Articles de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force ouvrière hebdo" des 2 et 9 septembre 1998, sur les effets de la croissance économique sur la situation des salariés et sur le projet de baisse des cotisations patronales sur les bas salaires.

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Média : FO Hebdo

Texte intégral

FORCE OUVRIÈRE HEBDO le 2 septembre 1998

« Le niveau d’activité général des entreprises françaises laisse espérer un bon millésime pour les résultats 98. »

De fait, sur les six premiers mois, les progressions de chiffres d’affaires sont significatives, ainsi que celles (parfois à 2 chiffres) des bénéfices.
Dans le même temps l’amélioration de la croissance économique alimente les recettes fiscales, créant de fait des marges de manœuvre.

Dans ces conditions, deux questions sont posées :
- peut-on accroître encore l’activité et les marges de manœuvre ?
- comment sont-elles utilisées ?
En particulier quelles sont les retombées positives pour les salariés, chômeurs et retraités ?

Officiellement le chômage diminue légèrement mais force est de constater que les emplois sont souvent précaires, donc fragiles. Les entreprises démultiplient les CDD et le travail à temps partiel, elles sont d’ailleurs financièrement incitées à cela.

Quant au pouvoir d’achat le moins que l’on puisse dire c’est que l’heure n’est pas aux largesses et la [illisible] demeure donc prioritaire. Il est d’ailleurs de plus en plus indécent, voire provocateur, d’entendre ceux qui n’ont guère de problèmes en la matière de donner des leçons de partage du travail et de revenus.

Les conditions de travail ne s’améliorent guère non plus. Différentes études, dont une de médecins du travail, soulignent une détérioration de la situation des salariés notamment en matière de stress au travail.

Enfin, de gros dossiers restent en suspens tels l’avenir de la Sécurité sociale, l’avenir des retraites et pensions. De fait, la protection sociale collective est dans une trajectoire d’implosion, les financiers et assureurs fourbissant leurs projets pour ramasser la mise.

En quelques sorte, jusqu’à ce jour, les salariés, actifs, chômeurs et retraités ne tirent guère profit du frémissement économique. Ce qui constitue une injustice flagrante.

Alors que nul ne peut ou n’ose mesurer les effets des crises asiatique et russe sur la croissance économique mondiale, de plus en plus nombreux sont aujourd’hui ceux qui prévoient un ralentissement économique en 1999 (2,5 % de croissance au lieu de 3%).

En tout état de cause, cette croissance viendra de moins en moins du commerce extérieur, ce qui rend on ne peut plus urgent une relance de la consommation interne en France et en Europe.

Visiblement, les pouvoirs publics ne semblent pas être sur cette longueur d’ondes puisqu’ils en sont encore à vouloir alléger le coût du travail ce qui est en une revendication du patronat au plan européen, l’UNICD. Ils préfèrent doper les résultats des entreprises que le pouvoir d’achat et la consommation. C’est le cas également sur le dossier des 35 heures où, à différentes reprises, le Gouvernement a rappelé la nécessité de la modération salariale. Dans ce cas de figure, les salariés se payent eux-mêmes sur leurs salaires et leurs impôts la réduction de la durée du travail voire l’embauche de nouveaux salariés. Et ce sont ceux qui engrangent les bénéfices des entreprises qui en tirent encore profit, y compris avec la flexibilité favorisée par les pouvoirs publics. Une telle demande se situe à contre-courant de la revendication de réduction de la durée du travail puisqu’il s’agit en l’espèce d’un outil d’ajustement et de gestion non d’une revendication à satisfaire.

Il y a un véritable détournement. Cela devient d’ailleurs chose courante. Ainsi, rappelons-nous : le principal argument qu’avait utilisé le Gouvernement pour étendre l’impôt CSG, ce n’était pas de répondre aux besoins des assurés sociaux mais de donner un peu de pouvoir d’achat !

Pour toutes ces raisons il est du rôle de l’organisation syndicale d’entamer dès maintenant une campagne de sensibilisation d’information et de mobilisation pour faire aboutir les revendications.
Celles-ci ne manquent pas : pouvoir d’achat, Sécurité sociale, retraites et pensions, extension de l’ARPE, défense du service public sont au centre des priorités.
Il ne s’agit de rien d’autre que d’exiger enfin que cessent d’être bafouées l’égalité et la solidarité et que soit mise en œuvre une répartition différente des richesses.
C’est le sens du combat que nous engageons en cette rentrée 98.

