Interviews de M. Bernard Bosson, ministre de l'équipement des transports et du tourisme et secrétaire général du CDS, à RMC le 16 juin et RTL le 29 juin 1994, sur la préparation de l'élection présidentielle dans la majorité, la déréglementation du transport aérien, la sécurité routière et le tourisme.

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Média : RMC - RTL

Texte intégral

RMC : jeudi 16 juin 1994

P. Lapousterle : M. Rocard a remis en jeu sa responsabilité de Premier secrétaire du PS et sa position de candidat naturel. C'est l'attitude d'un démocrate ou la faiblesse de celui qui a perdu une élection ?

B. Bosson : Après le résultat qu'a connu la liste de M. Rocard, il est normal que le PS réfléchisse et que le Premier secrétaire demande à ses amis de réfléchir avec lui. L'électorat de gauche doit être bien désemparé pour avoir voté pour la liste Tapie comme il l'a fait.

P. Lapousterle : Aimeriez-vous que dans la majorité tous les candidats naturels agissent comme M. Rocard ?

B. Bosson : Ce que j'aimerai, c'est qu'on arrête d'ouvrir la campagne présidentielle au lendemain des européennes et a un an de l'échéance. Sinon on va vers un formidable rejet. Ce que les Français demandent, puisqu'on a la charge du pays – on n'est pas dans la minorité, qui peut se permettre d'être divisée – c'est de faire de telle sorte que le redressement économique perdure, puisqu'aujourd'hui on assiste à un début de redressement économique. Les choses vont beaucoup mieux mais faiblement. Il faut que nous arrivions à construire une société plus juste, où la richesse nationale est mieux partagée. C'est cette double exigence auquel le nous devons répondre. Si nous n'y arrivons pas dans l'année qui vient, nous hypothéquons l'avenir. Il y a maintenant 14 ans que le Président de la République est socialiste dans un pays où la majorité n'est pas socialiste : nous n'allons pas recommencer les divisions, les discussions et la politique politicienne. Occupons-nous du pays et en fin d'année, tranchons et regardons s'il faut un ou deux candidats. Il n'y a pas Je religion en la matière. On verra cela en fin d'année sous le regard des Français.

P. Lapousterle : Vous n'êtes pas entendu ! Depuis le début de la semaine, que de choses politiciennes dans votre camp !

B. Bosson : Il semble qu'il y est maintenant, après le tir croisé depuis lundi, des douilles par terre partout. Arrêtons cette parenthèse de cette semaine. Remettons-nous au travail. En fin d'année regardons objectivement comment nous devons nous présenter devant les élections et arrêtons d'avoir cette capacité fantastique dans la majorité de perdre l'élection tout seul.

P. Lapousterle : Un candidat, est-ce mieux que deux ou faites-vous partie de ceux qui laissent complètement ouvert le débat ?

B. Bosson : Il n'y a pas de religion en la matière. Il y a des moments où avoir deux candidats ratisse plus large au premier tour et permet une addition au second. Et puis il y a des moments où 4 ou 5 mois de campagne brutale interdit qu'on recolle les morceaux entre les deux tours. En 81 et 88, on a eu la preuve qu'on n'arrivait pas à faire l'addition entre les deux tours. Calmons-nous. Gardons notre sang-froid. Occupons-nous du pays. Prouvons qu'on est capable Je redresser la France non seulement économiquement mais qu'on est capable d'avoir la vision d'une société plus juste. Je reste très troublé d'une chose : en 92 notre pays a été le plus riche de son histoire après la guerre. C'est cette année-là qu'il a été capable de laisser se créer dans notre société le maximum d'exclus et de chômeurs. Nous ne sommes pas capables, même en cas de redressement de l'économie, de partager la richesse nationale suffisamment pour que chacun ait un statut.

P. Lapousterle : À cause de qui ?

B. Bosson : De notre société qui est complètement bloquée et qui ne sait pas, même quand elle est en position de richesse, trouver le système qui permet à chacun d'avoir sa place, sa raison de vivre, un revenu pour sa famille.

