Extraits d'une interview de M. Valéry Giscard d'Estaing, président de l'UDF, à RTL le 10 avril 1994, sur le choix d'une liste commune avec le RPR pour les élections européennes, sur le chômage et l'objectif de plein emploi, enjeu principal de l'élection présidentielle en 1995, et sur les relations entre la Chine et la France.

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Média : RTL

Texte intégral

Gorazde aux mains des Serbes

C'est vous qui m'annoncez la nouvelle de la prise de Gorazde par les Serbes (…) Si elle est exacte, c'est une honte ! (…) Gorazde était une ville qui figurait au nombre des zones de sécurité établies par le Conseil de sécurité au mois de mai dernier (…) Lorsqu'il y a eu les plans de partage de la Bosnie-Herzégovine, tout le monde s'accordait, y compris les Serbes, à ce que Gorazde soit incluse dans la partie bosniaque musulmane. Si donc elle a été prise aujourd'hui par la force, sans réaction et sans protection de la communauté internationale, c'est une honte ! (…)

Question : Une opération de l'OTAN, initialement prévue à titre préventif, serait-elle encore une solution opportune ?

Elle est évidemment trop tardive. Voilà huit jours que cette situation se développe (…) Le commandant des forces des Nations unies a voulu se rendre à Gorazde, il a été empêché de le faire. Il devait s'y rendre. Le représentant spécial des Nations unies chargé de surveiller les missions de l'ONU en Bosnie-Herzégovine (…) devait s'y rendre lui aussi. Et s'il y avait des obstacles, il fallait s'y rendre malgré les obstacles. (…)

Après Sarajevo, il fallait continuer d'agir sur le même tempo (…) montrer la même détermination. C'est ce que j'appelais "étendre la tache d'huile de la paix". Il fallait donc faire (…) ce que l'on a fait – un peu lentement – à Tuzla : ouvrir un aéroport ; il fallait mettre en place les administrations qu'on a annoncées dans telle ou telle ville de Bosnie, par exemple à Mostar, sous une responsabilité européenne ; et puis il fallait maintenir la même pression, c'est-à-dire indiquer que chaque fois que les forces ne pourraient pas circuler librement ou qu'il y aurait des agressions dans les zones de sécurité, bien entendu, il y aurait réaction (…)

Question : Souhaitez-vous que la France prenne une initiative ?

La pression des forces serbes sur Gorazde ne date pas de cet après-midi. (…) Il y a plusieurs jours que le général Rose (…) a été empêché de s'y rendre. C'est à ce moment-là qu'il fallait intervenir. J'espère que la France l'a fait. (…)

Les conditions dans lesquelles les soldats russes ont été déployés n'appellent pas de réserves de notre part. (…) Ils sont sous commandement des Nations unies. (…)

Question : Le voyage de M. Balladur en Chine était-il opportun ?

Il me semble que les circonstances rendaient difficile la réussite de ce voyage. Vous savez que la Chine et les États-Unis sont engagés dans un bras de fer à propos de la situation des droits de l'homme en Chine et que les Chinois ont reçu, dans des conditions qui étaient proches d'un affront, il y a un mois, le ministre des Affaires étrangères américain. Tant que la décision ne sera pas prise du traitement commercial de la Chine en relation avec les droits de l'homme, ce bras de fer se poursuivra. Le risque était, et le risque a eu lieu, que les Chinois utilisent cette situation pour émettre des messages, non pas en direction de la France, mais en direction des États-Unis. Ils ont voulu dire que la gestion interne des droits de l'homme, et notamment le traitement des dissidents, était un sujet sur lequel ils entendaient conserver leur liberté de manœuvre et de décision. Ils l'ont fait à l'occasion de la visite d'un haut personnage, le Premier ministre français. (…)

