Texte intégral
Q. : En quelques mots, à l'issue de ces deux jours de travaux des experts à Berlin, où en est-on, ce soir ?
R. : Il faut rester prudent, car il s'agissait d'experts. Il appartient donc maintenant aux gouvernements respectifs de confirmer les orientations qui ont été prises. Je crois néanmoins que l'on peut parler d'une bonne réunion. Elle s'est déroulée dans un bon climat, avec de la part des cinq participants la volonté de garder la cohésion du groupe. Cela est un fait acquis et c'est extrêmement important. Par ailleurs, sur le fond, on est allé dans la bonne direction. M. Stoltenberg et Lord Owen ont informé le groupe de l'accord de principe des autorités de Belgrade pour la mise en place, à la frontière, de modalités d'observation permettant de s'assurer du respect de l'embargo et, dans ces conditions, nous allons pouvoir déposer au Conseil de sécurité deux résolutions. La première, qui durcira les sanctions sur les Bosno-serbes, puisqu'ils refusent l'accord, et le deuxième projet qui, au contraire, commencera à suspendre les sanctions sur Belgrade dans la mesure où l'observation mise ne place permettra de vérifier que l'embargo est effectif.
Q. : Plus concrètement, sur les modalités d'observation, de quoi est-il question ?
R. : Je viens de vous dire qu'il fallait être prudent et qu'on avait fixé les principes à Berlin. Maintenant, il faut entrer dans le détail et les modalités, et il est donc prévu que Lord Owen et M. Stoltenberg vont déterminer, en accord avec Belgrade, les modalités d'un contrôle qui ne sera pas de caractère militaire, qui ne consistera pas à vérifier directement mais à observer ce qui se passe en ayant recours à telle ou telle organisation internationale.
Q. : Quel sera le calendrier de la mise en place du processus de vérification ?
R. : C'est l'affaire de 15 jours à trois semaines, puisqu'il a été retenu en principe que les ministres du groupe de contact pourraient se voir d'ici la fin du mois de septembre, début du mois d'octobre, à New-York en marge de l'Assemblée générale des Nations unies.
Q. : Sur la levée progressive des sanctions à l'égard de Belgrade, vous pensez à quel type de domaine ?
R. : Nous avons déjà, sur ce point, travaillé et réfléchi de manière précise. La première phase de suspension des sanctions à l'égard de Belgrade, je le répète, sous réserve que le système confirme la réalité des mesures annoncées par M. Milosevic, porte sur le trafic international de l'aéroport de Belgrade, qui serait réouvert et, d'autres part, sur les relations que la Serbie-Monténégro pourrait entretenir dans le domaine sportif et culturel avec l'extérieur. À l'heure actuelle, toutes les relations sont bloquées, le pays est totalement isolé. Il y aurait là une première ouverture qui viendrait sanctionner, si je puis dire, le changement d'attitude des autorités de Belgrade.
Visite en Roumanie
J'ai eu avec le Premier ministre de Roumanie un entretien chaleureux et dense.
Je lui ai redis combien la France souhaitait avoir avec la Roumanie une relation privilégiée dans tous les domaines : dans le domaine politique – et nous avons envisagé plusieurs formes de coopération possibles ; dans le domaine culturel – les positions que nous avons ici sont importantes et nous souhaitons les développer – et également dans le domaine économique. Après une période très difficile, les réformes en Roumanie commencent, je crois, à produire des effets. C'est le moment d'inciter les investisseurs français à développer leurs opérations. Il faut faire plus de ce point de vue-là. Certaines décisions récentes vont dans le bon sens. Je pense notamment à l'accord de protection des investissements qui va nous permettre d'inciter nos chefs d'entreprise à s'intéresser encore plus qu'ils ne l'ont fait par le passé à la Roumanie. Voilà dans quel esprit nous avons eu cet échange, je le répète très fructueux.
8 septembre 1994
L'invitation , journal de l'association des Anciens boursiers du gouvernement français
Q. : Quelle place occupe la Roumanie, selon vous, au sein de l'Europe ?
R. : La Roumanie appartient à la famille européenne. C'est un pays européen par sa culture, par son histoire, par les choix qu'elle a faits. La France a toujours été vigilante – vous le savez – pour que la Roumanie soit traitée comme tous les pays d'Europe centrale et orientale dans la perspective de son adhésion à l'Union européenne.
