Interview de M. Jack Lang, ministre de la culture de la communication des grands travaux et du bicentenaire, à RTL le 20 novembre 1988, sur la vie politique et la culture.

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  • Jack Lang - Ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du bicentenaire

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - RTL

Texte intégral

Olivier Mazerolle. – Bonsoir, Monsieur Lang. Votre titre exact est : ministre de la culture et de la communication, chargé des grands travaux et du bicentenaire. Cela ne représente pas rien !
Mais alors que, jusqu'en 1986, vous aviez associé le mot de culture à la joie, à l'animation, entraînant les Français dans un tourbillon de rencontres, depuis que vous êtes revenu rue de Valois, au ministère de la culture, on ne vous voit plus guère. On vous a même entendu récemment dans une discussion parlementaire vous en remettre « à la conscience du Sénat », une assemblée plus réputée pour sa sagesse que pour son audace.
Alors, que se passe-t-il, Monsieur le ministre : Jack Lang a-t-il changé ?

M. Lang. – Je ne le crois pas. Je ne pense pas, en tout cas, puisque j'ai lu quelque part qu'il y avait un Lang I et un Lang II, que le Lang II soit comparable à Rambo 2, par rapport à Rambo 1. Peut-être s'agit-il d'un millésime différent du même vin. Est-il doux ? Est-il amer ? À chacun d'en juger.

Olivier Mazerolle. – Nous allons goûter le millésime tout au long de cette émission puisque nous allons parler de culture, de création, et de ce qui peut distraire intelligemment les Français. Nous parlerons aussi politique avec, en particulier, une question précise : serez-vous le candidat socialiste à Paris pour les élections municipales contre Jacques Chirac ?
Les questions vous seront posées ce soir par André Passeron et Emmanuel de Roux du Monde et Paul-Jacques Truffaut et Jean-Pierre Tison de RTL.
Parlons donc immédiatement politique, Monsieur le ministre. Serez-vous candidat à Paris aux élections municipales comme tête de liste socialiste face à Jacques Chirac ?

M. Lang. – Tout ce que je peux vous dire c'est que je ne serai pas candidat à Marseille.

Olivier Mazerolle. – Cela ne nous éclaire pas beaucoup puisque l'on parle pour vous d'une autre ville possible qui est Blois.

M. Lang. – Je le sais.
Cette question sera tranchée au mois de janvier lors de la convention du Parti socialiste. Pour l'heure, je me consacre pleinement au ministère de la culture et j'ai fort à faire. Je pense par ailleurs, par expérience et par goût, que les campagnes courtes sont parfois les meilleures.

André Passeron. – Monsieur Lang, vous ne nous aviez pas habitués à des réponses aussi évasives et même fuyantes. Il est tout de même assez surprenant que l'agitateur d'idées que vous avez été, le concepteur que l'on a connu avec des résultats très féconds de 1981 à 1986, se transforme aujourd'hui en une sorte de chef de chantier. Vous devenez un gérant de la culture et, en politique, vous semblez vous dérober.

M. Lang. – Attendez, un peu de patience !

André Passeron. – Je veux vous poser une question plus générale. Lamartine disait en 1848 : « La France s'ennuie. » N'avez-vous pas l'impression qu'aujourd'hui la France somnole ? L'un de vos amis proches, Laurent Fabius, a même reproché au gouvernement de ne pas avoir de grands desseins.
Tout cela ne crée-t-il pas une ambiance oscillant entre le sommeil et le rêve ?

Jack Lang. – J'ai lu et entendu ici ou là ce que vous rapportez ce soir. On a également parlé de la nécessité pour le pays d'avoir un grand dessein, un grand projet.
Je dirai d'abord que ce qui a changé, ce qui change jour après jour, non pas seulement dans les discours mais plus encore dans l'action – et c'est ce que l'on attend d'un gouvernement qui a été choisi après une longue campagne électorale – c'est que le gouvernement agit, qu'il met son action et ses actes en conformité avec ses engagements, en particulier avec la lettre à tous les Français que le Président de la République avait proposée aux Français il y a quelques mois.
Les changements sont très importants et, si vous le permettez, j'aimerais que l'on regarde les choses avec étonnement, étonnement critique ou étonnement laudateur.
D'abord, je dirai que nous sommes aujourd'hui en train d'expérimenter ce que l'on a appelé la « méthode Rocard », c'est-à-dire une conception nouvelle de l'État, d'un État ou, si vous préférez d'un gouvernement, à visage humain, d'un État qui entend tourner le dos à la pratique qui a été rejetée par les Français d'un État-parti ou d'un parti-État.

André Passeron. – Vous faites de l'autocritique !

M. Lang. – Lorsque l'on a parcouru différentes époques politiques, l'expérience compte. Le cas échéant, vous sauriez d'ailleurs bien me reprocher de ne pas tenir compte de l'expérience, de la mienne ou de celle des autres. Mais quand je parle d'État-parti ou de parti-État, je pense plus particulièrement aux deux années que nous avons vécues entre 1986 et 1988.
Ce qu'attendent aujourd'hui les Français avant tout de leur gouvernement, c'est qu'il y ait des ministres disponibles, présents sur le terrain, capables d'écouter et d'agir, de décider. Le premier grand changement qui répond à un premier dessein c'est que les membres de ce gouvernement sont habités – et je puis vous assurer que chacun de nous l'est – par le goût de construire et non par celui de diviser qui a trop souvent habité telle ou telle famille de pensée.
Il s'agit avec Maurice Faure de la recherche d'un habitat plus humain et moins coûteux pour les familles ; avec Pierre Joxe, fini la période que l'on a connue en 1987 et 1988 avec de grandes déclarations – j'évoquais Rambo – de Rambos d'opérette : place à l'action concrète, quotidienne, pour lutter contre la drogue, pour moderniser la police, pour faire – plus important encore – que le préfet et le sous-préfet soient des chefs d'orchestre du changement économique département par département ; avec Claude Évin, c'est enfin aujourd'hui une lutte concrète contre le sida et pas seulement des paroles autour d'une tasse de thé ; avec Pierre Bérégovoy, ce sont des mesures concrètes pour la création d'entreprises et pour la justice fiscale ; avec M. Gillibert, nous avons le premier secrétaire d'État qui s'attaque de cette manière aux problèmes des handicapés. Il y a partout des mesures importantes.
Voilà donc le premier grand dessein : des ministres bâtisseurs, prêts à construire. Je crois qu'aujourd'hui mieux vaut surprendre par la forme de son action que par la séduction constituée de promesses sans lendemain.
Mais il n'y a pas que cela ; ce n'est pas seulement un gouvernement de citoyens pour les citoyens. Il y a également une grande ambition qui peut se résumer en quelques mots simples : l'épanouissement des intelligences et des coeurs. Ces mots ne sont pas seulement des mots ; ils traduisent le sens de notre action jour après jour.
Concrètement, cela veut dire se battre pour une nouvelle croissance, ce que nous ne réussirons que si nous investissons dans l'intelligence, dans la création, dans la culture et si nous investissons dans les entreprises et dans l'économie ; deuxièmement – c'est un point très important que nous aborderons, je l'espère – cette grande ambition, cet épanouissement des coeurs et des intelligences passe également par une nouvelle démocratie. Je crois en effet que, sous nos yeux, et sans que parfois on ne s'en rendre compte parfaitement, c'est une nouvelle démocratie qui se construit.

Paul-Jacques Truffaut. – Est-ce parce que les ministres sont habités par le goût de construire que les gens « décrochent » de la politique ? Comment expliquez-vous, par exemple, le formidable taux d'abstention qu'il y a eu au cours des deux dernières consultations électorales ? N'y a-t-il pas une dépréciation générale de la politique ?

