Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les moyens de parvenir à une maîtrise médicalisée des dépenses de santé, notamment dans le domaine du médicament et sur l'action du conseil scientifique de l'agence du médicament, Paris le 20 janvier et le 1er février 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Installation du Conseil scientifique de l'agence du médicament, à Paris le 20 janvier 1994-rencontre avec l'association des pharmaciens de l'industrie, à Paris le 1er février 1994.

Texte intégral

INSTALLATION DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'AGENCE DU MÉDICAMENT - JEUDI 20 JANVIER 1994

Monsieur le Directeur Général,
Monsieur le Président du Conseil d'Administration, Monsieur le Président du Conseil Scientifique,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,


C'est un grand plaisir pour moi d'être parmi vous ce matin afin d'installer le Conseil Scientifique de l'Agence du Médicament, Conseil Scientifique dont vous venez de rappeler qu'il a été créé par la Loi du 4 Janvier 1993 et le décret du 8 Mars 1993.

C'est un grand plaisir car c'est pour moi l'occasion de visiter pour la première fois l'Agence du Médicament dans ses nouveaux locaux de SAINT-DENIS et de rencontrer les directeurs des services de l'Agence, les Présidents des Commissions, ainsi que les membres de ce tout nouveau Conseil Scientifique.

Je souhaite tout d'abord à féliciter les membres de ce Conseil pour leur nomination. Leurs qualités personnelles et leurs compétences sont ainsi reconnues.

Je tiens beaucoup à ce que votre Conseil, maintenant constitué, se mette sans tarder à la tâche et assume pleinement les rôles que vous venez de rappeler, Monsieur le Président :

  • veiller à la cohérence de la politique scientifique de l'Agence et émettre des avis sur cette politique ;
  • assister le Président du Conseil d'Administration et le Directeur Général dans les choix et les décisions qu'ils ont à prendre.

Ces tâches sont importantes et je salue parmi vous la présence de personnalités scientifiques éminentes, mais de formations très diverses, qui apporteront à vos débats une grande objectivité et une importante richesse.

Je dois reconnaître qu'il est rare de trouver rassemblé un tel groupe de personnalités aussi responsables et aussi qualifiées, et je ne doute pas que cela expliquera la qualité de vos travaux et la justesse des avis que vous serez amenés à prendre.

L'installation de ce Conseil Scientifique est pour moi non seulement l'occasion de visiter pour la première fois l'Agence du Médicament, mais également de faire votre connaissance et d'échanger avec vous quelques idées sur l'Agence et votre rôle dans l'Agence.

Vous savez tous l'énergie que nous avons dépensées depuis notre arrivée au Gouvernement pour que se mette en place sans délai une Agence du Médicament dont notre pays soit fier.

Je sais le rôle majeur que la France tient à Bruxelles, depuis plusieurs années, dans les discussions communautaires sur le médicament et il faut ici rendre hommage au travail effectué, inlassablement, par le Pr Jean-Michel ALEXANDRE à la commission d'AMM française, au comité des spécialités pharmaceutiques de Bruxelles dont il a été élu Président, et maintenant à la direction de l'évaluation médicale.

L'excellence du travail de nos experts a permis à notre pays de conquérir une place majeure dans l'Europe du Médicament. Qu'on ne s'y trompe pas ! L'installation Européenne à Londres impose à notre pays de maintenir sa place.

Les procédures d'enregistrement communautaires des médicaments comprendront toujours une procédure décentralisée dans laquelle la France doit garder un rôle de leader grâce au sérieux et à la rapidité des délibérations de sa commission d'AMM. Mais il importe aussi que la France continue de jouer un rôle de premier plan dans la procédure centralisée, consacrée aux dossiers des produits de haute technologie qui seront étudiés à Londres et pour lesquels nos experts apporteront leur rigueur et leur compétence scientifique.

Il s'agit d'enjeux très importants pour la France et pour l'Europe lorsque l'on connaît le volume du marché européen du médicament, le poids de nos industries pharmaceutiques, et l'importance d'une perpétuelle réflexion sur les critères d'évaluation scientifique de l'efficacité et de la sécurité des médicaments.

