Déclarations de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur le bilan de la politique étrangère de la France et ses orientations à la veille de l'accession à la présidence de l'Union européenne, à Paris les 1er et 5 septembre 1994.

Prononcé le 1er septembre 1994

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence des ambassadeurs de France à Paris du 1er au 5 septembre 1994

Texte intégral

Conférence des ambassadeurs discours du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé (Paris, 1er septembre 1994)

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, il y a un an, pratiquement jour pour jour, je réunissais ici même la première conférence des ambassadeurs et je vous avais alors proposé d'engager ensemble une grande réforme du Quai d'Orsay.

J'avais souligné que cette réforme n'était pas une fin en soi niais que notre outil diplomatique rénové devrait être mis au service d'un projet politique cohérent et ambitieux.

Du point de vue de sa diplomatie, la France est en effet dans une situation originale : d'un côté, le réalisme devrait parfois l'inciter à la modestie et à la prudence. Aucun d'entre nous ne peut totalement éluder cette question dérangeante : "avons-nous les moyens de nos ambitions ?" et je vous avoue que je me la pose parfois moi-même, notamment à l'issue de certaines conférences budgétaires.

Mais d'un autre côté, nous éprouvons, au plus profond de nous-mêmes, la volonté d'agir. Nous savons plus ou moins clairement que la France peut jouer un rôle mondial ; que notre refus obstiné du fait accompli ou de la fatalité nous désigne souvent pour lutter contre la montée de la violence, de l'intolérance et de l'injustice ; que notre tradition d'indépendance – héritage incontesté du Général de Gaulle – nous crée des responsabilités particulières.

Comment sortir de ce dilemme ? Comment résoudre cette apparente contradiction ?

Une seule voie nous est ouverte : celle de l'esprit d'initiative et de proposition. C'est par l'imagination, le sens du mouvement, la détermination dans l'exécution et, par-dessus tout, la volonté de tenir son rang, que la France peut s'affirmer telle qu'elle veut être, c'est-à-dire une grande puissance.

Voilà le sens de notre combat, voilà ce que tout au long de l'année écoulée, nous avons essayé de faire ensemble :
– sur le front économique, dans la négociation du GATT ;
– en Bosnie, en rassemblant nos partenaires européens, américains et russes ;
– au Rwanda, en sauvant l'honneur de la communauté internationale ;
– mais aussi ailleurs dans le monde, par exemple en renouant avec la Chine, en reprenant notre place au Moyen-Orient ou en tenant bon face au drame algérien.

Vous avez, chacun à votre poste, apporté votre contribution à ce combat de la France pour la défense de son rang, qui est aussi notre combat pour un idéal et pour une morale de la vie internationale.

Sans doute avez-vous parfois l'impression, à la lecture des récits qu'on fait ici ou là des grandes crises ou des grandes négociations, qu'on vous oublie ou qu'on vous caricature ; je sais, moi, le dévouement, la loyauté, l'esprit de sacrifice qui sont lés vôtres et ceux de vos familles, et lorsque je prononce les mots d'esprit de sacrifice, ma pensée va bien sûr à ceux des agents au Département qui, depuis notre dernière rencontre ont hélas payé de leur vie le service de la France, madame Afri en janvier 1994, M. Tourreille en août dernier ; ma pensée va à tous les agents de l'État qui ont connu le même destin, gendarmes ou fonctionnaires des Finances, ainsi qu'à l'ensemble des personnels qui continuent de servir dans des situations particulièrement périlleuses et le nom de l'Algérie vient évidemment sur toutes les lèvres.

Je voulais d'emblée vous dire ce matin ma reconnaissance et partager avec vous la fierté d'avoir ensemble participé, depuis plus d'un an, à la conception et à la mise en œuvre d'une politique étrangère que même des détracteurs obtus ne pourraient qualifier de floue ou d'attentiste. Ayons, pour une fois, la coquetterie de la litote…

Cette deuxième conférence des ambassadeurs nous donnera pendant trois jours l'occasion de nombreux échanges de vues.

J'ai souhaité faire, dès ce matin, le point des trois questions qui me paraissent au cœur de ces rencontres :
– où en est la réforme du ministère ?
– quel bilan peut-on dresser de notre action au cours de l'année qui vient de s'écouler ?
– quels sont les objectifs que nous nous fixons pour l'année qui vient ?

L'an dernier, à la même date, dans cette même salle, je vous avais annoncé une réforme du ministère, portant à la fois sur la réorganisation de l'Administration centrale, l'amélioration de nos méthodes de travail et une clarification des relations avec les postes à l'étranger. Certains, parmi vous, ont dû sourire et penser que cette énième réforme aurait, dans sa mise en œuvre, autant de succès que les précédentes.

Notre réforme du Quai d'Orsay s'appuyait sur 4 idées :
– mieux utiliser notre réseau à l'étranger ;
– mobiliser les agents du ministère ;
– renforcer le fonctionnement interne du Département ;
– restaurer dans l'État la mission de souveraineté du Quai d'Orsay.

Premier constat qui vous paraîtra sans doute une marque d'autosatisfaction, mais c'est une autosatisfaction qui, je l'espère, est collective : le pari, globalement, a commencé à être tenu.

Malgré les difficultés auxquelles il fallait s'attendre, la réorganisation de l'Administration centrale a été menée à bien grâce au décret du 4 novembre 1993, premier texte constitutif du ministère des Affaires étrangères (puisque ce ministère vivait jusque là sans aucun organigramme officiel).

La circulaire du Premier ministre à tous les membres du gouvernement rappelant en particulier le rôle de coordination des ambassadeurs a été signée et diffusée, sinon toujours – mais ce n'est qu'un début – intégralement appliquée.

Enfin, au terme d'un long processus gouvernemental, le Comité interministériel des Moyens de l'État à l'Étranger a vu le jour. Une première réunion du CIMEE s'est tenue au mois de mars. Une seconde aura lieu dans les prochains jours. Le Comité permanent s'est réuni à trois reprises sous l'autorité du secrétaire général du gouvernement, notre secrétaire général, M. Dufourcq, en étant le rapporteur. Je sais qu'il faudra du temps pour que cette instance atteigne sa vitesse de croisière et que des conséquences pratiques soient tirées de ses travaux. Je ne sous-estime pas les blocages que nous avons rencontrés et que nous rencontrerons. Mais je crois que notre dossier est bon, que les procédures sont claires, que la méthode de travail est efficace. Nous devons donc persévérer. Le Département montre ainsi l'exemple de ce que doit être la réforme de l'État.

Au sein même du ministère, des structures nouvelles ont vu le jour. Quatre directions générales fonctionnent. Elles constituent d'une certaine façon l'ossature de la maison. Elles ont été totalement remaniées, et leur organisation interne a été adaptée à leurs missions nouvelles. La direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques a conçu sa propre réforme avec le souci de renforcer la continuité nécessaire entre nos choix politiques et nos actions de coopération. C'est un des points que j'ai pu évoquer avec l'ensemble des conseillers culturels que nous avons réunis à Paris à la fin du mois de juillet.

Une réforme, ce n'est pas seulement des textes, je viens d'en rappeler quelques uns, ou des structures administratives, c'est aussi un esprit.

J'avais, l'an dernier, particulièrement insisté sur les méthodes de travail, les procédures, la nécessaire coordination dans une maison qui était parfois trop éclatée. Des efforts ont été faits en ce domaine. Les relations entre l'Administration centrale et les postes me paraissent plus fluides ; les ambassades sont mieux informées. Les progrès sont réels et, c'est vous qui l'avez dit, je l'ai constaté en lisant les télégrammes par lesquels vous avez donné votre appréciation sur cet aspect la réforme : dans l'ensemble, sous réserve de quelques adaptations ou de quelques critiques, vous vous félicitez de ces changements. Je dirai quant à moi que la rigueur apportée dans la présentation et ça compte, et aussi la rédaction des télégrammes facilite grandement la lecture de cette correspondance qui est absolument essentielle à la conduite de notre politique étrangère. Cet effort doit être poursuivi et accru.

De nombreux changements sont aussi intervenus dans des domaines moins spectaculaires, mais également importants les instructions aux ambassadeurs, les plans d'action, les télégrammes quotidiens de presse, les télégrammes d'actualité, les actions de formation menées auprès des universités ou des chambres de commerce. Le Département, en un mot, s'est adapté, réformé, mobilisé, et je crois, a affirmé son existence vis-à-vis du monde administratif extérieur ou de la société civile.

Je tiens à rendre ici hommage à l'action menée par le Secrétaire général dans l'application de la réforme. Je lui avais confié l'an dernier une mission difficile : celle d'être l'animateur du réseau, le coordonnateur des services, le chef de l'administration et le chef du corps, fonctions qu'il ajoute aux tâches traditionnelles d'un secrétaire général des Affaires étrangères. Il s'en est acquitté avec autorité et finesse et je l'en remercie. J'insiste tout particulièrement sur le rôle d'animation des services et sur la nécessaire coordination entre eux ; je sais qu'il y a dans ce domaine encore des progrès à faire. La notion de chef de file par exemple sur un dossier déterminé n'est pat toujours entrée dans les mœurs. Je demande donc au Secrétaire général de rester vigilant sur ce point et de me faire, s'il l'estime nécessaire, les propositions utiles.

Voilà les réflexions que je voulais vous livrer sur une année de mise en œuvre de notre réforme. Le travail est nourri, les initiatives sont nombreuses, les résultats sont importants. Je souhaite que le rythme ne se ralentisse pas et que nous poursuivions ensemble la modernisation de notre ministère afin de donner à notre pays l'outil diplomatique dont il a besoin.

Je voudrais maintenant vous indiquer les orientations que, dans cette perspective, je souhaiterais voir mises en œuvre cette année pour poursuivre cette modernisation du ministère.

J'ai retenu un certain nombre de propositions que développera dans quelques instants le Secrétaire général.

Le premier volet concerne le personnel du ministère.

J'ai à l'automne dernier demandé à M. Philippe Cuvillier, ambassadeur de France, de réfléchir à l'amélioration des conditions de vie et de travail des personnels, en particulier des agents de catégorie B et C.-M. Cuvillier m'a remis des propositions. Certaines sont très ambitieuses, ce qui n'est pas une critique. D'autres passent par un accord inévitable du ministère du Budget, ce qui n'est pas acquis d'avance dans le contexte que nous connaissons. D'autres enfin nécessiteraient de modifier le décret de 1967 sur les rémunérations des personnels diplomatiques et consulaires, et il nous a semblé hasardeux de nous lancer dans cette aventure.

J'ai pu néanmoins retenir dès cette année certaines propositions qui concernent l'amélioration de la situation des conjoints : par exemple l'information et une meilleure formation avant leur départ en poste, ou leur association pour assurer des préparations à d'autres départs en poste.

