Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur les priorités du budget des affaires sociales et de la santé, à l'Assemblée nationale le 15 novembre 1994, au Sénat le 16 novembre et 9 décembre.

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Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Présentation du budget des affaires sociales et de la santé, à l'Assemblée nationale le 15 novembre 1994, au Sénat le 16 novembre (Commission des finances) et le 9 décembre

Texte intégral

Allocution du ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville
Budget Affaires sociales/Santé à l'Assemblée nationale, le mardi 15 novembre 1994

Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Je ne voudrais pas commencer mon intervention sans remercier les rapporteurs et les commissions pour la qualité et l'intérêt de leurs travaux. J'ai écouté très attentivement les rapports de MM. Adrien Zeller, Alain Rodet et Claude Girard au nom de la commission des finances ainsi que les rapports de Mme Monique Rousseau et de MM. Bernard Coulon, Pierre Hellier, Georges Tron et Franck Thomas-Richard au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. J'ai été sensible aux appréciations positives qu'ils ont données ; j'ai pris note des remarques qu'ils ont faites ; j'ai entendu les suggestions qu'ils ont formulées. J'ai l'intention d'en tenir le plus grand compte, et j'y apporterai dès maintenant, lorsque c'est possible, des éléments de réponses.

Hier, nous avons débattu amplement de la protection sociale, selon la procédure instaurée par la loi du 25 juillet 1994. Le budget « Ville » a quant à lui été discuté par votre Assemblée le 4 novembre 1994. L'Assemblée examine maintenant le budget des Affaires sociales et de la Santé. 

Je me réjouis que l'action que je mène soit ainsi soumise à l'examen approfondi de la représentation nationale. Loin de la redouter, j'y vois l'exercice – même de la démocratie et une très utile confrontation avec ceux qui, de par leurs fonctions et leur engagement, sont plus que tous les autres au contact avec la réalité quotidienne que vivent les Français.

La société française, vous le savez, a connu depuis une vingtaine d'années de très profonds bouleversements. Ce qu'elle vit aujourd'hui n'est pas une crise au sens où on l'entendait naguère, une crise avec un début, avec un milieu, avec une fin – avec une fin qui signifie le retour à ce qui existait avant la crise. Non, ce que vit la société française n'est pas cela. En un sens, c'est bien davantage qu'une crise : c'est une très profonde mutation dont l'issue ne se dessinera que peu à peu, dont l'issue ne ressemblera pas aux références anciennes.

Il faut maîtriser ce bouleversement, cette mutation profonde.

L'installation durable et massive de phénomènes d'exclusion dans la société française avec les régressions qui parfois l'accompagnent, même dans le domaine sanitaire est, pour l'État, un défi extraordinaire.

Ce que veut le Gouvernement, ce qu'exprime le budget que j'ai l'honneur de vous présenter, c'est le refus de la fatalité face à ces évolutions de la société. C'est la volonté de ne pas céder à l'esprit de découragement face aux fissures qui s'ouvrent dans la cohésion de la nation. C'est la volonté de faire que les mutations que nous connaissons, nous les maîtrisions, et que nous sauvegardions en France l'existence d'une société solidaire, juste et – pourquoi ne pas le dire ? – Républicaine. 

J'ai entendu dire ici ou là que mon budget était un « bon » budget. Sans doute. Mais au-delà des chiffres, – qui d'ailleurs ne sont jamais aussi bons qu'on voudrait – il faut qu'il y ait la volonté d'agir sur le terrain. Et de ce point de vue un "bon" budget est sans doute nécessaire, mais pas encore suffisant.

Je vais vous exposer – en quelques mots – la volonté, les priorités dont le projet de budget que je vous soumets est la traduction chiffrée. Je parlerai d'abord des questions sociales. M. Douste-Blazy développera les grandes orientations que me bornerai à évoquer dans le domaine sanitaire. Je conclurai sur les moyens de mon administration.

Je n'insisterai pas sur le contexte dans lequel nous présentons la loi de finances : il y a deux ans le déficit de l'État dépassait 340 milliards de francs. C'était la situation budgétaire la plus grave que la France ait jamais connue. La nécessaire réduction du déficit budgétaire de l'État a imposé des sacrifices à tous et dans tous les domaines. Mon département n'y a pas échappé. J'assume pleinement cette situation, car cette politique de rigueur était indispensable. Elle commence à porter ses fruits en termes de croissance et bientôt d'emploi. Il était impératif d'appliquer la loi quinquennale sur le rééquilibre des finances publiques, de réduire le déficit, de chasser le gaspillage. Je l'ai fait dans mon ministère.

Mais cette conjoncture difficile a permis aussi de mettre en valeur les véritables priorités du gouvernement. Alors que les dépenses de l'État dans leur ensemble progresseront de moins de 2 %, celles du ministère des Affaires Sociales, de la Santé croîtront en 1995, de plus de 6 %. Elles atteindront ainsi 60,9 milliards de francs, hors du budget ville. Compte-tenu de l'effort d'économie que le ministère consentira sur sa propre logistique, c'est une croissance souvent encore plus vive qui marquera ses interventions dans les différents domaines, qu'ils relèvent du secteur social ou du domaine sanitaire.

Cet effort – qui permet de parler d'un « bon » budget – est d'une absolue nécessité. C'est un effort indispensable pour permettre à l'État de répondre à ce qui est sa toute première mission : la sauvegarde de la cohésion nationale et la protection des personnes.

Ma première priorité dans le domaine social est la lutte contre l'exclusion. J'ai voulu que la lutte contre l'exclusion – ou plutôt contre les exclusions, tant les situations sont diverses – soit au cœur des priorités de mon budget.

La situation en ce domaine, les élus que vous êtes la connaissent mieux que quiconque. Je ne la décrirai pas une nouvelle fois. Mais j'observerais qu'en cette matière, face au drame des fractures sociales, le rôle de l'État est essentiel, unique, irremplaçable. On peut amender les dispositifs, modifier les réseaux d'acteurs, décentraliser les procédures, s'en remettre aux collectivités territoriales, aux associations, aux acteurs économiques ou aux bonnes volontés ; on ne pourra jamais accepter une démission de l'État. La solidarité est d'abord l'affaire de la nation dans son ensemble, et donc de l'État. Eh bien l'État ne démissionne pas ! Les crédits d'intervention contre l'exclusion progressent, dans le projet de budget qui vous est soumis, d'environ 11 %.

Parmi les moyens financiers de la lutte contre l'exclusion, les crédits consacrés au Revenu Minimum d'Insertion (RMI) constituent un cas spécifique, de par leur ampleur et de par leur nature. Ils atteindront 19 milliards de francs en 1995, en hausse de presque 15 %. C'est un effort considérable, et qui d'ailleurs n'autorise aucun triomphalisme. En effet comme cela a été souligné notamment par M. Girard – les progrès des crédits du RMI sont liés aux difficultés de la situation sociale. Je ne chercherai pas à démontrer le contraire. Mais j'observerai malgré tout qu'en dotant ainsi la loi de finances, le Gouvernement fait preuve de sens des responsabilités et de réalisme. Les crédits du RMI ne sont pas une dépense passive. Ils doivent l'être de moins en moins. 

Et c'est pourquoi le dispositif du RMI doit être encore perfectionné, encore davantage tourné vers l'insertion. Une première mesure en ce sens, qui sera débattue ici dès demain, dans le cadre du projet de DMOS, consiste à verser aux entreprises qui embauchent un RMIste sans emploi depuis plus de deux ans le montant moyen du RMI.

Cette mesure peut devenir un levier puissant en faveur de la réinsertion des RMIstes dans le circuit de l'économie marchande.

Vous savez qu'il est également envisagé d'associer davantage les conseils généraux à la démarche d'insertion. J'ai entendu les propos de Mme Bachelot et de M. Saumade. Pour ma part, je voudrais simplement souligner que contrairement à une idée reçue, les flux de sortie du RMI sont d'ores et déjà importants : au bout de deux ans, un RMIste sur deux a quitté le dispositif pour s'engager dans une démarche d'insertion. M. Pierre Hellier a fort bien souligné dans son rapport que l'insertion « progresse ». L'effort des départements en ce domaine ne cesse de croître, et il mérite d'être salué. Mais il n'en demeure pas moins que l'effectif des allocataires ne cesse de croître et qu'il importe de réfléchir comme nous le faisons avec l'APCG – aux moyens d'accélérer les réinsertions. De toute façon, je le répète, il ne saurait être question pour l'État de se désengager : la meilleur preuve est que les crédits affectés au RMI augmentent de 15 %. Et je ferai observer à M. Bartolone qu'on ne peut pas à la fois instaurer la décentralisation et l'accuser de tous les maux.

Un secteur autre essentiel de la lutte contre l'exclusion est celui des structures d'hébergement. L'absence d'un logement fixe est à la fois la cause, la conséquence et le symbole le plus fort de l'exclusion sociale. Chacun a en tête des exemples précis. Le jour où un chômeur, où un jeune en difficulté devient un SDF, une rupture se produit. S'il perd pied, s'il se retrouve seul à ce moment-là, sa réinsertion sociale sera extrêmement délicate.

Aussi, un secteur qui me tient particulièrement à cœur est-il celui des centres d'hébergement et de réadaptation sociale, les « CHRS ». Les CHRS viennent de connaître deux années difficiles. La cause en est connue : le gouvernement socialiste avait cru bon, peu avant mars 1993, d'agréer des mesures salariales qui n'étaient pas financées. Certains centres, pris en tenaille entre la croissance des coûts salariaux qui leur était imposée et la stagnation de leurs ressources, ont frisé la cessation de paiement. M. Girard et M. Hellier ont eu raison de parler d'« erreurs » du passé. Il y avait aussi, il faut le dire, quelques problèmes de gestion ici où là. Localement, des centres se sont trouvés en situation très difficile, alors même que le besoin d'hébergement augmentait.