Alors, dans cette Europe du Médicament qui est en marche, dans cette Agence Française du Médicament qui vient de se créer, quels sont les objectifs majeurs de votre Conseil Scientifique ?

Votre Conseil doit être une instance de réflexion et de proposition. Il serait inconcevable de créer une structure aussi complexe que l'Agence du Médicament sans disposer en permanence d'un groupe de réflexion capable, d'une part d'envisager la prospective du développement de ses mission, d'autre part, d'apporter aux différentes directions de l'Agence, l'indispensable réflexion transversale, interdisciplinaire, dont elles auront besoin.

Voici votre rôle, et il n'est pas mince ! D'autant que statutairement vous avez la possibilité, non seulement d'émettre des avis sur tout problème scientifique qui vous sera transmis par le Président du Conseil d'Administration ou le Directeur Général de l'Agence, mais aussi de vous saisir, de votre propre initiative, de tout problème scientifique qu'il vous semblera important d'aborder afin de veiller à la cohérence de la politique scientifique de l'Agence. Le décret du 8 Mars 1993, en instituant cette auto-saisine par le Conseil Scientifique, lui a de fait reconnu un rôle majeur de réflexion et de proposition, et je ne doute pas, connaissant de longue date la personnalité de votre Président, le Pr Jean-Paul CANO, que votre Conseil fera usage de ce droit.

Pour ma part, et sans vouloir aucunement empiéter sur vos prérogatives, je souhaiterais vous indiquer quelques pistes qu'il me semble essentiel d'explorer dans les mois à venir, et vous parler plus particulièrement des problèmes suivants :

– thérapie génique et cellulaire ;
– réforme de la pharmacopée ;
– pharmacovigilance et pharmaco-épidémiologie ;
– réseau des centres de pharmacologie clinique et information thérapeutique.

Commençons par la thérapie génique et la thérapie cellulaire que vous avez mentionnées, Monsieur le Président, il y a quelques instants. Vous avez suggéré que les deux premiers groupes-projets que vous envisagez de mettre sur pieds, soient consacrés à ces domaines.

Je ne peux que souscrire à cette proposition, car il est urgent que l'Agence Française du Médicament fasse connaître son point de vue sur un certain nombre de questions capitales :

1. – l'utilisation des animaux transgéniques pour la recherche et le développement de produits médicaux. Outre une réflexion sur les aspects éthiques que soulèvent certaines de ces applications, la France devra élaborer des recommandations, applicables d'une part au développement et à la production par des animaux transgéniques de produits biologiques, de cellules ou tissus pour usage humain, d'autre part à l'utilisation des modèles d'animaux transgéniques pour l'évaluation de la sécurité, en toxicologie, et de l'efficacité en pharmacologie de médicaments.

2. – la France doit participer à la réflexion sur les textes réglementaires concernant la thérapie génique somatique. Ceci est urgent à l'heure où la FDA, le Japon et l'Europe viennent de publier les premières recommandations dans ce domaine.

Il est capital que votre Conseil Scientifique établisse un guide des prérequis nécessaires pour autoriser un essai clinique en fonction des différents types de vectorisation du gêne et que notre pays participe, au sein de l'Europe, à l'établissement de règles communes pour la recherche clinique en thérapie génique.

3. – La thérapie cellulaire, qui intéresse énormément des industriels français, implique ici aussi que l'on se préoccupe des problèmes de stratégies pré-cliniques et cliniques puisque cette approche thérapeutique nécessitera que soient opérées sur les cellules d'un patient, des manipulations ou des modifications cellulaires visant à traiter une maladie en réinjectant au patient ses propres cellules après qu'elles aient subi in-vitro ces modifications. D'importants champs d'application de ces techniques s'ouvrent devant nous dans le traitement de certains cancers ou de maladies génétiques. Encore faut-il qu'on en ait bien analysé les problèmes et qu'on ait élaboré un ensemble de recommandations indispensables pour l'éthique scientifique et la sécurité des patients.