Q. : Quelles sont vos impressions personnelles sur ce voyage en Roumanie ?
R. : Le voyage est court, trop court. Je crois quand même qu'il permet de sentir l'air du temps et la profondeur des choses. Ce qui me frappe, c'est la force du lien culturel, du lien affectif, du lien politique qui unit la France et la Roumanie. Je n'ai pas tout à fait le sentiment d'être à 2 500 kilomètres de Paris. On se sent, d'une certaine manière, chez soi ici aussi.
Q. : Pensez-vous que la coopération universitaire, scientifique, culturelle entre la France et la Roumanie est à un niveau suffisant ? Quelles sont, selon vous, ses forces et ses faiblesses ? Quelle seraient les priorités que vous aimeriez voir se dégager dans les années futures en tant que responsable de la diplomatie française ?
R. : Cette coopération est à un très bon niveau, d'abord la coopération culturelle et linguistique du fait de la place qu'occupe l'enseignement du français dans l'enseignement roumain et aussi grâce à notre réseau d'Instituts et de Centres culturels. Il y a là quelque chose de très vivant que l'on peut toujours, bien sûr, développer mais qui est de remarquable qualité. Je crois qu'il ne faut pas négliger la dimension universitaire de notre coopération. Pour ma part, je crois que l'un des investissements les plus intelligents que l'on peut faire, c'est de développer les bourses qui sont attribuées à de jeunes étudiants et à de jeunes étudiantes qui doivent poursuivre leurs études en France. Je viens de rencontrer quatre jeunes boursiers qui vont partir dans différentes écoles françaises et l'on me disait qu'ils ont passé des concours. On est toujours très surpris de voir l'excellent niveau auquel ils se situent par rapport à leurs concurrents français ; il y a là un atout très important qu'il faut développer. Je crois aussi qu'il faut – c'est une de mes idées depuis longtemps – garder le contact avec les anciens boursiers, parce qu'une fois qu'ils sont rentrés, en général, on ne s'en occupe plus. Je crois qu'il faut maintenir un lien suivi entre la France et ces hommes et ces femmes qui sont venus passer plusieurs mois ou toute une année de leur vie en France. Il faut garder le lien.
Q. : Les changements de forces en Europe, tant à l'est qu'à l'ouest, ont-ils impliqué des changements dans la diplomatie ?
R. : Bien sûr ! C'est une véritable révolution depuis 1989 ! Tout a changé, toutes nos grilles d'analyse ont changé. Je crois que ce qu'il faut faire maintenant, c'est tenir les engagements que nous avions pris avant 1989. Nous avions dit avant 1989 aux pays d'Europe centrale : lorsque vous aurez retrouvé la liberté, lorsque vous aurez secoué le joug du communisme, nous vous accueillerons dans la famille européenne. Il faut le faire.
Q. : Le Pacte sur la stabilité en Europe, proposé par votre Premier ministre, qu'offre-t-il comme espoir pour les pays de l'Est, en l'occurrence pour la Roumanie ?
R. : D'abord, premier espoir c'est de régler les problèmes de voisinage qui peuvent se poser aux frontières avec les pays voisins. Je conçois – c'est déjà un élément très important – et je me réjouis de voir qu'entre la Hongrie et la Roumanie, par exemple, le climat s'améliore considérablement.
Le deuxième élément positif, le deuxième espoir que donne le Pacte de Stabilité, c'est la perspective de l'entrée dans l'Union européenne. M. Balladur l'a dit clairement : dès que ces problèmes seront réglés, alors ça donne un coup d'accélérateur à la procédure de rapprochement avec l'Union.
Q. : Est-ce que la participation de la Roumanie au Sommet des pays ayant le français en partage peut être un atout pour accélérer l'intégration de la Roumanie dans les institutions européennes ?
R. : C'est un exercice un petit peu différent mais Je crois que, dans la mesure où cela resserre les liens entre la Roumanie et la France, entre la Roumanie et l'ensemble des pays francophones, ça va dans la bonne direction.