Au cours de l'année qui s'achève, ce sont 125 MF que, par décret d'avance ou par redéploiement interne à mon ministère, il a fallu injecter d'urgence dans les CHRS. Parallèlement, une mission d'audit de l'IGAS et de l'IGF a été menée à son terme, et poursuivie par une mission d'appui. Cette démarche débouche peu à peu car le secteur est très disparate sur une rationalisation de la gestion des centres. Aujourd'hui, le péril est, je le pense, écarté : le projet de loi de finances pour 1995 prévoit des mesures nouvelles à hauteur de 210 MF supplémentaires. Et pour la première fois depuis plusieurs années, l'État créera des places nouvelles en CHRS. Parallèlement, le dispositif d'accueil d'hiver sera développé. L'exclusion est d'abord une conséquence de la solitude. C'est en multipliant les points de contacts, les lieux où l'on peut trouver refuge, se laver, dormir, mais aussi se parler, que nous sauvegarderons de la manière la plus efficace, sinon la plus spectaculaire, le tissu social.

Je suis convaincue que notre budget permettra, en 1995, aux structures d'hébergement de mieux répondre à leur vocation. Les places en CHRS seront plus nombreuses, et les difficultés de fonctionnement des centres seront traitées.

Parallèlement à l'effort propre à l'accueil et à l'hébergement, le programme d'action sociale de l'État recevra en 1995 18 MF de mesures nouvelles. Les mesures nouvelles seront diversifiées et conduites au plus près du terrain, qu'il s'agisse des fonds d'aide aux jeunes, et sur ce point, il est vrai que la mise en place a posé problème dans certains départements, mais les choses vont en s'améliorant de l'accompagnement social individualisé des chômeurs de longue durée, ou des aides aux entreprises d'insertion par l'économique. Ces dispositifs très divers forment un tout. Ils ont un double objectif : immédiatement, apporter des solutions d'urgence à des personnes en situation de désespoir; à terme, créer de nouvelles solidarités, un système complexe qui « fabrique » le tissu social là où il se tend à se détruire.

À Mme Bachelot, je voudrais dire que comme elle je suis très préoccupée de la complexité des différentes prestations, destinées à lutter contre l'exclusion. La liste qu'elle nous en a donné est très édifiante et nous essayons de simplifier.

Il faut ajouter que les mesures du projet de Budget pour 1995 ne représentent, en ce domaine, qu'une partie de l'effort actuel du gouvernement. Le plan de lutte contre l'exclusion que j'ai annoncé le 19 octobre a, bien entendu, une traduction budgétaire qui s'ajoute aux crédits du projet de loi de finances initiale. Les crédits liés à ce plan seront imputés au budget de plusieurs ministères, comme la Jeunesse et les Sports ou le Travail. En ce qui concerne les Affaires sociales et la Santé, le plan est financé pour partie au décret d'avance du 29 septembre dernier, et pour partie au projet de collectif budgétaire d'automne dont vous serez prochainement saisis. Il touche à des domaines aussi divers que les réseaux de soins, les missions de soutien aux jeunes ou les SAMU sociaux dont M. Girard a souligné l'importance. Le plan prévoit aussi un effort de médicalisation de certains CHRS. Dans son ensemble, l'effort lié à ce plan se traduira dans le budget de mon ministère par l'ouverture de mesures nouvelles à hauteur d'environ 200 millions de francs, répartis entre le décret d'avance et le collectif d'automne.

La politique d'intégration des personnes immigrées résidant légalement en France demeure au centre des préoccupations du Gouvernement. L'année qui s'achève a été marquée par la mise en place du nouveau code de la nationalité. Cette réforme visait à inscrire l'acquisition de la nationalité dans une véritable démarche d'insertion. Elle a donné lieu à une campagne d'information de très grande ampleur, du 15 septembre au 15 octobre derniers.

Dans le même sens, des places nouvelles seront créées en 1995 dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile, au nombre de 300. Les créations sont certes limitées, mais elles existent, et c'est nouveau.

La politique contractuelle d'intégration sera développée avec les collectivités territoriales. Les crédits consacrés aux contrats d'agglomération progresseront de 12,4 % l'an prochain. Cette procédure contractuelle permet de mettre en œuvre des programmes locaux d'intégration dans les villes qui, sans relever de la géographie prioritaire de la politique de la ville, sont néanmoins confronté à des difficultés d'intégration.

La réforme du Fonds d'Action Sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille (FAS) entreprise l'an dernier sera elle aussi poursuivie comme le préconisait la Cour des comptes. Sur ce point, je peux rassurer M. Girard. Les interventions du Fonds sont d'ores et déjà recentrées sur un petit nombre de priorités (l'accueil des familles, les services publics, les jeunes, les femmes) et la tutelle des préfets sur les commissions régionales pour l'intégration des populations immigrées est renforcée. En 1995, d'autres mesures seront prises, et notamment la réforme de la procédure financière du fonds. Mon souhait est que les interventions du FAS soient efficaces, maîtrisées, cohérentes.

Un autre secteur prioritaire, qui à dire vrai touche à la fois à la santé et à l'exclusion est celui de la lutte contre la toxicomanie. Sans épuiser un sujet que M. le ministre délégué vous exposera tout à l'heure, je dirai qu'il s'agit une de mes priorités : je tiens à le dire à M. Charles. Les crédits du ministère affectés à cette action connaîtront en 1995 une croissance sans précédent de 27,5 %. Ils seront dépensés dans une logique de prise en charge cohérente des problèmes aussi bien sociaux que médicaux. À côté de la politique de moindre risque pour éviter la contamination par le Sida à laquelle, dès mon arrivée, je me suis personnellement attachée par la création de place en méthadone, j'ai tenu à ce que dans le cadre du plan triennal de lutte contre la toxicomanie lancée en septembre 1993 par le Premier ministre, l'aspect social soit privilégié. Car la toxicomanie est une machine à fabriquer l'exclusion.

Le Gouvernement a décidé :

– le doublement des places postcure en 3 ans ;
– et l'ouverture de nouvelles places de méthadone (il y en avait 650, il y a 2 ans ; 1 100 maintenant).

Il s'agit de dépasser l'approche purement sanitaire et d'aider le toxicomane à redevenir une personne accueillie par la société, notamment en complétant le dispositif par des capacités d'accueil en famille thérapeutiques.

Un autre domaine dans lequel la solidarité nationale est une priorité que l'État seul peut et doit assumer jusqu'au bout est celui des actions en faveur des handicapés.

Les Centres d'Aides par le Travail (CAT) viennent de connaître, et pour la même raison qu'eux, une situation financière comparable à celle des CHRS. Il y a eu, là aussi, l'année précédant le changement de majorité, des promesses salariales dont le financement n'était pas assuré. Nous avons tenu les promesses ; il a fallu trouver les financements. J'ai obtenu qu'au budget de 1995, 294 millions de francs de crédits supplémentaires soient consacrés à l'assainissement des comptes des CAT. Comme pour les CHRS, cet assainissement sera conduit dans le cadre d'un examen attentif des procédures budgétaires et des pratiques des centres.

En outre, 110 millions de francs seront consacrés, comme l'an dernier, à la création de 2000 places nouvelles. Les crédits de l'État consacrés aux CAT s'élèveront au total en 1995 à 5,2 milliards de francs, en progression de 8,5 %.

M. Durieux s'inquiète d'une éventuelle sous-évaluation du coût des nouvelles places dans les CAT et de leur répartition. Le coût de la place fait actuellement l'objet d'une procédure d'évaluation dont je tirerai les conséquences.

Les crédits destinés au financement de l'allocation aux adultes handicapés augmenteront, pour leur part, de 618 millions de francs en 1995. Comme l'a précisé M. Coulon, le plancher décidé l'an dernier d'une invalidité à 50 % pour l'attribution de l'allocation aux handicapés dans l'impossibilité de se procurer un emploi est limitée exclusivement aux entrants.

La mise en place du fonds interministériel pour l'accessibilité des bâtiments aux handicapés est, vous l'avez dit, une novation importante.

L'effort de solidarité de l'État doit enfin s'étendre à une catégorie de nos concitoyens très proche de chacun d'entre nous, et qui pourtant est souvent la plus isolée comme l'a noté Mme Rousseau : les personnes âgées.

Le vieillissement de nos populations est, de toutes les évolutions sociales, la plus facile à prévoir. Cette évolution est à la fois inéluctable et massive. Faute de la prendre à bras de corps dès aujourd'hui, elle peut devenir, demain, le facteur d'une nouvelle cassure sociale. Que serait une France dans laquelle la ségrégation entre générations s'ajouterait à la ségrégation dans l'espace ?

Les voies et moyens d'une politique de la vieillesse relèvent certes d'abord de la protection sociale. Je vous en ai parlé hier, en tant que ministre chargé de la Sécurité sociale. Mais ils relèvent aussi de la responsabilité directe de l'État, dont je voudrais vous parler aujourd'hui comme ministre des Affaires Sociales.

Lorsque j'étais ministre de la Santé, il y a quinze ans, j'avais connu ces hospices où l'on voyait des vieillards relégués dans des conditions indignes. On appelait cela des mouroirs ; ceux qui les ont vus ne les oublient pas. J'avais obtenu à l'époque des engagements du gouvernement pour humaniser ces hospices en 10 ans. De retour dans ce ministère l'an dernier, j'ai constaté que ce programme avait certes progressé, mais qu'il n'était pas encore achevé. Sur les 217 000 lits recensés en 1975, 15 000 restaient à « humaniser ». J'ai décidé de reprendre le mouvement, et de l'intégrer dans les contrats du XIe plan. À ce titre, 503 MF de crédits de paiement sont inscrits au budget de 1995, soit 100 MF de plus que cette année. Je souhaite ardemment, comme vous-même M. Girard, et je crois, que l'humanisation des hospices sera achevée à l'intérieur des échéances du XIe plan. Oui M. Durieux nous avons relancé ce programme qui avait pris beaucoup de retard. Bien sûr, on aurait pu aller encore plus vite. Mais quand on contractualise, on ne peut pas aller plus vite que ne le souhaitent les régions qui signent les contrats !

