Interviews de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, dans "Le Figaro" du 5 septembre 1994 et "Libération" du 7, sur le retrait des troupes françaises du Rwanda, l'élection présidentielle de 1995 et sur la politique de santé publique du gouvernement (épidémiologie, prévention du Sida, toxicomanie, risque thérapeutique et réorganisation des greffes).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Figaro - Libération

Texte intégral

Douste-Blazy : les chefs de partis doivent tirer dans le même sens

Il salue l'action de la France au Rwanda, lance un cri d'alarme à propos de l'extension du sida. Et appelle à l'union de la majorité pour l'élection présidentielle.

Philippe Douste-Blazy, qui est intervenu à l'université d'été du CDS, a été très présent pendant l'été : problèmes humanitaires au Rwanda, conférence de Yokohama sur le sida, questions relatives à la santé. Il répond aux questions du Figaro.

Le Figaro : La France s'est retirée du Rwanda, n'éprouvez-vous pas un sentiment de travail inachevé ?

Philippe Douste-Blazy : J'ai au contraire trois sentiments. Un sentiment de fierté d'être français, d'abord, un sentiment d'admiration pour les soldats français qui ont rempli une double mission : de protection des populations d'abord, purement humanitaire ensuite. Ils ont non seulement été des soldats de la paix, mais aussi des soldats de la vie. Un sentiment de honte, enfin, d'appartenir à une communauté internationale trop égoïste, sourde et aveugle.

Le Figaro : Vous êtes allé au Rwanda. Quelles images en gardez-vous ?

Philippe Douste-Blazy : Je garderai toujours en mémoire ces images d'horreur, celles d'un génocide concernant aussi les femmes et les enfants, celle de populations exténuées, amaigries, décimées par les épidémies de choléra et de dysenteries amibiennes.

Le Figaro : Dans cette affaire, est-ce que l'humanitaire n'a pas entraîné la politique étrangère ?

Philippe Douste-Blazy : Il n'y a aucune raison de les opposer ! Il s'agit plus d'une conception de l'homme, respectant les minorités, que d'une vue géopolitique.

Le Figaro : Mais il y a d'autres guerres qu'on oublie. Devra-t-on intervenir partout ?

Philippe Douste-Blazy : Ce qui s'est passé au Rwanda fera date. Aujourd'hui, nous devons avoir la volonté politique de rendre impossible le retour de tels drames. Pour cela, il faut prévenir plutôt que réagir au coup par coup et se donner les moyens d'éviter ce type de tragédie.

Le Figaro : La conférence de Yokohama ne marque-t-elle pas la fin de certaines illusions sur la découverte rapide de traitements et de vaccins ?

Philippe Douste-Blazy : Cette conférence a montré les limites du savoir et celles du pouvoir. Les limites du savoir en raison de la stagnation de la recherche fondamentale, même si plusieurs éléments positifs ont été notés, comme l'existence de patients séropositifs depuis plus de dix ans ne développant pas la maladie ou la certitude que l'on diminue de moitié le risque de contamination de la mère à l'enfant si l'on administre un médicament antiviral, l'AZT, pendant la grossesse et durant l'accouchement.

Le Figaro : Et les limites du pouvoir ?

Philippe Douste-Blazy : Un nouveau tournant politique doit être pris. C'est la conférence de la dernière nécessaire prise de conscience ! Dix mille nouveaux cas de contamination par jour sur la planète ! La lutte contre le sida doit devenir une priorité pour tous les chefs de gouvernement. C'est la raison pour laquelle ils seront invités par le Premier ministre à Paris afin de définir une politique coordonnée commune. 80 % des personnes contaminées habitent dans les pays en voie de développement et le virus ne connaît pas de frontière. Dans les années à venir, l'épidémie dépend en grande partie de son évolution en Asie, qui abrite les deux tiers de la population mondiale.

Le Figaro : L'an dernier, vous disiez être la "garde rapprochée" d'Édouard Balladur. Maintenez-vous ce jugement ou pensez-vous que le premier ministre soit assez fort pour se passer d'une telle garde ?

Philippe Douste-Blazy : On m'a dit après cela que certains avaient mis mes propos sur le compte de la naïveté du débutant ! D'autres y avaient vu un calcul opportuniste ! Ma satisfaction est de voir qu'aujourd'hui les Français témoignent sans ambiguïté leur satisfaction envers le Premier ministre et le gouvernement.

