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LE FIGARO économie. - L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité semble prendre du retard. Le nouveau dispositif pourra-t-il fonctionner le 19 février prochain, comme le prescrit la Directive européenne ?
Christian PIERRET. - Il ne faut pas confondre retard et approfondissement du dialogue avec les partenaires. Dominique Strauss-Kahn et moi avons voulu donner un sens nouveau à notre concertation afin qu'elle devienne une dynamique de démocratie dans laquelle les positions des uns et des autres puissent évoluer. Y compris celles du gouvernement. Un avant-projet de loi, qui sera arbitré par le Premier ministre, sera discuté avec tous les acteurs du secteur électrique. J'espère présenter le texte au Conseil des ministres avant la fin de l'automne et en débattre au Parlement au tout début de 1999. Donc dans un calendrier compatible avec la Directive européenne, les décrets d'application étant préparés parallèlement à la loi, comme nous l'avons déjà fait en d'autres occasions.
LE FIGARO économie. - Qui sera les consommateurs autorisés à choisir leur fournisseur de courant ?
- La loi pourrait se borner à décrire le cadre définissant ces clients dits « éligibles ». Dans une première étape, il s'agira de ceux qui consomment plus de 40 millions de kilowattheures par an, c'est-à-dire quelque 400 grandes entreprises, de la chimie ou de la métallurgie par exemple. Elles représenteront 25 % de la consommation totale. Cette possibilité devrait évoluer en fonction de la situation du marché et conformément aux seuils définis par la Directive. Nous comptons appliquer la Directive dans son esprit, en conservant la maîtrise des évolutions.
LE FIGARO économie. - Les régies qui distribuent l'électricité dans 140 villes de France pourront-elles s'adresser à un autre producteur qu'EDF ?
- Oui, pour le courant destiné aux consommateurs éligibles qu'elles alimentent. Mais nous devons en rester là afin de protéger le système français de péréquation tarifaire. C'est un élément décisif du service public, par l'égalité des consommateurs et des territoires devant le prix du courant. Les Français et le gouvernement y sont très attachés.
LE FIGARO économie. - L'instance de régulation chargée du bon fonctionnement de la concurrence sera-t-elle une agence indépendante ou un service de l'Etat par ailleurs propriétaire d'EDF ?
- J'ai l'intention de proposer au Premier ministre la constitution d'un régulateur autonome, crédible auprès des acteurs du marché, qui pourrait s'appeler « Commissions de l'électricité ». Elle comprendrait cinq ou six membres.
Cette institution sera compétente pour traiter, en toute indépendance et transparence, de l'ensemble des questions liées à l'accès des tiers au réseau de transport et de distribution. Sa mission s'articulera d'une part avec les orientations du ministre en charge de l'Energie concernant les choix des énergies primaires utilisées pour produire le courant, d'autre part avec les compétences légales du Conseil de la concurrence.
La Commission de l'électricité ne serait donc ni une administration gouvernementale ni une autorité identique à celle en charge des télécommunications. Nous proposons un système adapté aux spécificités des marchés de l'énergie. Il exprime notre volonté de renforcer le système français du droit à la concurrence, qui doit veiller à la loyauté de cette nouvelle organisation vis-à-vis de tous les opérateurs, en même temps qu'il doit laisser à l'Etat la responsabilité entière des grandes options énergétiques.
LE FIGARO économie. - La politique énergétique passe par le type des centrales réalisées : charbon, fioul, gaz, nucléaire. Leur construction relèvera-t-elle de simples autorisations ou d'un régime d'appel d'offres ?
- Il faut que le Parlement débatte régulièrement des choix énergétiques du pays à travers un document de programmation pluriannuel des investissements, présenté par le ministre de l'Energie. Dans le cadre de ce programme, je souhaite privilégier, comme l'avait proposé le député Jean-Louis Dumont dans son rapport au Premier ministre, le système d'autorisations pour tous les opérateurs.
Le recours à des appels d'offres devrait rester limité aux cas de divergences entre les investisseurs et la programmation de long terme, quand, par exemple, certains types d'énergie primaire ne sont pas utilisés. Ces appels d'offres seraient lancés par l'Etat et mis en oeuvre par la Commission de l'électricité.
LE FIGARO économie. - Les producteurs privés pourront alimenter les consommateurs éligibles. Mais auront-ils le droit de vendre à EDF pour la consommation des clients du service public ? Verra-t-on une France électrique coupée en deux ?
- Nous devons accorder la priorité à la modernisation et au renforcement du service public. EDF restera gestionnaire du réseau de transport et responsable de la fourniture d'électricité aux clients captifs, c'est-à-dire la quasi-totalité des consommateurs individuels.
