Interview de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, dans "Le Monde" du 10 septembre 1998, sur la stratégie politique du RPR, notamment avec "L'Alliance", la préparation des élections européennes et le débat sur la ratification du traité d'Amsterdam et les orientations du Gouvernement en matière fiscale dans le cadre du budget 1999.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Q - L'opposition reproche à Lionel Jospin de faire preuve d’« immobilisme » mais, quinze mois après l'alternance, cela semble convenir aux Français. Comment expliquez-vous la popularité persistante du Premier ministre ?

- « J’admets bien volontiers qu'aujourd'hui, la mode n'est pas à la critique du Gouvernement. M. Jospin est un habile homme, mais il a le tort de conduire une politique particulièrement mal adaptée à la situation de notre pays. Ses choix économiques, sociaux et politiques du Gouvernement constituent autant d'erreurs. Il en va ainsi des 350 000 « vrais-faux » emplois publics de Mme Aubry, des 35 heures, de la politique de privatisation honteuse et inachevée du type de celle d'Air France. Voilà pour l'avenir, qui est préparé avec un rétroviseur.

Pour le présent, la situation n'est guère meilleure : concernant la réduction du déficit, la politique de M. Strauss-Kahn fera de la France le dernier de la classe. Je constate que les rentrées fiscales ne servent qu'à augmenter les dépenses publiques et non à baisser les impôts. Cette politique est d'autant plus imprévoyante que les nuages s'amoncellent en Asie et en Russie, en Amérique du Sud et en Europe de l’Est. Pronostiquer la persistance d’un fort mouvement de croissance me paraît très risqué. »

Q - Le Premier ministre n'est-il pas aussi servi par l'état dans lequel se trouve l’opposition ?

- « Il est évident que l'opposition a mis du temps à se remettre du traumatisme qu'a représenté sa défaite de juin 1997. Toute défaite, hélas, ne pousse ni à l'union, ni à la sérénité. L'opposition a souvent été son premier adversaire. Il est donc urgent de cesser de marquer des buts contre son propre camp. Soyons plus solidaires entre nous. Attachons-nous à résoudre notre véritable problème d’identité idéologique, plutôt que de nous focaliser sur les provocations médiatiques.

S’agiter en permanence sur le Front national, ou sur les trajectoires de Jacques Blanc ou Charles Millon, c'est s'agiter sur les conséquences d’un phénomène et refuser de s’interroger sur ses causes. Pourquoi y a-t-il aujourd'hui 15 % d'électeurs au Front national ? Voilà une vraie question. François Mitterrand et le Parti socialiste ont exploité honteusement le phénomène du Front national, mais ce n'est pas eux qui l'ont créé. Ce phénomène trouve son origine dans la trop grande discrétion de la droite en tant qu'entité idéologique et défenseur de certaines valeurs. Les électeurs qui nous ont quittés reviendront le jour où la droite redeviendra, sans complexe et sans outrance, ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. »

Q - Au-delà de M. Blanc, il y a Alain Madelin, président de Démocratie libérale, l'un des trois partenaires de L'Alliance pour la France. Pourquoi avez-vous cautionné son attitude ambiguë ?

- « Je suis un responsable politique, je me dois d'être mesuré dans mes réactions et efficace dans mes stratégies. Alain Madelin a fait ce qu'il a cru devoir faire. Personnellement, je n'aurais pas accueilli Jacques Blanc. Mais nous n'allions tout de même pas faire de ce sujet un motif de rupture au sein de L'Alliance, qui aurait eu pour résultat de servir les intérêts de la majorité et du Front national. »

Q - L'Alliance pour la France reste donc sur le bon chemin ?

- « Elle est perfectible, mais elle a le mérite d'exister. Aux trois élections législatives partielles de septembre, il y aura trois candidats communs. Lors des prochaines élections sénatoriales, il y aura prochaines cinquante-neuf investitures communes. Voilà du travail concret. Les membres de L'Alliance pour la France exprimeront une même position sur le budget et, je l'espère, sur le très critiquable projet de PACS.