Pour autant, ne considérons pas que tout soit acquis, comme l'année écoulée l'a montré. Aujourd'hui, nous sommes sur la bonne voie et je suis heureux que nos concitoyens nous en donnent acte ; Si tous les ministres, depuis vingt ans, avaient été solidaires de leur chef de gouvernement et de leur majorité, je pense que nous n'aurions pas perdu plusieurs élections présidentielles.

Le Figaro : Que pensez-vous des classifications faites entre balladuriens, chiraquiens, giscardiens et autres ?

Philippe Douste-Blazy : Le Premier ministre a demandé à ses ministres de ne pas aborder la question présidentielle avant 1995. Ma génération politique n'a connu que l'opposition jusqu'en 1993. Pourquoi ? Parce que nous étions divisés ; Quant aux centristes, ils démontrent qu'ils ne sont pas dyslexiques en politique, un pied dans le camp, un pied dans l'autre…

Le Figaro : On dit que vous voulez vous élever dans la hiérarchie des centristes. Est-ce exact ?

Philippe Douste-Blazy : je ne considère pas la vie politique comme une course aux places ! Et si l'on me démontrait que ce n'est que cela, alors il vaudrait mieux pour moi que je reprenne mon métier de médecin et de chercheur. Là, au moins, je serais sûr d'être utile.

Le Figaro : La majorité aborde-t-elle l'échéance de 1995 dans de meilleures conditions qu'en 1988 ?

Philippe Douste-Blazy : Il y a plusieurs différences. D'abord, le Président de la République ne se représente pas. Ensuite, la France, qui a connu la plus forte récession économique depuis la guerre, reprend peu à peu le chemin de la croissance. Les indicateurs sont encourageants, qu'il s'agisse des offres d'emplois, de la reprise des investissements, du rétablissement de la compétitivité des entreprises ou de la baisse des taux d'intérêt avec une inflation qui reste maîtrisée. Au ministère de la Santé, on se rend bien compte de l'ampleur des réformes entreprises. C'est vrai des dépenses d'assurance maladie de la médecine de ville, qui sont stabilisées pour la première fois depuis quinze ans. Nous avons mis en place une véritable politique de prévention et de santé publique, dans le domaine des maladies sexuellement transmissibles, dans le domaine du cancer ou dans celui des maladies cardiovasculaires.

Les Français se rendent compte que la politique conduite par le gouvernement d'Édouard Balladur commence à porter ses fruits. Nous avons été élus en 93 sur une plate-forme de gouvernement, cosignée par le RPR et l'UDF. Il me semble que tout le monde doit assumer cette politique, c'est-à-dure respecter les termes du contrat passé avec les Français en 1993.

 

7 septembre 1997
Libération

Le ministre doit annoncer aujourd'hui la création d'antennes régionales du Réseau national de santé publique. Par ailleurs, il détaille pour "Libération" le plan de vaccination contre l'hépatite B.

En ce mois de septembre, Philippe Douste-Blazy est un ministre délégué à la Santé "Tranquille et serein". À son poignet, un ruban rouge, en solidarité à la prévention contre le sida. Le ministre a devant lui une rentrée active. Aujourd'hui, il fait le point sur la santé publique au conseil des ministres, un dossier qui lui tient à cœur. Et va annoncer la création d'antennes régionales au Réseau national de santé publique.

Libération : Vous avez toujours déclaré que la santé publique était votre priorité. Un an et demi après votre arrivée avenue de Ségur, où en est-on de cette urgence affichée ?

Philippe Douste-Blazy : Élaborer une politique de santé publique, c'est la grande affaire des années 90. D'un côté, il y a urgence à mieux observer ce qui se passe, en termes de pathologies infectieuses, dans notre pays. Par exemple, comprendre et analyser pourquoi le cancer du poumon augmente chez les femmes, pourquoi le cancer de l'œsophage est en pleine régression. Mais aussi arriver à disséquer les différences régionales. Pourquoi fait-on beaucoup plus d'infarctus à Lille qu'à Toulouse ? Bref, toutes ces informations que nous apporte l'épidémiologie nous sont aujourd'hui indispensables. Il nous faut les collecter. D'un autre côté, la survenue de nouveaux agents pathogènes, comme le VIH, mais aussi ceux de l'hépatite B ou C, l'apparition de résistances aux antibiotiques, sans oublier l'ouverture des frontières et la diffusion, à l'échelle planétaire, de produits de consommation, notamment alimentaires, rendent de plus en plus nécessaire l'existence de nouveaux systèmes de surveillance efficaces. On a besoin de savoir vite, de détecter vite toute nouvelle manifestation épidémique.