La francophonie, c'est une communauté de langue, ce sont les pays qui ont le français en partage. C'est aussi – nous avons essayé de le dire au dernier Sommet à Maurice – communauté politique : ce sont des pays qui, d'une certaine manière, partagent aussi la même vision du monde. Et cela aussi, ça rapproche.
Bucarest, 8 septembre 1994
Q. : Quand les observateurs internationaux seront-ils présents sur le terrain pour surveiller la frontière entre la Serbie et la Bosnie ?
R. : Je ne peux pas répondre à cette question, je l'ai dit hier soir. Le groupe de contact a arrêté hier un certain nombre de principes sur lesquels je me suis exprimé. Maintenant, on doit passer aux modalités de mise en œuvre. Ces modalités de mise en œuvre ne sont pas arrêtées. Donc, je ne peux pas vous donner de renseignements plus précis sur le calendrier ou sur la constitution exacte des choses. Il faut savoir rester patient.
Q. : Et sur le début de la levée des sanctions ?
R. : Non plus. Les principes ont été fixés. N'allons pas plus vite que la musique ! Maintenant, on va mettre en œuvre les principes qui ont été ainsi arrêtés. Ce qui est important dans ce qui s'est passé hier à Berlin, c'est que contrairement à certaines craintes qu'on pouvait avoir, la solidarité du groupe de contact est restée entière. Un certain nombre de décisions de principe ont été prises que j'ai évoquées. Maintenant, la mise en œuvre se fera au fil des jours. Je ne peux pas anticiper sur les décisions qui ne sont pas encore arrêtées dans le détail.
Q. : L'idée de la Confédération entre Serbes de Bosnie et Serbie ? A-t-elle été évoquée à Berlin ?
R. : Oui, elle a été évoquée. C'est une idée que j'ai déjà avancée à plusieurs reprises à Genève, mais aussi dans la presse française. Vous en connaissez la philosophie. La délégation française l'a à nouveau évoquée, lors de la réunion de Berlin. Cette idée n'a pas été écartée. Il faudra maintenant voir comment les choses peuvent être précisées et approfondies.
Je crois qu'il ne faut pas se méprendre. La réunion de Berlin n'a pas abouti à un relevé de décisions détaillées avec un calendrier. Elle a fixé les principes et, maintenant, on va passer aux travaux pratiques si je puis dire. Dans quinze jours qui viennent, on en saura plus.
Q. : Est-ce que vous avez déjà des analyses sur l'entrée du parti nationaliste, le PNUR, au gouvernement roumain ? Quelles sont vos impressions ?
R. : J'ai évoqué cette question avec les autorités roumaines. Je n'ai pas à me mêler de la vie politique intérieure de la Roumanie. Simplement ce que je souhaite, c'est que la Roumanie reste ouverte, ouverte notamment à l'Europe, et que, par ailleurs, elle poursuive l'action qu'elle a entreprise sur la voie de la démocratie et sur la voie des réformes économiques. C'est le seul critère de jugement. Le reste, c'est de la politique intérieure roumaine. Nous sommes attentifs à ce qu'il n'y ait pas de dérives sur les points que je viens d'évoquer.
Q. : On a beaucoup parlé de relations entre la Roumanie et la Hongrie. Comment voyez-vous les récents pas en avant, comme on dit, à ce sujet ?
R. : M. Melescanu m'a confirmé ce qu'il a dit lui-même à la presse. Le voyage à Budapest a été encourageant. Je me réjouis de voir qu'entre Budapest et Bucarest les choses vont dans la bonne direction. Un traité est en cours de préparation. Ce peut être un élément extrêmement positif dans le contexte de la Conférence sur la stabilité, puisque c'est précisément un des sujets qui était inscrit à l'ordre du jour. La table régionale sur l'Europe centrale doit se réunir à Bruxelles le 21 et le 22 septembre prochains. Tout ce qui peut faciliter les discussions entre les parties prenantes, notamment entre la Hongrie et la Roumanie, augurent très bien de l'avenir et du succès du Pacte de Stabilité.