M. Lang. – Je ne le crois pas. Il y a politique et politique. La politique n'est pas seulement l'affrontement verbal, la guerre des camps ou la guerre des clans ; la politique, c'est aussi l'art de construire, l'art de construire un pays, l'art de construire une cité. Selon les périodes, les Français ont envie que les grands débats permettent un affrontement des idées et des hommes et Dieu sait que la campagne présidentielle a offert cette occasion. On peut donc comprendre que les Français n'aient pas envie que la campagne présidentielle se perpétue, alors que leur décision a été claire en faveur de l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République.
Et puis il y a la politique au quotidien, celle, vous le verrez dans quelques mois, qui apparaîtra à travers la gestion municipale et le choix des maires.

Olivier Mazerolle. – La politique au quotidien ne me fait pas oublier qu'une part nécessaire de la politique et de séduire, d'entraîner les citoyens d'un pays. Ainsi, un homme qui a été conseiller de Pierre Mauroy et qui vient d'écrire un livre caractérisé comme étant pamphlétaire – il s'agit de Thierry Pfister– dit que la gauche ne débat plus.
Quels sont donc les grands débats dont vous parlez ? Il y a eu certes de grands débats pendant la campagne présidentielle, mais, depuis que celle-ci s'est soldée par la victoire de François Mitterrand, quelles sont les grands débats ?

M. Lang. – Les grands débats sont aujourd'hui ceux qui permettent à nos idées, à nos valeurs, celles que l'on va célébrer à l'occasion du bicentenaire, d'entrer en actes de manière plus vivante et plus concrète encore.
L'un des grands débats été par exemple celui sur la Nouvelle-Calédonie. Fallait-il perpétuer une politique d'affrontement, de divisions et de violences, celle qui avait été pratiquée par l'ancien gouvernement ou fallait-il substituer à cette violence l'amitié, la réconciliation ?

Olivier Mazerolle. – On peut alors se demander si les politiques ont bien fait leur travail. En effet, s'il s'agissait vraiment d'un grand débat, ils n'ont réussi à en faire partager l'intérêt qu'à peu de Français.

Paul-Jacques Truffaut. – J'en reviens à ma question. C'est un grand débat qui n'a pas intéressé les Français.

M. Lang. – Pourquoi dites-vous cela ? Les Français ont été intéressés par cette question.

Paul-Jacques Truffaut. – Pourtant, ils n'ont pas voté.

M. Lang. – Mais si, ils ont voté ! Plusieurs millions de Français se sont dérangés pour voter et approuver massivement les accords, bien qu'il se soit agi d'une question qui avait été largement réglée par Michel Rocard, par le gouvernement. Ce taux d'abstention qui a souvent été commenté s'explique aisément. Il est en tout cas comparable à celui que l'on retrouve dans les pays voisins qui pratiquent volontiers le référendum, la Suisse par exemple.

André Passeron. – En vous écoutant parler de l'épanouissement des intelligences et des coeurs, je croyais entendre, bien que cela ne me soit jamais arrivé, un orateur du siècle des Lumières.

M. Lang. – Ce n'est peut-être pas si mal ! Je n'aurais pas osé me comparer à un orateur de cette époque. Merci, Monsieur Passeron.

André Passeron. – Je me permets donc de vous faire ce compliment puisque vous l'acceptez comme tel.
Vous avez parlé de « nouvelle démocratie ». Mais je ne comprends pas du tout de quoi il s'agit. La démocratie c'est la démocratie. La « nouvelle démocratie » est-ce ce que nous avons vécu depuis quelque temps, c'est-à-dire les manifestations dans la rue, les grèves déclenchées en dehors des syndicats, le fait que la paix sociale n'est pas assurée alors que la gauche avait promis de la garantir lors de son retour au pouvoir ? Comment jugez-vous la situation sociale telle qu'elle évolue depuis plusieurs semaines ?

M. Lang. – Jugeriez-vous que l'exercice du droit de grève n'est pas conforme à la démocratie ? C'est l'une des grandes conquêtes de ce siècle et l'exercice du droit de grève n'est pas une anomalie.

André Passeron. – Définissez la « nouvelle démocratie » !

M. Lang. – Parlons-en. Je vous disais simplement au passage que l'exercice du droit de grève dans, je l'espère, un esprit de grande responsabilité de la part des travailleurs, fait partie des règles de la démocratie.
La « nouvelle démocratie », dont j'ai parlé tout à l'heure et dont vous venez de reparler à l'instant, c'est l'établissement d'un nouvel équilibre. Trop longtemps, notamment depuis une trentaine d'années, les forces de vie, les forces d'expression ont été, par un système politico-institutionnel, verrouillées, cadenassées. Le pays vivant, je veux dire ses entrepreneurs, ses travailleurs, ses créateurs, ses inventeurs, ses hommes politiques ont été trop souvent, à plusieurs reprises, brimés dans leur expression par la domination abusive d'un parti ou d'un groupe de partis.
La droite elle-même a été pendant trop longtemps d'une manière artificielle contrainte de se fédérer, à s'unifier sous la férule d'un parti ; récemment cela a été le RPR, dont elle cherche à se délivrer aujourd'hui.
Je crois que le sens premier du vote du 8 mai a été d'abord l'appel d'une grande partie du pays à une démocratie différente dans laquelle un parti au pouvoir n'abuserait pas de son pouvoir et dans laquelle les cartes se redistribueraient pour un nouvel équilibre.
Quelles sont concrètement les points qui ont changé et qui changent ce qui, j'en suis convaincu, marquera historiquement cette période ? Je retiens deux phénomènes essentiels.
Premièrement, une majorité de progrès qui gouverne durablement ce pays.
Deuxièmement, une majorité qui respecte l'autre partie du pays.
Ce sont deux données fondamentales.
Pour la première – une majorité de progrès gouverne durablement le pays – je sais que l'on a dit, au mois de juin dernier, que les socialistes n'avaient obtenu qu'une majorité relative et qu'ils allaient connaître beaucoup de difficultés. Le vote du budget, vendredi soir, acte essentiel de la vie démocratique, en est un témoignage, parmi d'autres, du fait que ce gouvernement est un gouvernement d'action, sous l'impulsion de Michel Rocard, dans le cadre des orientations définies par le Président de la République.

Olivier Mazerolle. – Pardonnez-moi, Monsieur le ministre, mais le vote du budget montre également que cette majorité de progrès, à l'assemblée en tout cas, se limite au seul Parti socialiste puisque les communistes n'ont pas voté avec le gouvernement et que les centristes ont voté contre.

M. Lang. – En attendant, cette majorité gouverne, cette majorité agit, cette majorité légifère. Elle a fait adopter le budget de l'État. Elle a fait adopter une loi nouvelle pour la Nouvelle-Calédonie. D'autres textes importants, chemin faisant, ont été adoptés – l'impôt sur les grandes fortunes, le revenu minimum d'insertion – et beaucoup d'autres textes seront, vous ne l'ignorez tout de même pas, adoptés au cours de la prochaine période.

André Passeron. – Vous savez bien que si le budget a été adopté, c'est-à-dire si la majorité relative a pu faire passer son texte, c'est grâce à la procédure de la Ve République.

M. Lang. – Oui.

André Passeron. – Sous une autre République, sous la IVe par exemple, le gouvernement aurait été battu.

M. Lang. – Nous sommes en 1988 et, que je sache, nous vivons sous l'empire de la constitution de 1958. Il est donc normal que la majorité d'aujourd'hui fonctionne dans le cadre des lois qui nous gouvernent.

André Passeron. – Vous ne cherchez donc plus à remettre en cause ses institutions ?