Je demande depuis longtemps qu'on définisse une politique à long terme vis-à-vis de la Chine (…) Elle doit tenir compte de la psychologie chinoise (…), du fait qu'il faut toujours, vis-à-vis des grands dirigeants chinois, être en position de force. (…) Les Chinois évaluent toujours leurs relations avec leur interlocuteur, leur adversaire. (…) Il ne faut pas que cette relation les amène à penser qu'ils peuvent agir sans tenir compte de ses propres préoccupations. Il faut une politique à long terme, de coopération avec la Chine, mais dans laquelle certaines affirmations de la politique française soient nettement articulées. (…)

Le risque de guerre civile en Algérie

Dès le printemps dernier, lors d'un de nos déjeuners du mardi, j'ai alerté (…) le Gouvernement sur le risque de guerre civile en Algérie et sur le fait que cette guerre civile aurait des conséquences pour nous. (…)

Ce n'est pas à nous de faire les choix politiques de l'Algérie. Mais nous avons le devoir d'intervenir pour que les obligations de l'Algérie – respect des droits de l'homme et obligations internationales – soient strictement respectées. (…) Nous devons le faire dans l'ensemble des relations que nous pouvons avoir politiquement, diplomatiquement, bilatéralement avec l'Algérie.

Jirinovski au conseil de l'Europe

M. Jirinovski fait partie d'une délégation parlementaire. Notre règle a toujours été qu'une délégation parlementaire se déplace sous la responsabilité du pays qui l'envoie. Il s'agit d'un organisme international, le Conseil de l'Europe, et donc, à mon avis, le Gouvernement français a eu raison de ne pas intervenir. (…)

Le suicide de François de Grossouvre

Je ne connaissais pas François de Grossouvre : je l'ai rencontré une fois, à sa demande, il y a longtemps (…) Par contre, son épouse siège au Conseil économique et social d'Auvergne. (…) C'est à ce titre que je lui ai envoyé un télégramme de condoléances. (…)

Ce qui est important, c'est le choix qu'il a fait. Pourquoi, s'il avait une raison strictement personnelle de mettre fin à ses jours, (…) s'être rendu à l'Élysée (…) pour s'y suicider ? C'est donc une question qui, à mon avis, concerne les relations entre le Président de la République et M. de Grossouvre (…)

S'il s'agit de raisons de caractère entièrement privé, cela ne justifie pas d'interrogations. Si elles concernent les activités qu'a pu exercer M. de Grossouvre, à ce moment-là, elles concernent les citoyens. (…) C'est aux intéressés eux-mêmes de s'exprimer, s'ils ont l'intention de le faire. Et c'est aux journalistes de s'interroger.

Dominique Baudis – Tête de liste de la majorité aux européennes

Question : Certains disent que la désignation de M. Baudis est un "coup de Giscard"…

Vous pensez vraiment que j'ai le bras long ! Voilà une histoire qui s'est déroulée dans une forme totalement parfaite : c'était un vote à bulletin secret, de personnes indépendantes et, pour que cela se déroule dans des conditions parfaitement régulières, j'ai suggéré que le président du Sénat, René Monory, présent puisqu'il fait partie de notre bureau politique, supervise le déroulement des opérations. Les gens ont voté, individuellement, aucune pression ne s'est exercée sur eux (…) et ils ont choisi entre deux bons candidats (…) de profil très différent (…) Soyons démocrates, respectons le choix de ceux qui ont voté. (…)

Depuis plusieurs semaines, on disait qu'il y aurait sans doute deux candidats : Jean-François Deniau et Dominique Baudis. Comme ce devait être la tête de la liste commune du RPR et de l'UDF, il était normal que je teste les réactions de Jacques Chirac, ce que j'ai fait directement auprès de lui. (…)

Question : On dit que le n° 2 de la liste, un RPR, serait un anti-Maastrichtien…

J'ai eu Jacques Chirac au téléphone. Il m'a dit : "La règle est simple, à partir du moment où la tête de liste est UDF, c'est l'UDF qui choisit et nous n'avons pas à intervenir dans les débats internes de l'UDF." Moi, je vous dirai la même chose pour le n° 2 : c'est au RPR de le choisir librement.

