Interviews de M. François Fillon, ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur, à RTL le 24 mars 1994 et dans "Le Point" le 26 mars, sur les avantages du contrat d'insertion professionnelle (CIP) notamment pour les jeunes de niveau bac plus 2.

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Intervenant(s) : 

Média : RTL - Le Point

Texte intégral

RTL : Jeudi 24 mars 1994

Q. : Comment le gouvernement compte-t-il sortir de cette affaire du CIP ? 

R. : Le gouvernement et le Premier ministre ont l'intention de mettre en œuvre le CIP, quelles que soient les manifestations qui sont organisées, parce qu'il y 760 000 jeunes sans emploi qui ne manifestent pas dans l'ensemble. Nous avons le devoir de tout mettre en œuvre pour les aider. C'est vrai qu'il faut trouver avec la jeunesse le moyen d'un dialogue. C'est difficile parce que, comme le disait le Premier ministre, il n'y a pas d'organisation représentative, il n'y a pas d'interlocuteurs. On a du mal à nouer le dialogue. L'essentiel, c'est de redonner l'espoir. Ce n'est pas le débat sur le CIP qui est au cœur des manifestations d'aujourd'hui c'est le sentiment que les jeunes ont, que l'avenir est bouché et qu'il n'y a pas d'emplois pour eux – ce qui n'est pas exact.

Q. : Comment redonner espoir ? 

R. : En leur disant qu'il y a 70 000 jeunes diplômés au chômage et 2 millions de jeunes dans l'Université. En réalité, le diplôme est encore la meilleure façon de trouver un emploi. Or 80 % des jeunes sont convaincus qu'ils iront au chômage en sortant de l'université. Il y a un décalage terrible entre la réalité et le sentiment que les gens ont de l'avenir qui est beaucoup plus noir qu'il n'est en réalité.

Q. : Vous avez encouragé les étudiants en formation courte. N'y a-t-il pas tromperie sur la marchandise ? 

R. : Il faut continuer à encourager les formations courtes parce que c'est là qu'il y a le taux de réussite le plus important, le taux d'insertion professionnelle le plus important. Le CIP, pour les BAC + 2 tel qu'il a été transformé au fil des discussions, c'est en train de devenir une espèce de troisième année de formation, non un vrai contrat d'insertion comme pour les jeunes sans diplôme. La formule BAC + 2, le lien plus grand avec l'entreprise, c'est la meilleure façon d'assurer l'avenir des jeunes Français.

Q. : L'erreur n'a-t-elle pas été de sous-estimer la formation et d'insister sur le contrat de travail ? Le tutorat, c'est un peu flou ?

R. : C'était sûrement l'image donnée. Cela se comprend bien, puisque l'objectif premier de cette mesure, ce sont les 700 000 jeunes qui n'ont pas de diplôme. Il faut bien leur trouver des formules de ce type. Ceci n'est pas contesté. Pour les 60 000 qui ont un diplôme, il fallait préciser le tutorat. C'est fait. Ce qui a été ajouté, le contrôle par la Direction du Travail de la réalité de la formation en entreprise, me paraît donner toutes les garanties. Ce n'est plus contre le CIP que les jeunes descendent dans la rue. C'est pour leur avenir. Nous avons tous le devoir de leur dire la réalité d'un avenir beaucoup plus ouvert qu'on ne leur dit. Les jeunes diplômés trouvent des emplois. Ils mettent un peu plus de temps qu'il y a deux ou trois ans. En réalité, ils trouvent des emplois. En 1990, à BAC + 2, il y avait 8 % de jeunes au chômage, moins que la moyenne du chômage des Français.

Q. : Et les interlocuteurs ? 

R. : Ce sont surtout les lycéens et des étudiants d'IUT qui sont dans la rue et qui manifestent. J'en ai reçu. Il n'y a pas d'organisations. Les interlocuteurs changent à chaque manifestation. C'est cela la grande difficulté. Les organisations étudiantes qui sont mal implantées dans les lycées sont élues par 3 ou 4 % des étudiants. C'est une caractéristique de notre société et de notre jeunesse. On n'y remédiera pas comme cela, dans les semaines qui viennent. On aurait tout intérêt à essayer de faire en sorte de disposer, comme dans le milieu des salariés, d'organisations représentatives.


LE POINT  : 26 mars 1994

LE POINT : De nombreux présidents d'université vous reprochent de ne pas créer assez de postes.

FRANÇOIS FILLON : En 1994, il y aura 1 800 créations de postes, ce qui est beaucoup en période de restrictions budgétaires. Ils seront affectés en priorité aux universités sous-encadrées. Mais que les présidents des autres universités se rassurent mon souci est aussi de préserver les pôles d'excellence. Il est hors de question de ne pas prendre en compte la spécificité des grandes universités scientifiques, et le fait qu'elles forment un très grand nombre de chercheurs. La preuve : je n'ai pas appliqué strictement la « Sanremo » conçue par mes prédécesseurs. Sinon, certaines des universités qui se plaignent aujourd'hui auraient dû rendre un nombre de postes considérable ! 

Q. : On vous a très peu en- tendu sur la question du « CIP ». Or ce sont vos ouailles qui manifestent…

R. : Le CIP est une réponse parmi d'autres à la difficulté qu'ont les jeunes, même diplômés, à s'insérer dans le monde du travail. Dans tous les pays voisins – y compris ceux de l'Europe du Nord, considérés comme les plus « sociaux » – il y a un tel mode de passage progressif des études à l'entreprise. Aux Pays-Bas, les jeunes touchent 60 % du SMIC. Chez nous, on campe sur des schémas tellement protecteurs qu'ils finissent par être la cause du chômage !

Q. : Mais les « bac + 2 » - les plus concernés par le CIP ne sont pas les plus touchés par le chômage…

R. : Effectivement, ce ne sont pas forcément ceux qui manifestent dans les rues qui sont les plus concernés. Je vous rappelle que l'introduction des bac + 2 dans le dispositif a été voulue par la CGC et s'est faite sur un amendement parlementaire ! Dans cette affaire, il y a eu depuis le début une mauvaise compréhension d'un texte qui n'a pas été fabriqué en trois semaines, mais a été voté au Parlement l'automne dernier. C'est alors que le débat aurait dû avoir lieu. Aujourd'hui, le CIP va permettre à des jeunes de trouver un stage professionnel de deux fois six mois, pour 80 % du salaire qu'ils auraient touché, et non du SMIC.