Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les ministres,
Mes chers collègues,
Au terme de cette nouvelle session extraordinaire, je voudrais remercier l'ensemble de nos collègues de l'excellence du travail réalisé par le Sénat en cinquante-quatre jours de séance, qui représentent près de 320 heures de travail et l'adoption de soixante-quinze textes.
Trente et un projets et six propositions de loi définitivement adoptés, trente-huit conventions internationales examinées, vingt-six rapports d'information déposés, trois déclarations du Gouvernement, sept résolutions adoptées au titre du titre de l'article 88-4 de la Constitution, soixante-trois questions d'actualités posées, six séances consacrées à quarante-six questions orales sans débat, 1 665 questions écrites posées, 2 195 amendements déposés… le bilan de nos travaux prouve la vitalité de la Haute Assemblée et met en évidence son rôle irremplaçable.
Qu'il me soit permis d'exprimer ma reconnaissance aux vice-présidents du Sénat, qui ont assuré, avec compétence et autorité, la conduite de nos travaux en séance ?
Que les présidents de commission trouvent ici aussi l'expression de notre gratitude pour l'efficacité avec laquelle ils ont su préparer et faciliter l'examen de textes parfois complexes.
Je n'oublierai pas les groupes politiques, dont tout procède, leurs présidents et leur personnel, qui sont les garants de la diversité du débat démocratique.
Je voudrais remercier tout spécialement les fonctionnaires du Sénat, de tous grades, pour leur compétence, leur disponibilité, et leur dire combien leur contribution nous est indispensable et précieuse.
Je souhaite aussi que vous sachiez, mes chers collègues, que votre Bureau s'est réuni tous les mois pour prendre les décisions nécessaires à la vie courante de notre Haute Assemblée, pour se pencher parfois sur les questions juridiques difficiles concernant le statut des sénateurs, pour administrer notre institution dans la transparence et la rigueur.
Nous avons ainsi décidé au mois de décembre dernier de nous doter d'un équipement audiovisuel complet permettant à nos concitoyens de mieux pénétrer dans la vie de la Haute Assemblée. Dans un an, ce projet sera devenu réalité. Il permettra de faire mieux connaître la contribution du Séant au débat démocratique et à l'exploitation des grandes questions qui intéressent l'avenir de notre pays.
C'est pour moi l'occasion de rendre un hommage tout particulier à nos questeurs, qui veillent avec discrétion et compétence sur les conditions matérielles nécessaires à la poursuite de notre mission.
Sachez que ceux que vous avez désignés pour gérer le Sénat travaillent ensemble, dans un esprit d'équipe et d'abnégation que je qualifierai d'exceptionnel. Dans ces temps difficiles, les institutions se doivent d'être exemplaires et économes. C'est ce à quoi nous avons essayé de tendre et je crois qu'à l'extérieur la perception de l'action de notre Haute Assemblée s'en est trouvée modifiée.
Monsieur le Premier ministre, je voudrais maintenant vous remercier des égards que vous avez eus pour le Sénat. En continuant à nous soumettre en première lecture près de la moitié des projets de loi, vous avez contribué à rétablir les conditions d'un bicaméralisme équilibré, garant de bonnes lois. Les lois de la bioéthique sont ainsi exemplaires d'un bicaméralisme parfait, et notre pays peut être fier de s'être doté, parmi les tout premiers au monde, d'un outil législatif moderne de protection des droits de la personne humaine.
Le taux de reprise des amendements du Sénat par l'Assemblée nationale, qui s'était établi à plus de 85 % en 1993, semble être de même niveau cette année, ce qui est la preuve de la pertinence de notre apport législatif. L'examen de la proposition de loi sur le traitement des difficultés des entreprises a montré la qualité de nos suggestions, dont la plupart ont été retenues dans le texte définitif. Depuis le mois d'avril 1993, aucun texte n'a été adopté sans que soient prises en compte les modifications apportées par le Sénat.
L'urgence n'a été déclarée que pour 22 % des projets de loi, et cela constitue un progrès. J'ai cependant regretté avec mes collègues que certains textes importants continuent de faire l'objet d'une déclaration d'urgence. Il nous faut progresser encore et nous comptons sur vous, monsieur le Premier ministre, pour, comme vous l'avez fait en renonçant à déclarer l'urgence sur le projet de loi relatif à la sécurité, laisser librement jouer la navette qui garantit la qualité et l'efficacité de la loi.
Nous devons en effet prendre garde à une relative dévalorisation de la loi.
La loi est cet acte solennel dont le caractère général et impersonnel fonde la force obligatoire. Juste et équitable, elle est opposable à tous ; précise et claire, elle règle les rapports entre les Français et le contentieux qui peut en naître. Sa confection doit donc respecter des formes strictes, qu'aucune urgence ne peut ignorer.
J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec vous, monsieur le Premier ministre, et je sais que nous partageons quelques réflexions, que je me permets de rappeler publiquement ici.
Je suis inquiet – je l'ai écrit – de la multiplication des lois d'orientations qui, faute de ressources financières, renvoient le poids des décisions sur l'avenir. Nous sommes préoccupés par les lois « portant diverses dispositions » financières, sociales ou autres. Le projet de loi d'ordre économique que nous avons voté pendant cette session aurait pu faire l'objet de plusieurs textes tant était grande la diversité des dispositions qu'il comprenait. Or nous avons dû l'examiner dans des conditions de précipitations critiquables.