Nous devons aussi aider les conjoints qui le souhaitent à travailler, ou au moins à ne pas être pénalisés dans leur recherche de travail. La direction des Français à l'étranger et des étrangers en France engage actuellement des négociations avec certains pays qui en l'état actuel du droit n'acceptent pas ou n'autorisent pas les conjoints de diplomates de travailler ; la direction générale de l'Administration de son côté doit prendre l'attache de la Fonction publique pour voir si des formules moins rigides que la disponibilité pour les conjoints fonctionnaires de l'État pourraient être recherchées. Je sais enfin que dans le cadre du CIMEE, des administrations sont prêtes à s'engager à donner, à compétence égale, une certaine priorité aux conjoints. ll faut continuer en ce sens.

J'ai également retenu certaines propositions concernant la vie en poste les critères de prise en charge des logements à l'étranger seront précisés ; la préparation au départ en poste sera améliorée et la direction des Ressources humaines continuera à perfectionner les procédures de mutation. M. Dufourcq vous donnera tout à l'heure des chiffres qui montrent que la situation n'est, en ce domaine là, pas mauvaise. D'une manière générale, je vous demande aussi à tous, d'être attentifs à l'accueil de vos nouveaux collaborateurs, de quelque grade qu'ils soient, de quelque administration qu'ils viennent, car cet accueil à l'étranger est évidemment le premier visage du Département.

J'ai demandé au directeur général de l'Administration de procéder, sous l'autorité du secrétaire général, à un examen du tableau des indemnités de résidence afin que ce tableau reflète mieux qu'aujourd'hui l'ensemble des éléments de vie et de travail dans les pays étrangers. Il me remettra ses propositions avant la fin de l'année. Certaines disparités ne sont pas admissibles au regard des risques encourus dans certains postes pai rapport à d'autres où les conditions de vie sont équivalentes à celles que l'on connaît en France. J'avais enfin demandé à mon collègue du Budget de mettre à la disposition des postes une ligne consacrée aux frais de représentation pour les collaborateurs de l'ambassadeur. Sa réponse ayant été négative, nous explorons d'autres voies pour dégager ce crédit minimal destiné à vos principaux collaborateurs.

Un effort doit être fait pour ce qui concerne le logement des personnels à Paris. Nous avons pris dans ce domaine beaucoup de retard par rapport à d'autres administrations, il faut donc essayer de le rattraper : j'ai demandé que dès cette année le Département réserve des appartements dans un immeuble du 15e arrondissement à Paris pour les personnels de catégorie C qui rentrent de l'étranger. Cet effort, s'il est poursuivi pendant plusieurs années, devrait permettre la mise à disposition d'un nombre significatif de logements dans Paris intramuros pour les personnels des catégories les plus modestes.

Enfin, les syndicats n'ayant pas accepté ma proposition de création d'un fonds de prévoyance alimenté par une cotisation minime de tous les agents, nous réfléchissons à la manière de mettre en œuvre cette mesure de solidarité sociale qui avait été acceptée par le ministère du Budget.

Le deuxième volet de la poursuite de la réforme concerne la gestion des postes. C'est une des conditions de l'efficacité du Département. Et dans le cadre du CIMEE, nous devons être évidemment exemplaires.

Dans ce but l'expérience de globalisation des crédits qui avait été étendue en 1994 va être menée à bien : dès 1995, tous les postes à l'étranger bénéficieront de cette procédure nouvelle.

S'agissant de notre action immobilière, il est apparu que sa visibilité, comme on dit, est insuffisante, et qu'il nous faut programmer notre action sur une plus longue période. Le directeur général de l'Administration m'a proposé d'arrêter un programme général d'investissement patrimonial et de maintenance à l'étranger qui, au-delà d'un tableau de bord du patrimoine du Département, permettrait d'aboutir à une programmation annuelle des investissements immobiliers à l'étranger et à une programmation pluriannuelle de la gestion patrimoniale et immobilière qui donnera lieu non seulement à une prévision des investissements mais aussi de la maintenance.

Depuis un an, je le répète, beaucoup de dispositions ont donc été mises en œuvre. Vous avez, dans l'ensemble, par vos réactions à l'enquête menée par le secrétaire général au mois de juin, souligné l'importance qu'elles ont eues pour le travail quotidien des postes, nous allons en parler tout à l'heure, dans le débat qui s'instaurera entre nous. Peut-être la tonalité générale sera-t-elle moins positive que celle que j'ai trouvée dans vos télégrammes, cela arrive parfois. Il nous faudra en toute hypothèse poursuivre dans cette voie longtemps encore. C'est tout le travail et le rôle du Département dans l'État qui sont en cause. Il y va, en définitive de l'efficacité de notre diplomatie.

J'en viens ainsi, tout naturellement, à la deuxième question que je posais en commençant : quel bilan peut-on dresser de notre politique étrangère au cours de l'année écoulée ?

Premier acquis indéniable : le succès de la négociation du GATT, qui a été menée de bout en bout sous notre impulsion et sous l'autorité du Premier ministre, cela va de soi.

On a tendance à oublier aujourd'hui la situation dans laquelle nous nous trouvions en avril 1993 : la France isolée, une négociation complètement bloquée – j'ai le souvenir de mon premier Conseil Affaires générales du début d'avril 1993 –, un accord agricole détestable dit de Blair House. En septembre, encore, lorsque nous nous sommes rencontrés ici, rien n'était joué, rien n'était fait.

Or, l'accord a été conclu le 15 décembre 1993 sur des bases que tout le monde s'accorde aujourd'hui à reconnaître satisfaisantes. Je rappellerai les principaux points : un meilleur accès aux marchés pour nos produits ; un accord agricole qui correspond à nos objectifs, c'est-à-dire le maintien de la capacité exportatrice de la Communauté, le respect de la préférence communautaire, la pérennité de la politique agricole commune, la compatibilité du GATT avec cette PAC. Il faut ajouter la reconnaissance de l'exception culturelle, la création d'une Organisation mondiale du commerce qui aura notamment – ceci a été décidé à Marrakech – à traiter de nouveaux sujets tels que l'environnement ou les questions sociales dans leurs relations avec la concurrence et le libre-échange. Et parallèlement, le renforcement des instruments de politique commerciale de l'Union qui a été acquis in extremis par un vote, le 15 décembre précisément.

La signature officielle de cet accord est intervenue à Marrakech vous le savez le 15 avril dernier. Tout n'est certes pas réglé ! Les négociations doivent reprendre sur certaines questions qui ne sont pas résolues dans le cadre du cycle de l'Uruguay, je pense aux services, à l'aéronautique. Mais, nous pouvons d'ores et déjà, je crois, tirer deux leçons de cette négociation : d'abord, l'isolement de la France peut être surmonté lorsque nous nous en donnons les moyens, lorsque nous faisons l'effort de conviction et de mobilisation nécessaire. Ensuite, ce succès n'a été acquis que parce que nous avons pu mobiliser l'Union européenne tout entière ; c'est à Douze, et non pas tous seuls que nous avons gagné sur la scène internationale.

Le GATT donc, dans le cadre de l'Union. J'ajouterai que d'autres progrès de la construction européenne ont été enregistrés au cours de ces douze mois.

L'élargissement aux quatre pays de l'Association européenne de libre-échange (Autriche, Finlande, Norvège et Suède), avec la signature des traités d'adhésion en marge du Conseil européen de Corfou, le 24 juin dernier. Cette négociation a été difficile ; elle a été bien conduite par Alain Lamassoure et ses résultats ont été un succès pour l'Europe et pour la France : l'acquis communautaire a été repris intégralement ; nous n'avons accordé aucune dérogation générale et permanente ; les nouveaux États qui entrent, ou entreront dans l'Union, seront contributeurs nets au budget de la Communauté.

De même, des avancées très importantes sont intervenues pendant cette année dans le domaine de l'Union économique et monétaire avec l'entrée en vigueur de la 2e phase de l'UEM le 1er janvier 1994.

Je mentionnerai également la politique de croissance et de compétitivité de l'Union européenne. Ce sujet a été au centre du Conseil européen de Corfou, qui a pris des décisions importantes sur la base du Livre blanc de la Commission.

N'oublions pas enfin les premiers pas de la Politique extérieure et de sécurité commune dans le cadre de laquelle de nombreuses initiatives ont vu le jour :
– le plan d'action de l'Union européenne pour l'ex-Yougoslavie ;
– le Pacte de stabilité ;
– l'aide au processus de paix au Moyen-Orient ;
– l'assistance au processus démocratique en Afrique du Sud ;
– l'observation des élections du 12 décembre en Russie ;
– la non-prolifération.

Bien sûr, M. Dejammet le dirait mieux que moi, nous rencontrons encore des problèmes de méthode : ainsi en est-il du financement de la PESC. Mais le bilan d'une première année de PESC montre que l'Europe dispose à présent d'un installement de synthèse qui permet de dépasser le caractère simplement déclaratoire de l'ancienne coopération politique.

Deuxième grand domaine d'activité de notre diplomatie au cours de l'année écoulée : le conflit de l'ex-Yougoslavie.

Chacun reconnaît aujourd'hui le rôle moteur que nous avons joué depuis dix-sept mois pour mobiliser la communauté internationale, désigner et sanctionner l'agresseur serbe, protéger et secourir les populations civiles menacées, et promouvoir sans relâche la conclusion d'un règlement politique.

Les progrès réalisés au cours de ces derniers mois sont réels :

Sur le terrain d'abord. L'ultimatum de Sarajevo, qui a été lancé à notre initiative en février dernier, n'a pas simplement permis de redonner vie et espoir à la capitale bosniaque. Il a marqué un véritable tournant dans le conflit en permettant une réduction très marquée de l'intensité des combats et le passage de l'état de guerre tragique à ce que j'ai qualifié de "paix armée".

Sur le plan diplomatique, là aussi les progrès sont réels. C'est sous l'impulsion obstinée de la France, que la position des grandes puissances est aujourd'hui largement unifiée jusqu'en février dernier, c'était un dialogue de sourds entre Américains d'un côté, Russes de l'autre et Européens au milieu. La réunion ministérielle de Genève le 5 juillet dernier a permis, pour la première fois, d'agréer entre Européens, Américains et Russes des propositions communes précises en vue d'un règlement global du conflit. Ces propositions, qui reprennent très largement celles que Klaus Kinkel et moi-même avions formulées dès novembre 1993, préservent l'unité de la Bosnie-Herzégovine dans ses frontières internationalement reconnues, définissent une répartition territoriale équilibrée entre ses diverses composantes. Elles créent, pour la première fois sans doute depuis deux ans, une chance de paix.

Sur cette base l'entreprise de reconstruction de la Bosnie a déjà été engagée, avec une contribution très active de la France : par exemple, notre participation à la réhabilitation du réseau électrique de Sarajevo, ou à l'administration de Mostar qui, sous l'égide de l'Union européenne, a débuté solennellement le 23 juillet dernier.

