Texte intégral
Monsieur le sénateur,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de vous remercier pour la qualité de votre accueil et de vous dire combien je suis heureux de me trouver avec vous aujourd'hui, à l'invitation de mon ami Jean Cluzel pour évoquer le renouveau de la politique d'aménagement du territoire dans notre pays.
Vous le savez, le débat national sur l'aménagement du territoire, qui a été lancé par le Premier ministre en septembre dernier, est aujourd'hui parvenu au terme de sa première phase. Il a mobilisé des milliers de personnes, d'acteurs locaux, de décideurs, de femmes et d'hommes de toutes les catégories sociales.
La somme de toutes ces conditions est impressionnante. D'ores et déjà, une première synthèse a été faite, dont la publication est intervenue la semaine dernière.
Je souhaiterais vous faire part des premières lignes de force qui s'en dégagent.
Vous savez les raisons qui nous ont conduits, Charles Pasqua et moi-même, à proposer au Premier ministre de relancer une ambitieuse politique d'aménagement. Nous les avons évoquées ici, en Auvergne, lors du débat local le 16 décembre dernier.
1. Aussi, je rappellerai brièvement que notre politique d'aménagement du territoire est fondée sur un double constat : en premier lieu, les mécanismes économiques ne conduisent pas spontanément à un meilleur équilibre géographique. Ils doivent être canalisés, infléchis, orientés ; en deuxième lieu, la rigidité des structures, encore accentuée par la crise, conduit à l'immobilisme plutôt qu'au changement et elle va donc à l'encontre de l'aménagement du territoire.
Dans cette situation, il existe aujourd'hui une place pour un renouveau de la politique d'aménagement du territoire dans notre pays qui vise à concilier dynamisme économique et cohésion territoriale.
Ces deux objectifs doivent en effet être poursuivis simultanément.
Car il s'agit de donner les moyens de leur développement aux régions et métropoles déjà bien placées dans la compétition économique pour favoriser leur développement et stimuler leur dynamisme. Le nivellement des régions n'est pas en effet une bonne solution. Affaiblir les régions fortes ne suffit pas pour renforcer les plus faibles.
Mais il s'agit aussi de réduire les disparités, d'assurer la cohésion sociale et territoriale du pays, en permettant à chaque territoire de valoriser ses atouts spécifiques.
À cet égard, la France a une expérience plus que trentenaire d'une politique d'aménagement du territoire, que notre gouvernement est en train de réactiver.
2. Aussi, face à ce double constat de déséquilibre géographique et de rigidité structurelle une double volonté doit s'exprimer : celle de l'État mais aussi celle des collectivités territoriales, dans un vrai partenariat.
La politique d'aménagement du territoire est par principe une politique de l'État, car elle est l'expression de la solidarité territoriale.
Elle doit être fondée sur un projet politique global et à long terme que seul l'État peut mettre en œuvre. C'est ainsi, parce que notre pays ressentait le besoin d'un nouveau projet politique, que le gouvernement a lancé ce grand débat national.
Il ressort du document d'étape, comme de mon expérience depuis maintenant un an en qualité de ministre délégué chargé de l'aménagement du territoire et des collectivités locales que la volonté de l'État doit se concrétiser de trois manières : assurer d'abord une meilleure solidarité interne à l'hexagone. Cette action a été d'ores et déjà amorcée par la modulation des contrats États-Région et par la réforme de la DGF, l'une et l'autre réalisées en 1993. Elle doit bien entendu être poursuivie et approfondie ; la deuxième mission qui incombe à l'État consiste à insérer toutes les régions dans l'espace européen : éviter la marginalisation de l'arc Atlantique, donner à notre façade méditerranéenne toutes ses chances comme région charnière, mais aussi développer les régions centrales de la France.
Cela suppose que toutes les voies de communication, routières, ferroviaires et fluviales contribuent à la structuration du territoire.
À cet effet, le Premier ministre s'est clairement prononcé pour le lancement d'emprunts par les régions pour le financement de grandes infrastructures nationales. Il a souhaité que le premier emprunt de ce genre soit lancé avant la fin de l'année.
Je sais que jusqu'à une époque récente, les flux économiques ont contourné l'Auvergne. Celle-ci, comme l'ensemble du Massif Central, était à l'écart des échanges nationaux et internationaux.
Mais aujourd'hui, elle a commencé de s'inscrire dans des relations nord-sud et est-ouest. Au croisement des axes Paris–Méditerranée (A 75) et façade atlantique-Lyon-Genève (A 89 et RCEA), l'Auvergne bénéficie de nouvelles perspectives de modernisation et d'attractivité. Son développement sera largement fondé sur des complémentarités économiques, universitaires ou technologiques avec Rhône-Alpes et le midi-méditerranée.
Elle devra aussi s'appuyer sur ses villes moyennes et encore renforcer son armature urbaine. Il s'agit d'offrir aux entreprises comme aux citoyens des services de proximité et contribuer à des complémentarités valorisantes avec les régions voisines.
Troisième mission de l'État : convaincre l'Union européenne d'apporter à la France et à ses régions un maximum de contributions européennes notamment à travers les fonds structurels européens. Cela a été le cas dans la négociation que j'ai mené aux côtés de Charles Pasqua en 1993.