M. Lang. – C'est une affaire qui est réglée depuis longtemps. Ne soulevons plus de débats de ce type.
Simplement, le moment viendra, s'il y a au Parlement une large majorité, où des améliorations pourront être apportées à la Constitution.

Olivier Mazerolle. – Le fait que certains textes budgétaires aient été adoptés grâce à l'abstention des centristes et d'autres grâce à l'abstention des communistes montre que le gouvernement est obligé d'aller négocier avec des groupes politiques différents selon le moment et selon la nature de la question débattue. Cela ne vous inquiète-t-il pas pour la fermeté de l'action gouvernementale ?

M. Lang. – Nullement ! Si le gouvernement n'avait pas le souci – c'est l'autre aspect très important que je voulais aborder et que j'aborderai tout à l'heure – de respecter l'opposition, de respecter l'autre partie du pays, il aurait pu, comme l'a fait si souvent et si allègrement le gouvernement de M. Chirac, utiliser l'article 49-3 de la Constitution pour faire adopter ce budget tambour battant.

André Passeron. – Tous les gouvernements l'ont utilisé !

M. Lang. – En l'occurrence, nous ne l'avons pas fait.

André Passeron. – Vous l'avez fait entre 1981 et 1986.

M. Lang. – Nous sommes aujourd'hui en 1988, dans une étape nouvelle. L'histoire ne se répète pas. Il s'agit pour nous d'avancer, de progresser et de construire une nouvelle démocratie. Cette nouvelle démocratie c'est, je le répète, une majorité qui gouverne en respectant l'opposition. Or, croyez-moi, il a rarement été vu que lors d'un débat budgétaire le gouvernement en fonction ait le souci d'écouter, d'entendre, de confronter les idées, de retenir le meilleur des propositions de l'opposition, afin d'élaborer un texte qui donne satisfaction.
Je veux dire, pour préciser ma pensée, que cette majorité efficace – c'est le phénomène historique très important sur lequel [illisible] à insister – est en même temps une majorité [illisible] change de 1981. Nous arrivions alors aux [illisible] que la gauche avait été écartée des affaires [illisible], à plusieurs reprises. Si l'on regarde historiquement les choses – c'est la grande oeuvre de François Mitterrand – on constate que c'est la première fois depuis la Révolution française, dont nous célébrons le bicentenaire l'année prochaine, que la gauche, que des hommes de progrès gouvernent durablement. C'est la première fois, au fond, que nous ne sommes plus, si j'ose dire, une parenthèse. Regardez l'histoire de France : la gauche a toujours été une parenthèse de quelques mois, de deux ans… Cette fois-ci, c'est plutôt la droite qui a été une parenthèse de 1986 à 1988.
Je dirai aux hommes de droite qui, aujourd'hui, ne gouvernent pas que, s'ils sont sans doute tristes de ne pas être aux affaires, il est excellent pour la bonne santé de la démocratie française qu'un rééquilibrage ce soit produit, que l'alternance soit profondément entrée dans les moeurs car l'alternance constitue tout de même le poumon d'une démocratie.
J'ajouterai qu'il est un autre phénomène important, à côté de la nouvelle démocratie et de la nouvelle distribution des cartes, c'est que la droite en est elle-même toute déboussolée, toute désorientée. Elle connaît l'atomisation. Elle a vécu sous la férule du RPR. Elle cherche aujourd'hui, en quelque sorte, à se déchiraquiser. Il s'agit d'une cure lente, difficile et si Geneviève Tabouis était là, elle dirait probablement qu'avant la renaissance la droite connaîtra encore quelques soubresauts. Tel est historiquement le point important si l'on ne s'en tient pas à l'actualité immédiate : une majorité de progrès gouverne durablement ce pays.

Paul-Jacques Truffaut. – Si je comprends bien vos propos, nous sommes entrés dans une période de gestion : mieux vaut laisser la politique de côté. Mais que répondez-vous à certains socialistes comme Thierry Pfister, déjà nommé tout à l'heure par Olivier Mazerolle, qui dit que le PS est devenu le temple du conservatisme ? N'est-ce pas un peu vrai, malgré l'excès du pamphlet ?

M. Lang. – Je n'ai pas lu le livre de Thierry Pfister, je n'ose donc pas en parler. J'ai lu quelques résumés ici et là, j'ai entendu un débat à la télévision voici quelques jours. J'ai ressenti, en tout cas, dans sa manière de parler, beaucoup d'amertume ; je ne suis pas sûr que l'amertume soit toujours la meilleure source de l'invention et de l'imagination dont semble rêver Thierry Pfister. Imagination ou absence d'imagination quand un gouvernement, rompant avec les années écoulées…

Paul-Jacques Truffaut. – Je parlais du Parti socialiste.

M. Lang. – Je parle du Parti socialiste et du gouvernement, l'ensemble des forces de progrès, ceux qui ont envie que ça bouge et que ça change.
Est-ce imagination ou est-ce conservatisme que de décider que la priorité des priorités de l'action du gouvernement, en rupture, je le répète, avec ce qui se pratiquait depuis deux ans, soit affectée budgétairement, par l'esprit et par la volonté à l'éducation, à la recherche et à la culture ? Manque d'imagination lorsque le Président de la République prend de nouvelles initiatives pour la construction de l'Europe – d'abord l'Europe occidentale, les nouvelles idées qu'il a proposées à ses partenaires, en particulier tout récemment, l'Eurêka audiovisuel ? Le souci qu'il a exprimé d'établir avec les peuples des pays de l'Europe orientale des rapports d'un type nouveau ? Nous sommes là au début de grands changements qui vont marquer la vie internationale. Et les exemples pourraient être multipliés. Mais l'imagination doit être présente dans chaque acte de la vie quotidienne et pas seulement dans des déclarations plus ou moins fleuries, plus ou moins agressives. J'espère, en effet, que le temps des excommunications est terminé, le temps des agressions verbales est terminé. Est venu, oui – cela déplaît peut-être à tel ou tel –, le temps des constructeurs ou le temps des bâtisseurs.

Olivier Mazerolle. – Parlons tout de même un moment du climat social. Vous avez dit tout à l'heure que le droit de grève doit être ouvert à tous les salariés français, dès lors qu'ils en usent avec esprit de responsabilité. Était-ce le cas ces temps derniers ?

M. Lang. – Après les deux années du gouvernement précédent au cours desquelles, si j'ose dire, l'injustice, le culte des privilèges étaient à l'ordre du jour – c'était la politique officielle dans les paroles comme dans les actes : un peu plus de privilèges aux privilégiés, et cela s'est traduit par des mesures fiscales, en particulier, et par d'autres mesures qui ont été ressenties pendant deux ans comme des provocations constantes – lorsque le Président de la République, François Mitterrand, est réélu triomphalement, en mai dernier, c'est humain, c'est normal, tous ceux qui ont beaucoup souffert de la politique précédente espèrent que le nouveau gouvernement pourra changer les choses. Ils se reconnaissent à travers un gouvernement qui fixe dans son idéal de vie la réalisation de la justice, la justice fiscale et la justice sociale.
Une impatience est là. Elle s'exprime parfois. Elle est parfois éventuellement attisée par certains groupes ou groupements cherchant à obtenir sur le plan social des victoires qu'ils n'ont pas pu obtenir sur le plan électoral. Mais voyons l'essentiel, c'est-à-dire des mouvements divers qui expriment en effet des impatiences et des mécontentements. Je crois que le devoir d'un gouvernement comme le nôtre est clair, même s'il n'est pas toujours simple. Il réclame de la part du Premier ministre, en particulier, et des membres du gouvernement solidarité, calme, modération et esprit de responsabilité. D'un côté, nous avons le souci d'une bonne gestion des finances publiques, condition sans laquelle la croissance et l'expansion dont nous avons besoin ne seraient pas au rendez-vous et, de l'autre, il nous faut patiemment réparer les injustices et tenter de répondre, métier par métier, aux problèmes qui se posent, et ils sont nombreux.