S'agissant de la dépendance, pour les raisons qu'a fort bien dites Mme Rousseau, nous nous sommes lancés dans une politique d'expérimentation. Je peux vous annoncer par ailleurs que dès le 1er janvier prochain, des crédits d'assurance maladie seront affectés au financement de 3 000 places de section de cure médicale et de 3 000 places de services de soins infirmiers à domicile. Ainsi que le souhaite Mme Rousseau, une réflexion globale sera menée tout au long de cette expérimentation. Les modalités de l'expérimentation ne préjugeront en rien, bien évidemment, des choix essentiels qui resteront à opérer. Il conviendra aussi d'entendre les personnes âgées pour répondre au mieux à leurs besoins. Tout cela justifie la procédure que nous avons adoptée.

J'en viens à la politique de la famille dont M. Franck Thomas-Richard a très bien souligné les aspects fondamentaux pour l'avenir de la nation. Dans un pays où le lien social tend au pire à se dissoudre, et au mieux à changer de nature, la famille constitue un point de repère irremplaçable. Il n'est que de voir l'attachement à la famille manifesté dans les réponses au « questionnaire aux jeunes » pour s'en persuader. Le Gouvernement a voulu jeter les bases d'une politique familiale ambitieuse. Vous avez voté la loi famille et la loi relative à la Sécurité Sociale qui forment, et je le crois pour longtemps, le socle de notre politique familiale.

Les effets financiers des lois relatives à la famille et à la sécurité sociale sont traduits dans les budgets sociaux plutôt que dans le budget du ministère dont nous débattons. Mais ils participent à une même logique.

Pour répondre à vos questions, Madame Codaccioni, les décrets d'application des mesures qui entrent en vigueur au 1er janvier prochain sont en cours de préparation et pourront être publiés prochainement. Les décrets relatifs à l'allocation parentale d'éducation ont été, comme vous l'avez souligné, publiés très rapidement et grâce à l'excellente mobilisation de la Caisse nationale des allocations familiales, les familles ont pu bénéficier immédiatement de leurs nouveaux droits. Ainsi, 700 allocations parentales d'éducation pour le second enfant ont été ouvertes au mois d'août et 2 000 au mois de septembre. Ces chiffres ne sont pas encore réellement significatifs dans la mesure où l'allocation ne peut être versée qu'à l'issue du congé de maternité ; on peut donc s'attendre à une augmentation importante des bénéficiaires dans les mois à venir.

La date d'application des mesures en faveur des familles avec de jeunes adultes à charge dépendra des disponibilités financières de la branche famille. Mais, ainsi que le précise la loi, elles seront appliquées dans les cinq ans à venir.

Vous m'avez aussi demandé, Mme Codaccioni, s'il serait envisageable de verser une allocation de garde d'enfant à domicile aux personnes veuves qui ont un enfant de plus de 6 ans, cette proposition avait été étudiée lors de la loi relative à la famille. Elle n'avait pas été retenue car l'esprit de cette allocation est de faciliter la garde des jeunes enfants. Mais l'augmentation significative de la réduction d'impôt pour emplois familiaux permettra d'améliorer les aides aux parents qui doivent faire face au décès de leur conjoint.

Pour ce qui est du développement des modes d'accueil des jeunes enfants, je partage tout à fait les préoccupations exprimées par M. Franck Thomas-Richard. Ce programme sera arrêté, avec la Caisse Nationale des allocations familiales, dans les semaines qui viennent. Il permettra notamment de mieux tenir compte des coûts réels des crèches et halte-garderie, d'éviter une déstabilisation des crèches familiales et de rendre les contrats enfance plus attractifs.

Enfin, je tiers ici à confirmer l'engagement du Gouvernement de procéder, dans les délais les plus brefs, à la compensation des dépenses engagées au titre de la majoration d'allocation de rentrée scolaire.

Telles sont, mesdames et messieurs le députés, les principales priorités du budget des affaires sociales.

Monsieur le ministre délégué à la Santé vous présentera dans quelques instants les priorités du ministère dans le domaine sanitaire et il répondra dans le détail aux interrogations formulées par M. Georges Tron et M. Rodet. Je me bornerai sur ce sujet à l'essentiel.

Dans le domaine de la santé plus que tout autre, la réalité ne saurait être réduite à son expression budgétaire. La santé est une réalité subjective, qualitative, multiforme. Mais le Budget garde une signification: les crédits gérés par la Direction générale de la Santé progresseront de 10,8 % en 1995.

En dehors de la lutte contre la toxicomanie, j'ai voulu qu'un effort considérable soit consacré à la lutte contre le Sida. Je tiens à le redire à M. Jacquat que je remercie de l'avoir souligné 23 millions de francs de mesures nouvelles renforceront les programmes existants, qu'il s'agisse de politique de prévention, de l'aménagement d'appartements thérapeutiques ou des dispositifs d'accompagnement des malades, s'ajoutant en cela aux crédits ouverts au cours de l'année 1994 par décrets d'avance.

Comme vous le savez, l'administration centrale a repris en gestion directe à partir de cet été, comme le préconisait le rapport Montagnier, les missions de l'Agence française de Lutte contre le Sida. Les moyens correspondants, soit 15,5 millions de francs, désormais inclus dans la masse du budget de fonctionnement du ministère, s'ajoutent donc aux crédits d'intervention.

Enfin, j'ai obtenu, toujours dans la ligne des propositions du rapport Montagnier, la création de 80 emplois nouveaux liés à la lutte contre le Sida, dans le budget 1995. Ces emplois seront pour 50 d'entre eux créés dans les services déconcentrés. 

La lutte contre l'alcoolisme est un autre point fort de la loi de finances. Avec 15,5 millions de francs de mesures nouvelles, les crédits d'intervention contre l'alcoolisme progresseront de 9,6 %. Ces crédits permettront de remettre à niveau le dispositif des centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie ainsi que des centres départementaux de protection contre l'alcoolisme dont la situation financière était parfois dégradée. À dire vrai, j'aurais aimé faire encore davantage, et diversifier encore ce réseau. Mais le budget 1995 renverse une tendance ; il constitue un premier pas.

Le dispositif de santé des populations sera doté, quant à lui, de 18 MF de mesures nouvelles. Outre la mise à niveau de l'existant, ces mesures nouvelles permettront d'augmenter très sensiblement le soutien apporté aux dispositifs de santé dans les territoires d'outre-mer, de lancer un plan de formation en périnatalité, de poursuivre les actions en faveur de l'accès aux soins des plus défavorisés.

Les bourses paramédicales seront réévaluées de 19,5 MF, ce qui permettra de combler très largement les retards accumulés au fil des dernières années.

Enfin, les établissements publics nationaux à caractère sanitaire poursuivront leur mise en place. Ainsi de l'Office de Radioprotection contre les Radiations Ionisantes (OPRI), qui trouvera pour la première fois, une dotation dans la loi de Finances initiale, à hauteur de 56 MF. Son nouveau président vient de prendre ses fonctions. Ainsi de l'Établissement Français des Greffes, dont le financement sera pris en compte au collectif budgétaire d'automne à hauteur de 18 MF. Le Conseil d'administration est désigné et il va pouvoir assurer ses importantes responsabilités, notamment la promotion du don.

J'en finirai avec les questions sanitaires en formulant trois brèves remarques.

Ma première remarque est que l'effort sanitaire de l'État est de plus en plus lié à celui qu'il consacre à la lutte contre l'exclusion. C'est évident lorsqu'on parle de toxicomanie, d'alcoolisme, voire de sida. Mais c'est tout aussi vrai des pathologies quotidiennes. L'égalité de l'accès aux soins demande, de la part des pouvoirs publics, une vigilance accrue. La protection sociale ne suffit plus à assurer l'égalité devant les soins. Il faut, de plus en plus, aller au-devant des patients. C'est pourquoi un effort est proposé, dans le plan de la lutte contre l'exclusion, en faveur des réseaux de soins. 

Je tiens à rassurer M. Bardet s'agissant des détenus, le ministère de la Justice intervient ; et pour les RMIstes l'assurance personnelle payé par les Conseils généraux.

Ma deuxième remarque est que budget de la santé connaît, comme l'an dernier, une progression très satisfaisante en masse mais satisfaisante aussi parce que les priorités sont très clairement privilégiées. La lutte contre la toxicomanie, la lutte contre le sida, la lutte contre l'alcoolisme constituent les objectifs prioritaires de notre politique.

Ma troisième remarque est qu'un système de santé efficace suppose que la situation des budgets sociaux soit saine. Nous avons maîtrisé la dérive des dépenses d'assurance maladie alors que, je le rappelle, les évolutions d'il y a deux ans étaient catastrophiques.

S'il y avait un risque de « recul de la civilisation » comme a dit M. Marchais, il était là et pas ailleurs. 

Je voudrais conclure en évoquant les moyens de fonctionnement du ministère. C'est un sujet capital, car il serait illusoire d'imaginer des politiques ambitieuses sans se donner les outils capables de les appliquer. Ce sont des choses que nous avions vues dans un passé pas très lointain. Dans le domaine social plus qu'en tout autre, le divorce entre le discours et la conviction ne mène à rien de bon. 

Chacun sait qu'en 1993, la situation du déficit budgétaire de l'État était de nature à dissuader tout effort tendant à consacrer aux moyens des administrations de l'État les maigres marges de manœuvre dont il disposait. Il fallait à la fois réduire les déficits – c'était impératif – et donner c'était aux administrations les moyens et les motivations pour lancer une nouvelle politique indispensable. Aux Affaires sociales et à la Santé, la situation était encore plus compliquée qu'ailleurs car, ce n'est un secret pour personne, l'administration sanitaire et sociale est pauvre. L'an dernier, j'ai obtenu qu'un premier coup d'arrêt soit apporté à la réduction constante des moyens que le ministère subissait depuis plusieurs années. Ainsi, aucune suppression d'emploi n'a été opérée dans les services déconcentrés eu 1994.

Le projet de budget qui vous est soumis pour 1995 constitue une nouvelle étape. Et je crois qu'il répond très largement aux préoccupations exprimées par M. Hellier.