J'ai bien noté votre troisième objectif concernant l'évolution de notre pharmacopée. Une réflexion s'impose sur l'avenir de cet ouvrage réglementaire et je ne peux que vous engager à travailler de concert avec l'Ordre des Pharmaciens et les syndicats professionnels, afin de prendre en considération les nouvelles stratégies de la pharmacopée européenne.

Je voudrais ensuite insister sur des objectifs qui me tiennent tout particulièrement à cœur, et qui concernent l'avenir des réseaux des centres de pharmacologie clinique et de pharmacovigilance, le développement de l'inspection à l'Agence du Médicament, et l'éventuelle évolution de la commission d'AMM vers une aide au développement des médicaments.

Les réseaux tout d'abord ! Vous avez, Monsieur le Directeur Général, la chance de disposer en France de deux réseaux qui ont été conçus dans les années 80 à l'initiative de Monsieur le Pr DANGOUMAU, dont nous devons saluer ici la clairvoyance et la pertinence de vue. Il ne devait pas être évident, il y a 10 ans, de proposer ces structures et de les mettre sur pieds !

Vous disposez ainsi d'un réseau de 30 centres de pharmacologie clinique et d'un réseau de 30 centres de pharmacovigilance. Il faut que l'Agence du Médicament les utilise en permanence. Il faut que vos commissions utilisent sans discontinuer l'extraordinaire expertise scientifique que renferment ces centres.

En ce qui concerne la pharmacovigilance, le réseau fonctionne bien. Nous en avons vu récemment les avantages lorsque des décisions courageuses, mais essentielles pour la santé publique, ont été prises concernant le retrait du marché de certains médicaments toxiques. Je pense néanmoins que le Conseil Scientifique de l'Agence devrait se pencher sur les missions futures de ce réseau dans la pharmaco-épidémiologie.

Qui doit constituer et suivre des cohortes de patients exposés à tel ou tel médicament, afin d'évaluer le risque d'évènements indésirables ? Qui devrait le faire, si ce n'est le réseau de pharmacovigilance ?

Qu'il faille une réflexion sur les structures de ces centres, sur leur intégration définitive dans le milieu hospitalo-universitaire auquel ils ne sont encore attachés que par contrat, qu'il faille une réflexion sur l'évolution des moyens que nous devons leur donner pour travailler, j'en conviens et vous savez que nous avons commencé à réfléchir sur ce problème avec la Direction des Hôpitaux.

Je souhaite vivement que le Conseil Scientifique se saisisse de ce problème et nous fasse des propositions. Je souhaiterais aussi qu'une étude soit lancée dès 1994 par les centres de pharmacovigilance sur l'importance de la pathologie iatrogène en France.

Cela demande une approche moderne, certes complexe, intégrant les concepts récents de la pharmaco-épidémiologie et de la pharmaco-économie. M. le Pr BEGAUD est par exemple venu nous parler du surcoût des hémorragies digestives imputables au traitement anti-inflammatoire. D'autres domaines sont à explorer comme l'hépato-toxicité ou l'hémato-toxicité des médicaments ! Dans ces domaines, qui pourra, hormis le réseau des centres de pharmacovigilance, fournir au Ministère de la Santé des chiffres clairs qui nous permettront de situer l'importance des problèmes et de discuter d'une réelle politique de prévention ?

L'Agence dispose avec ce réseau d'un outil extraordinaire que nous envient beaucoup d'autres pays européens.

Il faut qu'elle s'en serve à tout moment et qu'avant de confier à d'autres structures des missions et des études, elle étudie d'abord leur faisabilité pat le réseau des centres de pharmacovigilance ou celui des centres de pharmacologie clinique.

Venons-en au réseau des 30 centres de pharmacologie clinique. Ce problème est plus complexe car ces centres n'ont pas encore réellement fonctionné en réseau et des missions communes ne leur ont pas été confiées. Le Conseil Scientifique de l'Agence du Médicament devrait rapidement se pencher sur la redéfinition des objectifs et des modalités de fonctionnement de ce réseau. Là aussi ces centres existent, sachons les utiliser !