Simplement, il y a un point important, c'est que nous avons un programme commun sur l'Europe, que nous avons négocié longuement. Ce programme est très détaillé et comporte des engagements précis, notamment l'application du traité de Maastricht, le respect de son calendrier, l'union monétaire, etc. Tous les membres de la liste s'engageront, bien sûr, à soutenir ce programme. (…) Ce programme a été signé par deux personnalités qui comptent puisque ce sont les deux secrétaires généraux de l'UDF et du RPR et que celui du RPR n'est autre que le ministre des affaires étrangères, qui a donc la responsabilité de la politique extérieure de la France, et notamment européenne. Donc, le RPR est engagé au même titre que nous. (…)

La campagne de M. Giscard d'Estaing pour les élections européennes

Dans la campagne européenne, je compte intervenir pour deux objectifs. (…)

Premièrement, pour dire aux Français qu'il faut voter. (…) S'il y a beaucoup d'abstentions, ce sera très mauvais pour la France et pour ceux qui souhaitent que l'Europe échappe à la technocratie de Bruxelles. (…) Ma campagne consistera à dire : votez pour Strasbourg contre Bruxelles, votez pour le Parlement contre la technostructure, ou en tout cas pour limiter les pouvoirs de la technostructure !

Deuxièmement, (…) c'est toute l'Europe qui est actuellement frappée par le chômage, avec 11 % de chômeurs. Il faut donc forcer les institutions européennes à s'occuper davantage de l'emploi et, pour cela, il faut envoyer au Parlement européen des députés auxquels on donnera ce message. (…)

Une ou deux formations de la majorité ?

Il y a dans notre majorité depuis mars dernier une grande question : faut-il qu'il y ait une formation unique ou deux formations ? (…) Jacques Chirac et moi avons analysé la situation et avons abouti à la même conclusion : dans les circonstances actuelles (…), il est préférable d'avoir deux formations. (…) Il faut entre l'UDF et le RPR une alliance, mais pas n'importe quelle alliance : elle doit être confiante et chaleureuse. (…)

Les enjeux de l'élection présidentielle

J'ai une ambition tout à fait précise : c'est que le débat présidentiel de 1995 soit utile pour la France. (…) Je souhaite que la situation politique se clarifie à l'occasion de l'élection présidentielle. Ma "carrière" (…) s'est lancée en 1962 quand, minoritaire dans mon groupe, j'ai soutenu le projet du Général de Gaulle de faire élire le Président de la République au suffrage universel. (…) J'ai été convaincu par l'argument simple du Général de Gaulle : Il faut qu'il y ait dans la vie politique française un moment où les Français puissent se décider sur l'essentiel. (…) Quel sera l'essentiel en 1995 ? Ce sera la capacité de la France de mettre fin à quinze années de chômage. (…)

Question : Il est évident pour vous que l'élection présidentielle se jouera sur la question du chômage ?

C'est une évidence depuis quelques semaines. (…) Un an après, bien que le Gouvernement ait fait beaucoup d'efforts, la situation du chômage ne s'est pas encore redressée (…) et l'on sent bien que, môme s'il y a une amélioration de la situation économique, elle ne suffira pas à faire disparaître les trois millions de chômeurs. La question essentielle est donc de savoir si nous sommes capables de concevoir une politique nous permettant de revenir à une situation qui était la nôtre, celle d'un quasi-plein emploi. C'est le grand enjeu de 1995 et, à mon avis, c'est là-dessus que tout va se jouer.

L'objectif du plein emploi

Il faut se fixer comme objectif le retour à une situation de plein emploi. (…) Mais ce sera le plein emploi de l'an 2000 mais non celui des années soixante. (…) Il faut bien réfléchir aux secteurs et aux activités qui vont créer des emplois. (…) On ne peut pas se contenter de petites mesures. Revenir au plein emploi, c'est-à-dire se fixer, comme premier objectif .dans une période de quelques années, de diminuer de moitié le nombre des chômeurs en France, cela ne peut pas se faire par de petites mesures. (…) Il faut agir sur les causes de façon à pouvoir proposer une nouvelle politique de l'emploi. (…)

