Déclaration de M. Daniel Hoeffel, ministre délégué à l'aménagement du territoire et aux collectivités locales, sur le bilan et les perspectives de la fonction publique territoriale, Paris le 28 avril 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Daniel Hoeffel - Ministre délégué à l'aménagement du territoire et aux collectivités locales

Circonstance : Colloque "10 années de statut de la fonction publique" à Paris le 28 avril 1994

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de vous remercier pour votre invitation et de vous dire combien je suis heureux ce matin d'ouvrir votre colloque sur le thème des "10 années de statut de la fonction publique".

Ce statut repose en effet pour la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale sur les lois des 11 et 26 janvier 1984 complétées par la loi du 12 juillet de la même année pour la formation des fonctionnaires territoriaux. La fonction publique hospitalière devra attendre 1986.

Je laisse le soin à mon collègue André Rossinot, qui interviendra en fin de matinée, de replacer le statut de la fonction publique dans son ensemble, dans la tradition française du service public, et d'en établir un bilan avec vous.

Pour ma part je m'attacherai surtout à analyser le bilan du statut de la fonction publique territoriale ainsi que ses perspectives d'évolution.

Je n'en suis pas moins particulièrement sensible à cet anniversaire, et cela à un double titre :
- parce que d'une part, j'ai été le rapporteur devant le Sénat des textes relatifs à la fonction publique territoriale ;
- et d'autre part, parce que je me trouve être aujourd'hui chargé, au nom du Gouvernement, de proposer une modification de ces textes.

Dix ans après mon rapport au Sénat, permettez-moi de me citer : "si les principes qui sous-tendent la réforme peuvent, dans leur formulation générale et théorique, être approuvés, leur traduction dans les dispositions du projet de loi est parfois critiquable au regard de l'impératif que constitue le respect de l'autonomie locale".

Ces propos demeurent d'actualité et c'est la raison pour laquelle nous avons entrepris, tout en réaffirmant la nécessité et l'architecture du statut général, de procéder à un certain nombre d'adaptations.

Au préalable, je voudrais souligner que pour les collectivités vocales, cet anniversaire a une dimension spéciale puisque la loi du 26 janvier 1984 a mis en place un véritable statut de la fonction publique territoriale.

Dans la situation antérieure, dominaient le système de l'emploi et non celui de la carrière, et une grande hétérogénéité des situations : un statut du personnel communal chant de 1952, pas de statut peur les personnels départementaux et régionaux. Cette situation était à l'évidence insatisfaisante.

En réponse, la loi du 26 janvier 1984 reposait sur les objectifs :
- de création d'une fonction publique territoriale unique ;
- d'émergence d'une fonction publique de carrière ;
- tout en devant veiller au conséquences des principes de la décentralisation.

Aujourd'hui, comme je l'avais pressenti en 1984, ces principes n'ont pas reçu une égale application. Ils ont permis, globalement, la mise en place d'un socle où les préoccupations d'unité et de parité l'ont parfois emporté sur les besoins liés aux spécificités territoriales.

1°) Certes, l'attachement de la fonction publique territoriale aux principes statutaires est aujourd'hui incontestable.

Les principes du concours, de la carrière, de l'unité de statut sont des gages essentiels de neutralité et de qualité du service public.

Cela est d'autant plus vrai qu'ont été mis en place, filière après filière, les statuts particuliers.

Il existe actuellement une soixantaine de cadres d'emploi. C'est déjà peut-être trop. Des simplifications peuvent être envisagées dans certains cas afin d'éviter d'excessifs cloisonnements entre les carrières.

Ce processus, commencé en 1987, arrive aujourd'hui à son terme avec la prochaine publication du statut des policiers municipaux et de celui des gardes-champêtres. Ce dernier a reçu un avis favorable à l'unanimité du conseil supérieur de la fonction publique territoriale le 15 avril 1994.

Plus généralement, il m'apparaît après dix ans que la fonction publique territoriale a acquis une certaine maturité.

Cette maturité renforce sa crédibilité.

Elle justifie en outre que des mesures générales de revalorisation des rémunérations ou des classifications soient définies pour l'ensemble des fonctions publiques.

Je note sur ce point, qu'à l'avenir, lorsque des accords généraux seront passés, il serait souhaitable que les élus y soient associés. André Rossinot comme moi-même sommes favorables à cette évolution.

Permettez-moi de faire deux remarques complémentaires.

Tout d'abord, cette notion d'unité de la fonction publique me paraît préférable à celle de comparabilité. Comparer la fonction publique territoriale à celle de l'État n'est pas en soi un objectif.

Ce qui compte c'est la définition de principes statutaires essentiels. Les règles en découlant n'en sont pas forcément identiques, selon les types d'employeurs publics.

En outre, la fonction publique territoriale peut être aussi une référence ou le creuset d'initiatives et d'expérimentations pour l'ensemble de la fonction publique.

Ma deuxième remarque a trait au nécessaire développement de la mobilité entre les fonctions publiques, corollaire indispensable de leur unité.