L'année qui s'achève a été marquée par une réflexion approfondie sur l'organisation et le fonctionnement des services de mon administration. Cette réflexion était certes poussée par les contraintes budgétaires sans précédent qui s'imposait à l'État, mais elle était d'abord dictée par la volonté qui était la mienne de faire de l'administration sanitaire et sociale un outil efficace, motivé, moderne.

Conformément aux directives du Premier ministre, j'ai mis en place un comité de réorganisation et de déconcentration de l'administration centrale. Ce comité a rendu un rapport dont les suites sont en cours d'exécution. Il s'agit d'une œuvre de grande ampleur.

Parallèlement, la réorganisation des services déconcentrés – sujet lancinant que j'ai trouvé à mon arrivée – a donné lieu à la préparation d'un projet de décret qui réorganise les relations entre les DRASS et les DDASS. Un des aspects de cette réforme sera de permettre une allocation plus optimale des ressources de l'assurance maladie et des budgets de l'État entre les établissements sanitaires et sociaux.

J'ai veillé par ailleurs à ce que les moyens humains du ministère soient renforcés. Alors que depuis 10 ans, l'administration sanitaire et sociale de l'État n'a cessé de perdre de la substance, de subir, chaque année, quelques dizaines ou quelques centaines de suppressions d'emplois, en 1995 la tendance sera pour la première fois inversée, après le coup d'arrêt obtenu en 1994. Outre les 80 créations de postes liés au Sida – j'ai obtenu que 100 emplois soient « dégelés », c'est-à-dire que 100 recrutements supplémentaires soient opérés en 1995. Ces recrutements porteront sur des agents de catégorie A et B, et ils concerneront avant tout les services déconcentrés. Ils contribueront notamment à améliorer la tutelle hospitalière et à renforcer les services santé- environnement. En administration centrale, un bureau de la radioprotection sera créé et la direction de l'action sociale sera renforcée. La situation indemnitaire de certaines catégories d'agents, comme par exemple les déléguées régionales des droits des femmes, les inspecteurs de l'IGAS ou les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales (IASS), fera l'objet de rattrapages.

Il est normal, en effet, que ceux des fonctionnaires qui choisissent la vocation difficile du social ne soient pas pénalisés par rapport à leurs collègues œuvrant dans d'autres secteurs. J'ai la conviction que l'administration sanitaire et sociale est une administration de grande qualité, et qu'elle doit être soutenue.

Enfin, les moyens logistiques du ministère ont dans l'ensemble été préservés. Globalement, les crédits de fonctionnement du ministère seront en progression en 1995. Les moyens des services déconcentrés augmenteront de 3 %. Je crois que la participation de ce ministère à l'effort d'économie de l'État a été accomplie dans des conditions lisibles et acceptables. Des efforts sectoriels importants ont été consentis, comme par exemple, pour les moyens de la tutelle hospitalière qui sont en croissance de 20 %. Comme l'a souligné M. Zeller, la maîtrise des dépenses de santé passe par un renforcement des services de ce ministère.

Telles sont, monsieur le Président, madame et messieurs les Rapporteurs, mesdames et messieurs les Députés, les grandes lignes du projet de budget des Affaires sociales et de la Santé. Avant de passer la parole à M. Douste-Blazy, je voudrais souligner que ce budget est ambitieux. Il témoigne, plus que n'importe quel discours, de ce que l'État ne fuit pas ses responsabilités. Le Gouvernement s'emploie à faire face à la nécessité de raffermir la cohésion sociale, fragilisée par les mutations profondes que connaît notre pays. Ce budget témoigne d'une volonté ambitieuse, celle de lutter efficacement contre toutes les formes de souffrance et de malheur, de la maladie à la solitude et à l'exclusion, et de redonner chance et espoir à chacun, grâce à l'effort de solidarité ainsi consenti par la Nation en faveur des plus fragilisés. 


Présentation du budget du ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville
Commission des finances du Sénat, le mercredi 16 novembre 1994 

Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

À quelques jours de la discussion budgétaire devant la Haute Assemblée, nous voici réunis pour la traditionnelle présentation du budget en commission des finances, qui me donne le plaisir de vous rencontrer.

Vous savez que la préparation du budget n'a pas été facile. La nécessaire réduction du déficit budgétaire de l'État a imposé des arbitrages sévères. Mon département n'y a pas échappé. Il était impératif d'appliquer la loi quinquennale sur le rééquilibre des finances publiques, de réduire le déficit, de chasser le gaspillage.

Bien entendu, cette conjoncture difficile n'a pas donné lieu à des abattements aveugles. Elle a permis, au contraire, de mettre en valeur les véritables priorités du gouvernement.

Alors que les dépenses de l'État dans le projet de budget progressent de moins de 2 %, celles du ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville croissent trois fois plus vite, de plus de 6 %. Elles atteindront ainsi 61,7 milliards de francs en 1995. Compte-tenu de l'effort d'économie que ce ministère consentira sur sa propre logistique, c'est une croissance souvent encore plus vive qui marquera ses interventions dans les différents domaines, qu'ils relèvent du secteur social, du domaine sanitaire, ou du champ de la politique de la ville.

Cet effort exceptionnel que j'ai voulu, et que la conjoncture budgétaire met pleinement en lumière, il n'est pas dicté par autre chose que la nécessité où nous sommes de maîtriser les évolutions sociales au lieu de les subir. Derrière mon budget plus que derrière tout autre, il y a des hommes et des femmes qui vivent, qui espèrent.

Avant de passer la parole à MM. les Sénateurs Oudin et Marini, je vous parlerai successivement de mes différentes priorités : la solidarité, la santé, la ville. Je ne dirai que quelques mots sur la maîtrise des dépenses de protection sociale car, comme vous le savez, un débat public spécifique aura lieu au Sénat le 8 décembre. 

Je conclurai sur les moyens du ministère, qui est un sujet fort important, car il serait vain d'imaginer des politiques ambitieuses sans se donner les outils capables de les appliquer. Pour ce qui concerne la santé ; je me bornerai à une appréciation globale, M. le ministre délégué à la Santé exposant plus en détail ce secteur important de notre budget.

La solidarité est un souci majeur pour le Gouvernement.

J'ai voulu que la lutte contre l'exclusion soit au cœur des priorités de mon budget. Ce n'est pas par hasard que l'État s'est engagé dans la lutte contre l'exclusion s'il défaille en ce domaine, les élus que vous êtes savent que nul ne pourra l'y remplacer. En dernière analyse, la solidarité relève de la nation tout entière, donc de l'État.

Les crédits d'intervention contre l'exclusion sont en très forte croissance dans le projet de budget, d'environ + 11 %.

Au sein des moyens de la lutte contre l'exclusion, les crédits consacrés au RMI constituent un cas à part, de par leur ampleur, et de par leur nature. Ils atteindront 19 milliards de francs en 1995, c'est-à-dire 2 milliards et demi de plus qu'en 1994, 14,7 % de plus. C'est un chiffre considérable. Il montre que le gouvernement fait preuve de sens des responsabilités et de réalisme, qu'il ne démissionne pas. Certes, le dispositif RMI doit être plus que jamais tourné vers l'insertion. Ce sujet fait l'objet de discussions avec différents partenaires, et notamment l'APCG. Il a fait aussi l'objet de propositions que vous examinez dans le cadre du DDOS. Au demeurant, contrairement à une idée reçue, les flux de sortie du RMI sont d'ores et déjà importants : au bout de uns, un RMIste sur deux a quitté le dispositif pour s'engager dans une démarche d'insertion. Au bout de trois ans, les deux tiers. L'effort d'insertion des départements est déjà considérable et il mérite d'être salué. Mais il faut réfléchir aux moyens d'accélérer encore les réinsertions. De toute façon, je le répète, il ne saurait être question pour l'État de se désengager la meilleure preuve est que les crédits affectés à ce titre augmentent de 15 %.

Un secteur qui me tient particulièrement à cœur est celui des structures d'hébergements. Les centres d'hébergement et de réadaptation sociale viennent de connaître deux années difficiles. Chacun sait pourquoi : le précédent gouvernement nous a laissé un héritage : des mesures salariales non financées. Certains centres, pris à la gorge par la croissance des coûts salariaux, ont frisé la cessation de paiement. Il y avait aussi, il faut le dire, quelques cas de mauvaise gestion.

Au cours de l'année qui s'achève, ce sont 125 MF que, par décret d'avance ou par redéploiement interne à mon ministère, il a fallu injecter d'urgence dans les CHRS. Parallèlement, une mission d'audit de l'IGAS et de l'IGF a été menée à son terme, et poursuivie par une mission d'appui. Cette démarche débouche peu à peu car le secteur est très disparate sur une rationalisation de la gestion des centres. Aujourd'hui, le péril est, je le pense, écarté : le projet de loi de finances pour 1995 prévoit des mesures nouvelles à hauteur de 210 MF supplémentaires. Et pour la première fois depuis plusieurs années, l'État créera des places nouvelles en CHRS, au nombre de 500. Je crois pouvoir dire que les CHRS seront à même, en 1995, de répondre à leur vocation.

Volet indissociable de la politique d'accueil et d'hébergement, le programme d'action sociale de l'État recevra 18 MF de mesures nouvelles. Ces mesures seront diversifiées et conduites au plus près du terrain, qu'il s'agisse des fonds d'aide aux jeunes, de l'accompagnement social individualisé des chômeurs de longue durée ou des aides aux entreprises d'insertion par l'économique. Ces mesures s'ajouteront aux abondements de crédits décidés par le décret d'avance du 30 septembre dernier, et qui s'élèvent à 60 MF. 

La politique d'intégration des immigrés sera poursuivie. La mise en place du nouveau Code de la Nationalité a donné lieu à de vastes campagnes d'explications. Un dispositif permanent d'information a, de plus, été mis en place pour fonctionner en 1995. Parallèlement, des places de centres d'accueil de demandeurs d'asiles (CADA) seront ouvertes, au nombre de 300. La politique des contrats d'agglomération sera enfin développée, notamment dans les villes moyennes. Les crédits destinés à ces contrats augmenteront de plus de 12 %.

Un autre secteur prioritaire, qui à dire vrai touche à la fois à la santé et à l'exclusion est celui de la lutte contre la toxicomanie.