Bucarest, télévision roumaine, 8 septembre 1994
Q. : Bienvenue, votre excellence, à la télévision roumaine. Votre visite à Bucarest a été impatiemment attendue par l'opinion publique roumaine, qui a pour la France des sentiments spéciaux. En Roumanie, Paris a toujours été considéré comme la ville des lumières. À propos des relations franco-roumaines privilégiées, comment voit-on, en France, Bucarest, qui autrefois était surnommé le petit Paris ?
R. : On la voit beaucoup plus près qu'elle n'est en réalité. Il y a 2 500 kilomètres, je crois, entre Paris et Bucarest. Depuis que je suis ici, je me sens en réalité beaucoup plus proche. Partout, on se rend compte du capital de sympathie et de compréhension mutuelle qui existe entre nos pays. Je l'ai vu en me promenant un peu dans les rues de Bucarest où il y a encore beaucoup de traces architecturales de l'influence française. Je l'ai vu aussi en parlant français pratiquement avec tous mes interlocuteurs. Cela n'arrive pas souvent, pour le ministre des Affaires étrangères de la France, lorsqu'il se déplace à l'étranger. En regardant mes chiffres et mes dossiers, je voyais que 60 % des jeunes enfants de Roumanie apprennent la langue française à l'école. C'est extraordinaire ! Nous avons le devoir de maintenir ce capital, je reprends ce mot, qui existe entre nous.
Q. : Les statistiques économiques nous montrent que dernièrement la position de la France parmi les partenaires commerciaux de la Roumanie s'est érodée. Cette situation est-elle conjoncturelle ou est-ce une question, au fond politique ?
R. : Elle n'est pas politique. J'espère qu'elle n'est que conjoncturelle. Nous sommes le quatrième partenaire commercial de la Roumanie – c'est important – je crois même le deuxième investisseur. Un grand nombre de sociétés françaises prestigieuses dans un certain nombre de domaines sont présentes. Je pense en particulier au téléphone ou aux travaux publics. Il faut faire plus et le gouvernement français souhaite que les entreprises françaises fassent plus pour cela, il faut définir un cadre. Il faut que les règles juridiques soient stables, il faut que la pratique courante entre les entreprises et l'administration soit aussi claire que possible. Il y a des progrès de part et d'autre à réaliser.
Q. : Après la conclusion attendue de l'accord de protection mutuelle des investissements entre la France et la Roumanie, qu'est-ce qui sera nécessaire pour que le gouvernement français décide de réviser les indicateurs qui placent la Roumanie dans les pays à risque élevé pour les investissements ?
R. : On raconte beaucoup d'histoires sur cette question. On dit que la France traite moins bien la Roumanie que d'autres pays. J'ai regardé un peu les choses dans le détail. Je me suis aperçu que notre Compagnie qui gère l'assurance de notre commerce extérieur, qui s'appelle la COFACE, a à peu près les mêmes régules que la société allemande qui fait le même travail, qui s'appelle Hermès. Cela ne se fait pas comme cela de manière arbitraire. Il y a des critères économiques très précis. Je pense que les progrès que la Roumanie est en train de faire sur le plan économique, le fait qu'elles soit maintenant sortie d'une récession terrible pour s'engager sur la voie de la reprise nous permettront de tenir compte de cette amélioration économique et de revoir les dispositions existantes. Nous avons récemment relevé le plafond des engagements de la COFACE vis-à-vis de la Roumanie. Nous sommes très très ouverts à cette coopération.
Q. : Quelques jours avant votre visite à Bucarest, le Premier ministre, Édouard Balladur, s'est prononcé pour une Europe à géométrie variable, autrement dit à plusieurs vitesses. Ce modèle prévoit-il que les pays de troisième catégorie, comme est considérée à Paris la Roumanie, soient aidés afin d'accroître leur vitesse pour arriver plus rapidement à l'unité du continent ?
R. : Vous voyez que mon voyage est utile parce que cela permet de dissiper quelques idées-forces. Qui vous a dit qu'à Paris la Roumanie était un pays de troisième catégorie ? Cela n'a aucun sens. Il faut bien comprendre ce que le Premier ministre a voulu dire. Partons d'abord d'une constatation. Est-ce que l'Europe, lorsqu'elle aura 24 ou 25 membres, pourra fonctionner comme quand elle en avait 6 ou 12 ?
