Déclaration de M. Édouard Balladur, Premier ministre, sur les mesures d'aide en faveur de l'agriculture et la position de la France sur la politique agricole commune à la veille de sa présidence de l'Union Européenne, à Paris le 8 décembre 1994.

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Circonstance : Assemblée permanente des chambres d'agriculture, Paris le 8 décembre 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

C'est avec plaisir que je viens clore avec vous une période importante pour l'agriculture de notre pays, et marquée par les responsabilités que vous avez bien voulu exercer au nom des compagnies consulaires que vous représentez.

Je sais l'action qui vous avez menée à la tête des Chambres d'Agriculture de France, Monsieur le Président. Votre détermination n'eut d'égal que la courtoisie avec laquelle elle s'est exprimée.

Je tiens à vous en remercier ainsi que l'ensemble de vos collègues, présidents de chambres d'agriculture.

Vous avez engagé une vaste réflexion au sein de vos chambres d'agriculture lors de la préparation du débat d'orientation de juin dernier.

Elle a inspiré les orientations prises tant par la profession agricole que par le Gouvernement.

Vous vous êtes également soucié d'adapter vos institutions aux grands défis de l'agriculture de la fin du siècle. Je pense notamment au projet "Chambres d'Agriculture 2001" qui guide aujourd'hui votre action.

Les chambres d'agriculture continueront ainsi à jouer pleinement leur rôle d'établissement public professionnel. Elles sont chargées de représenter les intérêts généraux de l'agriculture auprès de l'ensemble des pouvoirs publics et des grandes institutions nationales.

Je souhaite que l'agriculture tout entière bénéficie plus profondément encore du dialogue instauré. Le Gouvernement, et Monsieur Puech en particulier, œuvrent, en effet, avec succès, depuis vingt mois pour défendre et moderniser notre agriculture.

Les résultats satisfaisants auxquels nous parvenons m'incitent à penser que les principes et les ambitions que nous mettons en œuvre depuis vingt mois sont ceux-là mêmes dont notre agriculture a besoin à l'avenir.

Le rôle de l'agriculture dans la construction de l'Europe, la nécessité d'une Politique Agricole Commune forte ne sont plus à démontrer.

Nous ne voulons pas d'une zone de libre-échange aux contours mal définis. Nous sommes attachés à ce que les politiques communes, et la Politique Agricole Commune en premier lieu, soient affirmées. C'est pourquoi nous entendons préserver l'idée de préférence communautaire.

Le Gouvernement travaille à la réalisation d'un grand marché européen où les conditions de la concurrence soient égales pour tous. L'agriculture française, la plus compétitive du continent, peut encore accroître ses exportations.

Elle a donc tout à gagner à ce que l'Autriche, la Suède et la Finlande rejoignent l'Union Européenne. La France a exigé que cet élargissement se fasse dans le respect des acquis communautaires. Nous offrons ainsi de nouveaux marchés à nos producteurs.

Dans le même esprit, il conviendra, le moment venu, de considérer le cas des pays d'Europe centrale et orientale. Si l'acquis communautaire est respecté et si des périodes transitoires suffisantes sont prévues pour les productions sensibles, cet élargissement sera à l'origine d'un nouvel élan pour notre agriculture.

Nous voulons une Europe solidaire où les effets du grand marché soient, le cas échéant, corrigés par les aides structurelles. Celles-ci bénéficient largement au monde rural. Elles seront doublées sur la période 1994-1999.

Nous voulons une Europe forte sur la scène internationale. Seule l'Union des États européens, autour des thèses défendues par la France, a permis l'achèvement de la négociation du GATT. Il faudra que l'Europe reste vigilante pour que les accords de Marrakech soient appliqués loyalement par chacun des signataires. La France y veillera.

Vous le voyez, l'Europe n'est pas seulement contraignante ; elle est aussi une chance pour l'agriculture, si la France fait entendre clairement sa voix.

Le Gouvernement y travaille depuis avril 1993. Des améliorations significatives ont été apportées au pré-accord de Blair House. La réforme de la PAC, adoptée à la hâte en 1992, a été réaménagée de sorte que nos agriculteurs l'acceptent davantage.

Le ministre de l'Agriculture et de la Pêche vient d'obtenir un résultat important avec l'abaissement de vingt pour cent du taux de jachère.

Nous avons fait reconnaître que cette jachère, si décriée, n'était pas une fin en soi mais un instrument de gestion. Nous étions seuls, il y a encore quelques jours, à défendre cette thèse. Aujourd'hui, elle prévaut. Il y a un an, presque jour pour jour, je m'engageais devant l'Assemblée nationale à ce qu'il n'y ait pas un hectare de jachère de plus. C'est aujourd'hui une promesse tenue et au-delà même des engagements pris.