En ce concerne la production, EDF pourra poursuivre, comme elle le fait déjà, son appel à la production électrique externe. Ces achats conserveront, comme aujourd'hui, des proportions acceptables pour l'opérateur public.
LE FIGARO économie. - Comment seront financées les charges du service public, et que recouvriront-elles exactement ?
- Les charges de service public pourraient comprendre des interventions du type aides aux personnes en situation de précarité, surcoûts provenant des énergies renouvelables, éoliennes et photovoltaïques notamment, et ceux liés à la production dans les zones insulaires. Elles seront couvertes financièrement, pour des raisons d'intérêt général, par l'ensemble des acteurs de la filière électrique. Un fonds spécial serait affecté à cette mission.
LE FIGARO économie. - Les Français peuvent-ils espérer que ce nouveau système fera baisser le prix du kilowattheure ?
- La logique de la concurrence est de faire baisser les prix pour tous les consommateurs. J'ai d'ailleurs demandé à EDF d'anticiper le mouvement dès cette année. Les tarifs ont diminué au printemps de 2,5 % en moyenne, en privilégiant les PME et les consommateurs individuels. Dans le budget 1999, Dominique Strauss Kahn et Christian Sautter vont, de plus, proposer une réduction de 20,6 % à 5,5 % de la TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité.
LE FIGARO économie. - Le « principe de spécialité » interdit à EDF d'intervenir en aval du compteur. Sera-t-il élargi pour permettre à l'entreprise publique d'offrir les mêmes services que ses concurrents ?
- J'ai l'ambition de permettre à EDF de rester le premier opérateur électrique mondial, sans étatisation ni privatisation. Il faut qu'EDF ait les moyens de se battre à armes égales avec ses concurrents. Pour autant, un établissement public doit, pour des raisons juridiques et d'opportunité, rester spécialisé dans ses métiers, en l'occurrence l'énergie.
J'envisage donc une ouverture maîtrisée du principe de spécialité. EDF pourrait offrir non seulement de l'énergie, mais des services énergétiques à ses clients industriels, et élargir son activité au conseil et à la maîtrise de l'énergie chez les consommateurs particuliers.
LE FIGARO économie. - Le personnel d'EDF s'est ému d'une possible modification de son statut qui entraîne des charges supérieures à celle du secteur privé. Quelles sont vos intentions ?
- Je peux vous confirmer que le statut des industries électriques et gazières (IEG) s'appliquera à tous les opérateurs électriques, comme c'est le cas aujourd'hui, sous réserve des exceptions existantes, telles que les autoproducteurs ou les petits producteurs autonomes.
On peut s'interroger sur l'opportunité d'une négociation de branche qui, bien sûr, respecterait tout le statut et le complèterait en s'appuyant sur ses acquis. Il existe déjà des accords au sein d'EDF qui sont étendus à la branche. Demain, on pourrait conclure de vrais accords de branche. Naturellement, c'est une proposition à discuter avec les partenaires sociaux.
LE FIGARO économie. - La Compagnie nationale du Rhône, avec ses barrages sur le fleuve, deviendra-t-elle un producteur indépendant ?
- Nous étudions l'implication du nouveau cadre législatif pour la CNR qui est industriellement liée à EDF.
LE FIGARO économie. - Après l'électricité, le marché du gaz sera-t-il bientôt ouvert à la concurrence ? Comment allez-vous régler le problème des communes non desservies par GDF ?
- La directive adoptée à la mi-1998 nous laisse deux ans pour opérer la transposition endroit français. Pour GDF comme pour EDF il s'agira de préserver nos valeurs de service public. Je souhaite éviter une libéralisation brutale qui déstabiliserait les opérateurs.
Dans les communes aujourd'hui desservies par GDF la situation restera inchangée. Pour les communes qui ne sont pas raccordées, un plan de desserte va être élaboré, d'abord par les préfets de département puis à l'échelon national. GDF disposera de trois ans pour raccorder les communes inscrites dans ce plan. Afin d'accompagner cet effort, le gouvernement a autorisé le président de Gaz de France à augmenter ses investissements de 400 millions de francs, afin de raccorder 300 à 400 communes supplémentaires par an en 1998 et 1999.
LE FIGARO économie. - Selon le dernier rapport du Plan, la France aura du mal à ramener ses rejets de gaz carbonique au niveau de 1990. Êtes-vous favorable à une écotaxe ?
- Nous examinons actuellement cette question avec la prudence nécessaire, puisqu'il s'agirait d'une taxe nouvelle. Pour atteindre nos objectifs dans la lutte contre l'effet de serre, il faut utiliser les flexibilités prévues à Kyoto, tout en privilégiant les centrales qui n'émettent pas de CO2, du photovoltaïque au nucléaire. Mais d'abord, favorisons les économies d'énergies !