Il suffit de poser la question pour avoir la réponse. Il faut changer le fonctionnement de l'Europe. Ce fonctionnement devra être plus souple, plus diversifié, parce qu'on ne travaille pas à 25 comme on travaillait à 6. C'est cela que le Premier ministre français a dit. Dans ce cadre-là, il est probable que tout le monde ne fera pas tout en même temps. Pour la monnaie unique qui est déjà prévue dans le Traité de Maastricht, tout le monde ne pourra pas, en même temps, en assumer les disciplines. Ceux qui le pourront le feront, et les autres rejoindront plus tard. On peut également imaginer que dans le domaine de la défense de l'Europe, de la sécurité, tous les pays qui constitueront l'Union européenne n'auront pas exactement les mêmes responsabilités. Je ne veux citer aucun pays mais, enfin, c'est quand même une vérité d'évidence. Je pourrai multiplier les exemples. Vous voyez l'idée. Tous ceux qui le veulent et qui le peuvent pourront participer aux différents cercles de responsabilités. Les autres rejoindront au fur et à mesure de leur développement, mais nous n'avons pas arrêté de listes.
C'est un système beaucoup plus souple qui mérite évidemment d'être précisé et approfondi.
Q. : La France s'est prononcée pour que les candidats à l'Union européenne puissent entrer à l'Est du continent en ayant au préalable réglé leurs problèmes de minorités et de frontières. Comment voit-on à Paris le traitement appliqué aux minorités de Roumanie ?
R. : D'abord, je voudrais bien expliquer pourquoi nous souhaitons cela. Pour que l'Union européenne fonctionne bien, il faut éviter de transposer au sein de l'Union les problèmes de voisinage qui empoisonneraient ensuite la vie de la Communauté. Cela me paraît normal de la part des pays de l'Union européenne. Nous avons été un peu échaudés par le passé, parce que précisément nous n'avions pas réglé ce problème de voisinage. C'est la philosophie du plan Balladur pour la conférence sur la stabilité. La Roumanie a joué le jeu, elle est venue à, Paris au moment de la Conférence inaugurale. La première réunion de la table régionale Europe centrale, dans laquelle siège le Roumanie, est prévue à Bruxelles le 11 et 22 septembre. Il me semble donc que les choses vont dans la bonne direction et j'ai été particulièrement attentif aux retombées du voyage que mon collègue M. Melescanu a fait récemment à Budapest. Il m'a semblé qu'entre Budapest et Bucarest, le dialogue s'était noué de manière très positive. Vous voyez que l'on va sans doute y arriver. Cela a peut-être été le mérite de la Conférence de Paris que d'accélérer le processus.
Q. : Dans les milieux diplomatiques, on parle d'un projet d'une trilatérale franco-allemano-roumaine. Quelles sont les perspectives de ce projet ? Y a-t-il aussi des obstacles ?
R. : Je ne vois pas d'obstacles. Je confirme ce projet. J'en ai parlé avec mon collègue M. Kinkel, qui est d'accord. J'en ai parlé aujourd'hui avec M. Melescanu, qui est d'accord. Nous allons donc organiser une Conférence préparatoire au niveau des experts, des diplomates, d'ici la fin de l'année et la France souhaite que, dans les premiers mois de l'année 1995, la première réunion au niveau ministériel, entre les ministres des Affaires étrangères de ces trois pays, puisse se tenir. Vous voyez que c'est en bonne voie.
Q. : La France a constamment soutenu les efforts de règlement du conflit bosniaque, y compris par le plus important contingent de casques bleus déployé en Bosnie Herzégovine. À présent, le processus de paix se trouve dans une crise dangereuse, mais à la dernière réunion des experts du groupe de contact, auquel la France appartient, se sont dégagés quelques éléments qui permettent une nouvelle approche de la crise bosniaque De quoi s'agit-t-il ?