Olivier Mazerolle. – Donc, ce qui s'est passé ces derniers jours ne justifierait en rien une révision de la procédure de grève dans la fonction publique ?

M. Lang. – Ce ne sont pas les procédures qui changent un climat, de même que ce n'est pas un système électoral qui change des résultats électoraux. Des mouvements sont là, des inquiétudes, des questions. En même temps, l'ensemble des travailleurs ont fait preuve, dans ces périodes, d'une maturité très grande.

Olivier Mazerolle. – Y compris dans les PTT ?

M. Lang. – Il y a eu, ici ou là, des difficultés, des débordements, et le gouvernement s'est efforcé de trouver des réponses justes et dans de bonnes conditions. Je me permettrai tout de même de rappeler qu'en 1974 – c'était, je crois, un autre Président de la République et un gouvernement présidé par M. Chirac –, la grève des PTT avait duré très, très longtemps, avait coûté très, très cher.

Olivier Mazerolle. – Monsieur le ministre, vous n'êtes pas un économiste et vous n'avez pas la responsabilité des finances de l'État ; néanmoins, le 9 novembre dernier, au conseil des ministres, le Président de la République dit qu'il n'est pas question de rétablir l'indexation des salaires sur les prix et, cinq jours plus tard, on signe un accord salarial à EDF qui rétablit cette indexation. Comment expliquez-vous cela ?

M. Lang. – Les choses sont à la fois beaucoup plus simples et beaucoup plus complexes. Il est vrai, et nous en revendiquons la paternité, que c'est un de nos gouvernements qui a, en 1983, accompli l'acte très difficile de désindexer les prix et les salaires. Cela a été le premier pas vers la victoire de la hausse des prix et l'inflation.

Olivier Mazerolle. – Pourquoi la rétablit-t-on maintenant, au moins dans un cas ?

Jack Lang. – On ne la rétablit pas. Simplement, il est normal que, dans les diverses branches, on puisse tenir compte de la perte du pouvoir d'achat. On l'a rappelé ces jours derniers, il est vrai qu'au cours des dernières années, dans la fonction publique et parapublique, des secteurs ont connu une grande stagnation du pouvoir d'achat.

Olivier Mazerolle. – Pardonnez-moi, Monsieur le ministre, mais il est écrit dans l'accord EDF qu'il garantit le maintien du pouvoir d'achat, en supprimant toute référence au GVT. Sans entrer dans une discussion technique, cela signifie tout simplement qu'à chaque fois que les prix montent chaque collaborateur d'EDF doit voir son salaire augmenter à due concurrence. C'est donc bien le rétablissement de l'indexation.

M. Lang. – Permettez-moi de vous le dire, la dégradation du pouvoir d'achat n'a jamais fait partie de notre programme électoral gouvernemental.

André Passeron. – Pouvez-vous nous expliquer l'attitude que nous avons vue ces derniers temps. Il y a quelques semaines à votre place, M. Pierre Bérégovoy, ministre de l'économie et des finances, disait que la situation économique générale s'améliorait et qu'il était normal que le « bonus » soit un peu partagé par tout le monde. Puis le Premier ministre vient d'expliquer que la rigueur devra durer encore 15 mois. Entre-temps, il y a eu la conférence nationale du Parti socialiste où de nombreux responsables ont demandé au Premier ministre de faire des efforts. Est-ce que la rigueur avec des exceptions ou bien parle-t-on de la rigueur sans l'observer ?

M. Lang. – Ne jouons pas sur les mots, ne cherchons pas en vain à mettre en contradiction des déclarations qui font partie d'une même politique. La rigueur, ce n'est pas l'austérité. La rigueur, c'est une question attentive, minutieuse de l'économie française et de l'argent public, avec comme principal objectif l'expansion et une meilleure répartition des fruits de l'expansion. Ce n'est pas l'austérité. Ce n'est pas, en effet, la dégradation du pouvoir d'achat. Notre souci, c'est qu'à mesure du développement de la croissance cette répartition plus juste puisse s'opérer, par la négociation, par la discussion, par le dialogue et non pas par des actes autoritaires.

Olivier Mazerolle. – Parlons quelques instants des municipales. Tout à l'heure, vous n'avez pas vraiment répondu à la question que je vous posais de savoir si vous seriez l'adversaire de Jacques Chirac à Paris. Ne voulez-vous pas répondre parce que vous avez un grand amour pour la ville de Blois ou bien parce que vous considérez qu'en tout état de cause Jacques Chirac est imbattable à Paris ?

M. Lang. – La vraie raison n'est ni ici ni là. J'ai un grand amour pour la ville de Blois, c'est vrai. Pour la ville de Paris aussi. Et pour la ville de Marseille aussi. Pour la ville d'Avignon et pour bien d'autres encore.

Olivier Mazerolle. – Si je comprends bien, vous allez-vous présenter à la présidence de la République !

M. Lang. – Pourquoi pas ? Ou bien je serai un nouveau général Boulanger qui se présentait dans toutes les circonscriptions de France. Je vais demander pour moi le rétablissement du vote plural. Jusqu'au général Boulanger, on pouvait voter en même temps pour le même candidat dans 10,15, 20, 30 circonscriptions. Ce n'est pas le sujet. Pour le moment, je me consacre pleinement à mon travail de ministre, je ne veux pas confondre les genres ; nous attendrons janvier. Serai-je candidat ? Si oui, où ? Je vous le dirai. Je m'exprime ainsi non pas pour me défiler, mais parce que je ressens les choses de cette manière. À chacun d'agir selon sa conscience et sa sensibilité.

M. Lang. – Mais il y a un point sur lequel je voudrais revenir. Tout à l'heure, parmi les deux phénomènes qui me paraissent historiquement importants dans cette période et qui demeureront, quoi qu'il se passe, j'ai cité une majorité de progrès qui gouverne durablement. L'autre aspect, qui n'est pas moins important, c'est que cette majorité respecte l'autre partie du pays. Nous l'avons vu à travers le vote du budget, c'est la volonté du gouvernement de réhabiliter pleinement le Parlement, qui a été trop longtemps et si souvent abaissé, étouffé. C'est la volonté du gouvernement de respecter pleinement les droits de l'opposition, et les réformes envisagées par le président de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius, vont dans ce sens. Et indépendamment même des réformes, toutes sortes de décisions pratiques le montrent : pour la première fois, deux présidents de commission sur six, à l'Assemblée nationale, appartiennent à l'opposition, M. Giscard d'Estaing est président d'une des plus importantes : voici deux jours, l'Assemblée nationale désignait ses représentants au sein des organismes audiovisuels ; sous le gouvernement Chirac, pas un socialiste ne fut désigné au sein de ces organismes ; la majorité actuelle de l'assemblée a choisi M. Péricard, membre du RPR, pour la représenter au sein de TDF. Et puis, ce respect de l'autre partie du pays, c'est aussi la volonté déterminée d'établir un État impartial qui en finisse avec ces détestables « chasses aux sorcières » que nous avons connues.

Olivier Mazerolle. – C'est pour des raisons de compétences que M. Friedman a été remplacé par M. Attali ?