P. Lapousterle : C'est la société qui est bloquée ou le gouvernement qui n'a pas le courage de prendre des mesures qu'il faut ?

B. Bosson : Le gouvernement a eu beaucoup de courage. Comme l'a indiqué le Premier ministre, après l'année du redressement, c'est l'année de la fraternité, du partage et d'une société nouvelle que nous devons construire. C'est une tâche redoutable et en même temps enthousiasmante. Nous devons nous y consacrer et faire nos preuves. Le meilleur moyen de gagner l'élection présidentielle l'année prochaine c'est de faire nos preuves cette année et d'arrêter nos petites phrases et de nous occuper que de l'élection présidentielle. Quand on est maire – ce qui est mon cas – quand on voit la crise économique, le désastre social que représente le nombre d'exclus et de chômeurs, on a d'autres problèmes pendant un an que d'avoir uniquement le regard sur l'élection présidentielle. On verra bien dans quelle situation on est en fin d'année et qui est le mieux placé d'entre nous. On est encore capables, j'espère, de choisir le meilleur candidat.

P. Lapousterle : Depuis lundi British Airways dessert Orly-Londres. Les compagnies françaises disent qu'elles n'ont pas eu de retour ?

B. Bosson : Nous avons été condamnés par la Commission de Bruxelles, au nom des règlements ultra-libéraux que le gouvernement socialiste précédent a accepté en 90 et 92. Nous sommes donc obligés d'ouvrir la plate-forme d'Orly. Nous nous y sommes pris de telle sorte que nous avons limité le nombre d'aller-retour. 4 aller-retour pour British-Airways et TAT ensemble, et de telle sorte qu'Air France puisse glisser 4 vols de Roissy à Orly et fasse lui aussi 4 aller-retour. Donc, actuellement, nous avons un équilibre.

P. Lapousterle : Mais quand les compagnies françaises vont à Londres... Rien !

B. Bosson : Des compagnies françaises comme Air Liberté ou AOM demandent à aller à Heathrow et là il n'y a rien. Et là c'est scandaleux. Elles vont déposer une plainte devant la Commission. La France soutient cette plainte. Les Britanniques prétendent être ultra­libéraux mais ils s'organisent de telle sorte que le libéralisme ne fonctionne pas.

P. Lapousterle : Sur les automobilistes qui vont être très lourdement sanctionnés s'ils dépassent la vitesse autorisée de· 50 km/h ?

B. Bosson : Nous allons en discuter devant le Parlement. Un mort toutes les 57 mn jour et nuit. Un accident toutes les 3 mn jour et nuit. Un accident grave tous les 1/4 d'heure jour et nuit. C'est une hécatombe. Nous ne pouvons laisser continuer cela. Notre problème est de savoir comment agir pour baisser la vitesse puisqu'il y a deux grandes causes aux accidents et aux accidents mortels : l'alcool et la vitesse. Sur l'alcool nous avons agi : le taux d'alcoolémie a baissé de 0,8 à 0,7. Sur la vitesse nous devons agir. Lorsqu'on a mis les autoroutes françaises à 130 km/h, nous avons divisé par 2 le nombre de tués sur les autoroutes. Lorsque nous sommes passés de 60 km/h à 50 km/h en ville nous avons baissé de 20 % le nombre de tués dans les villes.

P. Lapousterle : S'il n'y avait pas de voitures du tout, il n'y aurait pas d'accident du tout !

B. Bosson : Non ! Regardez les pays comme les États-Unis ou ailleurs : ils sont beaucoup plus sérieux que nous. Alors le problème est d'essayer de différencier infractions légères et celui qui exagère vraiment. Celui qui en ville roule à plus de 100. Je trouve que c'est un projet normal. Nous allons bien entendu en discuter au Parlement. Le gouvernement est dans ce domaine très ouvert mais il faut se garder de démagogie. Le vrai problème est d'arriver à sauver des vies. 9 000 morts par an sur les routes de France, avec un très lourd tribut payé par la jeunesse. Ce n'est pas admissible. Venez voir à Garches avec moi les polytraumatisés de la mute : vous en sortirez bouleversés et ce jour-là vous comprendrez qu'on ne peut pas rester dans cette situation.