Les derniers événements en Bosnie nous placent, à nouveau, devant une alternative radicale : alors que les progrès très sensibles obtenus ces derniers mois, pour une large part, je l'ai rappelé, sous l'impulsion de la France, mettent la conclusion d'un accord de paix à portée de main, l'intransigeance dont font preuve aujourd'hui les Serbes de Bosnie menace de ranimer la guerre, et appelle donc la plus grande détermination de la communauté internationale.

Dans ce contexte, les ministres des Affaires étrangères des pays participant au groupe de contact, qui se sont réunis le 30 juillet à Genève, ont adopté des mesures très fermes qui s'imposaient, avec un schéma en trois phases. Première phase : renforcement sévère tout d'abord des sanctions à l'encontre des parties qui refusent le plan de paix ; puis deuxième étape, application très stricte et extension des zones dites d'exclusion, c'est-à-dire des zones dans lesquelles ne peuvent être tolérées ni la présence d'armes lourdes non contrôlées par la FORPRONU, ni aucune concentration de troupes. Nous avons constaté enfin, troisième niveau, que si ces mesures ne devaient pas produire l'effet escompté, alors, la levée de l'embargo sur la fourniture des armes pourrait, en dernier ressort, et je reprends le terme même de notre déclaration de Genève, devenir inévitable.

Mais il est clair, comme nous l'avons toujours dit, comme le Président de la République le rappelait hier, qu'une telle mesure que j'ai personnellement qualifiée de solution de désespoir, je parle de la levée de l'embargo, supposerait le retrait préalable et effectif de la FORPRONU, avec toutes les conséquences qui en résulteraient : fin de l'aide humanitaire, intensification des combats, extension du conflit. Il faut que chacun et notamment parmi ceux qui présentent cette levée de l'embargo comme la panacée ait clairement conscience des responsabilités qu'il prend en la poussant.

Ces mesures de fermeté, adoptées pour une large part sous notre impulsion, commencent aujourd'hui à porter leurs fruits : les provocations serbes ont sensiblement diminué sur le terrain, même si une constante vigilance s'impose ; surtout, les Serbes de Belgrade ont formellement soutenu le plan du groupe de contact et établi à l'égard des Serbes de Bosnie un blocus qui semble à ce jour respecté et qui doit être vérifié.

Il y a là incontestablement un élément nouveau qui est positif, et qui peut contribuer à rallumer l'espoir de paix. Faut-il pour autant remettre en cause la position de fermeté qui a été adoptée ?

Ma conviction est que ce serait une grave erreur. Le chemin de la paix passe plus que jamais par la détermination des grandes puissances concernées à mettre en œuvre les mesures décidées, tant que les Serbes de Bosnie n'auront pas enfin accepté le projet de règlement proposé, et je rappelle qu'un projet de résolution renforçant les sanctions sur Pale, prêt à les alléger sur Belgrade dès lors que Belgrade accepterait un contrôle international de sa frontière sont à l'ordre du jour au Conseil de sécurité. Personne ne doit douter à cet égard de la volonté de la France.

Troisième point fort du bilan : l'action de la France en Afrique.

Elle est fondée sur un constat : il n'y a pas de "fatalité" africaine et, si le continent est parfois confronté à des difficultés graves, la France, par sa connaissance de l'Afrique et grâce à une politique traditionnellement active, peut y jouer un rôle déterminant.

Ainsi, face à la détérioration continue de l'économie des pays de la zone franc, la France a encouragé ses partenaires africains à dévaluer le franc CFA et, par des mesures d'accompagnement généreuses et bien adaptées, les a soutenus dans la voie d'un redressement qui est déjà sensible aujourd'hui – que n'avait-on prédit, là encore, comme catastrophe ! –, Cette dévaluation était inéluctable et si, la décision en avait été repoussée par les gouvernements précédents, c'était sans doute par peur de bousculer des habitudes, alors même que l'Afrique s'enfonçait chaque jour davantage dans la crise. Le voyage que j'ai effectué en Côte d'Ivoire et au Sénégal six mois après le Sommet de Dakar, la réunion des ambassadeurs que j'y ai tenue, m'ont permis de constater, malgré certaines difficultés, un réel redémarrage des économies.

Comme le Président de la République le constatait lui-même hier, on peut dire que cette opération dévaluation est sans doute en train de réussir. Au vu des résultats, déjà encourageants, nul n'oserait plus prétendre aujourd'hui que la France a lâché l'Afrique comme on l'a dit imprudemment.

De même, la France est aux côtés de l'Afrique dans les crises politiques et humanitaires qui la frappent et sa détermination permet une large mobilisation internationale. Ainsi, au Rwanda, c'est la fierté de la diplomatie française que d'avoir proposé l'intervention militaire à vocation humanitaire qui, conduite sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, a permis de mettre fin aux massacres et d'apporter aide et protection à des millions de civils rwandais.

Je crois que l'opération Turquoise est symbolique de la vision que nous avons de l'Afrique. Alors que le monde se contentait de déplorer la tragédie rwandaise les bras croisés, la France a choisi l'action et démontré qu'il était possible de contribuer au retour de la paix.

En outre, Turquoise a apporté la preuve, s'il en était besoin, qu'en aucune façon la France ne se considère comme le gendarme d'un pré carré africain. Située dans le cadre d'un mandat précis du Conseil de sécurité qui a été respecté à la lettre dans ses objectifs et dans ses délais, l'intervention de la France a visé à précéder et à encourager une mobilisation de la communauté internationale tout entière, longue à déclencher, qui s'est d'abord manifestée par l'admiration qu'on m'a exprimée à notre égard, puis, c'est vrai, petit à petit, en intervention humanitaire sur le terrain. Les premiers à répondre à l'appel de la France ont été les Africains eux-mêmes, les Sénégalais, les Tchadiens, les Nigériens, les Congolais, qui n'ont pas hésité à rejoindre l'opération Turquoise dès son lancement, conscients plus que d'autres sans doute du drame abominable qui frappait le Rwanda. Plus tardive et incomplète, la mobilisation occidentale s'est néanmoins faite et ce n'est pas le moindre succès de la France que d'être parvenue à convaincre ses partenaires de venir en aide à l'Afrique en général et au Rwanda en particulier. Quand je parle de mobilisation occidentale, je suis peut-être en l'espèce un peu généreux pour l'Union européenne dont l'activité dans ce drame a été en dessous de ce que l'on pouvait en attendre.

Enfin quels que soient les procès d'intention qui ont pu être faits à la France, son action au Rwanda a veillé à ne pas interférer dans le règlement politique de la crise, qui revenait aux Rwandais eux-mêmes. Si la France est solidaire des pays africains dans leurs heures de détresse, il ne lui revient pas de choisir leur sort à leur place. Lorsque nous avons affirmé en partant au Rwanda que notre intervention avait des buts exclusivement humanitaires, un certain scepticisme s'est manifesté ici ou là, la démonstration a été faite et elle est aujourd'hui reconnue. L'opération Turquoise l'a clairement prouvé, mais aussi d'autres exemples : en Centrafrique, l'action résolue de la diplomatie française a consisté à créer les conditions d'élections démocratiques exemplaires et à permettre ainsi que la liberté de choix des Centrafricains s'exerce pleinement. Au Niger, pour ne prendre que quelques exemples, le ministère apporte son concours aux négociations entre le gouvernement de Niamey et les mouvements touaregs, sans interférer sur le fond mais en veillant à réunir en permanence toutes les conditions du dialogue, pour que celui-ci prévale sur l'affrontement armé.

Des liens resserrés sur des bases novatrices, c'est donc le bilan que l'on peut tirer d'un an de l'action que nous avons menée en étroite coopération avec mon collègue Michel Roussin en Afrique. En toute occasion, l'Afrique sait pouvoir compter avec la France sur un interlocuteur averti et disponible, qui conduit avec elle un partenariat sans frilosité, sans exclusive, ouvert et efficace, solidaire et exigeant.

GATT, ex-Yougoslavie, Afrique et Rwanda : ces temps forts de notre politique étrangère ne doivent pas nous faire oublier le travail de fond qui a été accompli sur de grands dossiers et dans différentes régions du monde et je voudrais, sans être trop long, en évoquer quelques uns parce qu'après tout, rares sont les occasions de faire la synthèse ou le bilan d'un an de travail.

Dans la construction d'une nouvelle architecture de sécurité en Europe, la diplomatie française s'efforce depuis plus d'un an de jouer un rôle d'impulsion en suivant trois lignes d'action principales :

Première ligne : développer par étapes – ça prend du temps – une identité européenne de défense et de sécurité crédible qui doit s'appuyer sur le renforcement de l'Union de l'Europe occidentale. Des progrès ont été réalisés au cours des derniers mois, tant sur le plan politique grâce au rapprochement avec l'Union européenne et une meilleure articulation avec l'OTAN, que sur le plan opérationnel, je pense aux progrès du Corps européen, ou aux progrès enregistrés également dans la mise en œuvre d'un système satellitaire européen. Donc l'identité européenne de défense.

Deuxième ligne d'action : rénover et rééquilibrer le partenariat transatlantique. Des avancées significatives là aussi sont à noter, qu'il s'agisse de la reconnaissance faite désormais sans ambiguïté aux États-Unis de la vocation de l'Europe à développer ses propres responsabilités en matière de défense, ou de l'adaptation nécessaire de l'Alliance atlantique à ses nouvelles missions, en particulier dans le domaine du maintien de la paix. Il est essentiel de poursuivre et de mener à bien cette profonde rénovation du partenariat transatlantique.

Troisième ligne d'action : réussir, à partir de ce pôle de stabilité européen, de l'Union européenne, de l'UEO, la grande Europe dans le domaine de la sécurité.

Tel est l'objet de l'initiative du Pacte de stabilité, lancée en avril 1993 par M. Édouard Balladur, et qui est devenue une action commune au titre de la PESC. La conférence inaugurale qui s'est tenue à Paris les 26 et 27 mai derniers a été un succès, la diplomatie française reste mobilisée pour mener à bien cette opération au premier semestre de l'an prochain par un ensemble d'accords de bon voisinage qui constitueront le Pacte de stabilité confié à la CSCE.

C'est dans cette même logique qu'à l'initiative conjointe de la France et de l'Allemagne, l'UEO a adopté le 9 mai dernier un statut d'association qui permettra, qui permet, aux pays ayant vocation à entrer dans l'Union européenne de participer dès à présent et très largement aux activités de l'UEO. Cette initiative est complémentaire du partenariat pour la paix engagé par l'Alliance atlantique avec le plein soutien de la France. Le partenariat nous a semblé en effet marquer un bon équilibre entre deux préoccupations : répondre au "vide de sécurité" ressenti par plusieurs pays d'Europe centrale et orientale ; éviter parallèlement qu'un élargissement prématuré de l'Alliance ne donne l'impression d'oublier, voire d'encercler, ceux qui en auraient été exclus, recréant ainsi la logique des blocs qu'il s'agit précisément de dépasser.