Ils ont, hormis la pharmacovigilance deux missions essentielles :

  • conduire des recherches cliniques sur les médicaments et apporter les conseils et l'aide logistique aux chercheurs cliniciens qui en ont besoin ;
  • apporter aux praticiens une information complète et objective sur la prescription et le bon usage des médicaments.

L'information thérapeutique, voilà une mission importante clans notre système de santé !

Voilà un domaine où le réseau des centres de pharmacologie clinique peut jouer un rôle capital, et je sais que vous êtes prêts à vous intéresser à cette question, car vous en avez déjà saisi les connotations scientifiques : mise en application souvent inadéquate des acquis actuels de la science, et éthiques : perte de chances pour certains malades et risques indus pour d'autres ; ceci sans parler des conséquences économiques des gaspillages des ressources consacrées à la santé !

Il vous faut réfléchir à un projet dans lequel un ou plusieurs centres joueraient le rôle de collecte et de validation des informations sources, assureraient la synthèse des données disponibles selon une méthodologie rigoureuse et distribueraient à tous les centres du réseau ces informations thérapeutiques destinées aux prescripteurs.

J'attends de votre part des propositions concernant une expérience-pilote qui travaillerait en réseau avec d'autres centres et qui pourrait fournir à l'Agence du Médicament des prestations de service sur la base d'un contrat d'objectifs.

Sachons utiliser nos ressources, en nous méfiant de l'éternelle suspicion typiquement française pour toute idée nouvelle qui ne nous arrive pas d'outre-Atlantique ou d'outre-Manche ! Notre pays est plein d'idées encore peu exploitées et le réseau des centres de pharmacologie clinique est une structure « en friche » que l'Agence doit apprendre à valoriser en utilisant ses compétences.

Un autre objectif qui me semble capital à explorer, c'est l'inspection des essais cliniques des médicaments. Je sais que 1994 sera une année importante pour l'Agence puisqu'elle recrutera, sur ses 67 créations d'emploi, un nouveau corps d'inspecteurs spécialisés. L'inspection des essais cliniques est la clé de voûte de tout le système des Bonnes Pratiques qui a été mis en place ces dernières années en France : Bonnes Pratiques de Fabrication, Bonnes Pratiques de Laboratoire et Bonnes Pratiques des Essais Cliniques. Seule une inspection efficace garantira, vis à vis de nos voisins et des agences d'enregistrement étrangères, la qualité, l'authenticité et la fiabilité des essais cliniques des médicaments conduits dans notre pays.

Je souhaite que le Conseil Scientifique de l'Agence joue pleinement son rôle de réflexion et de proposition dans ce domaine. Car recruter des agents, c'est bien. Encore faudra-t-il assurer leur formation et leur apporter l'encadrement permanent dont ils ont besoin !

Il faudra aussi apprendre aux firmes industrielles à préparer l'inspection et à faciliter le travail des inspecteurs. Nous savons le rôle éminent que joue Mme LAGARDE dans l'organisation de ces nouvelles fonctions et dans la mise en place du service de l'inspection. Je ne doute pas qu'elle trouve auprès du Conseil Scientifique de l'Agence, les avis et recommandations dont elle pourra avoir besoin dans sa lourde tâche.

Enfin, un dernier objectif qui me semble extrêmement riche à explorer est celui de l'évolution du rôle de la commission d'AMM. vis à vis des industriels du médicament. L'AMM fonctionne bien, je crois.

M. le Directeur Général m'a fait part de l'important travail qui a déjà été accompli dans ce domaine :

– les retards ont commencé à être résorbés et la cellule validation a entamé le 1er Octobre la notification tranche par tranche des 4 500 AMM validées. Cette notification devrait être terminée le 31 Mars 1994 ;

– le délai de programmation des AMM a été raccourci et le nombre de décisions d'AMM notifiées est devenu supérieur au nombre de nouveaux dossiers parvenus à l'Agence.

Tous ces chiffres démontrent l'effort qui a été entrepris et le chemin qui a été parcouru.

Ce sur quoi le Conseil Scientifique pourrait se pencher et exercer pleinement son rôle prospectif serait celui de réfléchir à l'évolution à donner progressivement à notre procédure d'AMM.