M. Lang. – Certainement. Pour des raisons d'appréciation sur le fonctionnement de l'entreprise.
Des nominations – vous l'évoquiez à l'instant – permettent de placer à la tête d'importantes institutions des hommes qui, bien qu'appartenant à d'autres familles de pensée que la nôtre, le méritent en raison de leur expérience. Je pense au nouveau patron de l'ENA, la grande école qui forme les fonctionnaires, M. Lenoir, ancien membre du gouvernement de M. Giscard d'Estaing. Je pense au choix du président de la COB, à plusieurs autres décisions et au maintien en fonction d'un grand nombre de directeurs d'administrations centrales, sans compter ce fait symbolique, parmi tant d'autres : le maintien en fonction du secrétaire général du gouvernement choisi par M. Chirac et qui, servant avec loyauté l'actuel gouvernement, continue à jouer son rôle.
Et puisque vous évoquez les municipales, je crois qu'il faudra traduire cette volonté de respiration du pays à travers la démocratie municipale. J'espère qu'un jour, en particulier si un grand nombre d'hommes de progrès sont choisis comme maires, les méthodes sur le terrain changeront à leur tour : plus de démocratie, plus de droits pour l'opposition au sein des conseils municipaux, plus de droits pour les citoyens.

André Passeron. – Monsieur Lang, après la description idyllique que vous venez de faire de la situation politique du pays…

M. Lang. – Si elle n'est pas juste, dites-le et donnez des contre-exemples.

André Passeron. – Je ne suis pas là pour corriger votre copie. Je vous écoute et je constate que vous faites une description particulièrement séduisante.

M. Lang. – Si elle est idyllique, c'est qu'elle enjolive la réalité ; si elle l'enjolive, ayez la gentillesse de dire aux auditeurs en quoi elle ne serait pas juste.

André Passeron. – Idyllique n'est pas forcément un qualificatif ironique.

André Passeron. – Je vous poserai une question très concrète. On a cru comprendre que vous ne seriez pas candidat à Marseille. Or, l'actualité, notamment au Parti socialiste, concerne Marseille. On a appris que le Président de la République recevrait demain l'un des deux candidats éventuels à Marseille. Trouvez-vous normal que le Président de la République se comporte un peu comme une instance d'appel d'une querelle interne à un parti politique ?

Jack Lang. – C'est vous qui le qualifiez ainsi.

André Passeron. – Non, je pose la question.

Jack Lang. – Je crois savoir, je n'en sais pas plus, que le rendez-vous établi avec le maire de Marseille a été fixé il y a de très nombreuses semaines. Le Président de la République rencontre beaucoup de responsables appartenant à de nombreuses formations politiques. C'est un président accessible et beaucoup d'élus de tous les partis lui demandent une audience le rencontrent. Je ne crois pas du tout que cela ait à voir avec ce que vous dites aujourd'hui.

André Passeron. – Cela n'a rien à voir avec les élections à Marseille ?

Jack Lang. – Naturellement, les circonstances sont qu'il y a les élections municipales, et que, pendant cette période, tout acte du Président de la République, recevant un maire ou un autre, pourra être interprété comme vous le faites. Mais je ne pense pas que votre qualification soit juste.

André Passeron. – Je m'interroge seulement.

La lutte contre le sida

Olivier Mazerolle. – Avant d'en venir à la culture, je voudrais vous poser une question sur un sujet de société. Le gouvernement a lancé une grande campagne d'information sur l'utilisation des préservatifs dans le cadre de la lutte contre le sida. Or, un récent sondage montre que les jeunes estiment que le préservatif est dépassé, vieux jeu, démodé et tue le romantisme. Vous bénéficiez d'une grande popularité auprès des jeunes. Que pourriez-vous leur dire pour les inciter à utiliser le préservatif ?

Jack Lang. – Vous ne m'invitez pas à me livrer à des travaux pratiques ?

Olivier Mazerolle. – Pas du tout. Apparemment, le gouvernement prend la question au sérieux.

M. Lang. – C'est une question sérieuse. Ce n'est d'ailleurs pas seulement une question française. La grande difficulté dans ce genre d'affaires, c'est qu'on s'imagine que le sida, c'est pour les autres. Comme la mort. Jankélévitch disait : « La mort, c'est les autres. » Je m'entretenais récemment avec le professeur Friedmann et d'autres responsables médecins et chercheurs. Ils me disaient leur effroi en prévoyant que ce sont les jeunes qui, dans la prochaine période, seront les principales victimes du sida.
Si le comportement des jeunes ne se modifie pas, le nombre des jeunes atteints du sida va croître de façon spectaculaire et inquiétante. Faut-il attendre que ces prévisions se réalisent ? Les choses ne sont pas faciles.
La campagne imaginée par Claude Évin – pour la première fois, un gouvernement a débloqué des moyens très importants pour l'information et la prévention – sera peut-être efficace. En tout cas, je l'espère. Elle vise non pas à faire des démonstrations cérébrales, si j'ose dire, mais à mieux alerter, à mettre dans le coup en particulier les associations, les jeunes eux-mêmes, elle vise à faire appel directement à des jeunes qui sont prêts à se mobiliser pour expliquer à leurs camarades le danger qu'ils courent. Elle fait en particulier appel à la responsabilité des jeunes femmes. Souvent, il faut le reconnaître, elles ont une vision plus sage, plus lucide, et peut-être plus courageuse.
Je pense que nous pouvons atteindre notre objectif.
Il est vrai que, pour l'heure, les statistiques sont inquiétantes, angoissantes. Si cela ne se modifie pas, les prévisions des médecins se réaliseront et ce sera un drame national.

Olivier Mazerolle. – Comment jugez-vous la contre-campagne de l'Église qui estime que, en agissant ainsi, on s'attaque aux conséquences du fléau et non à ses causes – l'une des causes étant, comme dirait Mgr Decourtray, le vagabondage sexuel ?

Jack Lang. – C'est triste. Je n'ai pas à porter de jugement pour ou contre une institution spirituelle et religieuse. Je dirai cependant qu'on aimerait que des institutions, dont la vocation est la spiritualité, en appellent à l'esprit de responsabilité et de lucidité et permettent aux jeunes, sans qu'ils renoncent aux plaisirs de la vie, lesquels pour moi comme pour eux sont fondamentaux, font partie de notre existence terrestre, si j'ose dire, de percevoir le danger qu'ils courent.
Pour moi, percevoir les dangers ne signifie pas du tout renoncer à la vie amoureuse, à la vie sentimentale ou à la vie sexuelle.

Jean-Pierre Tison. – Vous parliez à l'instant du plaisir et, si votre ministère dirige quelque chose, c'est bien le plaisir des Français, le plaisir le plus élevé, le plaisir inépuisable que donnent la lecture, l'art, la musique. La culture est aussi le domaine où les oppositions s'atténuent, où la souplesse la plus grande se fait voir. Récemment, j'ai été frappé de vous entendre, rue de Valois, prononcer un éloge vibrant, presque émouvant, de votre prédécesseur giscardien, Jean-Philippe Lecat. Vous avez dit qu'il avait été un grand ministre, que la Rue de Valois n'avait pas commencé avec vous, qu'elle avait déjà été très bien dirigée avant vous.
Ce ne sont plus les « menus plaisirs » de l'Ancien Régime, mais ils méritent un peu plus que ce qu'ils ont actuellement : depuis longtemps, vous rêvez d'avoir 1 % du budget de l'État pour la culture. Or vous n'avez que 0,86 %. Comment pourriez-vous faire en sorte que votre rêve se réalise ?