Le ministre de l'Agriculture et de la Pêche vient de déposer un nouveau mémoire auprès de la Commission. Celui-ci vise à modifier, à l'avenir, les dispositions applicables en cas de dépassement de la "surface de base" : lorsqu'un tel dépassement ne vient pas d'une augmentation des surfaces cultivées, il n'y a aucune raison d'exiger, l'année suivante, un gel de terres supplémentaire.

Jean Puech s'attache à faire avancer ce dossier qui vous tient particulièrement à cœur.

Nous sommes aujourd'hui à la veille de la présidence française.

Le Gouvernement doit, jusqu'au 30 juin, mener à bien des dossiers importants pour l'agriculture européenne, comme pour l'agriculture française. Je pense en particulier aux Organisations Communes de Marché qui n'ont pas encore été réformées. Il s'agit des fruits et légumes, et du vin, sujet délicat. En ce domaine il conviendra de tenir compte des efforts de maîtrise de production déjà réalisés et de considérer les débouchés commerciaux réels. Le rôle des interprofessions et des régions doit être affirmé dans un esprit constant de subsidiarité.

Les conditions dans lesquelles l'accord de Marrakech sera mis en œuvre devraient être fixées d'ici la fin de l'année, dans le respect des prérogatives respectives du Conseil et de la Commission. Il nous faut veiller à ce que l'Union n'aille pas au-delà des engagements souscrits.

Enfin, nous poursuivrons le travail de simplification de la politique agricole réformée. Là encore, la détermination et la vigilance s'imposent.

Cette présidence doit être pour nous l'occasion de faire partager nos idées d'une Europe agricole ambitieuse, d'affirmer sa vocation exportatrice, de manifester la primauté de la volonté politique.

Nous devons d'ores et déjà, nous préparer aux nouveaux défis qui conditionnent l'avenir de l'Union Européenne.

La Politique Agricole Commune fait bien évidemment partie de l'acquis fondamental de la Communauté, applicable à tous et qui devra être préservé.

L'Union Économique et Monétaire est un des grands enjeux des prochaines années. Elle seule mettra nos productions et nos industries agro-alimentaires à l'abri des effets néfastes de fluctuations monétaires erratiques.

La négociation d'adhésion avec les pays d'Europe centrale et orientale sera particulièrement délicate dans le domaine agricole. Comme vous l'indiquez, Monsieur le Président, ces pays sont à la fois concurrents et partenaires. Leur intégration est, à terme, une chance mais seulement si nous savons procéder par étapes.

Notre pays est un moteur de la construction européenne. C'est plus vrai encore du secteur agricole. Dans le monde, les produits agricoles et alimentaires constituent un enjeu fondamental du développement. Sachons donc faire preuve d'audace !

En 1996, les effets de la Politique Agricole Commune réformée seront évalués.

Rien ne s'arrête, certes, en 1996. Les acquis restent. Mais nous ne devons pas craindre de faire valoir nos atouts, notre compétitivité et notre ambition.

Cela ne peut se faire qu'en définissant un projet cohérent pour notre agriculture tout entière.

Je m'y suis employé dès ma prise de fonction en engageant un dialogue permanent et constant avec vous et avec l'ensemble des Organisations Professionnelles Agricoles.

Le débat d'orientation, auquel vous avez largement contribué, a permis de dégager un large consensus fondé sur deux objectifs principaux :
- faire de l'agriculture française la plus performante d'Europe, secteur par secteur, afin de conforter sa vocation exportatrice,
- inviter nos agriculteurs à faire mieux vivre notre territoire.

Quelles sont nos perspectives ? Le projet de loi de modernisation qui a été largement approuvé par l'Assemblée nationale et qui doit maintenant être examiné par le Sénat, les exprime.

Les jeunes qui s'installent doivent pouvoir développer une activité rentable et durable. Votre objectif, qui est aussi le mien, est de passer, progressivement, à 12 000 installations par an. De nombreux départs à la retraite sont prévus pour ces prochaines années. Ils devraient ensuite être compensés par autant d'installations. Les conditions financières et réglementaires de l'installation ont été améliorées. Chaque agriculteur pourra désormais choisir pour son exploitation le régime juridique le mieux adapté à son projet professionnel et personnel. La loi de modernisation réoriente aussi le dispositif de pré-retraite et allège significativement les droits de mutation à titre onéreux, ainsi que l'impôt foncier non bâti pour les jeunes agriculteurs. Ces efforts seront poursuivis. Je puis, d'ores et déjà, vous annoncer que j'ai donné mon accord à une amélioration du dispositif de versement de la dotation aux jeunes agriculteurs en revalorisant à hauteur de 70 % la part du premier versement de cette aide.

