'exportation mondiale après l'Allemand et bien avant le Japonais et bien avant l'Américain, or, nous avons besoin de règles du jeu, nous ne pouvons plus accepter la loi du plus fort car, hélas, nous ne sommes pas les plus forts et avec le GATT, les Américains sont encadrés. C'est vrai qu'il y a des problèmes, les Télécoms, l'Aéronautique, le Service maritime, j'en passe et des meilleurs, mais ce qui est important, c'est le climat. Maintenant, nous sommes autour de la table et nous ne quittons la table que quand un problème est réglé par accord.

Mme Sinclair : Vous dites précisément le gros bâton, mais celui qui a le plus gros bâton, ce sont les États-Unis …

M. Longuet : … Exactement.

Mme Sinclair : Demain, on annonce une Organisation Mondiale du Commerce qui voudrait dire un commerce mondial pacifié, or, les États-Unis n'ont pas renoncé et n'ont pas l'intention de renoncer, ce qui fait leur arme principal qui est un pouvoir de sanctions unilatéral. Alors en quoi le commerce mondial peut-il être pacifié ?

M. Longuet : Dès lors qu'ils ratifient au Congrès l'accord fondant l'Organisation Mondiale du Commerce, ils seront tenus d'accepter les procédures multilatérales vis-à-vis des autres membres de cette Organisation Mondiale du Commerce.

Mme Sinclair : Vous croyez qu'ils s'interdiront d'employer des sanctions qu'ils utilisaient encore cette semaine contre la France, la Grande-Bretagne à propos de l'acier ?

M. Longuet : J'en formule le vœu, mais s'ils signent, c'est l'engagement qu'ils prennent et c'est pour cela que cet accord est important. Chaque pays grand ou petit sera également respecté, je crois que c'est notre intérêt parce que, nous, nous commerçons mais, hélas, nous n'avons pas la plus grande puissance économique.

Mme Sinclair : Quand fera-t-on un bilan pour savoir si ce que vous annoncez de manière heureuse se révèle aussi heureux que ça ?

M. Longuet : À la fin de la législature de 93, c'est-à-dire en 98.

Mme Sinclair : La langue française, c'était le débat dont la France avait besoin ?

M. Longuet : Ce n'est pas mal…

Mme Sinclair : Vous êtes drôlement solidaire aujourd'hui …

M. Longuet : … Oui, mais ce n'est pas mal de se poser la question : Qu'est-ce qu'être Français? Être Français, c'est aussi parler une langue. Je vais beaucoup dans des organismes …

Mme Sinclair : … C'est la bien parler.

M. Longuet : Et la bien parler, le mieux possible si possible, mais la faire partager aussi. Entendre parler français, c'est la récompense pour les Français lorsqu'ils sont bons en littérature, lorsqu'ils sont bons en Sciences, lorsqu'ils sont bons en Art.

J'ai rencontré des Singapouriens et je leur ai dit : « Pourquoi avez-vous fait vos études en français ? Est-ce pour des raisons économiques ou techniques ? », ils m'ont répondu : « Pas du tout, nous adorons la littérature française ». Parler français à l'extérieur de nos frontières, c'est l'hommage que des étrangers nous rendent, donc je trouve formidable …

Mme SINCLAIR- … C'est en effet le plus gros effort que l'on doit pouvoir faire. Bannir un certain nombre de mots ?

M. Longuet : Maintenant, en France, il faudrait parler les deux langues. Je crois que chaque Français doit parler une langue étrangère et, en particulier, l'anglais, et quand on parle bien l'anglais, ce qui n'est pas mon cas, hélas, on parle bien français. Quand on baragouine le français, on baragouine l'anglais et tout cela est très mauvais.

Nous avons besoin pour la clarté de notre esprit de bien parler notre langue et une autre, il ne faut pas replier la France sur elle-même.

Mme Sinclair : Vous êtes ministre de l'Industrie, vous savez que les constructeurs automobiles cherchent tous à introduire l'airbag dans leurs voitures, vous savez comment cela doit s'appeler désormais ?