M. Lang. – Grâce à vous ! Grâce à ce que vous dites !

Olivier Mazerolle. – Grâce aux poches des contribuables…

M. Lang. – Au bout du compte, oui, naturellement. Si l'on abordait le thème des contribuables, que vous n'avez pas abordé dans l'esprit de certains démagogues, je pourrais faire la démonstration que l'argent consacré, en France, à la culture et dont le montant est encore relativement modeste est rendu au pays au centuple, d'abord sous la forme de plaisirs de la vie, et cela compte, mais aussi sous la forme d'activité économique, d'emplois.
Il faut voir – et on l'évoquera beaucoup au cours de la campagne des municipales – comment les choses ont bougé, se sont transformées, comment des maires de petites et de grandes villes ont pris conscience que la culture c'est un art de vivre, mais c'est aussi, pour une ville, son prestige, sa réputation, des emplois, des activités.
Il y a quelques jours, nous étions avec François Mitterrand à Castres. Nous étions stupéfaits de constater que, dans cette ville, un centre d'art contemporain avait été créé par la municipalité – c'était naguère inimaginable – et exposait des artistes parfois de grande avant-garde.
Ce changement du pays montre que les hommes politiques, les responsables, ont pris conscience que la culture était certainement, au sens le plus noble, l'un des meilleurs investissements qui soit.

Jean-Pierre Tison. – Vous harcelez amicalement M. Bérégovoy. Vous avez d'ailleurs tous les deux une longévité exceptionnelle dans vos ministères respectifs. Quand parviendrez-vous à faire coïncider utilité de la culture et priorité gouvernementale, puisque la culture est si « rentable » ?

M. Lang. – Vous ne voulez pas dire que, pour que je l'emporte, ma longévité devra être plus longue que la sienne ? Pierre Bérégovoy, dès les premiers jours de sa prise de fonctions, en juin dernier, a débloqué des crédits pour la culture sur la forme de décrets d'avances.
Après deux années qui ont marqué une certaine stagnation, nous avons repris cette marche en avant vers le cap du 1 %. Selon les engagements pris, ce pourcentage devrait être atteint en deux exercices budgétaires.

Emmanuel de Roux. – Dans le budget de 1989, le patrimoine a une place de choix. Est-ce l'effet du passage de François Léotard rue de Valois ?

M. Lang. – C'est une longue aventure que la bataille des Français pour le patrimoine. On peut penser au bicentenaire de la Révolution française. Souvent celle-ci a été présentée comme destructrice. Mais, historiquement, les premières mesures prises en faveur du patrimoine datent des premières années de la révolution. En ce domaine, la politique s'est surtout affirmée à la fin du XIXe siècle.
Pour ne parler que des périodes récentes, je rappellerai que Jean-Philippe Lecat a fait un grand effort pour le patrimoine. Le père fondateur du ministère de la culture, André Malraux, a accompli une grande oeuvre. Mon prédécesseur, François Léotard, a fait, à sa manière, avancer les choses. Nous allons encore plus loin : nous franchissons le cap du milliard puisque 1,2 milliard est consacré aux monuments historiques. Nous avons un patrimoine immense : 38 000 monuments inscrits. C'est une charge pour le pays, pour les collectivités locales. Les mécènes privés, de plus en plus nombreux, viennent soutenir notre effort. C'est aussi une chance formidable car, en particulier, je l'ai dit à l'intention de ceux qui sont soucieux des finances publiques, les retombées touristiques sont de plus en plus importantes.

Olivier Mazerolle. – Parlons maintenant de l'un des plus grands objets de loisirs des Français : la télévision.
Dans son discours d'investiture, le Premier ministre avait parlé du « massacre des films à la tronçonneuse de la publicité ». Récemment, un amendement proposé par un sénateur a visé à supprimer l'interruption des films par la publicité. En ce qui vous concerne, vous vous en êtes remis à la sagesse du Sénat. Y a-t-il là une prise en compte des réalités, un changement culturel ?

M. Lang. – D'abord, je n'ai pas « rien » dit.

Olivier Mazerolle. – Vous n'avez pas soutenu l'amendement !

M. Lang. – Vous vous êtes référé à la conclusion de mon intervention. En effet, sachant quelle est la majorité du Sénat, je demandais à la haute assemblée de juger en conscience. Ici mon opinion n'aurait pas changé profondément le vote de ses membres.
Il y a une controverse sur la coupure publicitaire. Selon les uns, il s'agirait d'une manne sans laquelle plus rien ne se ferait pour la création audiovisuelle et cinématographique ; pour les autres, ce sont des sommes relativement modestes qui sont mises en jeu.
Ceux qui plaident pour que le Parlement ne remette pas en cause le droit de couper les films affirment que la suppression de ce droit mettrait en péril la création audiovisuelle et cinématographique car, en quelque sorte, on retirerait le pain de la bouche aux télévisions et aux producteurs.
J'interprète l'amendement Gouteyron – M. Gouteyron est un sénateur RPR qui a très courageusement ouvert ce débat, lequel ne mérite pas d'être traité par la moquerie –, qui a été soutenu d'une autre manière par des sénateurs socialistes et des sénateurs communistes, je l'interprète, dis-je, moins pour son objet précis – la coupure publicitaire – que pour sa signification symbolique. Je l'interprète comme signifiant de la part des sénateurs qui ont eu le courage d'affronter un certain nombre de pressions de groupes financiers que les Français ont un peu ras-le-bol d'un système de télévision qui est aujourd'hui, hélas ! Trop profondément marqué par la dictature de l'audimat. Ainsi toute oeuvre ou tout projet d'oeuvre, tout projet d'émission ne correspondant pas à l'idée que les publicitaires, les grands maîtres absolus de la télévision commerciale se font de la grandeur d'écoute – 20 heures ou 20 h 30 –, n'ont aucune chance de voir le jour.
Je me permettrai de répéter ce que j'ai dit l'autre jour :
Imaginez, Olivier Mazerolle, qu'un visiteur vienne d'une autre planète ou d'un pays très lointain, comme dans certains textes du XVIIIe siècle, et qu'il voie la culture du pays à travers le seul écran des chaînes commerciales. Ce visiteur dirait : « C'est étrange ! Je croyais, de très loin, que la France était un grand pays de culture ! La France n'aurait pas d'opéra, puisque jamais je ne vois de transmission lyrique ? »

Olivier Mazerolle. – Si les chaînes privées étaient assurées d'avoir une grande écoute en diffusant des opéras à 20 h 30, elles en diffuseraient certainement.

M. Lang. – Il existe des contre-exemples étrangers, qui montrent qu'on peut agir autrement.
Je poursuis : ce même visiteur se demanderait : « Il n'y a pas d'orchestre symphonique en France ? On ne voit jamais de concert symphonique sur ces chaînes ! Des émissions scientifiques ? On n'en voit pas non plus. »
Quand je pense que, de tribune en tribune, les spécialistes, les professionnels de l'audiovisuel prononcent de grands discours lyriques, « idylliques » comme dirait André Passeron, sur l'ère de demain, la télécommunication, les télécommunications, la science, la technologie, le monde moderne ! Résultat : pas une émission scientifique sur les grandes chaînes commerciale ! Est-ce normal dans un pays qui va entrer dans le XXIe siècle ? Non.
La question posée va bien au-delà de la coupure publicitaire. Ainsi que le disait l'autre jour un journal qui n'est pas suspect de sympathie pour l'actuel gouvernement : faut-il que l'intelligence soit constamment punie ou en tout cas reléguée à des heures inaccessibles au peuple français, à minuit ou à 1 heure du matin ?
C'est pourquoi je souhaite, et avec moi à Catherine Tasca et l'ensemble du gouvernement, que l'on puisse, à l'occasion de ce débat, avant que la séance publique ne permette à l'assemblée d'aborder la question des coupures publicitaires, poser à nouveau aux chaînes commerciales les questions principales.