Ce n'est pas une politique alternative par rapport à la politique actuelle, c'est tout simplement une politique qui va beaucoup plus loin. (…) Pour remettre au travail trois millions de personnes, il faut toucher à des tabous. (…) Les septennats de 1981 à 1995 seront dans l'histoire les septennats du chômage. (…)

Je suis en train de travailler sur ce qu'on peut proposer. Il faut être très scrupuleux. Ne pas embobiner les gens. (…) Je peux d'ores et déjà vous dire que le SMIC n'est pas au centre du débat parmi les causes de la situation actuelle. (…)

On n'a pas vu la nécessité de cette politique. Beaucoup de gens ont cru (…) que finalement II suffisait de corriger la situation actuelle pour faire disparaître le chômage. (…)

C'est au Gouvernement de prendre l'initiative. Nous le soutenons, nous lui présenterons des propositions. (…) Je ne suis pas sûr que, jusqu'à présent, il ait été convaincu d'un tel changement. (…) J'ai regardé cette affaire à fond et j'ai abouti à la conclusion que, s'il n'y avait une nouvelle politique de l'emploi, nous resterions dans une zone élevée et insupportable de chômage. (…)

Il faut cesser de bloquer le système sur le SMIC. (…) C'est provoquant ! Par ailleurs, il faut mettre en place des systèmes décentralisés, régionalisés. Il faut que les régions proposent système d'insertion professionnelle et, avant qu'une décision soit prise, Il faut une concertation approfondie avec les jeunes, le système de formation, les employeurs (…) et les syndicats. (…)

Les taux d'intérêt

À moyen terme, ce qui a alourdi le chômage, ce sont des intérêts réels trop élevés en France par rapport à d'autres pays et le fait que nous ayons trop fait porter le financement de notre système social sur les salaires. (…) Nos taux à court terme restent trop chers. (…) J'avais un découvert à mon compte bancaire et on m'a fait payer 77,94 francs. (…) Les "facilités de caisse automatiques" étaient assorties d'un taux de 13, 250 %. Mais "l'utilisation au-delà de cette facilité" était affectée d'un taux de 16,250 %. (…) L'objectif doit être que les taux réels en France soient comparables à ceux de nos principaux concurrents et, bien entendu, de l'Allemagne.

Le chômage est-il illégal ?

Question : Diriez-vous comme Bernard Tapie qu'il faut rendre le chômage illégal ?

Cette déclaration ne m'a pas choqué. Naturellement, elle est inapplicable. Qui allez-vous sanctionner si un jeune est chômeur ? Personne ! Mais cela ne m'a pas choqué par ce que je ressens comme lui que le chômage est inacceptable. (…) Je ne dis donc pas que le chômage est illégal, mais je dis qu'il est inacceptable.

Programmation militaire et élection présidentielle

La solution raisonnable est de voir quelles décision II faut prendre tout de suite. Pour assurer la continuité des fabrications, lancer des recherches sur de nouveaux types de matériels, il n'est pas nécessaire d'attendre un an. Par contre, il évident que les choix stratégiques fondamentaux seront faits en 1995. (…)

Les deux sujets centraux de préoccupation de M. Valéry Giscard d'Estaing

Pour les mois à venir, j'ai deux sujets centraux de préoccupation : l'emploi (…) ; le déroulement des élections européennes et la place de la France dans l'Europe.

M. Haberer et le Crédit Lyonnais

Je signerai, avec la totalité, me semble-t-il, des membres du groupe UDF la demande de création d'une commission d'enquête. Pour une raison simple : si les comptes qu'on nous donne sont d'un ordre de grandeur juste, cela veut dire que chaque ménage français va perdre dans cette affaire mille francs. (…) Il faut savoir pourquoi.

Pourquoi a-t-on nommé M. Haberer au Crédit national ? Lorsque la chose a été décidée, personnellement, j'ai émis des réserves. Tout le monde savait que la gestion du Crédit Lyonnais posait un problème. Or le Crédit national est un organisme proche de l'État. M. Haberer a été nommé le 12 novembre dernier… par le Gouvernement Balladur, mais à la demande de qui ? (…)