Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RTL le 24 juillet 1998, sur la préparation du budget 1999, les réformes fiscales notamment la taxe professionnelle et les négociations dans la métallurgie sur la réduction du temps de travail.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Richard Arzt : D'un point de vue syndical, la fusion Aérospatiale-Matra dévoilée hier est-elle une bonne décision ?

Marc Blondel : Sur le plan du personnel, le problème est de savoir les conséquences, s'il y a une restructuration et s'il y a des conséquences sur l'effectif. D'après nos informations, ce n'est pas le cas. En tout cas, on veillera à ce que ce ne soit pas le cas. Sur le plan de la privatisation elle-même, je ne suis pas sûr que ce soit très intelligent de privatiser le secteur de la défense : on a déjà Giat ; maintenant, si on a l'Aerospatiale... c'est un problème qui mérite quelque réflexion.

Richard Arzt : C'est un préalable à des regroupements européens, aussi ?

Marc Blondel : Peut-être que c’est une anticipation sur ce que pourrait être la défense européenne. Ceci étant, il faut bien comprendre qu'avec la mondialisation et le fait que le libéralisme gagne à tout crin maintenant, effectivement, il y a une tendance naturelle politiquement à dégager ce qui était parfois nationalisé vers le secteur privé.

Richard Arzt : Autre annonce récente du Gouvernement, le budget. Estimez-vous que le Gouvernement fait un bon usage de la croissance ?

Marc Blondel : Il y a plusieurs choses sur le budget. En fait, le budget, ça définit l'orientation politique d'un gouvernement. C'est le premier acte. Dans le cas d'espèce, j'ai l'impression qu'il y a une espèce d'équité : dans l'esprit de M. D. Strauss-Kahn, il a dit « On va faire des cadeaux aux patrons et on va essayer aussi d'en faire aux salariés... » Alors, bien entendu, comme toujours, l'équité est quelque chose de très subjectif. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. Je veux bien lui donner d'ailleurs acte de différentes choses. Par exemple, il a résisté à l'envie de mettre des taxes nouvelles sur l'essence, ce qui était traditionnel dans tous les budgets depuis 20 ans. C'est la première fois que ça n'existe pas. Par contre, je note aussi qu'il a cédé aux employeurs sur taxe professionnelle.

Richard Arzt : C'est un cadeau aux patrons ?

Marc Blondel : C'est quelque chose d'important. Ça va poser des problèmes à certaines mairies : il va falloir que l’État se substitue, parce que c'était un des seuls revenus...

Richard Arzt : C'est prévu.

Marc Blondel : Oui. Quand l’État se substitue, c'est l'impôt des autres. C'est nous qui allons payer des impôts pour nous substituer à la taxe professionnelle. C'est bien ça ce que ça veut dire !

Richard Arzt : C'est un cadeau au patronat, peut-être, mais en même temps...

Marc Blondel : Il est énorme. Permettez-moi, parce que je tiens à le dire, c'est presque un défi : les patrons revendiquent depuis X temps la baisse de la taxe professionnelle ; ça y est, ils l'ont obtenue. Parait-il que c'était un frein à l'embauche. Maintenant, qu'ils embauchent ! Il va falloir qu'ils embauchent.

Richard Arzt : C'est bon pour l'emploi ?

Marc Blondel : Le problème n'est pas tellement d'assurer que c'est bon : la réduction de la durée du travail, ça devait être bon pour l'emploi ; il n'y a plus personne maintenant qui parle de l'emploi. C'est clair, net et précis : les patrons voulaient cette revendication ; ils l'ont obtenue. Maintenant, le défi est clair : qu'ils embauchent. On va voir ! Permettez-moi de vous dire que je suis un peu sceptique, mais je suis attentif. Si toutefois il y a un glissement d'impôt sur le revenu pour permettre de se substituer à la taxe professionnelle, il faut que ça ait des effets. Les effets, c'est l'embauche. On va voir.

Richard Arzt : Il y a eu hier jusque tard dans la nuit une négociation dans la métallurgie sur les 35 heures avec le patronat et les syndicats ; ils doivent se revoir la semaine prochaine. C'est une négociation assez complexe. Mais pensez-vous qu'il y a matière à discuter avec le patronat ? Ce n'est pas l'avis de tous les syndicats : la CFDT estime qu'il faut se tenir un peu à l'écart.