Libération : Le Réseau national de santé publique (RNSP), créé en 1992, est-il apte à relever ces défis ?

Philippe Douste-Blazy : Quand nous sommes arrivés au ministère, le Réseau venait tout juste d'être créé par mon prédécesseur (Bernard Kouchner, ndlr). L'idée était excellente, et à sa tête, il y a le Pr Jacques Drucker, un épidémiologiste de grand talent. Mais le Réseau était sans bras sans structure. Il fallait lui donner des moyens et une assise dans toute la France. Aussi, avons-nous décidé de multiplier par trois son budget en 1994. Des antennes régionales seront créées pour développer au plus près l'épidémiologie de terrain. Dix antennes sont prévues, trois seront installées très rapidement. À cela s'ajoute un effort financier à destination des Observatoires régionaux de santé, en leur donnant des moyens accrus de fonctionnement.

Dernier point, j'attends avant la fin de ce mois le rapport du Haut Comité de santé publique sur la santé en France. Un rapport qui va nous permettre de hiérarchiser nos nouvelles priorités en matière de santé publique.

Libération : Mais pour vous, il est clair que le dispositif de santé publique doit être centré sur le Réseau national ?

Philippe Douste-Blazy : Absolument. Comme le CDC (centre de contrôle des maladies) aux États-Unis, le Réseau doit être le lieu central de notre dispositif. Ainsi, il doit avoir autorité sur les différents centres de surveillance qui suivent les pathologies infectieuses. Mais aussi sur le réseau d'hémovigilance et celui de la matériovigilance qui sera prochainement créé, et qui aura pour charge de surveiller le devenir de toutes les nouvelles prothèses.

Libération : Reste que le retard est toujours patent en matière de santé et d'environnement.

Philippe Douste-Blazy : Tout à fait, le retard est, là, important. Que faire d'autre que donner plus de moyens au Réseau pour s'occuper de ces questions ? Pour cela, il faut que l'on trouve un système de l'environnement. Je rencontrerai prochainement Michel Barnier pour en parler.

Libération : Vous avez souvent répété qu'aujourd'hui, une des urgences en santé publique est la question de l'hépatite B. Où en est la politique de vaccination ?

Philippe Douste-Blazy : L'hépatite B, est 40 000 contaminations par an, touchant principalement les jeunes. C'est de loin la MST (maladie sexuellement transmissible) la plus répandue. Dans 30 % des cas, elle peut entraîner une cirrhose. Bref, c'est une affaire sérieuse de santé publique. Or, depuis plusieurs années, nous avons un vaccin, mais il est sous-utilisé. Grâce à la Caisse nationale maladie (Cnam), toutes les caisses primaires remboursent le vaccin à 65 % depuis cet été. Mais en plus, pour cette rentrée scolaire, pour la première fois, nous allons intégrer cette vaccination dans la médecine scolaire, à l'entrée au collège, en la prenant en charge à 100 %. Enfin, nous travaillons à l'inscription de cette vaccination dans le calendrier de vaccinations du nourrisson.

Libération : On ne peut pas parler de santé publique sans parler de sida et de toxicomanie. Est-ce que les blocages sur la politique de réduction de risques, avec les produits de substitution ou les actions d'échange de seringues, sont en voie d'être dépassés ?

Philippe Douste-Blazy : On est parti de très loin. Et on devrait arriver à près de 1 500 places disponibles pour des produits de substitution d'ici à la fin de l'année. L'avancée est spectaculaire, même si je crois qu'il en faudrait 5 000. Mais on est sorti du surplace. Quant aux seringues, j'aimerais mettre en place un système d'une seringue pour 1 franc.

Libération : Deux dossiers paraissent toujours en suspens, enfermés dans les tiroirs de votre ministère : une loi éventuelle autour du risque thérapeutique, et la réorganisation des greffes.

Philippe Douste-Blazy : Aujourd'hui, il n'y a plus de blocage. Un projet de loi sera déposé à l'Assemblée sur le risque thérapeutique, lors de la session parlementaire. Contrairement à ce que l'on a pu lire dans la presse, les arbitrages ne sont pas rendus sur la question du financement de ce risque, entre le recours aux assurances, la création d'un fonds d'indemnisation, etc. Mais il y aura une loi. Quant aux greffes, nous arrivons à la dernière étape du très long travail de réorganisation. La publication des décrets sur la création de l'Établissement national de greffes est l'affaire de quelques jours. Avant la fin du mois, le nom du directeur général de l'établissement, qui sera un spécialiste des greffes, sera rendu public.