Olivier Mazerolle. – Monsieur Le Lay, directeur général de TF1, était assis à votre place il y a deux semaines. Il reconnaissait que – on peut le regretter – la gaudriole et le policier l'emportent toujours sur l'oeuvre de création culturelle à l'audimat. Et l'audimat reflète le choix des téléspectateurs.
M. Lang. – On a le droit de changer d'avis. Je n'ai rien contre telle ou telle entreprise, celle-ci ou une autre, et je respecte les dirigeants.
Voilà à peine un an, comparaissant devant un organisme chargé de choisir des groupes attributaires des chaînes de télévision, on s'est livré à une grande compétition au nom du mieux-disant culturel ; on a pris des engagements en promettant parfois la lune. Alors, je dis qu'il faut quand même de temps en temps mettre en accord ses actes et ses engagements. Je demande simplement aux chaînes qui ont accepté de s'engager dans cette aventure, qui bénéficient d'un privilège – occuper le domaine public hertzien, qui appartiennent à l'ensemble des Français – de quelle manière elles entendent respecter les engagements qu'elles ont pris et quels engagements nouveaux elles sont en mesure de prendre.
On ne peut pas demander à un gouvernement ou à une nation de toujours donner plus à des concessionnaires ou à des attributaires de chaînes commerciales si, dans le même temps, ceux-ci n'accomplissent pas leur devoir.
Si, dans les dix jours qui viennent, nous pouvions dire au Parlement que les chaînes commerciales sont prêtes à faire un plus grand effort pour la création, pour la culture, pour la science, le débat sur la coupure publicitaire changerait complètement de nature.

Jean-Pierre Tison. – Passons du petit au grand écran. Le sort du second dépend beaucoup du premier.
On assiste à une crise effroyable, celle que connaît le cinéma, le seul secteur parmi ceux que vous dirigez qui soit vraiment en très mauvais état.
Tous les jours, des salles ferment leurs portes en province.
Quelle action concrète allez-vous annoncer bientôt pour sauver ses salles, qui font partie du patrimoine comme les kiosques, les musées et les autres lieux où les gens se rencontrent pour élever un peu leur âme ?

M. Lang. – Vous avez tout à fait raison. Je reprends ce que vous disiez à l'instant. Pour moi – et je crois exprimer un sentiment qui n'est pas seulement personnel – une salle de cinéma, comme une salle de spectacle, c'est un petit trésor, en ce sens que c'est un lieu de rencontre, un lieu d'échanges, un lieu de vie. J'imagine que c'est un thème qui sera aussi beaucoup abordé au cours des prochaines élections municipales. La convivialité, l'urbanité, se retrouver ensemble, ça compte dans une ville.
De même que lorsque j'ai eu la chance d'être au gouvernement je me suis battu pour éviter toute destruction de salle de théâtre – j'en ai même classé un certain nombre – et que j'ai classé comme monuments historiques une série de salles de cinéma, de même je rendrai bientôt publique une série de mesures…

Jean-Pierre Tison. – Quelles sont ses mesures ?

Jack Lang. – C'est très technique est trop compliqué. Elles sont toutes mises au point, mais j'ai besoin de rencontrer une dernière fois les professionnels.

Jean-Pierre Tison. – Les salles de cinéma sont des lieux privés et l'État n'a que peu de pouvoirs.

M. Lang. – C'est vrai. Nous avons besoin d'ajuster au mieux les mesures choisies, et de faire que les crédits publics qui sont ont été débloqués par le gouvernement soient utilisés avec efficacité. Je souhaiterais que le « plan cinéma » que nous annoncerons bientôt soit un plan efficace et que nous puissions constater dans quelques mois d'heureux changements.

Jean-Pierre Tison. – Allez-vous aider les municipalités ?

M. Lang. – Oui, et je souhaiterais qu'elles-mêmes s'aident beaucoup aussi. Nous allons essayer avec les communes, les départements et les régions de faire émerger cette idée forte que les salles de cinéma sont nécessaires non seulement à l'économie du cinéma mais aussi à la vie de nos communes. Cela coûte parfois beaucoup moins cher que certains investissements somptuaires. Je pense que l'action commune de l'État et des collectivités locales pourra être bénéfique.

Olivier Mazerolle. – Attendez-vous du futur Conseil supérieur de l'audiovisuel qui doit entrer en fonction au début de l'année prochaine de nouvelles attributions pour les chaînes de télévision ? Madame Tasca disait il n'y a pas si longtemps qu'il y avait une chaîne de trop et le Conseil d'État a remis en cause certaines attributions d'émetteurs à La Cinq et à M6. TF1 semble intéressée par l'attribution de certains de ces émetteurs en association avec des opérateurs locaux. Est-ce que tout cela devrait donner lieu à une nouvelle redistribution du paysage audiovisuel ? Pourra-t-on mettre en question la loi qui interdit à une même entité de posséder plus d'un réseau hertzien ?

M. Lang. – Si l'on crée un organisme indépendant, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, c'est qu'on souhaite lui transférer toute une série de décisions relatives à l'organisation du système audiovisuel. Nous sommes dans une période de transition et il ne serait pas heureux que le gouvernement, qui par ailleurs n'en a pas le pouvoir, ou qu'un autre organisme puisse trop profondément anticiper sur ce que pourront être les décisions que le futur conseil pourra prendre.
Je souhaite personnellement que le futur conseil, en conscience, puisse d'abord prendre le temps de l'auscultation de la situation, puisse réfléchir et ensuite prendre des décisions qui s'imposeront pour assurer un meilleur équilibre audiovisuel.

Emmanuel de Roux. – L'opéra de la Bastille, qui doit être inauguré le 14 juillet prochain, pose des problèmes épineux. Depuis quelque temps s'est instaurée au sein même de l'opéra de la Bastille une polémique entre Barenboim et l'équipe Chéreau.

M. Lang. – Il s'est institué une polémique entre un éminent critique de votre journal, que je lis toujours avec beaucoup d'attention et de respect, et l'un des metteurs en scène, Patrice Chéreau, pressenti par M. Barenboim. Je n'ai pas à arbitrer, à trancher une telle polémique. Chacun est libre de s'exprimer comme il l'entend.
Emmanuel de Roux. – Il se trouve que Patrice Chéreau a mis en cause la compétence, entre guillemets, de Pierre Bergé.

M. Lang. – Ma réponse est simple, elle ne changera pas, elle a été fournie dès la première minute, et le gouvernement n'a pas l'habitude de se dédire, de changer d'avis sur une question aussi importante. Le Président de la République a souhaité faire appel à Pierre Bergé pour présider l'ensemble des salles d'opéra de Paris.
Pierre Bergé, je le rappelle aux auditeurs, est un homme de culture par son métier – il est très lié à Yves Saint-Laurent, à des poètes, à des écrivains, à des peintres, à l'art lyrique – et en même temps un homme d'entreprise puisqu'il est le patron d'une grande maison nationale et internationale, la maison Yves Saint-Laurent. La confiance faite par le président et par le gouvernement à Pierre Bergé est totale. Elle a d'ailleurs été renouvelée il y a quinze jours au conseil des ministres. C'est lui qui tient la barre, il la tient fermement et avec beaucoup de talent.

Olivier Mazerolle. – Oui ou non, Monsieur Barenboim, qui est un grand chef d'orchestre, pose-t-il un problème pour le fonctionnement de l'opéra de la Bastille ? Oui ou non, détient-il trop de pouvoirs alors qu'il ne peut être présent à Paris que quatre mois par an ? Oui ou non est-il trop payé puisque selon le contrat qui a été signé il gagnerait environ 300 000 francs par mois, plus 190 000 francs par concert ?

Jean-Pierre Tison. – Il n'y a pas de directeur général !

Jack Lang. – Je vous ferai la même réponse. Il y a un patron, Pierre Bergé, qui a été nommé par le gouvernement et qui a vu sa confiance renouvelée il y a quinze jours. C'est un homme remarquable qui a toutes les qualités intellectuelles, artistiques et techniques pour assurer les destinées de l'opéra de la Bastille. Les problèmes d'organisation interne relèvent de sa compétence. Je crois savoir, parce que de temps en temps je lui parle, qu'il rendra public d'ici quelque temps le nouvel organigramme de l'opéra. Mais c'est à lui de le faire et non pas à moi.