M. Longuet : Je dirais : « poche de sécurité » …

Mme Sinclair : … Sac gonflable.

M. Longuet : Cette histoire est ambiguë.

Mme Sinclair : Et vous parlez de « corner », j'imagine, quand vous parlez de football ?

M. Longuet : Je ne suis pas un grand spécialiste mats normalement on va dans les coins, maintenant ?

Mme Sinclair : C'est un jet de coin.

M. Longuet : Personne n'est parfait, vous savez.

Mme Sinclair : Vous seriez à peu près reçu à l'oral.

M. Longuet : Et les pizzerias que vont-elles devenir, parce qu'il n'y a pas que les Anglais ?

Mme Sinclair : N'est-ce pas ! Que me suggérez-vous ?

M. Longuet : Et le couscous ? Le couscous, cela va être la semoule et la pizzeria, cela va être la tarte à la tomate, je ne sais pas très bien ! …

Mme Sinclair : Vous voyez que, vous-même, cela vous semble …

M. Longuet : … li faut savoir prendre une petite distance de temps en temps.

Mme Sinclair : Il y a eu une polémique, celte semaine, dont à 7 sur 7 nous avons choisi de ne pas parler et de ne pas en faire un sujet, une question, à propos de Cyril Collard. « Les nuits fauves » étaient un très beau film, Cyril Collard a été encensé comme héros, aujourd'hui, il est montré du doigt comme un criminel, qu'en pensez-vous ?

M. Longuet : D'abord que chacun a droit à être respecté et avant d'encenser peut-être fallait-il prendre un peu de temps ? On peut encenser le cinéaste, l'homme, c'est un jugement personnel qui mérite certainement plus d'éclairage, le condamner est tout aussi dur si on ne sait pas.

Je considère que le sida est une maladie et qu'il faut la combattre comme telle. Cette maladie ne doit pas être un point d'ancrage d'un romantisme, c'est vraiment ma seule certitude. Le sida est une maladie qu'il faut combattre comme on combat une maladie et ne pas faire, à partir du sida, un romantisme ou une sorte de culte et, là, il y a eu peut-être des maladresses.

Mme Sinclair : Je voudrais en profiter pour montrer, ceci n'ayant que peu de choses à voir avec cela d'ailleurs, le livre de Françoise Giroud qui s'appelle « Journal d'une Parisienne », paru au Seuil, qui a déclenché la polémique mais dans lequel il y a beaucoup d'autres choses à lire que cela, qui est à la fois une chronique, un journal de morale, de politique et de tas d'autres choses …

M. Longuet : … Françoise Giroud est une femme étonnante, je ne partage pas toutes ses idées mais elle a une personnalité très forte.

Mme Sinclair : Dernier petit élément de Société de la semaine, je ne sais pas si ce genre d'information intéresse un homme, ministre de l'industrie, Simone Veil a donné l'autorisation à la Sécurité sociale de rembourser à 100 % la péridurale ?

M. Longuet : Je vais dire : « Tant mieux ». Je suis père de famille mais je ne me suis pas donné le mal d'enfanter, c'est ma femme qui s'en est occupée, c'est d'ailleurs assez fréquent, quatre filles …

Mme Sinclair : … Généralement, c'est le cas.

M. Longuet : La dernière est née avec une péridurale, je peux vous dire que cela fait une différence, c'est presque aussi agréable à terminer qu'à commencer, vraiment il faut généraliser la péridurale.

Mme Sinclair : Surtout pour les femmes.

M. Longuet : Surtout pour les femmes.

Mme Sinclair : Merci, Gérard Longuet, d'avoir évoqué tous ces sujets avec nous ce soir.

Dimanche prochain, je recevrai Charles Pasqua.

Dans un instant, le journal de Claire Chazal avec, bien sûr, la Bosnie au programme et la venue de Jacques Lang.

Merci à tous.

Bonsoir.