Les crédits de l'État affectés à ce domaine connaissent en 1995 une croissance sans précédent de + 27,5 %, pour les crédits gérés par mon ministère, à 618 MF; + 15,5 %, à 833 MF en prenant en compte les crédits interministériels. La poursuite du plan triennal de lutte contre la toxicomanie lancé par le Premier ministre en septembre 1993 est assurée. M. Douste-Blazy en évoquera, tout à l'heure, les objectifs et le contenu.

Autre domaine dans lequel la solidarité est une priorité absolue et qu'en définitive, seul, l'État peut et doit vraiment assumer jusqu'au bout: les actions en faveur des handicapés. Les crédits pour l'allocation aux adultes handicapés augmenteront de 618 millions de francs en 1995. Le plancher d'une invalidité à 50 % pour l'attribution de l'allocation aux handicapés dans l'impossibilité de se trouver un emploi décidée l'an dernier, vous le savez, est limité aux seuls entrants.

En 1995 aussi, les centres d'aide par le travail verront leurs moyens fortement revalorisés. Alors que les CAT se sont trouvés, et pour les mêmes raisons, dans une situation financière comparable à celle des CHRS, j'ai demandé et obtenu qu'ils reçoivent, dans le projet de loi de finances initiale, 294 millions de francs de crédits supplémentaires destinés à assainir leur budget.

En outre, 110 millions de francs seront consacrés à la création de 2000 places nouvelles. Au total, les crédits de l'État consacrés aux CAT progresseront de 8,5 % et s'élèveront à 5, 2 milliards de francs.

L'effort de solidarité doit enfin s'étendre à cette catégorie si proche et si lointaine de chacun d'entre nous, les personnes âgées isolées. Cet effort, vous en trouverez la traduction dans le budget du ministère : le programme d'humanisation des hospices sera poursuivi. S'il n'a pas été possible, comme je l'aurais souhaité, d'accélérer sensiblement cette action, au moins sera-t-elle maintenue dans le cadre nouveau du XIe plan. 503 millions de francs de crédits de paiement sont inscrits en 1995 pour l'humanisation des hospices soit près de 100 millions de francs de plus qu'en 1994.

Un combat celui de la lutte contre l'exclusion est la lutte pour la santé. La santé dépasse, bien sûr, ce que peut exprimer le budget de l'État. Mais le budget est malgré tout un bon indicateur de notre politique. Les crédits gérés par la direction générale de la santé progressent, dans le projet de loi de finances, de 10,8 %. M. le ministre délégué à la Santé vous présentera tout à l'heure en détail le budget du ministère dans le domaine sanitaire.

Je me bornerai à noter, pour ma part, que l'effort sanitaire de l'État est parfaitement articulé avec son effort social, qu'il s'agisse de la lutte contre le Sida, la lutte contre l'alcoolisme ou les dispositifs en faveur de la santé des populations. 

Le troisième axe du projet de budget que j'ai l'honneur de vous présenter est la politique de la ville. 

Conformément aux engagements pris par le Gouvernement, le projet de loi de finances consacre le dégagement de moyens budgétaires important pour la politique de la ville.

Le budget de la ville est techniquement complexe, M. Marini aura sûrement l'occasion de le souligner. Techniquement complexe, mais politiquement volontariste dans son ensemble l'effort financier de l'État en faveur de la politique de la ville devrait s'élever en 1995, si l'on regroupe les actions des différents ministères, à 8,3 Milliards de Francs, soit une augmentation de 3,7 % par rapport à 1994. C'est deux fois plus que la progression du budget de l'État.

La section ville du budget du ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville atteint, elle, un niveau de 866,4 millions de francs. Cette somme ne comprend pas l'essentiel des dépenses consenties en Île-de-France, qui relèvent d'un fonds distinct.

Pour apprécier l'effort spécifique de l'État en 1995, il convient donc d'ajouter les crédits de Fonds d'Aménagement de la Région Île-de-France (FARIF) réservés à la politique de la ville, qui atteignent 175 millions de francs en 1995. Ces crédits sont soumis à votre examen dans le cadre du budget du ministère de l'Équipement, des Transports et du Tourisme.

Le projet de budget qui vous est aujourd'hui soumis et qui ne reprend donc que les crédits spécifiques « ville » de mon département retrace le cœur même des interventions de l'État.

Comme vous le savez le Gouvernement a voulu que la politique de la ville soit concertée, donc contractuelle : 212 contrats de ville ont été signés à ce jour. Ils ont pour vocation de mobiliser pendant 5 ans des moyens financiers au service d'actions cohérentes avec les objectifs de solidarité et d'intégration définis par la politique de la ville.

Les régions, les départements, les communes et de nombreux autres partenaires ont accepté de contribuer à la mise en œuvre de ces contrats ; leurs contributions donnent un effet de levier extrêmement important aux crédits que l'État engage. Ainsi, par exemple, les régions apporteront elles 4,2 milliards de francs en 5 ans, quatre fois l'effort consenti au cours du XIe plan.

Ce niveau des autorisations de programme permet, sans rupture, de poursuivre les actions de réhabilitation du cadre de vie définies dans les contrats de ville. L'achèvement du plan de relance sera pour sa part assuré par le transfert de 448 millions de crédits de paiement du budget des charges communes pour permettre l'exécution des opérations du plan de relance destinées aux quartiers de la politique de la ville dont les effets seront largement perceptibles en 1995.

La forte progression des crédits de fonctionnement qui augmentent de 148 millions de francs traduit une réorientation voulue par le Gouvernement en faveur des actions d'amélioration de la vie quotidienne et de développement de la citoyenneté dans les quartiers.

De nombreux élus en effet m'avaient fait part de leurs préoccupations à ce sujet. J'ai moi-même pu constater à l'occasion de la trentaine de déplacements que j'ai effectués cette année, que la priorité de la politique de la ville aujourd'hui, c'est la mise en activité des habitants et en particulier des jeunes pour éviter que le chômage ne se traduise par l'exclusion de toute vie sociale. Les crédits de fonctionnement peuvent devenir une machine à créer le tissu social. 

Ces crédits de fonctionnement augmenteront de 26 % par rapport à 1994. Ils auront ainsi doublé en deux ans. Ils permettront de renforcer les actions de prévention de la délinquance, d'affirmer la présence des services publics dans les quartiers et de renforcer les actions d'insertion par l'économique ou les initiatives des associations. Les actions spécifiquement destinées aux femmes et aux familles, quel que soit leur origine, seront l'objet d'une attention particulière. Le rôle des mères de famille me semble, en effet, très important pour l'intégration des jeunes d'origine immigrés. Beaucoup a déjà été fait en 1994 en matière de soutien aux associations et aux initiatives locales et le bilan des actions menées dans tous les domaines pour la mise en œuvre de la politique de la ville est retracé dans le document élaboré conformément aux dispositions de l'article 115 de la loi de finances pour 1990 couramment appelé « Jaune Ville ».

Il reste, je le sais, la question de la mise en œuvre de ces crédits. Il faut faire vite et bien. Ce n'est pas facile. Beaucoup de difficultés m'ont été signalées cette année et j'ai rencontré à plusieurs reprises les Préfets pour tenter d'y remédier. En choisissant de conduire une politique au plus près des réalités de terrain, c'est-à-dire très largement déconcentrée, le Gouvernement a pris le risque de dépendre de la célérité de ses très nombreux partenaires. Mais je fais confiance aux maires, aux élus dont l'engagement est déterminant pour la réussite de la politique de la ville pour m'aider à identifier mieux les points de blocage et prendre les mesures qui s'imposent.

Afin de gagner encore en efficacité, j'ai souhaité que soit mis en œuvre, en 1995, un fonds interministériel de la ville. Ce fonds accueillera les transferts en gestion des crédits des différents ministères qui contribuent à la politique de la ville sur deux lignes budgétaires, une pour l'investissement et une pour le fonctionnement.

Au-delà de la souplesse qu'il donnera aux Préfets pour la programmation de leurs interventions, ce fonds facilitera le travail des bénéficiaires des subventions qui n'auront plus à suivre de nombreux dossiers de demande de crédits relatifs à la même action. Il sera doté pour la première année par le transfert en gestion de 300 millions de francs des autres ministères qui s'ajouteront à 600 millions de francs de mon département ministériel. Il sera amené à monter en puissance l'année prochaine dès lors qu'il aura fait la preuve de son efficacité.

Je serai brève en ce qui concerne la Sécurité Sociale : non que l'enjeu soit mineur, mais parce que, vous le savez, la loi du 25 juillet 1994 a instauré un débat spécifique sur cette matière.

Le Gouvernement a tenu à respecter les principes qu'il avait lui-même proposé au Parlement et qui répondaient à une attente ancienne, vive, et jusqu'ici déçue, de nombreux parlementaires.

Nous avons, en étroite concertation avec les présidents des commissions des Affaires sociales et des finances des deux assemblées, mis au point l'organisation de ce débat.

Il aura lieu le 8 décembre, la veille de l'examen du budget du ministère par la Haute Assemblée. Pour éclairer complètement ce débat, le calendrier de la commission des comptes a été modifié au lieu de se tenir fin décembre ou en janvier comme à l'accoutumée – ou jamais comme fin 1992 –, la commission des comptes s'est déjà tenue dès le 27 octobre, et vous disposez de ses conclusions.

De plus, le Gouvernement a déposé au Parlement un rapport synthétisant la politique du Gouvernement dans ce domaine si essentiel pour les finances publiques et la cohésion sociale.

Nous avons voulu la transparence, nous avons voulu le débat : nous l'aurons. 

Vous me permettrez de respecter ces échéances et de ne pas aborder au fond aujourd'hui les questions de sécurité sociale. Je tiens néanmoins à vous dire que les résultats montrent que nous sommes dans la bonne voie, mais que la route est encore longue pour parvenir à un redressement financier durable et total.

Un déséquilibre aussi profond, aussi structurel que celui que nous avons trouvé ne se corrige pas en quelques mois. La réforme de la Sécurité Sociale est engagée, nul ne peut le nier, mais c'est un chantier qui durera des années. Cela ne doit pas nous décourager mais nous conduire à la plus extrême rigueur et vigilance dans ce domaine.