Dans cette perspective se pose la question du partenariat avec la Russie, qui doit être global et se traduire ainsi dans l'ensemble des enceintes internationales concernées. Des progrès en ce sens ont été réalisés à Corfou, avec la participation de la Russie aux délibérations du Conseil européen, puis à Naples avec le G7 et avec l'ouverture d'un véritable dialogue politique entre l'OTAN et la Russie, qui prenne en compte le rôle particulier de la Russie, sans lui conférer pour autant un droit de regard sur les décisions et l'évolution de l'Alliance.

Le souci de disposer d'un cadre global intégrant la Russie sur un pied d'égalité nous invitera à promouvoir le renforcement du rôle de la CSCE lors du prochain Sommet de Budapest.

En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, compte tenu du poids de l'histoire, de l'intensité des relations et de l'importance stratégique de cette région, notre action a visé trois objectifs.

D'abord, promouvoir la paix dans une région hélas traditionnellement troublée.

Notre soutien au processus de paix qui se développe entre Israël et les pays arabes a été immédiat, total et sans ambiguïté et nous a permis de jouer un rôle actif. Nous sommes heureux de constater que les principes que nous avons défendus avec vigueur depuis des années sont peu à peu mis en œuvre : dialogue direct entre les parties au conflit, solution globale impliquant tous les pays concernés, droit du peuple palestinien à l'autodétermination.

Notre appui à ce processus est tout autant politique qu'économique et financier. Nous participons activement et efficacement aux négociations en cours, notamment dans le cadre multilatéral ; nous avons apporté bilatéralement et par l'intermédiaire de l'Union européenne une contribution financière substantielle. Cette évolution nous a permis de renouer avec Israël des relations très confiantes. Le processus de paix est sur les rails ; il est irréversible, mais il doit être consolidé et élargi avec une contribution plus active de l'Europe.

Ce même souci de consolider la paix nous a conduit à apporter au gouvernement libanais notre appui sans réserve pour amorcer la reconstruction de son pays et affirmer son indépendance et sa souveraineté nationale, message dérangeant, mais constamment rappelé en toutes circonstances et à tous les interlocuteurs par la France.

La paix et la stabilité, nous la souhaitons également en Algérie, pays avec lequel nous avons tant de liens. C'est naturellement, je n'ai cessé de le répéter aux Algériens eux-mêmes qu'il incombe de définir leur propre destin. Le soutien économique que nous apportons à leur pays ou que nous avons incité, non sans mal, nos partenaires à lui apporter, n'a d'autre but que de faciliter le retour à la stabilité pour un meilleur bien-être du peuple algérien lui-même. Ce retour à la stabilité ne peut être acquis par la seule répression. Seul un dialogue avec les forces qui récusent la violence, seule une solution politique débouchant sur des élections lui donneront un caractère durable.

Deuxième objectif : assurer le respect de la légalité internationale. Celle-ci a été à plusieurs reprises dans les années récentes gravement menacée.

S'agissant de la Libye, ce pays doit respecter l'obligation qui lui est faite de coopérer avec la justice des pays qui ont souffert du terrorisme international comme le lui ont demandée les Nations unies et la position de la France sur ce point a été constamment réaffirmée.

Quant à l'Irak, il lui appartient aussi d'appliquer l'ensemble des résolutions des Nations unies. Nous souhaitons que ce pays retrouve sa place dans la communauté internationale et que le peuple irakien puisse être, le moment venu, débarrassé des lourdes contraintes de l'embargo qui pèse sur lui. La mise en œuvre du contrôle à long terme des armements irakiens, que nous souhaitons prochaine, devrait faciliter cette normalisation. La coopération de l'Irak avec la Commission spéciale présidée par l'ambassadeur Ekeus, est un signe encourageant. Il convient maintenant que l'Irak reconnaisse sans ambiguïté la souveraineté du Koweït ainsi que le nouveau tracé des frontières confirmé par la résolution 833 et qu'il accepte l'ensemble des résolutions du Conseil de sécurité.

Troisième objectif : renforcer nos relations bilatérales avec l'ensemble des pays du sud de la Méditerranée et du Moyen-Orient.

Les relations sont déjà étroites dans cette zone. Nous souhaitons un dialogue avec l'ensemble des pays qui la constituent. Dans la quasi-totalité des cas, il est confiant et constructif ; avec l'Iran, nous l'avons qualifié de "critique" et vous savez ce que ce mot recouvre. C'est en tout cas dans un esprit de dialogue que nous avons contribué à la naissance et je l'espère demain, au développement du Forum méditerranéen dont la première réunion a eu lieu, vous le savez, à Alexandrie le 4 juillet dernier.

Je soulignerai, pour illustrer l'importance accordée à cette zone que l'enveloppe annuelle que nous consacrons à l'Afrique du nord et au Moyen-Orient à la promotion de notre coopération culturelle et technique représente plus de 50 % de l'ensemble de nos moyens.

L'Asie et l'Amérique enfin ; la France a aussi vocation à être présente en Asie et en Amérique latine qui connaissent un développement économique rapide, parfois explosif, et souhaitent affirmer leur rôle politique.

Or, la France aujourd'hui et la France d'aujourd'hui n'y est encore pas bien connue ; notre objectif doit être de montrer le vrai visage de notre pays à ces nouveaux partenaires. La technologie, les services mais aussi la création contemporaine sont nos meilleurs atouts. Le succès du TGV en Corée nous montre la voie à suivre.

En Asie, depuis 18 mois la France a rétabli les relations compromises avec la Chine tout en préservant les liens tissés avec Taïwan. La coopération et le dialogue politique se sont densifiés avec le Japon. Avec l'Inde, nos relations sont entrées dans une nouvelle phase de développement. La priorité vis-à-vis de l'Indochine : Cambodge, Laos, Vietnam est maintenue et ce rôle nouveau de la France est le meilleur tremplin pour, au-delà, renforcer nos liens avec les pays dynamiques de l'ASEAN. Dans le cadre des relations particulières qui unissent la France au royaume du Cambodge, notre pays a apporté un soutien sans faille au roi et au gouvernement royal, issu des élections de 1993.

En Amérique latine, enfin, l'intégration régionale est un nouveau défi pour l'Europe et les conditions n'ont jamais été aussi favorables à une relance de nos relations avec ce continent comme j'ai pu m'en rendre compte lors de mon voyage au Mexique. À nous de saisir cette chance. Dans les Caraïbes, des problèmes politiques graves persistent avec Haïti et Cuba, où les régimes en place continuent de violer quotidiennement les principes de base de la démocratie, et font ainsi le malheur de leur peuple. La France affirme sa volonté de développer la coopération régionale en participant à la création d'une nouvelle Association des États Caraïbes, au titre de ses départements de Guadeloupe, Guyane et Martinique.

Je terminerai cet essai de bilan par un mot de la politique de la France vis-à-vis des Nations unies.

Les Nations unies n'ont jamais été autant sollicitées, alors même que les moyens d'agir ne leur ont jamais autant fait défaut.

L'Organisation fait l'objet de vives critiques dans la presse et parfois dans le monde politique ; elle se voit fréquemment reprocher ses insuffisances. La France ne suit pas cette ligne qui est, trop souvent, celle de la facilité.Il faut revenir à un constat simple : l'ONU n'existe et n'agit que par la volonté de ses États membres. L'échec des Nations unies est donc, ou serait celui des nations qui la composent et plus encore de celles qui y exercent une fonction particulière. La France, avec son siège de membre permanent du Conseil de sécurité, dont nous nous prévalons souvent pour affirmer notre statut de grande puissance dispose d'un vecteur incomparable pour mettre en valeur sa diplomatie. Mais cette qualité lui confère évidemment des responsabilités particulières. C'est pourquoi j'ai délibérément souhaité accorder une grande importance à notre politique vis-à-vis de l'ONU ; la France participe activement à ce titre aux mutations de l'institution.

Je persiste à considérer comme essentiel un fort niveau de participation de notre pays aux opérations de maintien de la paix. Deuxième contributeur en troupes aux Nations unies, la France en tire une expérience irremplaçable, qui lui permet de s'exprimer avec une légitimité particulière au Conseil de sécurité.

Au-delà des opérations de maintien de la paix, notre pays s'implique fortement dans les autres activités du système onusien : avec l'OMS, elle accueillera en décembre prochain un Sommet des chefs d'États et de gouvernements consacré à la lutte contre le Sida dans les pays du tiers monde. Elle prépare activement la conférence sur la population et le développement du Caire, dont on connaît la difficulté, la conférence mondiale des femmes de Pékin et le Sommet social de Copenhague. Car c'est aussi le rôle des Nations unies que d'aborder les grands problèmes de la société de notre temps.

Pour aider l'ONU à faire face à tous ces défis, la France l'accompagne dans sa nécessaire réforme afin de rechercher des solutions constructives à la crise qu'elle traverse : face à la difficulté croissante à mobiliser des contingents pour de nouvelles opérations de maintien de la paix, – à l'exemple du Rwanda –, la France est à l'origine du concept de modules de forces en attente et elle a proposé avec l'accord du Premier ministre de mettre à la disposition du secrétariat général un module de 5 000 hommes, chiffre qui pourra être accru dans l'avenir. Pour contrer la crise financière aiguë que traverse l'organisation, j'ai veillé à ce que la France maintienne son image de contributeur exemplaire et proposé que des mesures soient prises contre les mauvais payeurs. J'ai également suggéré que soit créée une cour de discipline budgétaire.

Enfin, j'ai souhaité que la question de la réforme du Conseil de sécurité soit abordée avec réalisme et sans frilosité : ouverte à un élargissement du Conseil et à un accroissement du nombre des membres permanents, parce que c'est le sens de l'histoire. La France reste toutefois attentive aux préoccupations d'efficacité et d'équité qui doivent guider la réforme.

C'est donc en partenaire actif et en allié constructif que la France entend poursuivre son action aux Nations unies.

Ce bilan de notre action sur un an, incomplet bien que long, est riche d'enseignements. Il constitue une base solide pour notre travail des douze prochains mois. Je voudrais précisément aborder maintenant le programme de travail qui nous attend. Je ne le ferai pas de manière exhaustive, je vous rassure, je m'en tiendrai à ce qui sera à mes yeux la grande affaire de la période qui vient, je veux parler de la Présidence de l'Union européenne que nous exercerons au premier semestre de l'année prochaine.

Je vous propose de nous fixer comme première priorité de réussir cette Présidence.

Nous nous y préparons depuis le début de 1994. M. Peltier, secrétaire général de la présidence française, assure la préparation des aspects logistiques et budgétaires. Sur le fond, un exercice interministériel de définition des priorités a été lancé.