En la matière, le Gouvernement a agi en deux temps : d’abord, il démantèle la politique familiale en refusant avec obstination de l'inscrire au rang de ses priorités, pour nous expliquer, maintenant, que l'argent que l’on n’avait pas pour encourager que les familles à avoir des enfants, on le dépense pour créer un statut fiscal pour les couples homosexuels. Je ne porte aucun jugement moral, mais je m'interroge sur la nature de cette invraisemblable inversion des priorités et des valeurs.

Et que dire de la mise en cause des contrats d’assurance-vie ? Des millions de Français ont contracté avec l’Etat. Qu'une nouvelle majorité décide de supprimer l'avantage fiscal pour les contrats à venir, je peux le regretter, mais c'est la loi de la démocratie. Mais qu'en revanche, cette mesure s'applique rétroactivement, nous ne pouvons pas l'accepter. Il me semble urgent d'inscrire dans la Constitution le principe de l'illégalité de la rétroactivité fiscale. »

Q - L'Alliance doit-elle présenter une liste commune aux élections européennes ?

- « Mises à part les sénatoriales, qui ne concernent qu'un tiers des départements, les européennes seront la première élection nationale après la création de L'Alliance. La logique, la cohérence, la transparence impliquent qu'il y ait une liste commune de L'Alliance aux prochaines élections européennes. C'est un choix de conviction et d'efficacité, d'autant que la question européenne recouvre incontestablement un choix d'avenir. »

Q - Une clarification n'est-elle pas, tout de même, nécessaire au sein du RPR sur l’Europe ?

- « Elle a déjà très largement eu lieu. Dans le projet qui a été adopté par une immense majorité aux assises du RPR et qui a été rédigé par Philippe Séguin lui-même, les questions de Maastricht et de l'Europe et de son avenir sont évoquées en détail. La synthèse a été possible. Quels faits nouveaux imposeraient sa remise en cause ? »

Q - Peut-être la ratification du traité d’Amsterdam ?

- « Je ne vois pas très bien comment nous pourrions faire autrement que de ratifier un traité dont je rappelle qu'il a été négocié par Jacques Chirac. La cohérence doit être une compagne exigeante. Nous devons donc y veiller en assurant la cohérence de nos choix avec ceux du Président de la République, surtout dans cette matière.

En revanche, le RPR déposera un certain nombre d'amendements lors de la révision constitutionnelle préalable à cette lors ratification. Ils seront débattus lors de la convention sur l'Europe qui aura lieu les 5 et 6 octobre. Ensuite, je pose la question : quel sera l'intérêt pour qui que ce soit, dans la famille gaulliste, d'entretenir une querelle factice sur les problèmes européens ? Qui y gagnera ? »
 
Q - Manifestement, le conseiller politique du RPR, Charles Pasqua, n'entend pas renoncer à s'opposer au traité d'Amsterdam.

- « Au RPR, il n’y a pas de délit d’opinion. Débattons autant que nécessaire ! Mais gardons bien présent qu'en tout état de cause, il n'y aura de candidats du RPR que sur une seule liste. »

Q - Qui, selon vous, devrait la conduire ?

- « Je ne sais pas quelle sera la décision de Philippe Seguin mais, dès lors que je milite pour une liste de L'Alliance, la logique voudrait que celle-ci soit conduite par le président de L'Alliance lui-même. »

Q - Estimez-vous, pareillement, que M. Séguin doit demeurer la tête du RPR ?

- « On lui doit de nouveaux statuts, on lui doit la réconciliation du mouvement, on lui doit le projet et on lui doit le courage dont il a su faire preuve, notamment lorsque le RPR a traversé les derniers épisodes judiciaires. Tout cela, me semble-t-il, devrait le conduire à considérer que sa mission à la tête du RPR n'est pas terminée. Il est le candidat naturel de notre mouvement. »

Q - Christian Poncelet a avancé sa candidature à la présidence du Sénat, pour laquelle René Monory se représente. La logique de L'Alliance n'est-elle pas aussi de se mettre d'accord sur un candidat commun ?

- « Un candidat commun serait préférable, car la qualité de la présidence exercée par René Monory n'est naturellement pas contestable. Mais dès lors qu'il y aurait pluralité de candidatures au sein des groupes émanant de l'UDF et de Démocratie libérale, la tradition voudrait que le principal groupe de la majorité sénatoriale présente lui-même un candidat.