J'en suis donc arrivée aux moyens du ministère dont je vous dirai quelques mots. L'année qui s'achève a été marquée par une réflexion approfondie sur l'organisation des services du ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville et sur leur modernisation.

J'ai créé, conformément aux directives du Premier ministre, un comité de réorganisation et de déconcentration de l'administration centrale. Ce comité a rendu un rapport qui a été étudié par une structure intergouvernementale. Il a proposé de très nombreuses mesures de modernisation et de déconcentration qui entrent dans les faits.

Parallèlement, la réorganisation des services déconcentrés du ministère, a donné lieu à un projet de décret qui, s'inspirant de l'expérience DRISS sans toutefois les recopier, a pour première ambition d'améliorer la coordination entre les DRASS et les DDASS.

J'ai veillé par ailleurs à ce que les moyens humains du ministère soient renforcés. Alors que depuis 10 ans, l'administration sanitaire et sociale de l'État n'a cessé de subir, chaque année, quelques dizaines ou quelques centaines de suppressions d'emplois, en 1995 la tendance sera pour la première fois inversée. Outre 80 créations de postes liés au Sida, j'ai obtenu que 100 emplois soient « dégelés », c'est-à-dire que 100 recrutements supplémentaires soient opérés en 1995. Ces recrutements porteront sur des agents de catégorie A et B, et ils concerneront avant tout les services déconcentrés. Ils contribueront notamment à améliorer la tutelle hospitalière et à renforcer les services santé-environnement. En administration centrale, un bureau de la radioprotection sera créé et la direction de l'action sociale sera renforcée.

Enfin, les moyens de fonctionnement matériel du ministère ont dans l'ensemble été préservés. Les Affaires sociales et la Santé sont, vous le savez, une administration relativement démunie. Encore fallait-il qu'elle ne le devienne pas davantage. Dans le projet de budget, les moyens de l'administration centrale – hors personnel – connaissent une très faible baisse tandis qu'ils gagnent 2 %, à structure constante, dans les services déconcentrés. Je crois que la participation de ce ministère à l'effort d'économie de l'État a été accompli dans des conditions lisibles et acceptables.

J'ai aussi voulu qu'un effort soit fait pour le régime indemnitaire de certaines catégories d'agents. Du retard avait été pris pour l'indemnisation sociale, ce qui me paraît très choquant, quand on songe aux responsabilités des personnels de ce ministère.

Tels sont, monsieur le Président, messieurs les Rapporteurs, mesdames et messieurs les Sénateurs, les commentaires que je souhaitais apporter sur le projet de budget du ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville. Ce budget donnera à l'État les moyens d'une politique sociale ambitieuse.

Il témoigne de ce que le Gouvernement ne cède pas à l'esprit d'abandon face aux défis sociaux qui lui sont lancés. C'est un budget volontaire, un budget de cohésion sociale, un budget de progrès.

Je vous remercie.


Allocution du ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville
Budget des Affaires sociales et Santé au Sénat, le vendredi 9 décembre 1994

Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

La société française est engagée dans une mutation profonde. Elle n'est pas, contrairement à ce qu'on entend dire, en train de vivre une crise. Car une crise, nous savons ce que c'est. Une crise a un commencement, un déroulement et une fin, une fin qui signifie le retour à ce qui existait avant la crise. Ce que vit la société française est bien plus qu'une crise, ou bien autre chose : c'est une mutation considérable, engagée depuis plusieurs années, qui durera encore plusieurs années, et qui débouchera sur quelque chose de différent, de nouveau. Nous savons désormais que nous ne sortirons pas du chômage pour revenir à un plein emploi semblable au plein emploi de naguère. Ce sera quelque chose de différent, et il n'est pas trop tôt pour le préparer. Mais dans l'intervalle de cette mutation, la question sociale prend une acuité exceptionnelle. Elle devient urgente. Les défis sociaux atteignent une ampleur inconnue jusqu'ici, de telle sorte que les réflexions sur l'organisation du travail, sur les rapports sociaux, sur la conception-même de l'emploi, si elles sont indispensables, ne sont d'aucun secours immédiat.

L'installation massive de l'exclusion aux marges de notre société et les régressions qui l'accompagnent, même dans le domaine sanitaire, appellent à l'action autant qu'à la prospective.

Le budget que je vous présente est un budget d'urgence, un budget d'action. Ce qu'il exprime, c'est la volonté du gouvernement de refuser la fatalité de l'exclusion sociale. C'est la volonté de renforcer les solidarités là où elles sont les plus menacées. C'est la volonté de mener une politique plus efficace en matière de santé publique. Ce n'est pas un budget de résignation, mais au contraire un budget qui prépare l'avenir. Son ambition est de contribuer à sauvegarder notre unité sociale au milieu des bouleversements qui la traversent.

Je vous exposerai les grandes lignes de mon projet de budget en évoquant successivement les affaires sociales et la santé avant de dire quelques mots sur les moyens de mon administration. S'agissant de la Santé, je me limiterai à une approche générale. M. Douste-Blazy vous en parlera de manière plus détaillée.

Vous connaissez comme moi le contexte qui a présidé à l'élaboration de la loi de finances. Il y a deux ans, lors de l'arrivée aux affaires de l'actuel gouvernement, le déficit du budget de l'État dépassait 340 milliards de francs. La France n'avait jamais connu un tel déséquilibre budgétaire depuis la guerre. L'impératif était donc, sous peine d'aller à la catastrophe, de redresser la barre. Il fallait réduire le déficit, et donc maîtriser les dépenses. La loi quinquennale sur la réduction des déficits publics, appliquée pour la première fois cette année, pour la préparation du budget 1995, a instauré une discipline sévère et justifiée. 

Ce faisant, le gouvernement a été conduit à choisir clairement ses priorités. Je me suis battue pour que les Affaires sociales et la Santé ne soient pas sacrifiées. J'ai été entendue. En 1995, le budget de mon ministère – hors ville progressera trois fois plus vite que les dépenses de l'État, pour atteindre 60,9 milliards de francs. Par rapport au budget que j'ai trouvé en 1993, les moyens auront progressé de 18 % en deux ans, trois fois plus vite que les dépenses du Budget de l'État pendant la même période.

Ceux qui douteraient de la détermination sociale du gouvernement ont ici une réponse claire. L'effort considérable traduit dans le budget que je vous présente n'est pas un effort aveugle, ni un effort imposé de l'extérieur.

Il obéit à une volonté précise et à des priorités déterminées.

La première priorité, c'est la solidarité. Elle passe d'abord par la lutte contre toutes les formes d'exclusion. La seconde priorité, c'est la santé publique, avec au premier rang la lutte contre les fléaux d'aujourd'hui, la drogue, le Sida, l'alcoolisme.

La solidarité, les élus que vous êtes le savent mieux que quiconque, relève toujours en dernière analyse de la responsabilité de l'État. La tentation peut être forte, en période de difficultés budgétaires, de se décharger sur des acteurs locaux, publics ou privés, au nom de l'efficacité, de la proximité, ou même de la liberté. Pourtant, la solidarité n'existe que si elle est nationale, donc organisée par l'État lui-même.

J'ai voulu que l'État assume ses responsabilités dans la lutte contre l'exclusion. Les crédits d'intervention contre l'exclusion progressent, dans le budget, de 11 %. Ce chiffre me paraît éloquent.

Parmi les moyens de la lutte contre l'exclusion, les crédits consacrés au Revenu Minimum d'Insertion (RMI) occupent une place spécifique. Ils atteignent 19 milliards de francs en 1995, en hausse de près de 15 %. 

C'est pour le gouvernement un effort considérable, qui montre que l'État ne fuit pas ses responsabilités. Une réflexion est engagée avec les conseils généraux sur la manière d'employer le mieux possible tous ces crédits, et aussi les sommes considérables que dépensent les départements au titre de l'insertion. Il ne s'agit pas pour l'État de se défausser de ce qui relève, et doit relever de la solidarité nationale, mais au contraire de rendre le dispositif RMI plus actif, plus tourné vers l'insertion. Un des moyens de le faire, prévu dans la loi portant diverses dispositions d'ordre sociales, consiste à aider les entreprises qui embauchent un allocataire du RMI, sans emploi depuis plus de deux ans. Un autre moyen, c'est de faire bénéficier les allocataires du RMI d'aides spécifiques. C'est l'idée qui a présidé à l'amendement adopté par l'assemblée nationale introduisant une pré-retraite au bénéfice des Anciens combattants d'Afrique du Nord en fin de droits. Cette disposition permettra à plusieurs milliers d'allocataires de quitter le dispositif du RMI.

Elle représenterait, selon la direction du budget, une économie potentielle de 478 MF pour les dépenses d'allocations du RMI, et donc, en 1996 une économie de 95 millions pour les départements au titre de dépenses d'insertion.

Un autre secteur de lutte contre l'exclusion est celui des structures d'hébergement. L'absence d'un logement fixe est à la fois la cause, la conséquence et le symbole le plus fort de l'exclusion sociale. Chacun a mémoire des exemples précis. Le jour où un chômeur, où un jeune en difficulté devient SDF, une rupture se produit. S'il perd pied, s'il se retrouve seul à ce moment-là, sa réinsertion sociale sera extrêmement délicate.

Aussi, ai-je voulu qu'une priorité soit accordée aux centres d'hébergement et de réadaptation sociale. Les CHRS, qui étaient il y a quinze ans des structures marginales et peu connues, qui fonctionnaient sans histoire, sont aujourd'hui en première ligne. De marginale qu'elle était, leur place est devenue centrale. Il est vital que les centres puissent fonctionner normalement. Or, les CHRS viennent de connaître deux années difficiles, parce que le gouvernement socialiste avait, peu avant mars 1993, agréé des mesures salariales sans en prévoir le financement.

Certains centres, pris en tenaille entre la croissance des coûts salariaux qui leur était imposée et la stagnation de leurs ressources, ont frisé la cessation de paiement. Il y avait aussi localement des problèmes de gestion qui n'apparaissaient pas naguère, et que la crise a révélé. Dans certains départements, des centres se sont trouvés en situation très difficile, alors même que le besoin d'hébergement augmentait.