En effet, la complexité du développement pré-clinique et clinique des médicaments, l'importance des coûts du développement et la durée des essais cliniques justifient que les industriels s'interrogent sur l'avenir du fonctionnement de l'AMM.

Il serait ainsi souhaitable que s'instaure progressivement, et dans des conditions qui testent à définir, une évolution dans les rapports existant entre la commission d'AMM et les industriels du médicament, dans le sens d'une plus grande concertation, tout en conservant une parfaite transparence.

C'est déjà le rôle des commissions d'écrire des recommandations, des recommandations qui guident les pas des responsables des services de recherche et développement. Mais on sait que le temps passé pour écrire ces textes et les publier est tel qu'ils peuvent paraître déjà obsolètes au moment de leur publication. Pire encore, l'absence de mise à jour perpétuels des textes qui ne collent plus à la réalité de la pratique médicale leur enlève rapidement tout intérêt.

Or, les choix des industriels aujourd'hui conditionnent les AMM qu'ils demanderont dans 10 ans ! Si une évolution se mettait en place, si les industriels du médicament savaient trouver dans notre pays les structures de concertation qui les aident à gagner du temps (et de l'argent !) dans la course au développement des médicaments, ils seraient encore plus nombreux à venir faire enregistrer leurs médicaments à l'AMM française et notre rôle leader en serait conforté.

N'est-ce pas là un beau sujet de réflexion pour votre Conseil Scientifique ! Et je suis sûr que l'industrie participerait activement aux travaux groupe-projet consacré à ce problème.

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques objectifs qui devraient pouvoir intéresser votre Conseil Scientifique en ce début de 1994 ! Comme vous le voyez, les tâches ne manquent pas et les sujets de réflexion foisonnent.

Il existe sûrement d'autres sujets de réflexion sur lesquels je n'ai pas le temps de m'étendre aujourd'hui et l'actualité sera là, croyez-le bien, pour nous fournir d'autres sujets de travail.

C'est vous dire le grand intérêt que nous porterons à vos travaux et à vos délibérations.

Je vous présente à tous et à toutes mes meilleurs vœux de réussite en ce début d'année.

La France a relevé le défi de créer en deux ans une Agence du Médicament qui satisfasse aux besoins de la santé publique tout autant qu'aux besoins des industriels du médicament. Je suis à ce titre particulièrement satisfait de voir siéger parmi vous des représentants éminents de grands laboratoires pharmaceutiques.

Rien de ce qui sera fait, ne le sera sans l'aide et la collaboration de l'industrie pharmaceutique. A l'heure où nous mettons sur pieds une véritable politique conventionnelle du médicament, il convient de développer dans la pratique les « passerelles » hôpital-université-industrie-agence dont nous parlons tous depuis des années ! C'est en faisant les premiers pas que l'on apprend à marcher, et c'est en créant les premières passerelles qu'on imagine les grands ponts !

Voici encore un nouveau thème de réflexion dont pourrait se saisir le Conseil Scientifique de l'Agence du Médicament.

Je compte sur votre ingéniosité et j'attends avec beaucoup d'impatience de lire vos premières propositions dans tous ces domaines.

La politique nous a tous appris que seuls « passaient » aisément les projets longuement mûris, réfléchis, et dont tous les aspects avaient été soigneusement évalués. C'est le rôle d'une instance comme la vôtre de préparer, longtemps à l'avance, les choix que les politiques feront le moment venu. C'est votre rôle d'informer, d'éclairer, d'attirer l'attention des décideurs.

Je souhaite le meilleur succès à vos travaux. Leurs conséquences seront majeures pour les choix du futur concernant le médicament.

Je vous remercie.


ASSOCIATION DES PHARMACIENS DE L'INDUSTRIE - MARDI 1ER FEVRIER 1994

Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs les Présidents et Directeurs Généraux,
Monsieur le Président,


Je tiens à vous exprimer, pour commencer, le plaisir que j'ai d'être parmi vous aujourd'hui, et je remercie Messieurs les Députés Bernard DEBRE et Michel HANNOUN, ainsi que Monsieur le Président Claude DEPAZ, d'avoir organisé cette rencontre avec des décideurs de l'industrie pharmaceutique.

