Article de Mme Chantal Cumunel, secrétaire général de la CFE-CGC, dans "Le Quotidien de Paris" le 17 mars 1994, sur les difficultés de l'insertion des jeunes sur le marché de l'emploi et les mesures que propose la CGC pour l'emploi des jeunes face au CIP qualifié de "SMIC jeunes".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Manifestations contre le CIP à Paris et en province le 10, 12 et 17 mars 1994

Média : LE QUOTIDIEN DE PARIS

Texte intégral

LE QUOTIDIEN. Après la manifestation des étudiants du 10 mars, certaines organisations syndicales, dont la CFDT et FO, manifestent à leur tour aujourd'hui contre le CIP. Pourquoi la CGC n'est-elle pas présente ? 

Chantal CUMUNEL : Pour une raison essentielle : parce que l'action syndicale se transforme en démarche politique. Le 3 mars dernier, lors de la conférence sociale à Matignon, le Premier ministre a reconnu que le contrat d'insertion professionnelle était mal bâti. Nous avons eu là l'écho de l'efficacité de notre action. Edouard Balladur s'est clairement engagé, dans le cadre d'un décret complémentaire, à améliorer ce contrat tant au niveau du contenu de la formation que de la rémunération. Notre sentiment est que le Premier ministre affirmait sa volonté de lever les ambiguïtés. C'est pourquoi, tant que nous n'avons pas le projet de décret, il ne nous est pas possible de conclure à la rupture des engagements du Premier ministre. Je considère en conséquence que manifester aujourd'hui consiste à dresser un procès d'intention contre le gouvernement et à prendre prétexte du CIP pour certaines organisations afin de créer un conflit social de nature collective démesuré par rapport à l'enjeu du CIP. Nous sommes la devant une manifestation des « peurs ». 

Q. : Devons-nous comprendre que la CGC ne demande pas l'abrogation du CIP ? 

R. : Le vrai débat, parce que là est le vrai problème, est de savoir si nous voulons agir contre le chômage des jeunes. Certains jeunes ne trouvent pas de travail parce qu'ils ne disposent d'aucune qualification ; d'autres, et ils sont de plus en plus nombreux, détiennent un diplôme et malgré tout n'arrivent pas à franchir les portes de l'entreprise. Ce n'est pas le moindre paradoxe de notre époque que sans diplôme vous êtes garanti du chômage et qu'avec un diplôme vous n'êtes pas assuré de l'emploi. En 1993, les fonctions publiques ont embauché à peu près 50 000 jeunes diplômés à bac + 4 minimum tandis que les entreprises du secteur privé en recrutaient à peine 20 000, au niveau cadre. Les prévisions pour cette année ne sont guère plus encourageantes. A l'opposé, 130 000 jeunes ont obtenu en 1993 un diplôme égal ou supérieur à bac + 4 et nous prévoyons que la cohorte atteindra les 200 000 d'ici à 3-4 ans.

L'élévation de la formation initiale est une excellente chose et nous ferions une profonde erreur d'enrayer le mouvement au motif des difficultés d'emploi des jeunes. Nous entrons, en effet, dans une civilisation professionnelle qui requiert non seulement du savoir mais de la capacité à gérer ce savoir et dans laquelle la maîtrise de l'intelligence l'emportera sur la maîtrise de la technique. 

Nous constatons à la fois une chute des offres et une tendance de plus en plus marquée dans les entreprises d'exiger à l'embauche une première expérience. Difficile pour un jeune qui sort de l'école ou de l'université de satisfaire à cette exigence ! L'intérêt du CIP est de faciliter pour les jeunes diplômés qui sont en recherche d'emploi depuis plus de 6 mois l'accès à la première embauche, de leur permettre d'effectuer un parcours d'immersion professionnelle dans l'entreprise et donc de transformer leur savoir en savoir-faire en passant de la théorie à la pratique. C'est du moins ainsi que la CGC le conçoit et considère donc que bien organisé par l'entreprise, il peut apporter un plus aux jeunes. 