Il a fallu faire face à l'urgence. Courant 1994, j'ai redéployé 125 MF vers les CHRS. J'ai, dans le même temps, confié une mission d'audit à l'IGAS et à l'Inspection des Finances sur la gestion des centres, et j'ai lancé une réforme de leur contrôle budgétaire. Aujourd'hui, le péril est, je pense, écarté : le projet de loi de finances pour 1995 prévoit des mesures nouvelles à hauteur de 210 millions de francs supplémentaires. Et pour la première fois depuis plusieurs années, l'État créera des places nouvelles en CHRS. Dans le même esprit, le dispositif d'accueil d'hiver sera développé. L'exclusion est d'abord une conséquence de la solitude. C'est en multipliant les points de contacts, les lieux où l'on peut trouver refuge, dormir, mais aussi se parler, que nous sauvegarderons de la manière la plus efficace, sinon la plus spectaculaire, le tissu social.

En complément de l'effort propre à l'accueil et à l'hébergement, le programme d'action sociale de l'État recevra en 1995, 18 millions de francs de mesures nouvelles. 

Les mesures nouvelles seront diversifiées et conduites au plus près du terrain, qu'il s'agisse des fonds d'aide aux jeunes, de l'accompagnement individualisé des chômeurs de longue durée, ou des aides aux entreprises d'insertion par l'économique. Ces dispositifs très divers forment un tout. Ils ont un double objectif : immédiatement, apporter des solutions d'urgence à des personnes en situation de désespoir ; à terme, créer de nouvelles solidarités, un système complexe qui recrée le tissu social là où il se tend à se détruire.

Les mesures du projet de Budget pour 1995 ne représentent d'ailleurs qu'une partie de l'effort actuel du gouvernement. Le plan de lutte contre l'exclusion que j'ai annoncé le 19 octobre a une traduction budgétaire propre, qui s'ajoute aux crédits du projet de loi de finances initiale. Les crédits liés à ce plan seront imputés au budget de plusieurs ministères, comme la Jeunesse et les Sports ou le Travail. En ce qui concerne les Affaires sociales et la Santé, le plan est financé pour partie au projet du collectif budgétaire d'automne dont vous serez prochainement saisis. Il touche à des domaines aussi divers que les réseaux de soins, les missions de soutien aux jeunes ou les SAMU sociaux.

Le plan prévoit aussi un effort de médicalisation de certains CHRS. Dans son ensemble, l'effort lié à ce plan se traduira dans le budget de mon ministère par l'ouverture de mesures nouvelles d'environ 160 millions de francs, répartis entre le décret d'avance et le collectif d'automne.

Enfin un faisceau de mesures nouvelles, qui traduisent les engagements pris après la consultation de la jeunesse, viendront, par amendement gouvernement, abonder le budget du ministère. Dans ce cadre, 55 millions de francs supplémentaires seront attribués aux fonds d'aide aux jeunes. Un numéro vert « écoute santé » sera mis en place. Cinq maisons des jeunes et de la santé seront installées. Les centres de conseil familial seront développés. Au total, les crédits nouveaux s'élèvent à 77 millions de francs.

La politique d'intégration des personnes immigrées résidant légalement en France est une autre de mes préoccupations. L'année 1994 a été marquée par la mise en place du nouveau code de la nationalité. Cette réforme visait à inscrire l'acquisition de la nationalité dans une véritable démarche d'insertion, volontaire et consciente. Son succès reposait donc sur sa notoriété. J'ai lancé une campagne d'information de très grande ampleur, du 15 septembre au 15 octobre derniers. En 1995, un dispositif permanent d'information continuera de fonctionner.

De même, des places nouvelles seront créées en 1995 dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile, au nombre de 300.

La politique contractuelle d'intégration sera développée avec les collectivités territoriales. Les crédits consacrés aux contrats d'agglomération progresseront de 12,4 % l'an prochain. Cet effort permettra de développer des programmes locaux d'intégration dans les villes, qui sans relever de la géographie prioritaire de la politique de la ville, sont néanmoins confrontés à des difficultés d'intégration.

La réforme du Fonds d'Action Sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille(FAS) entreprise l'an dernier sera elle aussi poursuivie comme le préconisait la Cour des comptes. Les interventions du Fonds sont d'ores et déjà recentrées sur un petit nombre de priorités (l'accueil des familles, les services publics, les jeunes femmes). J'ai demandé aux Préfets d'exercer une tutelle plus vigilante sur les commissions régionales pour l'intégration des populations immigrées. En 1995, d'autres mesures seront prises, et notamment la réforme de la procédure financière du fonds. Mon souhait est que les interventions du FAS soient, à la fois plus rapide et plus sûres.

Il n'est pas normal que des associations subventionnées par le FAS doivent faire des avances de trésoreries pendant plusieurs mois. 

Un autre domaine de la solidarité nationale est celui des actions en faveur des handicapés.

Les Centres d'Aides par le Travail (CAT) viennent de connaître, une situation financière comparable à celles des CHRS. Il y a eu, là aussi, l'année précédant le changement de majorité, des promesses salariales sont le financement n'était pas assuré. Nous avons tenu les promesses ; il a fallu trouver les financements. En 1994, nous avons redéployé 60 MF en direction des CAT les plus en difficulté. En 1995, j'ai obtenu que 294 millions de francs de crédits supplémentaires soient destinés à l'assainissement des comptes des CAT. Comme pour les CHRS, cet assainissement sera conduit dans le cadre d'un examen attentif des procédures et des pratiques des centres.

En outre, 110 millions de francs seront consacrés, comme l'an dernier, à la création de 2 000 places nouvelles. Les crédits de l'État consacrés aux CAT s'élèveront au total en 1995 à 5,2 milliards de francs, en progression de 8,5 %.

Pour leur part, les crédits destinés au financement de l'allocation aux adultes handicapés augmenteront de 618 millions de francs en 1995. Ces chiffres reposent sur une évaluation réaliste de la démographie et sur la prise en compte des économies dues à l'introduction, décidée l'an dernier, d'un plancher d'invalidité de 50 % pour l'attribution de l'allocation aux handicapés qui ne peuvent se procurer un emploi.

L'effort de solidarité de l'État doit enfin s'étendre à une catégorie de concitoyens très proche de chacun d'entre nous, et qui pourtant est souvent la plus isolée : les personnes âgées.

De toutes les évolutions sociales, le vieillissement de notre population est à la fois la plus facile à prévoir et la plus difficile à infléchir. Cette évolution est inéluctable et massive. Faute de la prendre à bras de corps dès aujourd'hui, elle peut devenir, demain, le facteur d'une nouvelle cassure sociale.

Certes, les voies et moyens d'une politique de la vieillesse relèvent d'abord de la protection sociale. Je vous en ai parlé hier, en tant que ministre chargé de la Sécurité sociale. Mais ils relèvent aussi de la responsabilité directe de l'État, dont je voudrais vous parler aujourd'hui comme ministre des Affaires sociales.

Lorsque j'étais ministre de la Santé, il y a quinze ans, j'avais connu ces hospices, ces mouroirs, où l'on voyait des vieillards relégués dans des conditions indignes. J'avais obtenu à l'époque des engagements du gouvernement pour humaniser ces hospices en 10 ans. De retour dans ce ministère l'an dernier, j'ai constaté que ce programme avait été progressé, mais qu'il avait pris du retard sous les gouvernements précédents. Sur les 217 000 lits recensés en 1975, 15 000 restaient à « humaniser ». J'ai décidé de reprendre le mouvement, et de l'intégrer dans les contrats du XIe plan. À ce titre, 503 millions de francs de crédits de paiement sont inscrits en 1995, c'est-à-dire 100 millions de plus que cette année. Je souhaite que l'humanisation des hospices soit achevée à l'intérieur des échéances du XIe plan. Le budget de 1995 en donne une garantie. Bien sûr, on aurait pu aller encore plus vite. Mais quand on contractualise, on ne peut pas aller plus vite que ne le souhaitent les régions qui signent les contrats !

En ce qui concerne la dépendance, nous nous sommes lancés dans une politique d'expérimentation, et je sais que beaucoup de départements sont candidats. La liste des 12 départements retenus pour l'expérience vient s'être arrêtée.

Le 1er janvier prochain, des crédits d'assurance maladie seront affectés au financement de 3 000 places de section de cure médicale et 3 000 places de services de soins infirmiers à domicile.

Une autre priorité, très imbriquée avec celle qui précède, c'est la politique familiale. La politique familiale n'apparaît guère dans le projet de budget du ministère. Sa traduction financière se retrouve bien davantage dans les comptes sociaux. Mais elle obéit à une seule logique, qui est celle de la solidarité. À un moment où le lien social tend à perdre de sa force, la famille reste le point de repère irremplaçable ; c'est pour l'État un devoir que de l'aider. Nous avons jeté depuis deux ans les bases d'une politique familiale très ambitieuse. Vous avez adopté la loi famille et la loi relative à la sécurité sociale qui forment, et je crois pour longtemps, le socle de cette politique.

À l'effort des régimes de sécurité sociale s'ajoute celui de l'État. C'est ainsi que le budget de l'État compensera, pour une somme de près de 6 milliards de francs, les dépenses engagées par la CNAF pour la majoration de l'allocation de rentrée scolaire.

La seconde grande priorité de ma politique est la santé publique. Sur ce sujet, j'irai à l'essentiel. M. Douste-Blazy, ministre délégué chargé de la Santé, développera davantage les différents axes de cette politique.

La politique de la santé est une conquête perpétuelle. Elle vise à permettre de vivre plus longtemps, sans doute ; mais elle vise surtout à permettre de vivre mieux. Plus encore, elle doit viser à donner à chacun les mêmes chances face à la maladie. On disait autrefois que tous, riches et pauvres, se retrouvaient en situation d'égalité dans un seul domaine : la santé, la maladie. Mais la santé aussi est un lieu d'inégalité. Il existait autrefois, et il existe encore aujourd'hui des maladies de pauvres. Cinquante ans après la création de la sécurité sociale, l'égalité de l'accès aux soins est parfois menacée. De nouveaux fléaux, la drogue, le Sida, et de plus en plus l'alcoolisme, frappent en premier les plus défavorisés.

