Article de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, dans "Le Monde" le 14 août 1998, sur les mesures de restriction à la circulation automobile en ville et les enjeux de santé publique liés à la pollution atmosphérique, intitulé "Civisme sanitaire".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Notre pays prend lentement conscience des effets néfastes de la pollution atmosphérique sur la santé. On constate une recrudescence de troubles respiratoires, particulièrement chez les personnes les plus vulnérables : jeunes enfants, personnes âgées, sujets allergiques. Nos systèmes de veille épidémiologique en attestent. Les hôpitaux notent une augmentation des consultations lorsque les observatoires marquent une détérioration de la qualité de l'air. Certes, les études sont encore balbutiantes, face à des phénomènes difficiles à appréhender, mais les chiffres viennent conforter ce que le bon sens ne pouvait nous laisser ignorer : qualité de l'air, qualité de la vie influencent largement la santé publique. Quelles sont les conséquences sur les maladies cardiovasculaires ? Sur les cancers ? Au-delà des effets à court terme, des conséquences à long terme, sans doute plus redoutables, nous imposent de traiter ces questions.

Nous nous y employons : des mesures de restriction de la circulation ont été mises en œuvre par le ministère de l'Environnement. Si de nouveaux pics de pollution interviennent, des décisions plus fermes devront être prises. Des voix commencent à s'élever pour repenser la circulation en milieu urbain. Elles devront être entendues. La voiture ne doit pas nous réduire en esclaves dyspnéiques et crachotants. Nous avons proposé une première mesure en usage ailleurs : que les autocars interdits de circulation urbaine restent sur des parkings aux portes des villes et que des minibus non polluants distribuent les touristes devant les sites appropriés et aux portes des hôtels. Il y a urgence : regardez, à Paris, la couleur du Louvre, qui, au fur et à mesure que sa façade est ravalée, reprend sa teinte grisâtre antérieure. Pensez, en l'observant, à ce que nos poumons absorbent.

Ces phénomènes ne constituent pas une fatalité. Les pouvoirs publics agissent : transparence de l'information ; nouvelles réglementations ; normes plus rigoureuses; sanctions plus fréquentes.

Ce Gouvernement a fait de la santé publique une priorité et renforce donc la sécurité sanitaire. Ainsi, la loi du 1er juillet 1998 nous permet de franchir une nouvelle étape, avec la création de trois nouveaux organismes : agence de sécurité sanitaires des produits de santé ; agence de sécurité sanitaire des aliments ; institut de veille sanitaire. Conformément à l'engagement pris devant le Parlement, une mission a été confiée par le Premier ministre à deux députés sur l'opportunité et la faisabilité de la création d'une agence de sécurité sanitaire de l'environnement.

Mais au-delà de l'action des pouvoirs publics, au-delà des institutions, le renforcement de la sécurité sanitaire, l'amélioration des indicateurs de santé passent essentiellement par une mobilisation de l'ensemble de nos concitoyens autour de ce que j'appelle de mes vœux : le civisme sanitaire.

respect vis-à-vis d'autrui

Qu'entendre par là ? Que la santé est un bien individuel dont la protection dépend, aussi, de comportements collectifs. Accidents de la route, tabagisme passif, effets de la pollution : notre salut ne viendra pas de notre système de soins, qui ne peut intervenir que lorsqu'il est déjà trop tard, mais de notre comportement, de l'attention portée à nous-mêmes et aux autres, du respect vis-à-vis d'autrui. A juste raison, nous demandons toujours plus à nos hôpitaux, à nos médecins, aux médicaments et, plus largement, au progrès médical. Il est de la responsabilité du Gouvernement d'améliorer l'égalité devant les soins. Mais l'égalité devant la santé, la réduction des risques, la diminution des causes de mortalité et de morbidité évitables sont aussi l'affaire, tous les jours, de chacun d'entre nous. Les spécialistes de santé publique savent l'importance de l'éducation pour la santé, de la promotion de la santé. La pollution qui s'abat sur nos villes avec la chaleur semble avoir fait naître de nouveaux comportements : plus que la peur du gendarme, le sentiment que notre santé, mais aussi celle des autres, pouvait être menacée y a certainement contribué. Début d'un civisme sanitaire dont nous avons un impérieux besoin.

Le civisme sanitaire, c'est une citoyenneté active et responsable appliquée à la santé qu'il faut forger dès l'école et que nous devons traduire dans notre vie de tous les jours. Les conférences citoyennes de consensus, comme celle qui s'est tenue sur les organismes génétiquement modifiés, comme celles que nous tiendrons dans le cadre des états généraux sur la santé, doivent y contribuer. Le rôle accru des associations des malades, avec lesquelles les médecins apprennent à communiquer et à travailler, témoigne également de ce que les mentalités changent. Le débat indispensable sur la fin de vie en constitue une autre preuve.

Nous disposerons, à l'automne, des résultats d'une étude pilote menée dans neuf grandes villes, sous la coordination du réseau national de santé publique et ce dispositif de surveillance sera pérennisé. Parallèlement au renforcement de la connaissance épidémiologique, j'ai saisi le Haut Comité de santé publique, qui n'a jamais été sollicité sur ces questions, afin que ses réflexions et ses propositions contribuent à ce que nos politiques intègrent mieux les enjeux de santé publique liés à la pollution atmosphérique.

le temps de la prévention

Que vienne enfin, prenant les maladies de court, le temps de la prévention. Non pas une prévention assénée, subie, culpabilisante, mais une prévention d'autant plus efficace qu'elle reposera sur une sensibilisation aux enjeux collectifs qui dépendent de nos comportements individuels. Nous sommes tous solidaires les uns des autres dans ce combat pour la santé.