Texte intégral
Je suis très heureux de ce rendez-vous, de m'exprimer aujourd'hui devant vous – élus, professionnels, associations, étudiants… sur ce sujet du paysage qui est au cœur de mes préoccupations, de l'action du ministère de l'Environnement, et de la dimension qualitative qui doit être celle de la nouvelle croissance que j'appelle de mes vœux.
I. – Il est urgent d'agir pour le paysage
La préoccupation du paysage :
Elle est la mienne depuis longtemps en tant qu'élu local.
Elle m'a guidé depuis le début de mon action ministérielle : agir pour la qualité du paysage, les espaces remarquables, mais aussi – et c'est le plus nécessaire et aussi le plus difficile – pour le paysage quotidien. Dans le même temps faire prendre en compte le paysage dans les diverses politiques sectorielles : Aménagement, Agriculture, Industrie (exemples du marais Poitevin, Fonds de gestion de l'espace rural dans le projet Pasqua, politique de la ville…). Je suis heureux quand les autres Ministres s'occupent de paysage… et de la qualité de la vie.
C'est un chemin long et difficile – et j'ai bien conscience de n'être ni le premier, ni j'espère le dernier à s'atteler à cette tâche.
Agir pour le paysage prend du temps, il faut convaincre, rassembler et les résultats de l'action ne se voient souvent qu'au bout de longues années. J'ai en tout cas le souci très vif de faire avancer la cause du paysage et il est particulièrement bien venu que nous nous rencontrions aujourd'hui, à la veille d'une communication en Conseil des ministres qui constitue je crois une étape importante sur ce chemin que j'évoquais à l'instant.
J'aurai voulu vous dire précisément le contenu de ce plan d'action – et c'est ce qui était prévu – mais le Conseil des ministres ayant été reporté à demain – exceptionnellement un jeudi – je dois conserver une forme de priorité pour le Gouvernement et je suis sûr que vous le comprendrez.
Néanmoins je vous indiquerai les grandes lignes du plan tout à l'heure, en quelque sorte en avant-première.
Il est urgent d'agir pour le paysage. C'est ma conviction profonde.
Il est tard, même s'il n'est pas trop tard.
II. – Pourquoi agir ?
Le paysage est notre patrimoine et c'est un patrimoine menacé.
Milieu vivant, "visage" de nos régions, le paysage est un enjeu de société porteur de valeurs symboliques et culturelles, génératrices d'emploi et de retombées économiques.
Mais les évolutions qui ont marqué les paysages depuis 30 ans ont entraîné des dégradations importantes, marquées en particulier par une tendance à l'uniformisation et à une banalisation accélérée.
En effet, le paysage français, tant urbain que rural, a connu au cours des trois dernières décennies un bouleversement sans précédent, même si nous n'en n'avons pas toujours clairement conscience.
Il faut ouvrir les yeux.
Entrées de villes anarchiques et multiplication incohérente des zones d'activité, véritables "bouillies" architecturales (caractéristique française), extension de banlieues sans caractère, affichage mal contrôlé, déstructuration des paysages ruraux, en particulier, sous l'effet de la tendance de l'industrialisation de l'agriculture et à la déprise agricole, qui provoque un reboisement non maîtrisé, urbanisation du littoral et de la montagne, multiplication des infrastructures de transports, des réseaux aériens de distribution d'énergie…
Quelques exemples, que vous connaissez bien, mais qui illustrent l'enjeu et l'ampleur de la tâche :
1,3 million de kilomètres de lignes électriques dont seulement 23 % en souterrain pour la basse et la moyenne tension. La France est très en retard par rapport à ses voisins (taux d'enfouissement de 65 % en Allemagne, 80 % en Grande-Bretagne, 97 % pour les Pays-Bas). L'effort actuel d'enfouissement est insuffisant.
Extension exponentielle des espaces urbanisés : + 35 % de 1982 à 1992 !