Je suis convaincu que l'achèvement de la construction statutaire doit fournir l'occasion d'aller plus loin en ce sens, alors que sur ce plan la fonction publique territoriale est encore désavantagée.
 
Le bilan de ces dix années de construction statutaire est donc, à divers égards, positif.

2°) Mais, comme en 1984, je suis persuadé qu'un effort est nécessaire pour mieux concilier ces principes statutaires et les spécificités territoriales.

La difficulté initiale est de n'avoir pas suffisamment pris en compte les caractéristiques de la libre administration des collectivités locales, et leur diversité – 50 000 employeurs locaux – en tendant à leur appliquer un système centralisé trop directement inspiré de l'État, employeur unique.

La recherche de cette conciliation explique très largement les nombreuses modifications intervenues depuis dix ans, et notamment la loi Galland du 13 juillet 1987 qui a retenu la notion de "cadres d'emplois" en recherchant davantage de souplesse.

Il n'en faut pas moins aujourd'hui envisager une nouvelle modification. C'est l'objet du projet de loi qui vient de recueillir l'avis favorable du conseil supérieur de la fonction publique territoriale le 13 avril dernier.

Pourquoi de nouvelles modifications ?

Il ne s'agit bien évidemment pas de remettre en cause les principes statutaires retenus depuis 1984 et 1987, mais très concrètement de prendre en compte des dysfonctionnements persistants.

Je ne citerai qu'un seul exemple : il n'est pas normal qu'après dix ans de construction statutaire, la place des contractuels soit toujours aussi importante, voire croissante, alors que dans le même temps le nombre de "reçus-collés" aux concours reste excessif.

Cela témoigne de ce qu'un certain nombre de mécanismes ne permettent pas suffisamment de répondre aux besoins exprimés par les employeurs locaux.

Ce projet de loi est le résultat d'une longue concertation conduite depuis plusieurs mais avec l'ensemble des partenaires concernés, associations d'élus, organisations syndicales, associations professionnelles.

Son objet est de favoriser le recrutement par les collectivités territoriales des fonctionnaires correspondant aux besoins qu'appelle l'exercice de leurs compétences décentralisées.

Il répond à trois objectifs :

Premier objectif, améliorer les procédures de recrutement.

Dans la pratique, un allégement et un rapprochement des procédures de recrutement des besoins exprimés localement sont nécessaires chaque fois qu'ils sont compatibles avec le maintien du niveau et de la qualité des concours.

L'organisation des concours pourra ainsi être davantage déconcentrée ou décentralisée au niveau du CNFPT, des centres de gestion ou des collectivités locales, sur la base de critères tenant au niveau, à la distinction entre concours sur titres et concours sur épreuves ainsi qu'au nombre de recrutements annuels.

Les mécanismes de recrutement seront également améliorés afin que les délais d'organisation des concours soient raccourcis et le recours aux nominations sur liste d'aptitude plus systématique.

Le champ de recrutement des agents à temps non complet, enfin, sera élargi, en réponse aux besoins spécifiques des collectivités locales comme aux objectifs d'aménagement du temps de travail.

Deuxième objectif, assouplir les modalités de formation initiale d'application.

Cette formation, qui doit rester de qualité, est trop souvent un obstacle de recrutement des fonctionnaires en privant les employeurs de la disponibilité de leurs agents pendant une longue période.

Aussi, la plupart des agents effectueront une formation initiale d'application abrégée juste après leur nomination, complétée par une formation d'adaptation à l'emploi étalée dans le temps.

Pour les fonctionnaires de catégorie A, lorsque le statut particulier le prévoira, la formation interviendra avant leur nomination, afin d'alimenter un "vivier" de cadres immédiatement disponibles.

Troisième objectif, améliorer l'organisation du déroulement des carrières à deux points de vue principalement.

La promotion interne est un élément essentiel de gestion des carrières mais se trouve entravée dans les communes à l'effectif réduit où le nombre de recrutements est faible. C'est pourquoi, l'élargissement de l'assiette de la promotion interne des communes affiliées aux centres de gestion permettre d'accroître le nombre d'agents pouvant être promus.

Par ailleurs, la brutalité des procédures de suppression d'emploi et de décharge de fonctions, ainsi que le nombre d'agents pris en charge et leurs difficultés de reclassement, conduise à modifier ces procédures. La prise en charge par le CNFPT ou les centres de gestion n'interviendra qu'à l'issue d'une période intermédiaire, pendant laquelle les agents restent sous la responsabilité de leur collectivité d'origine, accompagnée d'une série de mesures d'incitation et de responsabilité pour favoriser au maximum le reclassement professionnel.

Vous le voyez de projet de loi est un texte de compromis parce qu'il ne recherche que les réponses pragmatiques.

Il m'apparaît renforcer l'équilibre entre deux logiques également légitimes : celle des besoins et des spécificités locales et le logique statutaire.

Je suis persuadé qu'il contribuera à donner un nouvel essor à la fonction publique territoriale, mais aussi une vitalité à l'ensemble de la fonction publique, dans un contexte de clarification de la décentralisation et de redéfinition du rôle de la puissance publique, notamment au travers de la politique d'aménagement du territoire.