Pour ce qui concerne l'Allier, les zones de développement rural représentent maintenant 160 000 habitants, et la dotation indicative pour l'Auvergne est 169 millions d'écus pour les six ans à venir alors qu'elle n'était que de 71 millions d'écus pour la période de 1989-1993. Cette dotation vous permettra de renforcer significativement les moyens consacrés à votre développement.
La réaffirmation de la responsabilité de l'État en matière d'aménagement du territoire ne suppose pas pour autant une recentralisation des décisions. Tout au contraire. Nous avons la volonté de poursuivre la décentralisation.
La volonté des collectivités territoriales doit relayer et compléter celle de l'État qui ne peut tout faire. Elle doit s'exprimer de trois façons :
1) D'une part, stimuler l'intercommunalité. Il y a une prise de conscience de cette nécessité dans la plupart des régions, même si les résultats sont variables suivant les départements. Le gouvernement reste attaché au volontariat dans l'adhésion à l'intercommunalité, à la diversité des formules offertes, à la simulation financière de la coopération, notamment à travers la DGF, et à une orientation progressive de leurs contours.
À cet égard, beaucoup de propositions formulées lors du débat mettent en évidence l'intérêt de la notion du bassin de vie, celui-ci étant défini comme l'unité géographique autour de laquelle s'organisent les services et la vie économique et sociale.
Pour ma part, je crois que le bassin de vie est la dimension optimale vers laquelle les structures de coopération intercommunale devraient tendre. Il pourrait dans un premier temps avoir vocation à fournir à l'État la base pour ancrer les missions dont il a la charge.
2) D'autre part, il faut clarifier les compétences entre collectivités alors que l'enchevêtrement est la règle. Il est nécessaire d'aller progressivement vers les blocs de compétence pour mieux permettre de savoir qui fait quoi. Cela est vrai particulièrement dans les domaines économiques et de la solidarité sociale.
Ainsi pourraient être confiés aux départements la totalité de la gestion de la protection maternelle et infantile et l'appui au développement des entreprises, aux régions l'aménagement du territoire, les infrastructures et les grands équipements inscrits au schéma directeur d'aménagement du territoire.
Vous le voyez, le gouvernement n'exclut pas a priori de nouveaux transferts de compétences, mais ceux-ci devront au préalable tenir compte des contraintes financières qui pèsent déjà sur les collectivités territoriales.
3) Enfin, il est nécessaire d'examiner les possibilités de réformer le système de la fiscalité des collectivités locales, même si c'est avec prudence.
Un premier débat est celui de la part respective de la fiscalité et des aides directes de l'État dans les ressources des collectivités locales. Accroître la part de la fiscalité, c'est assurément donner une plus grande autonomie aux collectivités locales en matière de détermination de leurs ressources. Mais c'est aussi diminuer la part des subventions de l'État qui, comme la DGF exercent un rôle utile de solidarité et de redistribution.
Un autre débat est celui de la redistribution des impôts entre les catégories de collectivités locales. Une piste, que M. Pasqua et moi avions esquissé dans notre rapport du Sénat de 1991, est la spécialisation d'un impôt par type de collectivité locale.
Enfin, la réforme de la taxe professionnelle apparaît indispensable à tous, tant en ce qui concerne son assiette, qu'en ce qui concerne ses modalités de prélèvement et de répartition.
S'agissant d'une réforme complexe, il faut que les simulations soient parfaites. L'expérience du remplacement de la patente par la taxe professionnelle en 1975 est encore dans toutes nos mémoires.
Telles sont quelques-unes des grandes questions auxquelles le document d'étape du grand débat donne un début de réponse pour permettre la concrétisation d'une politique vigoureuse d'aménagement du territoire. Aménagement du territoire et décentralisation y sont loin d'être antinomiques. Ils sont au contraire liés et complémentaires.
Permettez-moi, à la veille d'une échéance importante pour l'Europe, de dire un mot sur son rôle trop souvent occulté dans la politique nationale d'aménagement du territoire.
Certes, l'aménagement du territoire n'est pas une compétence explicite de l'Union européenne, mais certaines de ses compétences ont un impact sur cette politique. Elle joue, notamment au moyen des fonds structurels européens, un rôle essentiel pour contribuer à réduire les écarts de développement entre régions.
Par ailleurs, après son élargissement vers le Sud, l'ouverture de l'Union européenne vers l'Europe Centrale et de l'Est ainsi que vers l'Europe du Nord constitue une avancée incontestable. Il conviendra toutefois de veiller à éviter les risques de marginalisation d'une partie de ses territoires.
Cela implique une politique de voies de communication, routières, ferroviaires, fluviales, coordonnée au niveau de l'Europe. Cela rend indispensable une concertation étroite entre pays européens pour harmoniser nos conceptions de l'aménagement du territoire au niveau de l'espace européen.
Vous le voyez, ce grand débat, qui n'a pas de précédent dans notre histoire récente, représente un effort considérable de réflexion sur ce que doit être notre pays dans vingt ans.
D'ores et déjà cette réflexion porte sur l'égalité entre les citoyens, le réseau des services publics, les libertés locales, le rôle de l'État, la modification des systèmes de financement public, les grands équipements indispensables. Mais je suis convaincu qu'il s'agit aussi d'une réforme à la fois politique, économique et sociale dont les répercussions se prolongeront plus loin qu'on ne le croit.