Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur les réformes envisagées dans le cadre de la politique judiciaire et développées dans le projet de loi pluriannuel pour la justice, Strasbourg le 5 mai 1994.

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Voilà aujourd'hui plus d'un an que le gouvernement d'Édouard Balladur s'est mis au travail, au service du redressement de notre pays.

Chaque membre du gouvernement a uni ses efforts autour du Premier ministre pour mettre en place les réformes nécessaires au rétablissement de la France.

Il faut le dire, nous avons trouvé à notre arrivée au gouvernement, début 1993, une économie sinistrée, une situation très dégradée dans nombre de domaine, en un mot une situation de crise.

Crise économique bien sûr avec un chômage qui semble comme inéluctable et avec des déficits publics tout à fait alarmants. Mais nous sommes aussi confrontés au-delà des problèmes économiques à une crise morale.

Dans un contexte international souvent menaçant, la société française traverse une période de doute, elle doute d'elle-même, peut-être parce qu'elle a perdu ses repères, ses valeurs. Fragile, fragilise notre pays n'a plus confiance en l'avenir et en son avenir. Confiance perdue en son dynamisme économique, confiance perdue envers les pouvoirs publics et envers l'État lui-même.

Le Gouvernement n'a pas varié et sur tous ces points il entend poursuivre le programme présenté par la majorité, il y a un an, et pour lequel elle a été élue :
- redresser l'économie ;
- lutter contre les exclusions liées à la crise et contre la première des exclusions : le chômage ;
- donner aux jeunes une meilleure formation ;
- améliorer la justice sociale ;
- réconcilier les Français avec leur justice ;
- restaurer l'État, garant et gardien des libertés et de l'ordre public.

Cet effort de redressement est en œuvre.

C'est un effort qui demande du temps pour faire sentir ses effets. Le gouvernement l'a toujours dit et il entend bien poursuivre dans la voie qu'il s'est tracé.

Car quoiqu'on en dise, quelles que soient les critiques que l'on peut entendre ici ou là, des signes encourageants et indéniables se font jour depuis quelques semaines.

Des résultats arrivent. La reprise de la croissance s'amorce. On prévoit 1,7 % de croissance pour décembre 1994, alors qu'elle était négative en mars 1993 (- 1 %).

La France, les Français, nos entreprisses vont reprendre confiance peu à peu, recommencer à investir, et à embaucher.

C'était le but du grand emprunt qui a été émis en juin 1993 et dont le succès a été sans précédent.

Le gouvernement continue une politique déterminée mais faite dans la conciliation. Il a engagé une politique qui prend en compte à la fois les besoins d'autorité mais aussi de tolérance nécessaires à la cohésion de notre société.

Il est nécessaire de mener une politique humaine. Une politique humaine qui consiste à ce que chacun puisse être entendu et à ce que chacun puisse ressentir concrètement les bienfaits de la reprise de l'économie.

Le Gouvernement s'est également donné pour mission d'affermir l'État républicain et de recentrer l'État sur ses missions régaliennes.

J'ai donc souhaité, pour la justice, entreprendre des améliorations de proche en proche plutôt qu'une réforme globale de l'institution qui aurait de toute façon été vouée à l'échec.

Car lorsque la société est inquiète pour son avenir elle devient conservatrice et on assiste à des réactions corporatistes. Il n'est jamais bon alors de lui imposer des réformes de grande ampleur qui ne seraient pas comprises et qui ne seraient pas acceptées.

C'est pourquoi avec pragmatisme et en tenant compte des réalités, j'ai cherché, secteur par secteur, à améliorer ce qui devait l'être, ce qui pouvait l'être.

J'ai attaché mon action au ministère de la justice à quelques idées majeures :
- réconcilier les Français avec leur justice.

Cela signifie qu'il faut rendre la justice plus simple, plus compréhensible, plus proche des justiciables. Je compte reprendre dans le cadre du projet de loi pluriannuel pour la justice certaines propositions des sénateurs Hubert Haenel et Jean Arthuis qui m'ont remis un rapport sur les moyens d'améliorer le fonctionnement de la justice de proximité.

J'envisage, par exemple, de donner un nouvel essor à la conciliation et à la médiation judiciaire.