Développement des infrastructures : + 11 % pour les routes et les parkings sur la même période…
S'agissant du paysage rural : réduction spectaculaire de la "forêt linéaire" (haies, bosquets…) : environ 60 % a disparu en 30 ans, soit près de 770 000 km de haies…
On pourrait multiplier les exemples : 175 000 affiches 4 x 3 m, 80 000 dispositifs de mobilier urbain, près de 1 % d'urbanisation supplémentaire par an pour le littoral 10 000 ronds-points etc., la liste des "signes" de ce bouleversement est longue et fastidieuse… Mais c'est bien là, la réalité.
L'important est que cette évolution a été très largement subie et non voulue, réfléchie. C'est particulièrement clair, s'agissant, par exemple, des entrées de ville.
L'enjeu, difficile mais incontournable n'est pas de mettre la France "sous cloche" ou de dicter une je ne sais qu'elle approche esthétique, mais c'est simplement de faire prendre en compte, systématiquement, l'approche qualitative dans tout ce qui concerne la gestion de l'espace.
Enoncée comme cela, cette ambition apparait bien raisonnable, presque trop modeste.
Et pourtant, c'est un formidable défi que nous avons devant nous et c'est ce à quoi nous nous sommes attachés.
Il ne s'agit pas, vous l'aurez compris "d'aménagement zéro" ou de "croissance zéro", mais de diffuser et de promouvoir à tous les niveaux des projets porteurs d'une démarche de qualité, d'identité. C'est ma conviction et ma méthode.
III. – Promouvoir la qualité de nos paysages : une chance de rassembler les Français autour d'un enjeu prioritaire
Nous ne sortirons pas de la crise comme nous y sommes entrés.
Les Français appellent de leurs vœux une croissance plus qualitative, plus humaine : que signifie un mode de développement qui implique laideur, banalisation, mal être ? Il faut mettre un terme au massacre de notre patrimoine.
Cette prise de conscience est en cours au niveau des villes, des entreprises, des organisations professionnelles : la qualité de la vie c'est aussi la qualité de la vue.
Le devoir de l'État c'est de fédérer les énergies et de créer une dynamique en faveur de la qualité des paysages et du cadre de vie.
Les Français l'attendent : un sondage BVA que nous avons fait réaliser il y a quelques semaines pour éclairer davantage notre politique en matière de paysage montre que :
1) 97 % des Français considèrent que les actions pour les paysages sont très importantes (67 %) ou importantes (30 %).
2) Ce qui choque le plus nos compatriotes ce sont les lignes électriques (64 %) ; l'affichage publicitaire (64 %), le paysage urbain dans les banlieues (67 %), l'urbanisation du littoral (58 %)…
3) Les Français attribuent la dégradation des paysages en particulier au fait que les pouvoirs publics ne s'engagent pas assez sur le sujet.
En période de crise économique les Français sont plus que jamais attachés à la qualité de leur cadre de vie.
La qualité des paysages est un formidable atout de développement économique.
Ainsi pour 65 % des Français, la qualité des paysages est le premier critère de séjour touristique. La qualité du cadre de vie est aussi, de plus en plus, un critère majeur du choix d'implantation des entreprises. Au-delà des sites fortement fréquentés (le littoral, la haute montagne, les grands sites naturels et culturels), on assiste à un transfert de la demande vers un "tourisme de pays".
Or, l'activité touristique représente d'ores et déjà 8 % de notre PNB et 750 000 emplois directs ainsi que le premier poste pour l'équilibre de notre balance des paiements, et ce sont bien nos paysages que nos visiteurs étrangers viennent voir.
En outre, le secteur du paysage est par lui-même un secteur économiquement important, multiple (entreprises du paysage, pépiniéristes, horticulteurs, fournisseurs de matériels paysagistes-concepteurs…) et aux capacités significatives du point de vue des emplois potentiels :
À l'heure actuelle, le seul secteur des entreprises du paysage, en excluant notamment paysagistes concepteurs, pépiniéristes et fournisseurs de matériels représentent 10 milliards de francs de chiffre d'affaires.
Reconquérir et mettre en valeur nos paysages, pour une France plus belle en 2015 constitue une chance de rassembler les Français autour d'un thème fédérateur, au cœur de notre identité nationale.