R. : Vous disiez que le conflit bosniaque est dans une période très difficile. Je dirai que tout est possible : une percée vers la, paix et, c'est vrai aussi, une reprise des hostilités. Le moment est particulièrement important mais il y a des chances d'aboutir. Je voudrai souligner cela : on a fait beaucoup de progrès depuis six mois. La guerre, à part quelques secteurs où les hostilités reprennent sporadiquement, s'est arrêtée ; la situation à Sarajevo a radicalement changé. Le groupe de contact s'est constitué. On est enfin arrivé à impliquer dans la discussion les Russes, les Américains et les Européens. On a avancé. Il s'est passé un événement, je crois, important à la fin du mois de juillet, c'est que les autorités de Belgrade ont accepté le plan qui a été proposé par le groupe de contact et ont condamné l'attitude des Serbes de Bosnie. Il faut prendre en considération cet événement nouveau. C'est ce que le groupe de contact a fait hier à Berlin. Les choses se sont bien passées. La cohésion du groupe de contact a tenu. On avait pronostiqué un éclatement entre Russes, Américains et Européens. Cela ne s'est pas produit. Nous sommes restés avec la volonté de travailler ensemble et nous avons mis au point un certain nombre de principes sur lesquels nous sommes d'accord. Premier principe : il faut prendre en considération la nouvelle attitude de Belgrade. Deuxième principe : si on peut mettre en place un système d'observation de l'embargo qui a été décrété par Belgrade contre les Bosno-Serbes, alors il faut franchir une première étape dans la suspension des sanctions contre Belgrade. Nous sommes tombés d'accord là-dessus. Nous Sommes on train d'en voir maintenant les modalités. Puis, nous avons décidé de poursuivre nos réflexions sur les aspects institutionnels du règlement. Une réunion des ministres du groupe de contact devrait pouvoir se tenir à la fin du mois de septembre à New York et cela permettra de faire avancer les choses.
Q. : Merci, Excellence. Nous vous attendons à nouveau en Roumanie.
R. : Je le répète, car ce voyage été très bref, et, je vous le répète, j'ai senti ici une très grande complicité, au bon sens du terme, entre nos deux pays.
Bucarest, radio roumaine, 8 septembre 1994
Q. : On parle d'une intégration européenne à plusieurs vitesses. Quelle est, à cet égard, la position de Paris ?
R. : Paris n'a jamais proposé la constitution d'un noyau duquel serait exclu durablement tel ou tel pays. Nous partons d'une constatation de bon sens : il faut élargir l'Europe. Tout le monde est bien d'accord. Je pense qu'on en est d'accord, ici en particulier, en Roumanie. Si on élargit l'Europe, s'il y a au sein de l'Union européenne non plus 12, mais un jour sans doute 24 ou 25 pays, on ne peut pas continuer à fonctionner comme avant. Il faut une réforme en profondeur des institutions de l'Union européenne, sinon ce sera la paralysie. C'est dans cette perspective que le gouvernement français, notamment son Premier ministre dit : il faut une Europe plus souple, plus diversifiée, où vraisemblablement tout le monde ne fera pas tous en même temps. C'est ce que nous appelons la géométrie variable. C'est d'ailleurs déjà prévu dans le Traité de Maastricht : il est bien prévu que la monnaie unique se fera avec les pays qui le pourront ou le voudront à un certain moment ; les autres rejoindront après. Voilà notre philosophie. Elle n'exclut personne ; elle permet à tous ceux qui le souhaitent et qui le peuvent de participer aux solidarités les plus fortes au sien de l'Union européenne. Elle permet aux autres de rejoindre petit à petit ces différents cercles.
Q. : Pendant la présidence allemande puis française, a-t-on pour objectif le parachèvement du pacte de stabilité avant mai prochain ?
R. : Je crois que l'on peut tenir ces délais. Quand on a, en plus, la volonté politique de régler les problèmes, on ne fait pas trop traîner. On sait quelles sont les questions à régler et, si on le veut, on le peut. De ce point de vue, ce que je sais des contacts entre les autorités de Budapest et de Bucarest au terme de mes entretiens me donne des raisons d'être optimiste. Je pense que le climat est bon, qu'il est meilleur que par le passé, que l'on progresse sur un certain nombre de questions. J'attends beaucoup de la réunion de la table régionale sur l'Europe centrale qui doit avoir lieu à Bruxelles le 21 et le 22 septembre prochain.