J'ai souhaité que la lutte contre la toxicomanie fasse l'objet d'un effort considérable dans le budget de 1995. Les crédits du ministère affectés à cette action progresseront de 27,5 % en 1995. C'est un effort sans précédent. Il s'inscrira dans le programme de lutte sur 3 ans adopté par le Gouvernement.

Dans cet intervalle, le nombre de places de post cure sera doublé ; les possibilités de prescription de méthadone seront développées, la prévention sera aidée. Il faut, dans la lutte contre la drogue, que l'action sociale et l'action sanitaire soient parfaitement articulées. Les toxicomanes forment les populations les plus exposées au virus du Sida, mais aussi aux formes sociales de l'exclusion. Il faut se battre contre la drogue sur tous les fronts.

J'ai voulu aussi que la lutte contre le Sida soit amplifiée. 

23 millions de francs de mesures nouvelles renforceront les programmes existants, qu'il s'agisse de politique de prévention, de l'aménagement d'appartements thérapeutiques ou des dispositifs d'accompagnement des malades, s'ajoutant en cela aux crédits ouverts au cours de l'année 1994 par décret d'avance.

L'administration centrale a repris en gestion directe à partir de cet été, comme le préconisait le rapport Montagnier, les missions de l'Agence Française de Lutte contre le Sida. Les moyens correspondants, soit 15,5 millions de francs, désormais inclus dans la masse du budget de fonctionnement du ministère, s'ajoutent donc aux crédits d'intervention.

Le Budget de 1995 consolide par ailleurs la création de 80 emplois nouveaux liés à la lutte contre le Sida. Ces emplois seront pour 50 d'entre eux créés dans les services déconcentrés.

La lutte contre l'alcoolisme est un autre point fort de la loi de finances. Le fléau de l'alcool est d'un coût sanitaire et social plus lourd encore que celui de la drogue, mais pour des raisons diverses, il frappe moins les esprits. Je souhaite que cette situation évolue. Avec 15,5 millions de francs de mesures nouvelles, les crédits d'intervention contre l'alcoolisme progresseront de 9,6 % en 1995. Ces crédits permettront de remettre à niveau le dispositif des centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie ainsi que des centres départementaux de protection contre l'alcoolisme dont la situation financière était parfois dégradée. À dire vrai, j'aurais aimé faire encore davantage, et diversifier encore ce réseau. Mais le budget 1995 renverse une tendance; il constitue un premier pas.

Le dispositif de santé des populations sera doté, quant à lui, de 18 MF de mesures nouvelles. Outre la mise à niveau de l'existant, ces mesures nouvelles permettront d'augmenter très sensiblement le soutien apporté aux dispositifs de santé dans les territoires d'outre-mer, de lancer un plan de formation en périnatalité, de poursuivre les actions en faveur de l'accès aux soins des plus défavorisés.

Enfin, les établissements publics nationaux à caractère sanitaire poursuivront leur mise en place. Ainsi de l'Office de Radioprotection contre les Radiations Ionisantes (OPRI), qui trouvera pour la première fois, une dotation dans la loi de Finances initiale, à hauteur de 43 MF. Ainsi de l'Établissement Français des Greffes, dont le financement sera pris en compte au collectif budgétaire d'automne, à hauteur de 18 millions de francs.

J'en finirai avec les questions sanitaires en formulant trois remarques.

Ma première observation est que l'effort sanitaire de l'État est de plus en plus lié à celui qu'il consacre à la lutte contre l'exclusion. C'est évident lorsqu'on parle de toxicomanie, d'alcoolisme, ou de Sida. Mais c'est tout aussi vrai des pathologies quotidiennes. L'égalité de l'accès aux soins demande, de la part des pouvoirs publics, une vigilance accrue. La protection sociale ne suffit plus à assurer l'égalité devant les soins. Il faut, de plus en plus, aller au-devant des patients. C'est pourquoi un effort est proposé, dans le plan de la lutte contre l'exclusion, en faveur des réseaux de soins. 

Ma deuxième observation est que le budget de la santé connaît, comme l'an dernier, une progression très satisfaisante en masse mais satisfaisante aussi parce que les priorités sont très clairement privilégiées. La lutte contre la toxicomanie, la lutte contre le Sida, la lutte contre l'alcoolisme constituent les objectifs prioritaires de notre politique. Les crédits d'intervention gérés par la direction générale de la Santé progresseront de 10,8 %.

Ma troisième observation est qu'un système de santé efficace suppose que la situation des budgets sociaux soit saine. Le Gouvernement a maîtrisé la dérive des dépenses d'assurance maladie alors que, je le rappelle, les évolutions d'il y a deux ans étaient catastrophiques.

Pour finir, je dirai un mot des moyens de fonctionnement du ministère. C'est un sujet capital, car il serait illusoire d'imaginer des politiques ambitieuses sans se donner les outils capables de les appliquer. La politique sanitaire et sociale réussit ou échoue sur le terrain. Elle est, plus que tout autre, dépendante de l'implication de chacun de ses échelons administratifs.

J'ai été frappée, en revenant dans le ministère, de constater à quel point certains secteurs de l'administration sociale avaient été laissés à l'abandon par les gouvernements socialistes. Il y avait eu un divorce tout à fait étonnait entre les discours et les moyens. Il fallait donc reconstruire. La politique sociale, ce sont des hommes et des femmes qui agissent pour d'autres hommes et d'autres femmes. Elle n'est pas facilement réductible à des indicateurs. Elle repose sur des motivations. 

La tâche était ardue. En 1993, la situation du déficit budgétaire de l'État était de nature à dissuader tout effort tendant à consacrer aux moyens des administrations les maigres marges de manœuvre dont nous disposions. Il fallait à la fois réduire les déficits – c'était impératif – et donner aux administrations les moyens et les motivations pour lancer une nouvelle politique – c'était indispensable. Aux Affaires sociales et à la Santé, la situation était encore plus compliquée qu'ailleurs car, ce n'est un secret pour personne, l'administration sanitaire et sociale est plutôt démunie.

L'an dernier, j'ai obtenu qu'un premier coup d'arrêt soit apporté à la réduction constante des moyens que le ministère subissait depuis plusieurs années.

Le projet de budget qui vous est soumis pour 1995 constitue une nouvelle étape.

L'année qui s'achève a été marquée par une réflexion approfondie sur l'organisation et le fonctionnement des services de mon administration. Cette réflexion était certes poussée par les contraintes budgétaires sans précédent qui s'imposait à l'État, mais elle était d'abord dictée par la volonté qui était la mienne de faire de l'administration sanitaire et sociale un outil efficace, motivé, moderne.

J'ai mis en place un comité de réorganisation et de déconcentration de l'administration centrale. Ce comité a rendu un rapport dont les suites sont en cours d'exécution. Il s'agit d'une œuvre de grande ampleur.

La réorganisation des services déconcentrés – sujet lancinant que j'ai trouvé à mon arrivée – a donné lieu à la préparation d'un projet de décret tout récemment publié, qui institutionnalise les relations entre les DRASS et les DDASS et doit permettre une allocation plus optimale des ressources de l'assurance maladie et des crédits de l'État entre les établissements sanitaires et sociaux. 

Cette réforme sera accompagnée d'un plan de modernisation des méthodes et des outils de travail. J'ai rencontré hier, comme je le fais périodiquement, l'ensemble des directeurs régionaux et départementaux. Ils sont de très grande qualité, et très motivés pour préparer l'évolution.

J'ai veillé par ailleurs à ce que les moyens humains du ministère soient renforcés. Alors que depuis 10 ans, l'administration sanitaire et sociale de l'État n'a cessé de perdre de la substance, de subir, chaque année, quelques dizaines ou quelques centaines de suppressions d'emplois, en 1995 la tendance sera inversée, après le coup d'arrêt obtenu en 1994. Outre les 80 créations de postes liés au Sida – j'ai obtenu que 100 emplois soient « dégelés », c'est-à-dire que 100 recrutements supplémentaires soient opérés en 1995. Ces recrutements porteront sur des agents de catégorie A et B, et ils concerneront avant tout les services déconcentrés. Ils contribueront notamment à améliorer les moyens de la tutelle hospitalière et à renforcer les services santé-environnement. En administration centrale, un bureau de la radioprotection sera créé et la direction de l'Action sociale sera renforcée, de même que la direction de la Sécurité sociale.

La situation indemnitaire de certaines catégories d'agents, comme par exemple, les déléguées régionales des droits des femmes, les inspecteurs de l'IGAS ou les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales (IASS), avaient pris beaucoup de retard. Des rattrapages auront lieu en 1995.

Il est normal, en effet, que ceux des fonctionnaires qui choisissent la vocation difficile du social ne soient pas pénalisés par rapport à leurs collègues œuvrant dans d'autres secteurs. J'ai la conviction que l'administration Sanitaire et sociale est une administration de grande qualité, et qu'elle doit être soutenue.

Enfin, les moyens logistiques du ministère ont dans l'ensemble été préservés. Dans leur ensemble, les crédits de fonctionnement du ministère seront en progression en 1995. Les moyens des services déconcentrés augmenteront, à structure constante, de 2 %. La participation de ce ministère à l'effort d'économie de l'État a été accompli dans des conditions claires et réalistes. Des efforts sectoriels importants ont été consentis, comme par exemple, pour les moyens destinés à la mise en œuvre des SROS, qui sont en croissance de 20 %.

Monsieur le Président, messieurs les Rapporteurs, mesdames et messieurs les Sénateurs, le projet de budget que je vous soumets exprime une volonté, et donc il montre un chemin.

Dans le contexte budgétaire difficile que vous connaissez, il réaffirme la responsabilité de l'État. Il manifeste la volonté de la nation de lutter avec ardeur contre toutes les formes de souffrance, de maladie, d'exclusion, et de rendre un espoir à chacun.