J'insisterai ici sur trois aspects de la tâche qui nous attend, nous, ministère des Affaires étrangères :

J'aborderai d'abord le contexte dans lequel cette présidence va s'engager, puis les priorités que le gouvernement lui assigne. Enfin, le rôle que doivent jouer à cette occasion nos ambassades, dans l'Union et dans les pays tiers.

Le contexte du début de l'année 1995, dans l'Union européenne sera profondément renouvelé, et d'abord des institutions profondément renouvelées en janvier 95.

Ce sera le cas du Conseil lui-même, qui devrait passer de douze à seize membres – peut- être 14, peut-être 15. On peut ajouter que le secrétaire général du Conseil, vous le savez, vient de changer.

Ce sera le cas de la Commission qui aura été entièrement renouvelée le 6 janvier 1995. Nous sommes pleinement satisfaits dé la désignation de M. Santer à la Présidence de cette Commission. J'ai rencontré, avec M. Alain Lamassoure, M. Santer, avant-hier à Luxembourg, pour évoquer la mise en place de la nouvelle Commission.

C'est enfin le cas du Parlement européen, à la suite des élections des 9 et 12 juin. Rappelons que ce Parlement dispose de pouvoirs considérables aux termes du traité de l'Union européenne ; pouvoirs qu'il va commencer à utiliser au cours des prochaines sessions. Ses premières décisions (courte majorité pour M. Santer, rejet de la directive sur la téléphonie vocale, fortes exigences budgétaires) montrent qu'il se posera en acteur exigeant et sans doute difficile ; l'une des tâches les plus lourdes et les plus complexes de la Présidence sera d'entretenir le dialogue avec ce nouveau Parlement européen.

Contexte marqué aussi par une période de transition pour l'Union elle-même.

On pourrait considérer que les grandes négociations des années 1990 - 1994 sont achevées (le paquet Delors, la réforme de la PAC, Maastricht, le GATT, l'élargissement) et qu'il faut les digérer.

Mais de nouvelles grandes négociations se profilent à l'horizon : le futur élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale et sans doute à Chypre et Malte et, deuxième grand rendez-vous, la Conférence intergouvernementale de 1996, prévue par le traité de Maastricht.

Je voudrais d'emblée insister sur l'importance à nos yeux de cette conférence. Je l'ai dit à plusieurs reprises, cela a été répété à Corfou : il s'agit à nos yeux d'un préalable à tout élargissement. Nous n'avons pas pu réformer les institutions de l'Union avant l'élargissement qui est actuellement en cours aux quatre pays que vous connaissez, tout simplement parce qu'il en avait été décidé ainsi, il avait été décidé qu'il n'y aurait pas de réforme institutionnelle. Nous ne pouvons plus désormais continuer à élargir l'Union sans nous poser la question fondamentale de la réforme de ses institutions. Le Conseil européen de Corfou l'a indiqué clairement. Et il s'agit, pour la France, non pas d'un simple replâtrage consistant à changer le nombre de commissaires et la pondération des voix, mais d'une réforme de grande ampleur. Nous avons parlé, Alain Lamassoure, je crois, a parlé d'un nouveau pacte fondateur de l'Union européenne.

Outre la préparation de ces échéances, l'Europe devra faire face à une situation budgétaire tendue et à un contexte international délicat.

Troisième caractéristique de ce contexte, une volonté de coordination étroite des présidences allemande, française puis espagnole et italienne.

C'est le sens de l'initiative que nous avons prise avec l'Allemagne et que nous venons d'étendre aux deux présidences qui nous succéderont. Leur rôle sera essentiel : la présidence espagnole animera le "groupe de loannina" chargé de préparer 1996 ; la présidence italienne sera sans doute appelée à convoquer la Conférence intergouvernementale.

Il faut bien préciser qu'il ne s'agit pas là en nous coordonnant de limiter la capacité d'initiative de chaque présidence : le style de la présidence allemande nous le montre ; il s'agit en revanche d'assurer coordination et continuité.

Enfin, le contexte intérieur français : il sera caractérisé par une grande implication de notre Parlement : le Premier ministre a en effet souhaité accroître la portée de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution qui prévoit, vous le savez, désormais, une saisine préalable de notre Parlement national sur les textes communautaires pouvant avoir une portée législative.

Voilà donc le contexte ; les priorités maintenant.

L'existence de contraintes fortes nous dicte un devoir de réalisme dans la détermination des objectifs que nous allons nous fixer. Elle ne nous interdit pas pour autant de savoir faire preuve d'ambition, en concentrant notre attention et notre énergie sur quelques véritables priorités. J'en énumérerai quatre que nous avons proposées au Premier ministre : la croissance et l'emploi ; la sécurité de l'Europe ; l'affirmation de la dimension culturelle de l'Europe et enfin la préparation de la réforme institutionnelle.

La croissance et l'emploi sont, vous le savez, la première préoccupation des Européens, on le comprend. Nous devons leur démontrer qu'il n'est pas, dans ce domaine, d'alternative à la solidarité européenne.

Dans cet esprit, nous devrons d'abord à veiller sous notre présidence, à la mise en œuvre régulière des politiques engagées de longue date. Je pense en particulier à la réalisation du marché unique : nous serons à ce titre attentifs à l'application du principe de subsidiarité, au respect de la notion de service public, à la protection du consommateur et de l'environnement.

Je pense aussi à la coordination des politiques économiques et monétaires, conformément aux dispositions du Traité de Maastricht, afin de faciliter le moment venu le passage à la monnaie unique.

Nous aurons également la responsabilité d'assurer la bonne fin d'initiatives plus récentes : la poursuite d'une réflexion collective, à la suite de la publication du Livre blanc, sur les obstacles structurels à la croissance en Europe et sur les mesures qu'ils appellent ; la concrétisation des grands projets d'infrastructures, qui ont été arrêtés à Corfou, et dont plusieurs concernent directement l'aménagement de la France et l'amélioration de ses échanges avec ses voisins. Il faudra en particulier vérifier que le financement de ces projets est bien acquis et dans des conditions satisfaisantes.

S'agissant enfin de l'Afrique, notre présidence sera marquée par deux exercices importants : la révision à mi-parcours de la convention de Lomé, et la négociation financière du 8e FED. Il s'agit là, comme vous le savez, de grandes questions auxquelles la France attache traditionnellement une importance particulière, et que nous aurons à cœur de traiter avec ambition. Je n'oublie pas par ailleurs, sur un terrain plus directement politique, qu'il nous faudra concrétiser le soutien que l'Union européenne a décidé d'apporter au processus en cours en Afrique du Sud.

Troisième grand objectif de notre présidence, après la croissance et l'emploi et les problèmes de sécurité en Europe, la dimension culturelle de l'Europe.

Ce troisième objectif recouvre également un domaine dans lequel la France veut être active. En mettant en évidence l'importance de la culture, nous avons en effet le triple souci de rappeler ce qui est au cœur de l'unité européenne, de favoriser la vitalité de notre création, et d'œuvrer concrètement au rapprochement de nos peuples, à l'approfondissement de leur connaissance mutuelle.

Dans le cadre des négociations du GATT, déjà, nous avons lutté afin de préserver la capacité des Européens à encourager, par toutes les mesures appropriées, les talents de leurs créateurs, notamment dans le domaine audiovisuel. Ce combat aurait cependant été inutile, si nous devions négliger demain d'adapter ce dispositif de soutien à la création, afin de prendre en compte l'expérience du passé ainsi que l'évolution extraordinairement rapide des données économiques et technologiques. C'est pourquoi nous consacrerons une attention particulière à la révision de la directive "télévision sans frontières" ainsi qu'au renouvellement du programme "media".

Notre présidence sera également l'occasion de démontrer notre volonté de voir les Européens approfondir leur coopération dans le domaine de la recherche, avec la mise en œuvre du programme-cadre récemment adopté, et de l'éducation : si ce dernier domaine doit, pour l'essentiel, demeurer du ressort des États et des collectivités locales, nous pouvons nous fixer pour objectif de favoriser le développement des échanges entre étudiants et universités. À terme, il s'agit de permettre aux jeunes Européens de se former auprès des mêmes maîtres et selon les mêmes méthodes tout au long de leur parcours universitaire.

Enfin, la réforme des institutions.

Ainsi que je l'ai rappelé, la présidence française coïncidera avec l'entrée de plusieurs nouveaux membres dans l'Union et avec le renouvellement de la Commission. Il nous reviendra donc de veiller avec un soin particulier au bon fonctionnement des institutions dans ce contexte nouveau, et de préparer les étapes de leur réforme ultérieure.

Il nous faudra d'abord garantir scrupuleusement le respect des règles et des équilibres en vigueur tels qu'ils découlent du traité. J'en ai dit un mot au sujet de la PESC, c'est dans tous les domaines de compétence de l'Union que doivent être appliqués certains principes importants : une claire répartition des rôles entre les diverses institutions, afin notamment de préserver la capacité de décision du Conseil ; une application concrète du principe de subsidiarité, afin de limiter le développement de la réglementation européenne lorsqu'il conduit à des excès ; un contrôle approfondi de l'application du droit communautaire dans tous les États membres, qui pourrait nous conduire à proposer de renforcer les mécanismes sanctionnant d'éventuelles violations de ce droit.

À quelques mois de la Conférence intergouvernementale de 1996, nous aurons enfin la responsabilité de préparer cette grande échéance dont j'ai dégagé tout à l'heure l'idée que je m'en faisait. Comme il en a été convenu à Ioannina, il nous reviendra en particulier de fixer le cadre dans lequel se réunira, en juin 1995, le groupe de réflexion composé des représentants des ministres des Affaires étrangères et du Président de la Commission auxquels seront associés deux parlementaires européens. C'est au cours de cette même période que les différentes institutions européennes, le Conseil, la Commission, le Parlement remettront, afin de nourrir les travaux de ce groupe, leurs rapports sur le fonctionnement actuel du Traité. En sa qualité de présidente de l'Union, la France devra donc s'assurer de la réussite de cette phase préparatoire, tout en faisant avancer sa propre réflexion sur les moyens d'atteindre les grands objectifs qui nous tiennent à cœur : la préservation de l'efficacité des processus décisionnels ; la démocratisation du fonctionnement des institutions.

C'est pourquoi nous devons approfondir sans tarder notre conception de ce nouveau Pacte fondateur dont je parlais, sur lequel se bâtira la Grande Europe.

L'exercice de notre présidence nous amènera à mieux adapter notre réseau diplomatique et nos méthodes de travail, et je voudrais terminer par là.

Comme vous le savez, la nécessité de mieux prendre en compte, dans l'organisation de notre travail, les responsabilités européennes de la France constituait déjà un des éléments centraux de la réforme du Département que nous avons engagée l'an dernier : ce souci s'est notamment traduit par la réorganisation de la direction d'Europe qui commence à produire, me semble-t-il, les effets escomptés. D'autres mesures significatives ont été prises dans cette même perspective lors de la réforme de la direction générale. Je n'y reviendrai pas.