Il y a aussi, je crois, pour résoudre certains litiges d'autres réponses possibles à trouver qui permettraient d'associer le citoyen à l'œuvre de justice. Je voudrais ainsi que soit expérimentée la fonction de juge de paix au sein du tribunal d'instance. Un juge de paix, issu de la société civile dont le rôle serait d'épauler le juge d'instance et qui serait donc déchargé des petites affaires.

Affermir l'indépendance de la justice

Les Français doutaient de l'efficacité et de l'indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique. C'est pourquoi, j'ai adopté dès mon arrivée, Place Vendôme, une ligne de conduite à laquelle je compte me tenir : ne pas m'opposer à l'engagement des poursuites décidées par des procureurs dans le cadre de leurs prérogatives.

La justice doit être la même pour tous. Il est impensable dans un État de droit qu'elle soit plus au moins sévère, qu'elle protège plus ou moins selon la profession ou la notoriété des personnes mises en cause dans une procédure judiciaire.

J'insiste cependant sur le fait que chacun a droit au respect de la présomption d'innocence tant que le jugement n'est pas intervenu. Ce principe est aujourd'hui constamment bafoué dans notre pays et cela me paraît grave.

Je souhaite que les magistrats puissent faire leur travail dans le calme et la sérénité nécessaires à la bonne marché des instructions et que soit mieux préservé le secret de l'instruction. On ne peut constater aujourd'hui que l'obligation au secret ne s'applique pas de la même façon à tous les acteurs du procès pénal.

Je voudrais que le Parlement se saisisse de cette question et que des auditions publiques soient faites devant la Commission des lois par exemple. J'en attendrais des propositions concrètes afin que les atteintes au secret de l'instruction soient sanctionnées et que le déroulement des procédures judiciaires puisse se faire dans des conditions propices à la recherche de la vérité.

Pour garantir à la justice son indépendance par rapport au pouvoir exécutif, je rappelle que j'ai fait voter deux projets de loi organique, l'un pour la création d'une nouvelle institution, la cour de justice de la République, qui permet désormais sur saisine de tout citoyen de juger les membres du Gouvernement accusés, dans l'exercice de leurs fonctions, de faits pénalement répréhensibles.

Par ailleurs, les règles de nomination des membres du conseil supérieur de la magistrature sont modifiées et le conseil a de nouvelles compétences.

Composé en majorité par des magistrats élus par leurs pairs, le conseil supérieur de la magistrature donnera également son avis pour la nomination des magistrats du parquet.

Une autre de mes priorités a été de renforcer la lutte contre la criminalité.

La loi du 24 août 1993 portant réforme de la procédure pénale et la loi du 1er février 1994 instaurant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal permettent d'accroître la lutte contre la délinquance tout en préservant et en renforçant les garanties du justiciable.

Quant à la lutte contre la corruption et la grande délinquance financière, je proposerai des modifications législatives pour renforcer la lutte contre le crime organisé tant au niveau de la chancellerie que des juridictions.

Dans une période que l'on peut dire désenchantée, il est indispensable de développer une politique de la ville efficace pour que chacun de nos concitoyens se sente partie prenante, pour que chacun ait droit à une citoyenneté.

Il faut pour cela combattre le développement d'une ville qui serait morne et écrasante où certains quartiers seraient le lieu de toutes les marginalités. Ceci est pour le Gouvernement l'objet de la politique de la ville mais c'est aussi l'objet de la relance de l'aménagement du territoire qui vise à redonner au territoire français son équilibre en promouvant les régions, les espaces ruraux, leurs commerces et leurs activités.

Face à la montée de la délinquance, le Gouvernement s'est employé à donner de nouveaux moyens, à la justice notamment, en faveur des quartiers défavorisés. Des crédits importants ont été débloqués et avec le "contrat-ville", les relations État-ville ont été simplifiées.

Il est nécessaire d'apporter des réponses judiciaires plus rapides et plus visibles à la petite et moyenne délinquance. Pour éviter le classement sans suite des affaires pénales mineures et le sentiment d'impunité, je souhaite que soient développées les procédures de traitement en temps réel, ainsi que les procédures de médiation et de réparation. Il est indispensable également de restaurer le dialogue entre l'État et les habitants de ces quartiers. C'est pourquoi je proposerai la création d'un grand nombre d'antennes de justice. Une présence judiciaire, représentant à la fois l'autorité et le recours, est nécessaire pour rétablir le pacte social au sein de ces quartiers.