Pour améliorer les performances agricoles, les charges fiscales, sociales ou financières doivent être allégées. Le Gouvernement s'est attaché à redresser une situation profondément dégradée où installations et investissements étaient bloqués.

En matière fiscale, l'effort a porté sur le foncier non bâti. À la suite des décisions adoptées, dès mai 93, le rythme du démantèlement des parts régionales et départementales a été accéléré. Pour vos exploitations, l'allègement du foncier non bâti entre 1993 et 1996 atteindra près d'1,5 milliard de Francs. Pour la part communale, la question est particulièrement difficile : cet impôt représente une part importante des finances des communes. Le projet de loi de modernisation de l'agriculture prévoit des mesures d'allègement pour les jeunes et les associations foncières pastorales. Il faudra aller plus loin dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale qui sera mise en œuvre dans le prolongement de la loi sur l'aménagement du territoire.

Les cotisations sociales ont, quant à elles, baissé de 9 % en 1994. Cela résulte, certes, du niveau de revenu des années précédentes mais aussi, reconnaissons-le, des allègements adoptés, ainsi que de l'accélération de la réforme de l'assiette que nous avons décidée en commun. La loi de modernisation marque une étape supplémentaire. Elle prend en compte le capital foncier des exploitants individuels dans l'assiette des cotisations sociales.

Enfin, en matière de financement, nous avons décidé d'importantes mesures de relance des prêts bonifiés : baisse de taux, relèvement des plafonds, adoption des mesures de consolidation. Grâce à ces dispositions, la réduction des charges financières des agriculteurs a atteint 9 % dès 93 et se poursuit en 94. Il s'agit maintenant d'être en mesure de faire face, en ce domaine, à la nette relance de l'investissement et à la reprise du nombre d'installations. J'ai donc décidé de maintenir en 1995 le taux des prêts bonifiés à leur niveau de l'an passé et de fixer à 12 milliards de francs l'enveloppe des prêts bonifiés à l'investissement, soit une augmentation de 30 % par rapport à l'an dernier. Cette décision suppose un effort de bonification sans précédent de l'État. Elle est indispensable pour préparer l'avenir.

L'agriculture française doit renforcer sa politique d'investissement, mais aussi sa politique de recherche. Des champs nouveaux s'ouvrent, tant ce qui concerne l'amélioration constante de la productivité, que le développement de produits ou d'autres débouchés. Je pense notamment aux débouchés non alimentaires et, en particulier, aux biocarburants qui connaîtront, demain, des applications importantes. Il faut faire de cet effort de recherche une politique à long terme pour prolonger l'effort de formation et d'éducation qui nous avons accompli ces deux dernières années.

Il convient, enfin, d'accroître la solidarité entre les générations. L'amélioration du régime social des agriculteurs et notamment des retraités est une priorité. Là encore un effort considérable a été fait : les petites retraites ont été réévaluées. Cela représente un effort financier de 360 millions de francs par an. Le nouveau texte prévoit, de plus, le cumul entre les pensions de réversion et les droits à la retraite acquis à titre personnel. Le coût de cette mesure l'avait fait trop longtemps différer. Elle sera engagée dès 95 et trouvera son plein effet dans trois ans. Cela signifiera alors un effort financier de 2 milliards de francs par an.

L'amélioration du statut des femmes conjointes d'exploitants, comme celle du niveau des retraites, qui devront enfin égaler celles des autres secteurs professionnels sont autant de buts que nous fixons à notre action future.

Préparer l'avenir des jeunes agriculteurs et leur permettre de s'installer dans les meilleures conditions, accroître notre compétitivité en allégeant les charges, renforcer les solidarités telles sont nos ambitions.

L'agriculture sera de plus en plus intégrée à l'activité économique et sociale de notre pays.

La France jouit d'un environnement naturel exceptionnel. L'agriculture seule peut le sauvegarder et le mettre en valeur. Encore ne faut-il pas imaginer une agriculture uniformisée, qui laisserait de côté non seulement une grande partie des agriculteurs, mais également l'ensemble de la société rurale. Cette société rurale, cette civilisation, dans lesquelles nous puisons nos racines, constituent un facteur d'équilibre essentiel pour notre action.

Nous ne devons pas oublier, enfin, quelle est la finalité même du métier d'agriculteur. La responsabilité morale qui lui incombe est celle de nourrir les hommes. C'est une obligation pour nous, et pour tout futur Gouvernement, de donner à l'agriculture française les moyens d'accomplir sa mission dans le monde.

Chaque agriculteur français a sa part à prendre dans cette œuvre permanente, ambitieuse et solidaire, digne, enfin, de notre pays et de l'idée que nous en avons tous. En servant l'agriculture, c'est la France qui nous servons, son histoire, sa civilisation, mais aussi son avenir.