Jean-Pierre Tison. – Je ne sais pas si le public se rend bien compte qu'un opéra aussi populaire qu'il se veuille dans sa vocation, dans sa technique et dans ses moyens, coûte extrêmement cher. C'est à l'origine du malentendu entre Patrice Chéreau, qui pense que l'opéra coûte de toute façon très cher, et Pierre Bergé qui estime que l'on peut faire des spectacles qui coûtent moins cher. Il y a une compétition internationale entre les plus belles voix et les grands orchestres. Un opéra, même s'il est populaire, c'est une chose luxueuse.

M. Lang. – Pierre Bergé fait avec nous le pari que l'opéra de Paris soit contenu dans une enveloppe financière étroitement calculée. Il n'est pas question d'accepter qu'on puisse s'embarquer dans des dépenses incontrôlables.
Par ailleurs, je veux rappeler que cet opéra a été conçu pour être à la fois, parlons vite, le TNP de l'art lyrique…

Emmanuel de Roux. – C'est ce que conteste Patrice Chéreau.

M. Lang. – Oui, mais cela, c'est la décision du gouvernement dès la première minute. Elle est maintenue et confirmée. L'opéra de la Bastille a été construit pour permettre au plus large public d'être présent au sein de l'opéra de Paris. L'opéra de la Bastille a aussi été conçu pour être une sorte de Centre Pompidou, d'IRCAM de l'art lyrique afin de permettre une série de recherches.
Il s'agit de concevoir un opéra qui soit à la fois moderne, tourné vers la création et populaire.
Quant aux controverses sur la rémunération du directeur musical, j'ai vu qu'elles avaient été soulevées par M. Alain Juppé.

Olivier Mazerolle. – Sur notre antenne.

M. Lang. – C'est une chose étrange. Je n'arrive pas à comprendre M. Juppé, qui, je crois, a été ministre du budget.

Jean-Pierre Tison. – Il paraît !

M. Lang. – C'est sous son gouvernement que le contrat dont vous parliez à l'instant – mais je ne veux pas parler du contenu – a été signé, et c'est d'ailleurs le seul contrat qui ait été vraiment signé. Je m'étonne qu'il le décrive aujourd'hui comme faramineux puisque lui-même, en tant que ministre du budget, a apposé sa signature sur ce contrat, ainsi que M. Balladur et M. Léotard. Ce n'est pas moi qui l'ai signé. J'ajoute que je crois savoir aussi que ce contrat était accompagné d'une lettre de M. Juppé lui-même comportant toute une série de références à des dispositions fiscales.

Jean-Pierre Tison. – Les mots sponsoring, parrainage et mécénat sont à l'origine de beaucoup de malentendus. Le mécénat est une affaire européenne que vous allez beaucoup encourager et développer. Les Allemands le pratiquent depuis longtemps. Les Américains donnent l'exemple du mécénat. Vous voulez donner plus d'envergure à cette pratique mal comprise des employés qui pensent qu'on gaspille leur argent en payant des spectacles et des expositions, et aussi du fisc qui n'encourage pas comme il le devrait les mécènes.

M. Lang. – Précisément Pierre Bergé, l'homme auquel nous avons fait appel pour l'opéra, est un mécène. Il a accompli beaucoup d'oeuvres de mécénat ici ou là. Avant de répondre à votre question, je compléterai ce que j'ai dit tout à l'heure à propos de l'opéra en disant que j'ai pour l'ensemble des personnes que vous avez citées, Daniel Barenboim et Patrice Chéreau, qui est un ami de longue date, beaucoup d'amitié et de respect.

Olivier Mazerolle. – Puisque vous êtes ami de Pierre berger et de Patrice Chéreau vous pourriez peut-être les réconcilier ?

M. Lang. – C'est aussi l'une des fonctions d'un membre du gouvernement.

Jean-Pierre Tison. – Le mécénat n'est pas toujours très bien compris en dépit de tout ce que l'on dit de ses effets positifs.

M. Lang. – Les premières mesures fiscales d'encouragement au mécénat ont été prises voici quelques années ; elles ont été complétées par d'autres dispositions il y a un an et demi. Mais au-delà des mesures fiscales, ce qui compte c'est le changement des mentalités. Pendant très longtemps il y a eu de la part des artistes et des entrepreneurs une grande réticence. On considérait qu'il ne fallait pas mélanger l'argent et la culture. Les choses ont bougé. Aujourd'hui, par exemple, il y a de plus en plus de collectionneurs privés. Dans cette salle, j'ai d'ailleurs vu tout à l'heure un homme qui serait à mettre en exergue, Claude Berri. C'est un producteur de cinéma – et quel producteur ! – et en même temps – il m'a fait l'honneur l'autre jour de la visite de sa collection – un passionné de peinture et de sculpture qui s'est embarqué dans la grande aventure de la collection. Dans son sillage, il y a aujourd'hui toute une série de personnes, jeunes ou moins jeunes, qui ont pris de goût de la collection. C'est très important pour encourager le marché de l'art.

Emmanuel de Roux. – Vous êtes aussi le ministre du bicentenaire. Or il semble que la célébration de 1789 pose des problèmes financiers. Allez-vous associer des mécènes à cette opération ?

M. Lang. – Naturellement. D'ores et déjà, la plupart des événements, des manifestations, des colloques sont financés par des médecins locaux, nationaux ou internationaux.
Là encore répondant à retardement à la question d'Olivier Mazerolle, qui s'inquiétait un peu de l'utilisation des fonds publics – et il a raison –, je dirai que l'effort de l'État pour le bicentenaire est très modeste. Certains pourront en faire le reproche. Mais je crois que nous pouvons suppléer cette modestie par un surcroît d'imagination, par l'appel à la générosité et à l'enthousiasme des entreprises et des particuliers.

Olivier Mazerolle. – Avez-vous l'intention de poursuivre les mariages des vieilles pierres avec les créations nouvelles ? Quels sont vos projets ?

M. Lang. – Si j'ose dire, je persiste et je signe.

Olivier Mazerolle. – Où ?

M. Lang. – Il y a différents projets imaginés ici ou là.

Olivier Mazerolle. – Pourriez-vous nous en donner quelques-uns ?

M. Lang. – Pour l'heure il est difficile d'en parler.

Olivier Mazerolle. – Au moins un !

M. Lang. – Il n'y a rien de précis qui me vienne à l'esprit.

Emmanuel de Roux. – Vous n'avez pas un projet franco-allemand concernant le patrimoine ?

M. Lang. – Si, mais pas l'art contemporain. Allemands et français se sont mis d'accord pour restaurer ensemble dix monuments allemands et dix monuments français et pour échanger leurs techniques et leurs expériences.

M. Lang. – Je m'aperçois que j'ai oublié, mais cela va tomber comme un cheveu sur la soupe, d'aborder un sujet qui me tient à coeur même s'il n'est pas culturel au sens propre.

Olivier Mazerolle. – Vous avez quinze secondes !

Jack Lang. – On a parlé des élections municipales. À un mois et demi de la clôture des listes électorales – pardonnez-moi cette trivialité – je pense aux jeunes en particulier qui ne sont pas encore inscrits et qui souvent se mordent les doigts lorsque arrive un scrutin parce qu'ils ont oublié de s'inscrire. Il faut qu'ils sachent que s'ils veulent voter, choisir le maire de leur commune au mois de mars prochain, ils doivent s'inscrire avant le 30 décembre s'ils veulent avoir leur mot à dire. Pardon d'être insistant !