Je sais l'importance du travail et la qualité des débats qui caractérisent l'ensemble des réunions organisées par l'Association des Pharmaciens de l'Industrie et je suis heureux de pouvoir aujourd'hui venir discuter avec vous du médicament et de la pharmacie.

Je souhaiterais tout d'abord vous parler de la politique que nous appliquons, Madame le Ministre d'Etat et moi-même, depuis notre arrivée au Gouvernement en matière de maîtrise médicalisée des dépenses de santé.

L'ensemble des principes de cette politique conventionnelle avait été conçu et élaboré avec l'aide des députés de la plate-forme UPF avant les élections législatives, et je dois saluer ici l'inestimable apport des parlementaires de santé dans ce domaine. Sans les conseils, l'attention et le soutien des députés et des sénateurs de la majorité, et je salue aujourd'hui la présence parmi nous de Messieurs DEBRE et HANNOUN, nous n'aurions pas pu mettre en place les éléments législatifs essentiels de notre politique conventionnelle.

Les parlementaires de santé, sous l'impulsion de Bernard DEBRE et de Jean-François MATTEI, ne nous ont jamais mesuré leur soutien et je tiens ici à rendre hommage à leur collaboration de tous les instants à l'œuvre du Gouvernement.

La France est en train de tenter une expérience passionnante mais dont les résultats demeurent encore incertains. Nous demandons en effet aux médecins d'être les acteurs principaux d'une politique de régulation des dépenses de santé. Face aux déficits vertigineux de notre système de couverture sociale, même si une partie de ce déficit est actuellement imputable à la stagnation de l'économie et au sous-emploi qui en résulte, nous avions le choix entre deux politiques :

  • une politique autoritaire, purement économique, qui aurait consisté en une délimitation très précise d'une enveloppe annuelle de remboursement des soins médicaux de chaque français, cette enveloppe étant limitative, tout dépassement devait entraîner des pénalités à la charge des prescripteurs et de l'industrie pharmaceutique ;
  • nous n'avons pas voulu de cette approche autoritaire et nous avons mis en place avec l'aide des députés et des sénateurs de la majorité une autre politique fondée sur une approche conventionnelle dans laquelle les médecins accepteraient, en réfléchissant sur leurs pratiques et en évaluant leur activité, de diminuer les dépenses de santé en les optimisant.

Il s'agit d'une démarche hautement pédagogique puisque la pratique médicale doit s'inspirer de références et de recommandations sur les stratégies diagnostiques et thérapeutiques validées par l'Agence Nationale de l'Evaluation Médicale, l'activité des médecins étant ensuite évaluée par un système régional, les Unions Professionnelles, qui sera chargé d'analyser et de contrôler les prescriptions médicales. Ainsi les médecins s'évalueront eux-mêmes.

Le Gouvernement a bien sûr fixé un objectif de progression des dépenses médicales. Il est en 1994 de + 3,4 à 3,5 % par rapport à 1993 et deux décisions importantes visent à créer une motivation pour le respect de cet objectif :

d'une part les références médicales sont opposables, elles ont donc force de contrainte et les Unions professionnelles régionales doivent veiller à leur application afin d'éviter aux médecins qui ne les respecteraient pas, des mesures de rétorsion des caisses d'assurance maladie,

d'autre part, une revalorisation de l'activité des médecins est prévue par la convention. Elle a commencé d'être appliquée et son évolution dépendra des résultats économiques de la convention.

C'est donc au total une approche conventionnelle que nous avons choisie estimant que ses chances de succès étaient réelles, tout en reconnaissant qu'il s'agissait d'une profonde modification des habitudes et des comportements, des médecins comme des malades, que nous étions en train de provoquer. Privilégier avant tout les Bonnes Pratiques Médicales et le Bon Usage du Médicament nous paraît être l'approche la plus saine et la plus rationnelle du problème extrêmement complexe de la régulation des dépenses de santé. C'est aussi celle qui garantit le mieux la cohésion des différents partenaires dans la lutte contre les gaspillages et les dépenses inutiles.