Marc Blondel : On ne va pas toujours fixer les raisonnements en fonction de la CFDT ! On peut peut-être en parler, surtout quand c'est moi qui suis l'invité! Première chose: c'est déjà un pas, à mon avis, non négligeable, que l'UIMM accepte de négocier. Je vous rappelle que la position du patronat CNPF, c'était « On laisse faire. Il y a une loi. On laisse faire. » Nous, nous disions « Négociations par branche », pour éviter les effets du cannibalisme et que les entreprises ne soient pas en concurrence directe et que ce ne soit pas la réduction de la durée du travail qui serve d'élément de concurrence. Donc, engagement au niveau professionnel, l’UIMM, ce n'est pas négligeable : ça fait presque 1,8-2 millions de salariés. Ça mérite donc qu'on négocie. Deuxièmement : la nature de la négociation. Je crois effectivement que la réduction de la durée du travail ne peut pas se faire exclusivement, par une décision de caractère administratif et législatif : il faut regarder les conséquences pratiques, surtout si on rêve un peu pour dire que la réduction de la durée du travail doit avoir pour effet l’embauche.

Richard Arzt : C'est un rêve ?

Marc Blondel : J'ai toujours dit, et je le répète, que tous ceux qui voulaient donner une espèce de signification à la réduction de la durée du travail qui est une revendication normale des syndicats et des salariés, ceux qui disaient « On va réduire la durée du travail de 10 % et on va embaucher 10 % de personnel en plus » semaient l'illusion. J'ai toujours dit, et je continue de le répéter, au point qu'on disait que nous étions contre.

Richard Arzt : Dans cette négociation avec la métallurgie...

Marc Blondel : C'est clair : la démonstration est en train de se faire que les patrons vont accepter la législation, donc l'obligation à 35 heures durée légale, mais ils vont essayer d'obtenir une durée effective qui leur permette d'assurer la production. L'arbitrage et le choix entre l'investissement, l'embauche, la réduction de la durée du travail va être variable selon les lieux, les gens, l'entreprise et la nature de la production. C'est pour ça que cette négociation est une négociation importante, d'autant plus qu'elle va constituer un précédent et qu'elle va ouvrir la voie vraisemblablement à d'autres négociations. Donc, il faut bien comprendre : pour moi, ce qui est clair, c'est qu'il faut défendre la notion de négociation collective. C'est absolument indispensable pour les relations sociales dans le pays. Comme c'est un précédent, je m'attacherai exactement - je ne le sais pas pour l’instant, je n'ai pas encore eu le temps de voir mes camarades qui étaient en négociation cette nuit - à ce que dans le détail on n'ait pas des précédents qui soient ennuyeux pour les autres professions. J'espère bien que la négociation aura un effet pratique sur la situation des salariés et un effet positif. C'est quand même ça, l'objectif, et pas l'inverse.

Richard Arzt : Il n’y a pas de risque que vous apparaissiez comme l'interlocuteur primordial du patronat ?

Marc Blondel : Primordial, j'espère bien !

Richard Arzt : Privilégié ?

Marc Blondel : Qu'est-ce que c'est, un interlocuteur privilégié ? Tout ça, ce sont des mots. Ça ne signifie rien. En définitive, je veux être l'interlocuteur du patronat pour défendre les intérêts des salariés. Sinon, ça ne m'intéresse pas.

Richard Arzt : Vous êtes amateur de courses cyclistes. Que dites-vous du dopage ?

Marc Blondel : Ça me fait sursauter, bien entendu. Je suis contre le dopage. Mais ce n'est pas un problème facile. Ça commence où, le dopage ? Ça s'arrête où ? Il y a un problème de liberté individuelle. Dans cette affaire - mon ami Leblanc, le directeur du Tour de France, va être en colère, parce que j'en parle -, il y a une très grande responsabilité de la part du prescripteur, de la part des médecins : eux savent très bien les conséquences que ça peut avoir. C'est eux qui doivent être les gardiens d'une certaine éthique. On arrivera à ça.