Enfin, la pratique des annexes jointes aux projets de loi qui nous sont soumis est particulièrement inquiétante. Ces textes, souvent d'ordre réglementaire, n'ont pas de portée juridique véritable et, si l'on peut en comprendre l'utilité pour le dialogue social ou pour la gestion d'un département ministériel, ils n'ont pas leur place dans la loi : ils devraient plutôt figurer dans les déclarations que prononce le Gouvernement au titre de l'article 49 de la Constitution.
Je souhaiterais en outre affirmer ma conviction que les droits du Parlement, c'est-à-dire ceux du citoyen, trouvent leur expression dans un meilleur contrôle parlementaire.
Je regrette que nous n'ayons pas réussi à obtenir un meilleur contrôle du Parlement sur la Sécurité sociale. S'il était normal, en 1958, que les partenaires sociaux en assument seuls la gestion puisqu'ils la finançaient par les cotisations, ce n'est plus le cas aujourd'hui. En 1994, près de 25 % des ressources des régimes sociaux proviennent de l'impôt et des dotations budgétaires.
Il n'est donc plus concevable que la représentation nationale soit exclue de tout droit de regard sur les dépenses sociales dont l'accroissement régulier constitue l'un des grands problèmes de demain. Les Parlements sont nés de la volonté de contrôler l'affectation du produit de l'impôt. Il nous faudra rapidement trouver les formules juridiques qui permettant d'assurer un véritable contrôle du parlement sur la dépense sociale.
Permettez-moi aussi de vous remercier, monsieur le Premier ministre, d'avoir accédé, malgré les avis contraires, à la demande que M. le président de l'Assemblée nationale et moi-même vous avions adressée de soumettre au Parlement les projets de directive avant leur examen par le Conseil des ministres européen. C'est un progrès que nous réclamions, particulièrement au Sénat, qui est un peu le père du nouvel article 88-4 de la Constitution, dont l'esprit, si ce n'est la lettre, sera, de ce fait, mieux respecté.
Là encore, la pratique institutionnelle peut évoluer dans le bon sens, celui d'un meilleur contrôle et d'un renforcement des pouvoirs du Parlement. C'est un gage de transparence, qui doit permettre de mieux associer les Français à la conduite des affaires du pays.
Enfin, monsieur le Premier ministre, je voudrais profiter de votre présence pour avancer une suggestion.
Nous avons une fois de plus, siégé en session extraordinaire. Je considère que cette pratique est mauvaise lorsqu'elle devient une habitude. Nous devrions indiquer publiquement notre volonté commune de réserver les sessions extraordinaires, qui sont aujourd'hui devenues des sessions de rattrapage, aux seuls sujet exceptionnels. Il n'y a pas, en effet, de fatalité de la mauvaise organisation du travail parlementaire. Nous-mêmes avons fait de notables progrès en limitant très strictement nos horaires de séance et en évitant, pour la première fois, de trop siéger la nuit. Par ailleurs, nous avons réformé notre règlement pour mieux ordonner nos débats. Cette réforme a, semble-t-il, parfaitement réussi, dans le respect des droits de la minorité.
Le Gouvernement doit contribuer à une meilleure organisation du travail à l'échelon des ministères, qui ne tiennent pas assez compte des travaux parlementaires. J'ai observé, pendant ces deux sessions, que des textes importants – cinq en session extraordinaire et quatre en session ordinaire – étaient déposés tardivement parce que les ministres n'avaient pas tenu compte du calendrier de nos travaux. Ainsi, pendant les huit premières semaines de la session ordinaire, nous n'avons siégé en moyenne que douze heures par semaine, ce qui aurait suffi à absorber les soixante-dix heures de cette session extraordinaire où nous avons été pressés d'adopter certains textes.
Pourtant, si l'on ajoutait le temps consacré aux arbitrages entre les ministères à celui, encore plus long, qui est nécessaire à la sortie des décrets d'application, on mesurerait aisément que les quelques heures utilisées pour le débat parlementaire représentent bien peu de temps dans la mise en œuvre d'une loi…
Plusieurs de vos prédécesseurs, monsieur le Premier ministre, se sont penchés en vain sur ces questions. Vous m'avez indiqué que vous en êtes préoccupé. D'autres le seront encore. Mais je considère que nous devrions, comme cela avait été suggéré dans les années soixante-dix, décider de ne discuter que des textes qui auront été déposés avant l'ouverture de la session ordinaire. C'est une question d'organisation du calendrier, qui consacrerait le respect du Parlement et nous permettrait de délibérer plus complètement.
À cet instant, mes chers collègues, nous pensons tous aux vacances, au repos familial bien mérité, que nous partagerons avec nos concitoyens. Puissent ces semaines estivales nous apporter, à tous, la détente.
Je ne voudrais pas conclure sans me tourner vers M. le ministre délégué aux relations avec le Sénat. Je tiens à le remercier tout particulièrement de son action.
En effet, l'aide de la conférence des présidents, l'intelligence et le respect de la loi que manifestent les présidents de commission et les présidents de groupe, ainsi que la qualité exceptionnelle de M. Romani ont fait que nous nous en sommes tout de même bien sortis.
Monsieur le Premier ministre, vous avez, en la personne de M. le ministre délégué aux relations avec le Sénat, un bon avocat, qui défend à la fois les textes et le Gouvernement.
Nos remerciements vont aussi aux journalistes, qui ont rendu compte très complètement de nos travaux. Ils savent que leur présence dans notre Haute Assemblée est toujours la bienvenue.
Dès l'automne, nous poursuivrons d'importants débats législatifs et politiques. Je souhaite à notre pays qu'ils soient aussi sereins et dignes que la lumière de cet été qui commence est claire et limpide.