Dans le domaine du médicament aussi nous avons choisi l'approche conventionnelle. Comme vous le savez tous, pour la première fois dans notre histoire, le Gouvernement a signé un accord de branche avec l'industrie pharmaceutique.

Cet accord vise à briser la spirale inflationniste des dépenses liées aux médicaments remboursables, spinale qui était en grande partir alimentée par la course au volume compensant des prix relativement bas, le fameux "effet-structure", et qui était entretenue par l'excès des dépenses de promotion des nouveaux médicaments.

Nous avons voulu arrêter cette course suicidaire en négociant avec l'industrie un accord-cadre dont je vous rappelle les grands principes :

  • une plus grande transparence sera assurée par la communication par l'industrie des chiffres de vente mensuels des médicaments ;
  • une meilleure connaissance de l'impact économique des traitements sera obtenue grâce au développement des études médico-économiques ;
  • les volumes des ventes des médicaments devront correspondre à l'utilisation médicalement justifiée de ces médicaments, donc au respect de leur Bon Usage conformément aux indications validées par les commissions d'AMM et de transparence ;
  • une décroissance du volume global des dépenses de promotion des médicaments devra intervenir de façon rapide et significative ;
  • enfin, les prix de vente des médicaments seront négociés dans le cadre de conventions signées entre le Comité Economique du Médicament et les laboratoires pharmaceutiques en fonction des indications thérapeutiques et de l'amélioration du service médical rendu, des objectifs des volumes des ventes, des dépenses de promotion et des économies engendrées pour l'assurance maladie. Ces conventions pourront être globales et porter sur plusieurs années afin de permettre aux industriels une meilleure prévision de leurs résultats.

Enfin, une grande liberté de proposition est laissée aux laboratoires pharmaceutiques dans le choix des médicaments, tout ou partie de leur gamme, à inclure dans la négociation avec le Comité Economique du Médicament. Il est même tout à fait envisageable qu'un laboratoire propose de retirer un médicament de la liste des produits remboursable, si cela s'inscrit dans une politique économique négociée avec le Comité.

En cas de non-respect de la convention, le Gouvernement disposera de deux moyens de rétorsion, la baisse autoritaire du prix des médicaments et la diminution, voire la suppression, du remboursement des médicaments par la sécurité sociale.

Pour orienter les travaux et les négociations du Comité Economique du Médicament, le Gouvernement fixera chaque année un objectif national d'évolution des dépenses d'assurance maladie relatives au médicament.

Vous pouvez donc constater qu'avec l'aide de sa majorité parlementaire, le Gouvernement a tenu ses engagements électoraux. Il a pu mettre en place un système conventionnel avec les médecins puis avec l'industrie pharmaceutique dont nous attendons maintenant de voir les résultats. C'est en effet maintenant que les industriels que vous êtes, doivent montrer qu'ils participent à cet effort national de régulation des dépenses de l'assurance maladie.

Ne nous y trompons pas ! Les difficultés sont devant nous car il faut désormais traduire dans les faits les décisions qui ont été prises. C'est maintenant que la responsabilité des industriels du médicament est pleinement engagée, tout comme le Gouvernement s'est engagé à garantir l'efficacité du Comité Economique du Médicament et de l'Agence du Médicament.

Il importe aussi que nous examinions avec lucidité d'importants problèmes qui ne sont pas encore résolus. Il y a là un certain nombre de chantiers, parfois engagés depuis plusieurs années, qui devraient aboutir à conforter les chances de succès de notre politique. Parmi ces divers chantiers, je souhaiterais mettre l'accent sur le problème du codage des actes et des prescriptions et sur celui de l'information thérapeutique.

Le codage informatique des actes et des prescriptions est une nécessite. C'est en effet la seule façon de mesurer de façon exacte l'activité médicale et pharmaceutique dans son ensemble.