Q. : Mais au prix d'un SMIC-jeune ?

R. : Au prix de 80 % du salaire conventionnel de la fonction, avec un plancher égal au SMIC, pour tout jeune détenteur d'un diplôme cela va du CAP au doctorat. Ceci parce que la CGC a défendu avec force la reconnaissance du diplôme. Dès le 4 janvier, quand le ministre du Travail nous a consultés sur ses projets de décrets, nous avons dénoncé auprès de M. Giraud l'anormalité de son choix de rémunérer à 80 % du SMIC les jeunes diplômés. Non seulement cela consistait à dévaloriser l'investissement en formation initiale mais cela ne pouvait que conduire à démotiver les jeunes.

Ainsi s'explique naturellement la charge émotive qu'a suscitée auprès des parents et de l'opinion publique la publication des décrets le 24 février. Le gouvernement lui-même a reconnu son erreur. Mais il ne faudrait pas maintenant que certains entretiennent la désinformation : l'abrogation du CIP ne résoudra en rien le problème de l'insertion professionnelle des jeunes. 

Enfin, un récent sondage faisait apparaître que 7 jeunes sur 10 sont prêts à travailler à n'importe quel prix. C'est éloquent sur leur angoisse. Mais justement pour qu'ils ne soient pas « exploités » par certaines entreprises, il est nécessaire que soient fixées des règles dans les rémunérations. 

Quant au SMIC-jeune, cela fait quinze ans que les gouvernements successifs nous ont habitués, par la création de mesures spécifiques (TUC, SIVP, CES, contrat de qualification, d'orientation...), à une rémunération inférieure au SMIC : 30% de sa valeur pour certaines mesures ! Pour ma part, je me refuse à pratiquer le jeu de la tartufferie. 

Q. : Lors de sa convention pour l'emploi, le 26 février, le Parti socialiste a affirmé qu'il était possible de créer 25 millions d'emplois. Est-ce votre avis ?

R. : J'avoue que les prestidigitateurs sociaux provoquent mon admiration ! A les entendre tous, créer de l'emploi serait simple, il suffisait d'y penser, c'est-à-dire de supprimer le Code du travail, de libérer les licenciements, de flexibilité le marché du travail, d'alléger le coût du travail, de partager l'emploi... Malheureusement, l'histoire démontre que l'emploi ne répond jamais à une logique mathématique. 

L'emploi c'est d'abord une question économique, ce qui renvoie à une politique de croissance. C'est ensuite une réponse à un besoin. Cela dit, si l'emploi ne se décrète pas il peut pour le moins se susciter, s'initier et s'organiser, notamment en favorisant l'émergence de nouveaux métiers qui correspondent à un nouveau mode de vie. Qu'il s'agisse de besoins individuels ou collectifs, ces nouveaux métiers de la qualité de vie requièrent de la compétence. Encore faut-il que nous voulions les reconnaître et les rémunérer à leur juste valeur. Nous portons une admiration à l'industrie, nous dénions notre estime au service. Donc, nos a priori culturels entretiennent le chômage. 

L'emploi c'est encore une volonté politique. Que le gouvernement soutienne les entreprises entre dans sa compétence. Encore faut-il qu'il s'attache à rechercher l'efficacité des francs versés. C'est de sa pleine responsabilité laquelle n'est pas, à notre avis, aujourd'hui assumée. C'est pourquoi, la CGC demande qu'en contrepartie des aides publiques les entreprises s'engagent pour l'emploi par la définition de contrat d'objectifs.

Q. : Mais que compte faire la CGC ?

R. : La CGC réitère sa proposition formulée il y a déjà plus d'un mois, à savoir que le patronat tienne le plus rapidement possible un sommet pour l'emploi auquel participent les partenaires sociaux. Ce n'est qu'en démontrant notre capacité à agir pour l'emploi que nous redonnerons l'espoir aux Français. 

Le Premier ministre doit rechercher avec les partenaires sociaux la définition des mesures concrètes organisant la mise en place de contrats d'objectifs préalables à l'attribution des aides.