Texte intégral
Le Figaro, 21 juillet 1998
Le Figaro : La cohabitation a traversé ses treize premiers mois sans encombre majeurs pour le président de la République et le Premier ministre. Mais pas pour l’opposition !
Philippe Douste-Blazy : La cohabitation se passe bien au niveau de l’exécutif. Mais je ne suis ni naïf ni angélique. Nos concitoyens plébiscitent la cohabitation pour plusieurs raisons :
1. Globalement la situation française est meilleure. Cette embellie, largement préparée par l’action des deux prédécesseurs de M. Jospin, est saluée par le pays et profite aux deux têtes de l’exécutif. Quoi de plus normal ?
2. L’euphorie du Mondial bénéficie aux deux personnalités qui sont au sommet de l’État. C’est le contraire qui serait étonnant.
3. Les grandes échéances politiques – législatives et présidentielles – n’interviendront pas avant quatre ans. Il serait dès lors déraisonnable d’entretenir un climat de guerre civile larvée. À cet égard, le goût de nos concitoyens pour la cohabitation s’explique aussi par le désir de souffler. Mais cela ne doit pas dispenser d’organiser une opposition moderne et constructive capable de s’opposer chaque fois que le pouvoir en place met en danger les chances de la France, mais aussi de proposer et de déterminer en fonction du seul intérêt général. J’entends pour ma part le faire dans le cadre parlementaire. Sans modération sinon sans courtoisie ni discernement.
Le Figaro : Que répondez-vous à ceux qui, dans ses rangs, déplorent que l’opposition « ne regarde pas les problèmes en face » ?
Philippe Douste-Blazy : L’opposition ne manque pas de la volonté de s’opposer, mais de procédures d’organisation. Nous avons deux objectifs : nous inscrire dans une dynamique unitaire et développer notre capacité à proposer aux Français une alternative crédible au socialisme. C’est ainsi que l’Alliance doit reposer sur trois principes.
1. L’identification et le respect des familles qui la composent.
2. Le nécessaire débat ouvert aux femmes et aux hommes militants et sympathisants afin de réfléchir aux problèmes concrets de la société française et non de se laisser imposer des solutions partisanes toutes faites.
3. Le recours systématique au vote pour dégager des positions communes après des débats non tronqués qui s’appuient sur des convictions et non sur des a priori partisans. C’est un objectif ambitieux et je suis sûr que les Français et tout particulièrement les jeunes générations ne pardonneraient pas aux états-majors de ne s’intéresser qu’à des tactiques politiciennes.
Le Figaro : L’harmonie de l’opposition souhaitée par le président de la République, le 14 juillet dernier, se révélera-t-elle à l’occasion de la rentrée budgétaire ?
Philippe Douste-Blazy : Dans son projet de budget, le gouvernement commet une triple erreur : il augmente les dépenses de l’État, il ne baisse pas les prélèvements obligatoires, il ne réduit pas suffisamment les déficits et la dette. Conformément à sa tradition, la gauche va encore renforcer la France protégée du secteur public et ponctionner davantage la France de l’initiative privée, pourtant la seule capable de créer de la richesse et, par conséquent, de l’emploi. Le groupe UDF-Alliance est à l’opposé de ces choix. Son message tient en deux points : une forte baisse du déficit de l’État par un gel en volume de ses dépenses, une baisse des impôts et des charges, et plus particulièrement des charges sociales pesant sur les bas salaires, afin de réorienter l’activité vers l’initiative privée. J’ajoute que c’est la voie tracée par le président de la République le 14 juillet dernier.
Le Figaro : Le gouvernement prévoit une augmentation de 1 % des dépenses publiques en 1999. Lionel Jospin a admis qu’il aurait préféré que ce ne soit pas le cas…
Philippe Douste-Blazy : En tout cas, il le fait ! En période de croissance, il est indispensable de dégager les marges de manœuvre nécessaires pour se prémunir d’un retournement de conjoncture, qui n’est jamais à exclure. Souvenez-vous de 1989… Il est donc aujourd’hui impératif d’alléger le fardeau de la dette publique, qui représente tout de même 5 000 milliards de francs, soit environ 85 000 francs par Français ! Une seule question se pose aujourd’hui : à qui vont profiter les 55 milliards de francs de recettes fiscales supplémentaires nés de la croissance économique ? Le Premier ministre a choisi d’augmenter les dépenses de l’État de 35 milliards. Telle la cigale de La Fontaine, le gouvernement vit à la petite semaine et gaspille les fruits de la croissance, sans aucune vision d’avenir. J’ajoute que nos engagements européens militent également en faveur d’une baisse des dépenses et de la maîtrise de nos déficits. Le gouvernement actuel s’en éloigne, reléguant la France dans le peloton de queue des pays de l’Union européenne. Plus grave encore, ce sont les dépenses d’investissement qui, une fois de plus, seront sacrifiées sur l’autel des charges de personnel et des interventions publiques. À force de diminuer les dépenses d’investissement, l’efficacité de l’État s’amoindrit. Cela pose un problème qui va bien au-delà de ce budget et qui concerne l’indispensable réforme de l’État. Il convient de la recentrer enfin sur ses missions régaliennes et de réorienter ses dépenses vers l’investissement, c’est-à-dire vers l’avenir.