À la suite de ces premières initiatives, il nous faut à présent engager une nouvelle étape, qui concerne cette fois directement notre réseau à l'étranger, et qui nous amènera à répondre aux questions suivantes : quelle contribution nos ambassades dans les pays membres de l'Union doivent-elles apporter à notre politique européenne ? Comment, dans une perspective bilatérale, notre dispositif en Europe doit-il être adapté au contexte actuel ? Enfin, quels sont pour nos postes les problèmes soulevés par l'action de l'Union européenne dans les pays tiers ? M. Bernard Prague à qui j'ai demandé au printemps dernier de réfléchir à ces questions m'a remis ses propositions au mois de juin. Il vous les exposera demain plus longuement, je ne ferai ici qu'en tracer les grandes lignes, en commençant par les mesures concernant les ambassades auprès des pays membres de l'Union.

Nos méthodes de travail dans les États de l'Union européenne ne sont pas toujours aussi efficaces qu'elles pourraient l'être, en raison notamment des dispersions administratives qui limitent l'efficacité de notre action.

Pour améliorer ces méthodes de travail je vous suggère un certain nombre d'orientations, sur lesquelles M. Prague reviendra.

D'abord, recentrer les missions.

Il n'est pas utile à mes yeux que nos ambassades bilatérales effectuent de leur côté le travail qui se fait à la représentation permanente à Bruxelles, C'est à Bruxelles qu'est connue au jour le jour la position de chaque État membre dans le cours des négociations. Sauf exception, nos postes n'ont pas vocation à intervenir à ce stade.

Le rôle des ambassades bilatérales est, en revanche, irremplaçable lorsqu'il s'agit d'éclairer en amont les négociations à venir, en évaluant les positions de nos partenaires, en nous faisant connaître l'importance de tel ou tel dossier au regard de la politique intérieure locale, en indiquant les niveaux administratifs et politiques où se prennent les décisions, de façon à nous permettre d'intervenir auprès de l'interlocuteur compétent.

De même, en aval du processus de négociation et de décision, la défense, l'explication, la promotion des positions françaises au sein du pays considéré sont des tâches essentielles, on l'a bien vu au moment de la négociation du GATT : un effort particulier vis-à-vis de la presse et des relais d'opinion locaux doit être sinon entrepris, il existe déjà, du moins, grandement développé.

Il faut ensuite adapter les moyens et les méthodes de nos ambassades auprès des pays membres de l'Union.

Afin d'assumer ces diverses missions avec efficacité, l'ambassadeur doit être tenu informé des évolutions que connaissent les dossiers communautaires. Parmi les propositions qui m'ont été soumises, un certain nombre concernent l'organisation de nos services à l'étranger. Je retiens notamment l'idée de créer dans nos 15 ambassades bilatérales une "cellule communautaire", présidée par l'ambassadeur et qui, au-delà des clivages administratifs traditionnels (affaires étrangères/postes d'expansion économique/services financiers, etc.) traiterait de l'ensemble des questions européennes, globalement, sur le modèle de la représentation permanente à Bruxelles. Cette formation horizontale, réduite, devrait pouvoir traiter des dossiers européens, dans leur ensemble, qu'ils soient politiques, commerciaux, économiques. Vous allez me dire "quel décret, quelles circulaires imposeront la création de cette instance ?" Aucun décret, aucune circulaire, je crois qu'une telle mesure ne doit pas être imposée par cette voie. C'est à chacun de vous, à chacun des quinze chefs de poste concerné de voir sur place comment y parvenir de la manière la plus efficace. Je demande donc aux ambassadeurs dans les pays membres de l'Union de mettre sur pied cette cellule d'ici la fin de l'année, de veiller à ce qu'elle ait un caractère interministériel, de s'assurer qu'elle soit opérationnelle et de me rendre compte bien sûr des difficultés qu'ils rencontreraient pour y parvenir.

L'efficacité de ce dispositif sera d'autant mieux garantie que les membres de cette cellule auront antérieurement acquis une certaine expérience des affaires communautaires. Si la technicité de ces dossiers ne doit pas, en soi, être exagérée, il convient que notre politique d'affectation obéisse davantage à l'avenir au souci d'attribuer ces postes bilatéraux aux agents qui disposent d'une expérience européenne acquise à Paris, à Bruxelles, ou au SGCI.

Enfin, il importe de mieux associer nos ambassades au projet européen de la France, je parle toujours de nos ambassades bilatérales dans les pays de l'Union.

Cet objectif suppose que l'information dont elles bénéficient, soit améliorée. Trop souvent, ces postes manquent en effet aujourd'hui de documents essentiels : documents de base de la Commission, comptes-rendus des arbitrages interministériels, parfois même notes de réflexion du Département, éléments de langage présentant nos positions. Il faut éviter la surabondance d'informations localement superflues, et faire preuve de sélectivité, mais il est indispensable que les responsables dans les postes bilatéraux puissent maîtriser les dossiers, souvent techniques, qu'ils sont amenés à suivre.

Enfin, je souhaite que nous fassions régulièrement le point, ensemble, sur les grandes échéances européennes. Un message d'orientation sera adressé désormais, au début de chaque présidence, aux ambassadeurs concernés. De manière annuelle, une table ronde spécifique réunira ces mêmes chefs de poste. Les membres des "cellules européennes" des ambassades concernées seront eux-mêmes amenés à se réunir, une fois par semestre, dans le cadre d'un séminaire de travail.

Dans le même ordre d'idées, j'aurai l'occasion d'inaugurer dans les prochains mois la nouvelle représentation permanente à Bruxelles. Elle correspond largement à ce que nous devrions faire à l'étranger pour être plus efficaces, et elle est, en ce sens "l'ambassade témoin" de la modernisation.

Adaptation de notre dispositif en Europe, de façon générale maintenant.

D'autres propositions de M. Prague concernent l'organisation de notre réseau décentralisé en Europe, qu'il soit consulaire ou culturel. Il faut veiller à ce qu'une plus grande synergie se développe entre nos ambassades, les consulats généraux, ou au moins ceux qui jouent un rôle clef dans l'Union européenne, les services culturels et l'ensemble des services français. Les consuls généraux, en tout cas ceux dans les pays fédéraux ou à structure fortement décentralisée, devront continuer à rechercher les moyens d'être davantage le relais de notre action diplomatique, culturelle et économique. Ils devront être de manière renouvelée les instruments de notre rayonnement auprès de nos partenaires européens.

Il est clair que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, plus l'Union européenne progressera, plus notre dispositif administratif en Europe – et pas seulement à Bruxelles – devra être renforcé. Nos postes en Europe devront être plus performants et constituer autant de relais permanents à l'échelon local de notre action politique.

De même, les méthodes de travail du Département devront être revues et notamment, le triangle Paris/représentation permanente/SGCI devra s'ouvrir davantage. Tout ne se passe pas à Bruxelles. Dès la fin de cette année, je souhaite qu'une réunion des ambassadeurs ait lieu pour évaluer la mise en œuvre de ces différentes mesures.

Il faut aussi que l'ensemble de nos ambassades dans les pays tiers prenne en compte la politique européenne.

L'action extérieure de l'Union est parfois ressentie comme portant ombrage ou faisant concurrence à notre politique nationale – je me souviens d'avoir entendu exprimer cette crainte ou ce souci l'an dernier, notamment lors de la table ronde sur l'Amérique latine. Il s'agit là sinon d'une impression erronée, du moins d'une réaction à corriger, Il vous revient, comme ambassadeurs de France, à la fois d'affirmer l'identité politique de l'Union européenne, et d'expliquer les positions spécifiques défendues par la France au sein des instances de l'Union.

C'est donc sans arrière-pensée ni réserve que vous vous attacherez, là où vous êtes, à affirmer l'identité politique de l'Union, à préciser son image, à mettre en lumière la volonté d'ouverture et de coopération qui l'anime. Je souhaite que la présidence française soit l'occasion d'un effort de communication déterminé en ce sens.

Dans le même temps, vous devrez vous efforcer, de façon plus systématique qu'aujourd'hui, d'expliquer ou de faire valoir les positions qui sont celles de la France à Bruxelles : il importe que notre action au sein des instances de délibération de l'Union soit efficacement relayée ou soutenue par les postes bilatéraux, grâce à une information plus rapide et plus régulière.

Il convient, enfin, de porter une attention accrue à l'utilisation des programmes de coopération mis en place par l'Union. Dans de nombreux cas, la seule quote-part française au financement de ces programmes dépasse, et de loin, l'ensemble des moyens que nous pouvons nous-mêmes consacrer à notre coopération bilatérale et ceci est très souvent ignoré des pays bénéficiaires. Il est donc nécessaire et légitime que nous nous attachions à le dire, à en mesurer l'efficacité pour le développement des pays bénéficiaires, et à veiller à ce que la participation des opérateurs français à la mise en œuvre de cette coopération européenne reste équitable. En outre, il apparaît nécessaire de rapprocher nos propres programmes de coopération de ceux de l'Union européenne.

Vous avez à cet égard un rôle déterminant à jouer, qu'il s'agisse d'éclairer le Département sur l'opportunité des opérations projetées, d'informer les opérateurs français, de rechercher l'articulation optimale entre programmes communautaires et coopération bilatéral ; j'espère donc que la séance de travail que vous aurez demain sur ce sujet permettra d'aboutir à des conclusions concrètes sur l'amélioration de nos méthodes et l'information des postes.

Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs, j'ai bien conscience de ce que peut avoir d'arbitraire ou de réducteur, aux yeux de certains, le choix que j'ai fait de vous parler principalement sinon exclusivement de l'Europe et de la présidence que la France exercera dans l'Union au cours des six premiers mois de 1995.

Mais n'ayez crainte : nous n'oublierons pas le reste, ni le vaste monde ! Nous aurons beaucoup à y faire, et sous notre propre bannière. De toute manière, il ne se laissera pas oublier.

Mais j'ai délibérément voulu souligner la gravité et l'exemplarité du défi européen que nous avons à relever.

D'abord en lui-même. De quoi s'agit-il ? De réussir la transformation de ce qui, depuis 40 ans, constituait la Communauté de l'Europe de l'ouest, en quelque chose d'autre qui sera l'Union de la Grande Europe. Les difficultés serons considérables : quels pays ? Quelles institutions ? Quelles politiques communes ? Quelles solidarités vis-à-vis de l'extérieur ? Mais qui ne voit que l'avenir de nos Nations se joue là ?

Défi donc, en second lieu, pour la diplomatie française elle-même et pour ce qui devrait en être l'arme principale, c'est-à-dire sa capacité de proposition et d'innovation. La place que nous aurons, nous Français, dans le monde dépendra, on l'a vu à propos du GATT, à bien des égards, de la manière dent nous saurons faire naître une Europe nouvelle, forte, ambitieuse, et du poids que nous y pèserons.