Vous savez que ce n'est pas simple, notamment dans les domaines des actes médicaux et de la nomenclature des pathologies et des indications thérapeutiques. Mais je ne doute pas que nous y arrivions un jour. En attendant cet outil informatique, il faut réfléchir aux méthodes que nous pouvons mettre en œuvre dès maintenant afin de mieux évaluer l'activité médicale et thérapeutique. Je souhaite que l'industrie pharmaceutique se rapproche des médecins et des pharmaciens, ainsi que des caisses d'assurance maladie pour discuter de ces projets.

C'est l'ensemble des professionnels qui doit s'atteler à cette tâche et travailler à résoudre ces problèmes avec la collaboration de la sécurité sociale, du Comité Economique du Médicament et de l'Agence du Médicament.

Il y aurait d'ailleurs une grande contradiction pour l'industrie pharmaceutique à signer d'une part un accord avec le Gouvernement comportant des clauses de communication des chiffres de ventes des médicaments et de développement des études médico-économiques, et à ne pas travailler d'autre part à l'évaluation globale de l'activité médicale et pharmaceutique dans un souci de transparence et de responsabilité.

Le second chantier pour lequel il me semble important de travailler rapidement est celui de l'information thérapeutique.

Comment valoriser le rôle de vos informateurs thérapeutiques ? Comment concilier les objectifs économiques de la promotion et les objectifs du Bon Usage du Médicament ? Nous attendons avec beaucoup d'intérêts les résultats de la mission qui a été confiée au Pr BADER sur-ce sujet.

Mais il faut que s'instaure rapidement une réflexion des industriels avec le Comité Economique du Médicament sur la réorientation aux fins du Bon Usage du Médicament de certaines dépenses de promotion et de publicité. Il faut aussi analyser la nécessaire coordination entre les activités de la Formation Professionnelle Continue et l'information thérapeutique des laboratoires pharmaceutiques.

Ce second chantier est important car il peut grandement conditionner la participation des médecins à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. L'objectif en effet n'est pas de rationner ces dépenses, mais de les rationaliser et de s'assurer que les soins apportés aux français sont les meilleurs en terme d'efficacité et de tolérance et aux moindres coûts.

Enfin, je voudrais pour conclure vous parler de l'Agence du Médicament et de l'Agence Européenne. Je suis allé récemment à l'Agence du Médicament installer le Conseil Scientifique auquel j'ai d'ailleurs indiqué un certain nombre de pistes de travail et de réflexion qui me semblaient importantes. L'industrie pharmaceutique est représentée dans ce conseil par des personnalités scientifiques de renom. Mais d'une façon plus générale, je voudrais vous inciter, vous industriels, à travailler de concert avec l'Agence du Médicament.

L'industrie pharmaceutique a besoin d'une Agence du Médicament qui soit forte et qui fonctionne bien. Or, vous le savez, l'installation à Londres de l'Agence Européenne constitue un défi que nous devons relever. C'est un défi car le monde anglo-saxon cherchera à attirer les dossiers des industriels les plus en pointe.

La France doit relever ce défi en donnant à l'Agence du Médicament les moyens de travailler, et en incitant l'Agence et les industriels à développer des réflexions communes, voir même des collaborations, dans des domaines nouveaux ou complexes comme ceux du développement des médicaments issus des biotechnologie.

Nous bénéficions d'une importante expertise scientifique qui, sous l'impulsion du Pr Jean-Michel ALEXANDRE, nous a valu un rôle de leader dans de nombreux domaines.

Il nous faut défendre ce rôle et relever le défi européen.

Voici, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire aujourd'hui. Comme je l'indiquais en commençant, la France a mis en route une évolution capitale dans le domaine de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé.

La défense des acquis de notre couverture sociale est à ce prix et la survie de la sécurité sociale dépend des résultats de notre démarche politique.

Il est clair que si cette expérience conventionnelle et négociée aboutissait à un échec, le Gouvernement serait obligé d'en tirer les conséquences et d'appliquer la politique autoritaire économique dont nous avons parlé au début.

Je souhaite pour ma part que notre politique réussisse et je m'y emploierai avec toute mon énergie. Je compte sur l'aide des laboratoires pharmaceutiques dans cette période importante pour notre système de protection sociale. Je sais que les décideurs que vous êtes entendront ce message.

Je vous remercie.