Cette dimension sociale de la politique de l'environnement – le paysage appartient à tous – constitue une priorité forte.
Trente ans après la politique lancée par André Malraux pour la reconquête des centres-villes, avec le succès que l'on sait, l'enjeu c'est le territoire au sens le plus large : les paysages ruraux, les entrées de ville, le littoral, la montagne…
C'est l'esprit du plan d'action que je présenterai demain en Conseil des Ministres et dont je voudrais à présent évoquer avec vous les grandes lignes.
IV. – Orientations du plan d'action
En premier lieu, il convient de renforcer la cohérence et l'efficacité de l'action de l'État
Si le ministre de l'Environnement doit veiller à la protection des paysages, il est également nécessaire que cette préoccupation soit prise en compte dans les politiques d'aménagement et de gestion de l'espace menées par les ministères concernés. Il faut un "pilote" ce qui implique que le ministre de l'Environnement est chargé de la cohérence et de l'animation de cette politique du paysage cela suppose en particulier des dispositions relatives à l'organisation administrative et aux responsabilités du ministère de l'Environnement s'agissant de la formation des paysagistes.
La protection des espaces remarquables sera renforcée (classement de sites, directives paysagères) : "mettre à l'abri pour les générations futures".
Par ailleurs, l'État doit également favoriser la prise de conscience en faveur des paysages.
Cette orientation impliquera des mesures nouvelles dans le domaine du développement de la formation des professionnels, le renforcement de leur statut, de la diffusion des connaissances et de la sensibilisation de l'opinion.
Il convient ensuite de mieux intégrer les équipements publics dans le paysage, ce qui concerne les mesures prévues pour les routes ("1 % paysage" et arbres d'alignement, sujet cher à Georges Pompidou), et les équipements ferroviaires (Charte avec la SNCF)
Mais aussi les lignes électriques : le protocole de 1992 entre l'État et EDF a permis des progrès significatifs en matière d'enfouissement de lignes. Il convient d'aller plus loin et de renforcer cette politique en particulier dans les agglomérations urbaines et les sites remarquables.
Il faut également renforcer la prise en compte du paysage en matière d'urbanisme, des mesures seront en particulier prises s'agissant des lotissements commerciaux et des entrées de ville.
De la même façon, il s'agit d'assurer une meilleure régulation de l'affichage publicitaire.
Des mesures concerneront par ailleurs les jardins qui constituent à la fois comme éléments du paysage et en tant que facteur de développement social, des éléments importants du cadre de vie.
Enfin, la mise en valeur du paysage rural constitue un élément majeur de la politique du paysage.
Le rôle de l'agriculture dans l'entretien du paysage rural doit être soutenu notamment dans le cadre des mesures agro-environnementales.
La protection des éléments constitutifs des paysages ruraux (cours d'eau, haies…) sera renforcée et les règles régissant les procédures d'aménagement foncier devront pendre davantage en compte le paysage. Même orientation pour la forêt.
Au total, en regrettant de ne pouvoir aujourd'hui aller avec vous plus avant dans le détail des mesures, il s'agit à mon sens d'une étape importante qui renforce la prise en considération du paysage comme un véritable élément, important, des politiques publiques.
Ces mesures s'accompagneront d'un renforcement des moyens engagés – notamment par l'intermédiaire du FIQV dont le paysage sera proposé comme l'une des utilisations prioritaires en 1995. Je salue à ce propos les efforts remarquables de la petite équipe du paysage qui œuvre au ministère de l'environnement, animée par Jean Cabanel et sous la direction de G. Simon, avec conviction, compétence et efficacité.
Je voudrais terminer en vous redisant ma conviction profonde que – au-delà des règles – nous ne réussirons qu'à la mesure de la conviction que nous saurons faire passer – avec les professionnels, indispensables à l'action des pouvoirs publics – auprès des différents acteurs du paysage : élus, administrations, entreprises et particuliers… tant il est vrai que le paysage est l'affaire de tous.
Et pour convaincre il faut faire voir : c'est en particulier l'objet de l'Observatoire du Paysage et de l'exposition que nous allons inaugurer ensemble tout à l'heure.