Par ailleurs pour prévenir l'extension d'une économie parallèle liée au trafic de stupéfiants, nous sommes en train de préparer un projet de loi qui prévoit que toute personne en relation avec des revendeurs de drogue devra être en mesure de justifier son train de vie.

Toutes ces mesures, comme celles votées à la session parlementaire précédente : renforcement des contrôles d'identité, nouvelles modalités d'acquisition de la nationale française pour les jeunes nés en France de parents étrangers – montrent à nos concitoyens que la sécurité des biens et des personnes est mieux assurée et que c'est une préoccupation du Gouvernement conformément à ce qui avait été promis.

En matière d'immigration, le Gouvernement s'est engagé à consacrer les droits des étrangers établis régulièrement en France et à assurer un meilleur contrôle en revanche pour les immigrés clandestins.

Des cellules départementales de lutte contre le racisme ont été créées afin de faciliter l'insertion de tous ceux qui vivent en toute légalité sur notre territoire.

Le Gouvernement a déjà accompli beaucoup de réformes pour améliorer le sort de notre pays. Il a travaillé sans relâche pour donner aux Français un élan nouveau.

Le redressement de l'économie qui est en train de s'amorcer, n'est pas tout. La lutte contre le chômage doit s'articuler autour d'un projet politique plus vaste. C'est l'objet des multiples mesures : réduction des charges sociales sur les bas salaires, développement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, loi quinquennale sur l'emploi qui tend à assouplir les réglementations existantes tout en préservant les droits essentiels des salariés, allégements des charges de l'entreprise, réforme de la fiscalité…

À ces mesures de structures le Gouvernement a pris des mesures très importantes de soutien à l'activité : crédits au bâtiment, aux travaux publics, mesures en faveur de la consommation telles que l'incitation à l'achat d'automobiles neuves, suppression du décalage d'un mois de la TVA.

Quant à la protection sociale, la première réforme entreprise, celle du système des retraites a été décidée rapidement, sans quoi il eût été en quasi-faillite.

L'État a permis de sauver l'assurance-chômage. Et c'est grâce à la contribution de tous les Français et à l'augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée) que l'UNEDIC a pu continuer d'indemniser les chômeurs. Le Gouvernement ne s'est pas soucié des enjeux pré-électoraux et a pris des mesures impopulaires mais indispensables pour préserver notre système de protection sociale.

Toutes ces décisions ont été des décisions courageuses.

Toutes les énergies doivent être mobilisées pour lutter contre le fléau social qu'est le chômage. Il faut faire feu de tout bois et il est nécessaire dans les moments difficiles de susciter des ferments nouveaux de vie collective. Ceux qui ont une place dans la société ont aussi des devoirs. Chacun peut et doit prendre des initiatives et on ne pas tout attendre de l'État, car l'État n'est plus l'État prospère des "Trente Glorieuses".

Toutefois, il y a des raisons d'espérer et d'envisager un avoir encourageant. Le ralentissement du chômage se confirme en mars. La décélération est en marche et le chômage des jeunes de moins de 25 ans s'est stabilisé. Pour accueillir les jeunes en difficulté, le Gouvernement prévoit 800 000 contrats emploi-solidarité pour 1994.

La consommation donne des singes de dégel en mars. Tous les canaux de distribution ont vu leur activité se redresser.

On relève une reprise des études de lancement de nouveaux produits dans l'alimentation, la pharmacie ce qui n'était pas arrivé depuis deux ans.

On note de nombreuses demandes d'aides à l'investissement qui témoignent d'une volonté d'aller de l'avant.

La reprise sera plus manifeste durant le 2e semestre 1994. Mais la reprise de la croissance ne serait pas suffisante.

Pour gagner la bataille contre le chômage, pour aller vers une société de renouveau il faudra se placer sur tous les fronts et le Gouvernement entend bien proposer quelque chose de nouveau, un nouveau projet de société pour les français, et dans bien des domaines, outre celui de l'emploi.

La France doit s'adapter aux nouvelles données économiques, aux nouvelles exigences des citoyens pour un État plus juste parce que plus impartial, pour une politique plus morale et plus soucieuse de vérité, loin des propos démagogiques qui cristallisent les difficultés du moment et les inquiétudes dans la société.

La politique de réforme entreprise depuis mars 1993 inaugure une période nouvelle pour la France et nous souhaitons tous qu'elle ne reste pas une parenthèse dans l'histoire de notre pays.