Le Figaro : Le PCF a mis en sourdine ses exigences sur l’ISF, mais prône désormais la diminution de l’avoir fiscal pour les entreprises qui détiennent des parts dans d’autres entreprises…
Philippe Douste-Blazy : Le Premier ministre est prisonnier des exigences de sa majorité plurielle. Aux Verts, il promet de fermer les centrales nucléaires tout en autorisant la commercialisation de produits transgéniques. Aux communistes, il a promis d’engager une politique fiscale de gauche. On croit en effet rêver lorsqu’on voit qu’au moment où les marchés de Francfort et de Londres se rapprochent, le gouvernement décide de manière unilatérale de surtaxer les plus-values boursières, affaiblissent ainsi la place de Paris. C’est non seulement irréaliste, mais cela démontre que la politique de la France n’est pas conduite de manière concertée avec nos partenaires.
Le Figaro : Pendant la campagne électorale, le PS avait promis d’alléger la TVA sur les produits de première nécessité. Le gouvernement a fait savoir que des baisses étaient à l’étude.
Philippe Douste-Blazy : Seule une baisse significative du taux de TVA, de l’ordre de 1,5 point (soit environ 45 milliards de francs) peut avoir des conséquences sur l’activité et l’emploi. Nous sommes bien loin du compte avec ce que va proposer le gouvernement, qui ne devrait guère dépasser quelques milliards. Ce montant symbolique aurait été mieux employé, selon nous, à la poursuite de la baisse de l’impôt sur le revenu qui avait été engagée par le précédent gouvernement, ou, à défaut, au maintien du système actuel du quotient familial, dont la réforme décidée par le gouvernement va pénaliser les couples avec un enfant et les familles nombreuses.
Le Figaro : L’Assemblée aurait été dissoute, dit-on, pour cause notamment de « budget infaisable ». Et il y a eu un budget pour 1998. Craignez-vous que le bouclage de ce budget fasse apparaître définitivement Lionel Jospin comme le champion légitime de la gauche unie pour la prochaine présidentielle ?
Philippe Douste-Blazy : Posez la question à Robert Hue et à Dominique Voynet… Je crois pour ma part que bien vite les Français s’apercevront de la nocivité de certains choix faits par le gouvernement : les 35 heures, les emplois-jeunes, une fonction publique pléthorique… Mais également de l’absence de choix sur certains sujets majeurs tels que le financement des retraites ou la réforme de l’État. Comme on le sait, le temps, s’il est l’allié des présidents de la République, joue en défaveur des premiers ministres. Il ne m’étonnerait pas que l’on se rende bientôt compte, au-delà de son habileté tactique, de l’incapacité du Premier ministre à réformer la France.
Le Figaro : Jugez-vous, comme le président de la République, « excessivement sévère » l’attitude de Lionel Jospin vis-à-vis du plan Juppé pour la Sécurité sociale ?
Philippe Douste-Blazy : Il est regrettable de voir le Premier ministre jeter le discrédit sur une réforme dont il n’a jamais envisagé de changer les fondements ! Le plan Juppé repose sur quatre éléments : le vote au Parlement du budget prévisionnel de l’assurance maladie ; la régionalisation de l’assurance maladie avec les unions régionales des caisses d’assurance maladie ; l’évaluation et l’accréditation des soins ; la contractualisation des organismes de Sécurité sociale.
Martine Aubry se trouve aujourd’hui dans une impasse : elle ne remet pas en cause ce plan, mais depuis un an elle n’a rien fait pour l’appliquer. La dégradation des dépenses d’assurance maladie résulte de cet immobilisme. Pourtant demain il sera impossible de sauver l’assurance maladie sans prendre ses responsabilités, notamment dans le secteur hospitalier qui, rappelons-le, représente 50 % des dépenses maladie.
Il faut ainsi organiser de véritables réseaux hospitaliers, seule garantie d’une médecine hospitalière de qualité et de proximité ; et organiser la répartition entre lits de court, moyen et long séjour en fonction des impératifs de santé publique qui évoluent : nécessité d’une haute technicité et de toujours plus de proximité.
Le Figaro : Certains de vos amis centristes se disent pourtant « obligés d’admettre » que le gouvernement réussit. Et vous ?
Philippe Douste-Blazy : Je ne connais pas de tels centristes ! Ce qui est vrai, c’est que le gouvernement Jospin bénéficie d’une conjoncture favorable dont je rappelle qu’il nous est très largement redevable et je ne vois aucune raison de nier ce fait. Cela dit, je suis inquiet pour l’avenir. Je crains que le gouvernement Jospin ne surfe comme avant lui le gouvernement Rocard, sur une conjoncture favorable sans en profiter pour procéder aux réformes de fond indispensables au pays. Je crains que le ministère de la gauche plurielle ne rate une occasion historique de transformer le pays.
Le Figaro : Le président du groupe RPR à l’Assemblée, Jean-Louis Debré, apparaît comme « l’empêcheur d’inter-grouper » sans souci. Mais il laisse entendre que vous-même n’êtes pas convaincu de la nécessité de fondre votre autorité à la tête du groupe UDF-Alliance dans un ensemble commun d’opposition parlementaire.
Philippe Douste-Blazy : Détrompez-vous. Je suis favorable à la constitution d’un intergroupe parlementaire de l’opposition. La reconstruction de cette dernière passera par des démarches communes comme celle-ci qui doit aider à l’unité sans conduire à l’uniformité.
Le Figaro : Avez-vous récemment rencontré Philippe Séguin ?
Philippe Douste-Blazy : Oui ! Les responsables de l’opposition se réunissent souvent sans se sentir obligés de publier un communiqué à chaque fois !
Le Figaro : Comment va François Bayrou ?
Philippe Douste-Blazy : Très bien. Je le vois régulièrement. J’ajoute qu’il est normal que le président de Force démocrate et le président du groupe UDF-Alliance se rencontrent souvent.