Défi enfin pour notre ministère lui-même, pour son aptitude à s'adapter, à se doter des compétences nécessaires, à assumer sa tâche de coordination de l'action extérieure de la France.

Nos efforts devront s'inscrire dans la durée, la patience, la résolution. Il y aura des difficultés et des échecs. Mais il faudra garder le cap et, en disant cela, je porte naturellement le regard bien au-delà des premiers mois de l'an prochain.

Vous, diplomates, savez sans doute, plus que d'autres, la dose de persévérance et d'humilité tout à la fois qui est nécessaire pour atteindre, sur la scène internationale, des objectifs parfois modestes.

Mais, au bout du compte, c'est la continuité de l'effort, la cohérence de l'action, et surtout la confiance partagée dans la vocation de la France à tenir le premier rang qui font les grandes politiques. C'est pourquoi vous en êtes, avec ceux à qui le pays a confié la charge de les gouverner, les acteurs souvent cachés mais indispensables.

Soyons donc ensemble porteurs de cette ambition.

 

5 septembre 1994 

Conférence des ambassadeurs - Réunion économique

Messieurs les ambassadeurs,
Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs,

J'ai souhaité cette année, à l'occasion de la réunion des ambassadeurs, qu'une session de travail soit consacrée à la dimension économique de notre politique étrangère. Je veux marquer par là que c'est à mes yeux une composante essentielle de notre diplomatie qui, au même titre que notre action politique ou notre coopération scientifique et culturelle, concourt à défendre et à promouvoir la place de la France dans le monde.

Dans cet esprit, il me semble indispensable qu'une coopération encore plus étroite s'instaure entre les ambassades et les entreprises, toutes deux confrontées, chacune à leur place et à leur manière, aux rudes réalités de la compétition internationale. Je voudrais remercier vivement et très sincèrement les chefs d'entreprises prestigieux, dont j'imagine la charge de travail, qui ont accepté de participer à cette réunion. Je demanderai au Président Riboux de se faire l'interprète auprès d'eux de la gratitude du ministère des Affaires étrangères.

Vous avez répondu nombreux à cette invitation et je vois là le signe de l'intérêt réciproque que vous et nous portons à ce sujet sur lequel nous pourrons construire, j'en suis sûr, une politique de coopération encore plus fructueuse.

Vos travaux porteront sur deux thèmes importants : le premier est relatif aux alliances industrielles et aux stratégies de groupes et le deuxième concernera les relations entre ambassades et entreprises. Avant de vous laisser entamer vos débats, auxquels malheureusement je ne pourrai pas participer longuement, vous me permettrez de vous faire part de quelques réflexions, peut-être un peu rapides ou sommaires.

Les questions économiques et industrielles, disais-je, constituent aujourd'hui une dimension essentielle de notre politique étrangère. S'il est vrai que le but de l'action extérieure que mène ce ministère est d'assurer, sous l'impulsion du chef de l'État et du Premier ministre, le plus grand rayonnement possible à notre pays, comment pourrions-nous atteindre ce but sans porter une attention de tous les instants aux défis économiques qui sont lancés à notre pays comme à tous les autres ? Mondialisation des échanges, circulation de plus en plus rapide des biens, des services, des technologies, des capitaux, émergence de nouveaux acteurs, avec en particulier la montée en puissance des pays du sud-est asiatique ou de la Chine, et la constitution de pôles de développement économiques régionaux comme le marché européen, l'ALENA ou l'APEC. Vous savez tout cela mieux que moi, de nouveaux marchés se développent, je pense en particulier à ceux de l'Europe de l'est, du pourtour méditerranéen et d'Afrique australe, alors que d'autres hélas intéressent de moins en moins les investisseurs, je pense à l'Afrique sub-saharienne.

De nouvelles stratégies se mettent en place avec la multiplication de partenariats industriels, mais aussi, des délocalisations d'activités et donc d'emplois. Je ne développerai pas tous ces points qui sont, pour un auditoire comme le vôtre, des banalités.

Je voudrais simplement en tirer une conclusion : la bataille pour l'emploi en France, qui est pour vous comme pour nous une priorité absolue, se joue aussi et de plus en plus à l'étranger et c'est une réalité dont il nous faut convaincre nos concitoyens. D'ores et déjà, un Français sur quatre travaille pour l'exportation. C'est donc par la conquête de nouveaux marches, par une politique audacieuse d'investissements à l'étranger déjà largement engage – notre stock d'investissements atteint 813 milliards de francs à l'étranger – et par une restructuration de notre appareil productif que nous parviendrons à consolider la compétitivité de notre économie et donc, in fine, à lutter contre le drame du chômage. J'ajoute que nous y parviendrons mieux si nous améliorons dans le même temps la formation des homes, si nous renforçons notre dispositif de soutien, en particulier aux PME et aux PMI, qui vont d'ailleurs pouvoir bénéficier des mesures annoncées le 13 juin dernier à Lille par le premier ministre.

Je le répète, tout cela pour vous est évident, mais je crains qu'il n'en soit pas de même pour une large partie de nos concitoyens que séduit le chant des sirènes protectionnistes. Dans ce domaine-là, que j'ai qualifié tout à l'heure de pédagogique, nous avons un effort conjoint à faire.

Notre politique étrangère doit intégrer cette donne économique et contribuer, autant qu'elle le peut, à créer les conditions nécessaires au maintien et au développement de notre compétitivité.

Je voudrais prendre trois exemples qui illustreront, je crois, l'engagement, l'implication de notre diplomatie et du ministère des Affaires étrangères dans la défense de nos intérêts économiques.

Premier exemple qui s'éloigne peut-être un peu dans les mémoires mais qui, je crois, reste d'actualité : la bataille du GATT. L'expression n'est pas excessive. Dès mon entrée en fonction et avec l'ensemble de ce Département, nous nous sommes lancés dans cette bataille qui était loin d'être gagnée en avril dernier. L'accord qui a été finalement obtenu le 15 décembre a largement répondu à nos attentes. Il va permettre à nos entreprises de pénétrer de nouveaux marchés grâce au désarmement tarifaire qui a été obtenu, marchés en particulier des pays asiatiques à forte croissance qui ne représentent aujourd'hui que 5 % de nos exportations. La libéralisation des services qui est également inscrite dans cet accord bénéficiera largement à la France, deuxième exportateur mondial dans ce secteur. La protection des droits de propriété intellectuelle nous aidera dans la répression des contrefaçons. La création de l'Organisation mondiale du Commerce, qui n'était pas acquise d'avance et pour laquelle nous avons dû beaucoup batailler, nous permettra aussi de lutter contre des formes déloyales de concurrence et de mettre fin aux pratiques unilatérales de rétorsion. J'ajoute que nous avons dans le même temps obtenu que l'Union européenne renforce ses moyens de politique commerciale.

Ces résultats, je l'ai dit, n'étaient pas acquis d'avance. Il a fallu beaucoup de ténacité et d'énergie, d'abord pour rassembler nos partenaires, puis, une fois que nous avons fait l'Union à 12, pour défendre nos intérêts sur la scène internationale vis-à-vis des USA, du Japon et de quelques autres. La manière dont cette négociation a été conduite est la démonstration évidente que la France a tout intérêt à s'appuyer sur l'Union européenne dans ce type de problèmes, mais je voudrais souligner le fait que notre vigilance et notre pugnacité doivent rester entières car l'Organisation mondiale du Commerce n'est pas en place, ne fonctionne pas encore et nous aurons à y faire prévaloir nos points de vues. Vous savez que l'un des sujets, sinon de disputes en tout cas de discussions actuelles, est de savoir à quel rythme et dans quel esprit l'OMC se penchera sur un certain nombre de distorsions à la loyauté des échanges. J'en signalerai deux : peut-on parler de concurrence équilibrée entre des entreprises qui respectent des règles de protection de l'environnement extrêmement strictes comme c'est le cas des nôtres et donc souvent très coûteuses et des entreprises qui n'en connaissent aucune ? Y-a-t-il concurrence loyale entre des entreprises qui respectent les prescriptions minimales de l'Organisation internationale du Travail et celles qui les bafouent ? Ce sont des sujets controversés au sein même des Douze, encore que là aussi nous soyons arrivés à unifier notre position, et évidemment vis-à-vis des pays en développement.

Au total, comme vous le savez, nous avons fait, je le rappelais en commençant, le choix résolu du libre-échange et refusé de céder à l'illusion du repli sur soi, mais nous sommes très vigilants à ce que ce libre échange soit organisé de façon équitable et loyale.

Deuxième exemple de l'implication du ministère des Affaires étrangères dans la vie économique internationale, c'est tout ce qui concerne le retour de la croissance en France et en Europe. Bien sûr, croissance et compétitivité relèvent d'abord de la politique nationale. Le gouvernement a engagé dans ce domaine depuis un an et demi maintenant une politique claire, courageuse, qui donne les résultats positifs que vous savez. Mais la coopération internationale n'en demeure pas moins une surveillance multilatérale des politiques monétaires, ou dans le cadre européen pour renforcer la convergence des politiques économiques. Lorsque je parle de l'implication du ministère des Affaires étrangères, c'est tout particulièrement l'Union européenne que j'ai en tête puisque, vous le savez, à compter du 1er janvier prochain, la France assumera la responsabilité de la présidence de l'Union pour le premier semestre de l'année.

Le Premier ministre a choisi comme priorité, je l'ai exposée aux ambassadeurs vendredi dernier, de cette présidence française, la croissance et l'emploi et c'est donc un sujet sur lequel nous aurons, je l'espère, l'occasion de coopérer étroitement. Je ne prendrai qu'un des exemples de tâches qui nous incomberont à ce titre : comme vous le savez, à la suite du Livre blanc de la Commission européenne, le Conseil européen de Corfou a décidé de lancer onze projets prioritaires en matière d'infrastructure de transport et neuf dans le domaine de l'énergie ; il va nous falloir vérifier que cette affaire ne s'enlise pas dans les sables de procédures communautaires et internationales, que les moyens de financement sont mis en place dans les délais requis et que ces projets sont effectivement lancés. Ce sera une des nos tâches prioritaires.

Troisième exemple, enfin, de cette implication du ministère dans la vie économique international : tout ce que nous faisons pour promouvoir, soit dans le cadre européen, soit dans un cadre plus large, la coopération économique afin de permettre à nos entreprises de conquérir de nouveaux marchés, à nos partenaires commerciaux de faire valoir chez nous leurs avantages comparatifs. Nous libéraliserons progressivement nos échanges commerciaux avec les PECO. Ces négociations là aussi méritent vigilance, avec la perspective d'ici quelques années de créer un marché paneuropéen de 450 millions de consommateurs. Nous renforçons nos relations avec les pays du Maghreb (Maroc, Tunisie tout particulièrement), du Proche-Orient (négociation de l'accord avec Israël) ; nous apportons une aide très importante aux pays d'Afrique sub-saharienne pour alléger le poids de leur dette, pour les accompagner dans les efforts de restructuration qui étaient nécessaires à la suite de la dévaluation du Franc CFA – dont je profite pour dire qu'elle n'a pas provoqué la catastrophe attendue, mais qu'elle est vraisemblablement en train de réussir.