P. Lapousterle : B. Bosson, ministre de l'équipement, du transport et du tourisme, vous lancez aujourd'hui l'opération « Bonjour! » qui demande aux Français d'améliorer l'accueil qu'ils réservent aux touristes étrangers. Les Français sont donc si peu aimables ?

B. Bosson : Pas du tout ! C'est beaucoup plus modeste ! On ne rappelle personne à l'ordre. On essaye de fusionner toutes les bonnes volontés. On n'a pas de leçons à donner, on a des additions à faire. Pour le tourisme, nous sommes devenus le premier pays touristique au monde. Personne ne reçoit plus de touristes que la France : 60 millions de personnes. Sur l'ensemble des grands champs d'avenir de notre pays, c'est l'un des rares sur lequel on peul à la fois enrichir la France par la balance commerciale et créer des emplois français. Il n'y a pas de délocalisations en matière de tourisme. On ne découvre la France qu'en France. On doit utiliser cela. L'accueil n'est pas toujours parfait or il se trouve que le ministère dont j'ai la charge à la cohérence d'être à la fois celui du tourisme et du transport et on a mobilisé tout le secteur des professionnels du tourisme et tout le secteur public des transports : RATP, Air France, Air Inter. Aéroport de Paris. Autoroutes, syndicats d'initiative, comités départementaux de tourisme, voies navigables et de mer...

P. Lapousterle : Mobiliser, cela veut dire quoi ?

B. Bosson : Une campagne sur le thème de « bonjour ! » avec un logo, un slogan, des points « Bonjour » – 700 à travers la France – plus les syndicats d'initiatives avec la volonté de qualité d'accueil dans la langue de nos touristes. Un effort pour rappeler qu'il faut être sensible à la qualité d'accueil. On n'est pas toujours les meilleurs du monde dans ce domaine-là.

P. Lapousterle : Vous dites que la France n'a jamais déçu les étrangers mais l'accueil des Français souvent ?

B. Bosson : C'est ce que nous révèlent les notes des touristes quand ils partent de France. Chacun doit faire un effort. Les services de l'État et le ministre compris. On doit s'efforcer d'être plus aimable. Le touriste n'est pas quelqu'un qu'on subit en plus en râlant. C'est quelqu'un qui vient chez nous et doit en repartir avec un très bon souvenir. C'est un devoir d'accueil. C'est quelqu'un qui vient nous enrichir et nous aider en plein crise à créer des emplois. C'est à la fois un devoir et une marque d'intelligence que de les accueillir remarquablement.

P. Lapousterle : Il y aura une transformation rapide ?

B. Bosson : Nous essayons de créer une synergie. Avec les logos, les points d'accueil, on verra une volonté dans la France entière. C'est surtout cela qu'on essaye de faire. Les professionnels du tourisme ne méritent pas de leçon : ils sont les meilleurs du monde.


RTL : Mercredi 29 juin 1994

J.-M. Lefebvre : B. Tapie affirme que l'origine de ses ennuis vient du fait qu'il a gardé le Phocéa sous pavillon tricolore ?

B. Bosson : On ne va pas réécrire l'histoire. Ce que je sais, c'est que c'est une procédure qui a été engagée en 1992 par le gouvernement socialiste et chacun doit être en conformité avec la loi. Ce que je souhaite, dans l'affaire Tapie, c'est de ne pas vivre, cet été, un troisième feuilleton après l'OM-Valencienne etc. Que la justice se prononce, B. Tapie y a droit pour se faire entendre et pour pouvoir être jugé en toute indépendance, et l'opinion publique aussi. Plus vite un jugement interviendra, mieux ce sera.