Q. : Monsieur le Ministre, puisque la France est membre du groupe de contact et puisque la France a envoyé le contingent le plus massif pour le maintien de la paix en Bosnie, comment voit-on à Paris une éventuelle contribution des pays voisins de la Yougoslavie à la détermination d'une solution politique ?
R. : Je crois que l'on peut dire qu'il y a maintien de la paix en Bosnie. Si la FORPRONU n'était pas sur le terrain, on se battrait toujours dans les Krajina, en Croatie, et Sarajevo serait toujours bombardé ainsi que Gorazde. Donc, la présence de la FORPRONU a été très utile sur le terrain. La participation des pays voisins peut être extrêmement importante. La Roumanie participe notamment à la mise en œuvre de l'embargo appliqué contre la Serbie et je sais que cela lui crée des problèmes. Cela lui coûte cher et cela handicape profondément son économie. Je pense que c'est une question qu'il faut traiter. L'Union européenne, les États-Unis devraient l'aborder en liaison avec les pays riverains. En second lieu, les pays voisins de l'ex-Yougoslavie ont chacun une influence sur les partenaires en présence. Je crois que la Roumanie, en particulier, peut, en ce domaine, jouer un rôle très positif.
Q. : Votre premier message ici, à Bucarest, évoquait les relations privilégiées et la solidarité entre la France et la Roumanie. Comment voyez-vous les retombées de l'accord de Schengen sur la Roumanie ? Pour obtenir un visa touristique pour un voyage d'une semaine en France, il faut attendre deux ou trois semaines en Roumanie…
R. : Je comprends les réactions que cela peut susciter en Roumanie. Il faudrait peut-être que vous essayiez aussi de comprendre les problèmes qui se posent en France. Nous sommes un pays ou l'immigration est très nombreuse. Nous avons par ailleurs 12,5 % de taux de chômage. Donc, nous ne pouvons plus continuer à accueillir les mouvements de populations sans contrôle : c'est la raison d'être de la procédure des visas. Il faut l'alléger, l'accélérer le plus possible. Entre le moment où une demande est enregistrée et le moment où le visa est délivré, les délais ont été considérablement réduits. Ils sont passés de près de deux semaines à 48 heures. Vous allez me dire qu'il faut pouvoir déposer son visa, et que c'est là que précisément, existent les files d'attente. Nous allons essayer de nous attaquer à cette question. Vous savez, parmi les demandes de visas – je cite un chiffre de mémoire, je crois qu'il n'est pas loin de la réalité – il y a 12 à 13 % de demandes rejetées. Pourquoi ? Parce que ce sont de faux touristes. Vous voyez que la question se pose et que le problème existe. Il faut le traiter dans cet esprit.
Mais, enfin, cela ne doit pas porter atteinte au caractère privilégié de la relation entre la France et la Roumanie, que je n'ai cessé d'évoquer pendant ce voyage et qui se manifeste de multiples manières. Je pense toujours à la langue, à la pratique du français en Roumanie. Il y a aussi l'histoire, l'architecture, le football. Nous avons été très attentifs au rôle de la Roumanie pendant le mondial. C'était peut-être une façon aussi de…
Q. : De vous représenter un peu ?
R. : De nous représenter. Je vous remercie de rappeler que la France, hélas, n'était que spectatrice à cette occasion.
Q. : La France n'occupe plus la première place dans les relations économiques extérieures de la Roumanie.
R. : Il ne faut pas dramatiser. Les relations économiques, elles existent. En rencontrant la communauté française aujourd'hui, j'ai rencontré un très grand nombre de chefs d'entreprises, de grandes entreprises, mais aussi parfois, de PME, de PMI, qui viennent tenter leur chance ici. Nous sommes le quatrième partenaire commercial de la Roumanie. Ce n'est pas assez. Nous sommes le deuxième investisseur en Roumanie. Il faut reconquérir la première place, cela suppose des efforts supplémentaires de la part de la France et cela suppose aussi, je tiens à le dire, du côté de la Roumanie des règles du jeu précises, car parfois nos investisseurs trouvent que, dans la vie quotidienne – on n'en est plus au niveau des grandes déclarations et des grands principes – les choses sont un peu difficiles avec l'administration. Il faut une confiance mutuelle. Petit à petit, je suis persuadé que l'on va dans la bonne direction.