La Tribune du 19 août 1998.


FORCE OUVRIÈRE HEBDO le 9 septembre 1998

Après s’être attaqué aux cotisations ouvrières en leur substituant un impôt (la CSG) - le Gouvernement - du moins la ministre du Travail, semble maintenant s’en prendre aux cotisations dites patronales. Nous disons bien « dites patronales » dans la mesure où ces cotisations sont partie intégrante de la masse salariale. Le coût du travail intègre bien en effet le salaire et l’ensemble des cotisations ouvrières et patronales.

Objectif affiché : réduire le coût du travail sur les bas salaires
Espoir : faciliter la création d’emplois.
Efficacité : non démontrée puisque cette démarche est maintenant mise en œuvre depuis plusieurs années, et ce, sans résultat probant sur l’emploi.
Bien au contraire, il apparaît qu’elle a favorisé le temps partiel contraint, l’accroissement du nombre de smicards, la précarisation du travail. Elle a par ailleurs justifié ce qu’on appelle les petites boulots, y compris dans le secteur public (CES, par exemple).
Et elle confond bas salaires et qualifications : de plus en plus de jeunes qualifiés perçoivent en effet des bas salaires. En abaissant encore le coût du travail on ne facilite donc pas l’accès à l’emploi des non qualifiés, on tire l’ensemble des qualifications à la baisse et l’employeur, lorsqu’il embauche, retient toujours celui qui apparaît le plus compétent, donc le plus qualifié.
En fait cette démarche s’inscrit dans la sempiternelle logique libérale qui veut alléger le coût du travail pour être compétitif, conduisant ainsi à un mouvement général de baisse. Il n’y a pas si longtemps, certains justifiaient cette politique pour être compétitifs avec les pays d’Asie du Sud-Est !
Un rapide survol des échanges internationaux montre que ceux-ci s’accroissent surtout au niveau continental. Pour la France, nos concurrents, en termes de compétitivité, sont nos voisins européens (les Quinze). Qui peut prétendre que si nous pratiquions de la sorte, ceux-ci ne suivraient pas notre exemple ? Au demeurant, il s’agit d’ores et déjà d’une revendication du patronat européen d’UNICD.
La nouveauté du dispositif serait que cet allégement sur les bas salaires serait partiellement compensé par un alourdissement sur les salaires les plus hautes (au-dessus de deux SMIC).
Là encore, il s’agit d’un schéma technocratique qui ne tient pas compte des réalités et nécessités.
En introduisant une progressivité de la cotisation, on intègre un principe fiscal alors que, dans le même temps, l’impôt CSG (qui se substitue de plus en plus à l’impôt sur le revenu) est, lui, proportionnel aux revenus. Comprenne qui pourra !
Le seuil de deux SMIC (qui correspond au plafond de la Sécurité sociale) conduira les entreprises à développer les rémunérations hors salaires. Il favorisera par exemple, le développement de fonds de pension.
Enfin cela devrait s’accompagner d’une taxation plus forte des entreprises, c’est-à-dire une amorce de fiscalisation de cotisation patronale.

C’est donc le mouvement engagé de fiscalisation/étatisation de la Sécurité sociale qui serait ainsi poursuivi, dans le droit fil du plan Juppé.
De fait, au lieu de clarifier nettement les responsabilités de l’État et de la Sécurité sociale, y compris en termes de financement, le Gouvernement, s’il persistait dans cette voie, accentuerait la confusion pour justifier l’étatisation complète du système. Inéluctablement, les partenaires sociaux auront alors effectivement à se poser la question de leur légitimité à cogérer ce qui serait le produit de l’impôt.
Servir de paravent ou d’élément subsidiaire n’est pas facteur de responsabilité et d’autonomie.
Mais, surtout, cette logique conjointe d’allègement du coût du travail et d’étatisation ne peut que servir les intérêts privés qui guettent le moment où, enfin, ils pourront concurrencer la Sécurité sociale.
D’ores et déjà les projets des assureurs s’amoncellent sur le bureau de la ministre.
Si le Gouvernement persistait dans cette logique, alors il est évident que le réformisme dont il se réclame s’apparenterait à du réalisme libéral.

C’est pour toutes ces raisons que FO présentera prochainement ses revendications pour refonder la Sécurité sociale, il faudra que les syndicats, les militants et les adhérents nous assistent dans cette action, l’opinion publique en saisira l’enjeu et nous sera reconnaissante de l’avoir informée.