J.-M. Lefebvre : Le taux maximum d'alcoolémie au volant est ramené de 0,8 à 0,7.

B. Bosson : Cela permet de diminuer de moitié le risque d'être tué ou blessé sur la route du fait de l'alcool. Ce qui autorise à chaque repas, en gros, à un apéritif et une demi-bouteille. C'est une mesure qui paraît évidente quand on voit les résultats actuels des accidents dus à l'alcool.

J.-M. Lefebvre : La ceinture en ville, où en est-on ?

B. Bosson : Vous savez que le gouvernement a pris, en décembre, des mesures essentiellement de prévention, d'éducation et de formation. Nous ne sommes pas des adeptes de la répression. C'est ainsi qu'on a généralisé l'attestation de sécurité routière à tous les élèves de troisième, le contrôle de la vue, un monsieur moto dans chaque département pour adapter nos infrastructures à la moto, etc. Et puis quelques mesures, parmi lesquelles l'incitation à mettre sa ceinture ou à porter un casque, par la suppression d'un point, si on ne le fait pas. Depuis que ces mesures sont entrées en application, nous avons une baisse sensible des accidents sur les cinq premiers mois de l'année, et une baisse des tués. On peut considérer que sur les cinq mois nous avons ainsi sauvé plus de 250 vies, ce qui est tout de même capital et c'est le seul but. Je rappelle que si tout le monde mettait sa ceinture de sécurité, nous pourrions sauver, en France, 1 000 vies par an. Ça vaut quand même la peine : un petit clic et une vie sauvée.

J.-M. Lefebvre : Le trafic de l'Eurostar est reporté à l'automne. Le tunnel sous la Manche a vraiment beaucoup de mal à entrer en service ?

B. Bosson : Le trafic marchandise est déjà opérationnel. Pour le trafic passager, la Commission inter­gouvernementale de sécurité veut absolument que tout soit parfait, elle a raison, on ne peut pas la critiquer pour ça. J'espère qu'elle pourra donner l'autorisation en cours d'été.

J.-M. Lefebvre : Est-ce-que la déréglementation est à l'origine, notamment en France, des problèmes que connaît le transport aérien ?

B. Bosson : Nous avons deux phénomènes dans l'aérien : 1. Nos compagnies ont été protégées par un monopole absolu qui a fait qu'elles ne sont pas compétitives par rapport aux autres entreprises de même type. Il faut donc faire un énorme effort, dans nos compagnies, pour les rendre compétitives. 2. Nous sommes passés de ce protectionnisme exagéré vers une déréglementation européenne, acceptée par le gouvernement socialiste en 1990 et 1992, qui est véritablement la jungle, sans aucune protection. Aujourd'hui, une compagnie pourrait parfaitement ne pas avoir un seul employé européen, payé au salaire européen ou avec les charges européennes. Nous pourrions imaginer qu'aucun avion ne soit entretenu en Europe. On n'en est pas là mais la réglementation européenne l'autorise, c'est la raison pour laquelle ce gouvernement, qui ne veut ni du protectionnisme qui interdit la modernité et le bon service, ni de l'ultra-libéralisme, veut une concurrence maîtrisée, loyale, saine. Il se bat pour faire modifier les règlements bruxellois et interdire une concurrence déloyale et malsaine.

J.-M. Lefebvre : Pour le tourisme, la saison s'annonce très bien ?

B. Bosson : La saison s'annonce meilleure mais, si le taux de départs des Français se maintient, si la clientèle étrangère est en augmentation, les prix ne remontent pas. Surtout, il faut que nous aidions le monde du tourisme à s'adapter vite parce que, derrière la crise, il y a un changement dans les domaines des touristes, avec un raccourcissement des séjours, des limitations de dépenses et une désaffection pour certaines zones ou certains types d'hébergement. Nous devons donc faire un gros effort d'adaptation.