Cette ouverture des marchés à laquelle nous contribuons ne doit évidemment pas s'effectuer de façon aveugle. Lorsque nos intérêts économiques sont menacés par des pratiques commerciales ou monétaires inéquitables, le gouvernement sait, et il a su depuis ces derniers mois prendre les mesures nécessaires pour préserver des secteurs essentiels de notre économie aussi variés que nos industries du bois papier – il nous a fallu réagir fortement à la suite des variations monétaires que vous savez – qu'il s'agisse de l'enrichissement de l'uranium dans le cadre de la négociation de l'accord de partenariat avec la Russie, de la sidérurgie, de la chaussure. Dans les semaines à venir, la France devra faire preuve à nouveau de détermination pour s'opposer à l'adoption dans le cadre de l'OCDE d'un accord qui remettrait en cause l'existence en France de nos derniers chantiers navals, accord qui n'a que les apparences de la libéralisation et qui fait, en réalité, deux poids deux mesures que nous ne pouvons accepter.

Voilà quelques illustrations – le GATT, la présidence française de l'Union européenne, les négociations commerciales avec un certain nombre de partenaires de l'Union européenne – qui montrent que le Quai d'Orsay est souvent en première ligne dans la négociation économique internationale. Pour toutes ces raisons, je me réjouis que ce dialogue ait lieu ce matin entre chefs d'entreprises et ambassadeurs. Nous serons attentifs, le Secrétaire général et moi-même, aux conclusions de ces travaux et nous essaierons de faire en sorte qu'elles puissent être exploitées le plus efficacement possible pour cette administration. II faut aussi en effet que le Quai d'Orsay puisse fonctionner de la manière la plus efficace possible. Vous savez que l'amélioration de l'outil diplomatique de la France a été un de mes soucis depuis que je suis arrivé dans ce ministère. J'avais engagé l'an dernier une réforme profonde à la fois des structures de l'administration centrale, de ses méthodes de travail, et plus encore – parce que c'était cela à quoi je tenais le plus – de l'esprit dans lequel fonctionnait cette Maison, pour y introduire un peu plus que par le passé le souci de la coordination, de la coopération, de la collaboration entre services. Ce n'est pas le lieu ici devant vous de dresser le bilan de cette réforme. Je peux vous dire simplement que nous l'avons fait à l'occasion de la réunion des ambassadeurs et que, de l'avis général, beaucoup de progrès ont déjà été obtenus. Que peut vous apporter, dans ces conditions, cet outil diplomatique rénové ? Je tiens à affirmer devant vous ma volonté que les ambassadeurs et avec eux tous leurs collaborateurs – ambassadeurs, je le rappelle, dont la vocation de coordination et de synthèse dans chaque pays de résidence a été réaffirmée par une circulaire du Premier ministre –, donc ma volonté que les ambassadeurs apportent aux entreprises engagées sur les marchés extérieurs un appui permanent, discret, efficace. Il faut d'abord qu'ils soient en permanence ouverts aux, difficultés que vous rencontrez et aux réalités économiques dans les pays de résidence. Cette vigilance à l'égard des affaires économiques, commerciales, financières a pu être considérée, dans un passé que je veux croire lointain, comme une sorte de révolution culturelle au Quai d'Orsay. Je constate qu'aujourd'hui, cela est bien perçu comme une des tâches essentielles au quotidien de nos chefs de poste. Les ambassadeurs ont aujourd'hui, je peux vous l'assurer, bien conscience du durcissement de la compétition internationale, du caractère stratégique des dossiers qu'ils soutiennent ; et de la part que cette activité doit prendre dans le rôle général de défense des intérêts de la France à l'étranger. Nous voyons se mettre en place, aux États-Unis par exemple, un mouvement de concentration d'entreprises et une interpénétration extraordinairement forte entre administrations et compagnies. Je pourrais en citer de multiples exemples. La fusion annoncée entre Lockheed et Martin Marietta va créer un géant dans le domaine de l'aéronautique, de l'espace et de l'armement ; je mentionnerai aussi la compétition où tous les coups sont permis entre Boeing et Airbus, et celle qui a lieu à l'échelle mondiale dans le secteur des télécommunications.

Le durcissement de cette compétition est donc réel. Vous l'éprouvez quotidiennement et nous aussi. II touche l'ensemble des entreprises françaises et les entreprises européennes, entre elles souvent, l'ensemble des secteurs et des marchés solvables.

Dans ce contexte, le suivi d'une affaire, l'obtention d'un grand contrat, aident à l'évidence au maintien de notre tissu industriel et des bassins d'emplois et c'est donc une de nos tâches prioritaires. Je rappellerai par exemple le succès du TGV coréen ou celui des méthaniers de Malaisie.

Donc, vigilance, ouverture, prise de conscience permanente des enjeux. Les ambassadeurs peuvent, en second lieu faire bénéficier les entreprises de leur capacité d'informations et de conseils dont on sous-estime parfois l'importance. Mieux que quiconque, l'ambassadeur investi, je le rappelle, par le décret de 1979 remis au goût du jour par la circulaire récente du Premier ministre, de la responsabilité de l'ensemble des services de l'État à l'étranger, peut, par la vision générale qui est la sienne et l'appréhension de l'ensemble des problèmes de son pays de résidence, évaluer les rapports de force et la psychologie des acteurs locaux, guider nos intérêts, apprécier les conditions de la concurrence pour permettre l'ajustement des offres françaises, notamment dans la phase finale des négociations financières. Cette fonction de conseils discrets n'est pas toujours facile, surtout lorsque les entreprises françaises sont elles-mêmes en concurrence. Si le rôle de l'ambassadeur n'est pas à l'évidence de prendre partie, sa mission est bien d'éclairer le contexte de la décision. Enfin, nos ambassadeurs peuvent avoir un rôle décisif dans les démarches que vous avez à faire lorsque les dossiers arrivent à maturation et au stade de la décision. Ils peuvent, grâce à leur expérience et à la connaissance de leur pays de résidence apprécier l'opportunité de telle ou telle explication ou démarche. Je souhaite cependant que les entreprises prennent bien conscience que le rôle de l'ambassadeur ne doit pas être celui d'un pompier lorsque l'incendie est déclaré ou d'un spécialiste des contentieux que l'on sollicite en désespoir de cause, lorsqu'il est alors souvent trop tard. Il ne peut, à lui seul,renverser un courant défavorable, surtout si on lui demande de le faire, je le répète, au dernier moment, alors que les chances sont compromises. Combien de contrats perdus parce que l'effort de compréhension et d'intégration des contraintes et des mentalités locales a été négligé ou sous-estimé ? Il me semble que pour exercer cette fonction essentielle de conseil, les chefs de poste doivent être informés de la façon la plus large possible et le plus en amont possible, dans le cadre bien sûr des contraintes qu'implique le secret de la négociation.

Il ne leur appartient pas de s'immiscer dans la vie des affaires qui a sa logique et ses règles, mais ils peuvent être mis et doivent être mis à mon avis en position de bien évaluer les arguments à l'appui d'une démarche, en fonction de leurs connaissances des milieux dirigeants de leur pays de résidence. En contrepartie, j'incite évidemment nos ambassadeurs à renforcer leurs relations avec les grandes entreprises industrielles, bancaires, commerciales, en France et à l'étranger, afin de mieux conduire nos propres démarches.

Il serait par ailleurs utile que l'administration centrale, en liaison avec l'ambassadeur et les autres administrations, réfléchisse aux leçons à tirer de nos succès et de nos échecs sur les grands marchés extérieurs et j'ai invité le Secrétaire général et les directeurs compétents à s'engager dans cette voie.

Voilà Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, quelques réflexions introductives pour lancer vos débats. Je forme le souhait que se dégagent de vos travaux des suggestions sur les méthodes que nous devons suivre, des lignes d'action qui pourront éclairer le Quai d'Orsay dans ses relations avec les entreprises.

Nous sommes ensemble, je le disais en commençant, responsables de la place et du rayonnement de la France dans le monde. C'est donc à mieux travailler ensemble que je vous appelle aujourd'hui. Tel est l'objet de cette rencontre à laquelle je vous remercie à nouveau d'avoir participer en si grand nombre et avec tant de bonne volonté.


Propos du ministre après l'intervention de M. Riboud, PDG du groupe Danone

Merci, Monsieur le Président. Avec le talent que l'on vous connaît, vous avez su rendre vivants des propos qui dans ma bouche auraient été peut-être plus théoriques. J'en tire une première conclusion : c'est que "tout baigne" si j'ai bien compris entre chefs d'entreprises et ambassadeurs et l'idée toute faite selon laquelle les chefs d'entreprises sont réticents à aller dans les ambassades, où ils sont mal reçus par des ambassadeurs ne s'intéressant pas aux questions économiques est une idée dépassée, je m'en réjouis. Encore faut-il, bien sûr, comme toujours, progresser dans notre collaboration. J'ai retenu dans votre propos parmi beaucoup d'autres choses, deux points, d'importance inégale peut-être. Le premier, les industriels des secteurs concernés ici présents ne m'en voudront pas, c'est que dans tous les discours officiels, quand on parle des grands secteurs dans lesquels la France fait preuve d'excellence, on parle de télécommunication, de l'énergie, des transports, on oublie trop souvent la filière alimentaire, vous avez eu raison je crois de rappeler les atouts dont nous disposons dans ce domaine. Deuxième point que j'ai relevé, j'y attache beaucoup d'importance, j'espère que nous pourrons tous peser dans le même sens pour améliorer encore les choses, c'est ce que vous avez dit des bourses. Je crois qu'un des investissements les plus intelligents que puisse faire un pays comme la France, c'est de recevoir dans ses universités, dans ses grandes écoles, dans ses entreprises, le plus grand nombre de boursiers étrangers possibles, boursiers de haut niveau puisqu'il nous faut, dans ce domaine, viser à une politique élitiste bien entendu. Quelqu'un qui a passé, six mois, un an, parfois deux ans en France est quasiment toujours, une fois de retour dans son pays, un propagandiste de la culture, de la langue, de la vision que la France peut avoir des choses, et j'espère pouvoir, dans les années qui viennent développer cette modalité d'intervention de notre coopération culturelle, scientifique et technique.

Voilà, Monsieur le Président, les brefs commentaires que je voulais faire, je vois qu'il y a ici un grand nombre de chefs d'entreprises qui se préparent à dialoguer avec nos ambassadeurs, vous connaissez sans doute tous l'organisation de cette matinée de travail, je voudrais à nouveau, messieurs les Présidents vous redire la gratitude du ministre des Affaires étrangères et du ministère tout entier pour votre présence ici ce matin.