Texte intégral
Conférence de Presse
Thérapie génique, le 23 novembre 1994, au ministère de la Santé
Mesdames et Messieurs,
Si M. Fillon et moi-même, assistés par les responsables des principales associations contre les maladies génétiques, nous avons invité aujourd'hui, c'est que, dans l'histoire des conquêtes de l'homme, nous vivons un moment unique : l'homme a conquis le message héréditaire et a appris à le modifier.
La génétique, faut-il le souligner ? transformera plus complètement encore nos conditions de vie que ne l'a fait la découverte des bactéries, des antibiotiques et des vaccinations.
Ses progrès ont été si rapides qu'ils ont surpris les scientifiques et les médecins eux-mêmes.
Aujourd'hui, le génie génétique nous autorise déjà aux explorations les plus fines du génome et à pratiquer ce qu'on a appelé une véritable chirurgie génomique. L'identification du gène d'une protéine est une procédure courante ; nous savons lire le code génétique avec une telle vitesse que nous sommes capables de dresser des cartes de plus en plus précises du génome, et la localisation du gène défectueux d'une maladie génétique est presque devenue une procédure courante. Nous savons identifier exactement ce gène et caractériser son défaut.
Les méthodes d'amplification génique transforment les conditions de diagnostic et du bilan de nombreuses maladies : elles nous permettent aussi, étonnant paradoxe, de remonter le temps et de lire directement l'histoire du vivant.
Aujourd'hui, environ 4 000 maladies génétiques mono-géniques, c'est-à-dire entièrement déterminées par le défaut d'un seul gène, ont été recensées. Leur multitude, la rareté de chacun d'entre elles, posent des problèmes spécifiques qu'il importe de prendre en compte.
Aujourd'hui aussi, l'existence de gènes prédisposant a été mise en lumière dans un nombre croissant de maladies plurifactorielles fréquentes et graves : je pense – par exemple – à la polyarthrite rhumatoïde, à la sclérose en plaque, à la maladie d'Alzheimer, au diabète, à l'hypertension artérielle, à certaines formes de cancers du sein ou du colon, pour n'en citer que quelques-unes.
Aujourd'hui encore, des anomalies génétiques acquises, non transmissibles ont été identifiées pour être à l'origine des tumeurs et pour régler la progression et le degré de malignité.
Ainsi, avons-nous maintenant à notre portée des perspectives immenses et radicalement nouvelles pour comprendre les processus pathologiques les plus graves et pour pouvoir agir sur eux.
J'observerai d'abord, Mesdames Messieurs, que cette épopée de la génétique n'est pas restée celle de la seule communauté scientifique et médicale. La vigueur et l'ampleur du mouvement associatif qui s'est créé surtout des maladies génétiques ont fait que chacun se sent aujourd'hui concerné par la génétique et par l'assistance qui a été apporté aux patients et à leurs familles, le dynamisme exceptionnel du soutien – de l'impulsion même – qu'elles ont donné à la recherche en génétique restent exemplaires. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux responsables de ces associations d'être présents et je crois pouvoir faire mention de la première d'entre elle par sa taille et ses accomplissements. L'Association Française contre les Myopathes dirigée par M. Barataud. Ces associations ont grandement aidé à concevoir le plan génome et santé dont nous voulons, monsieur Fillon et moi-même, vous donner aujourd'hui les grandes lignes. Je voulais saisir cette occasion pour les féliciter de leur action et les remercier.
Il est aujourd'hui de ma responsabilité de tout mettre pour que les découvertes de la génétique savent exploitées pour le bénéfice de ses patients.
La génétique doit, très largement, entrer dans la pratique quotidienne de chaque médecin en ville comme à l'hôpital. Les médecins doivent pendant leurs études, recevoir une formation approfondie en génétique. Cette amélioration de l'enseignement vous sera exposée par M. Fillon.
Mais à l'heure où les connaissances évoluent si vite, il importe de maintenir les médecins de ville très au fait des progrès de la génétique. Aussi, et avec l'aide du mouvement associatif, nous distribuerons dans les semaines qui viennent, une première brochure d'information à tous les médecins de France. Elle contiendra une information synthétique claire et cet effort de documentation sera poursuivi, sachant aussi le rôle considérable joué par la presse médicale dans l'information quotidienne des médecins.
Le ministère de la Santé créera aussi – toujours en association avec l'Association Française contre la Myopathie – un centre permanent d'information sur les maladies génétiques – disposant d'un numéro téléphonique d'appel gratuit, sa vocation sera double puisqu'il pourra être interrogé d'une part par les médecins et d'autres par le public. Nous activerons, pendant la durée du prochain Téléthon, une opération transitoire qui préfigurera le fonctionnement de ce centre d'information.
Les objectifs sont ambitieux, puisqu'il s'agit de rendre très rapidement le corps médical – dans son ensemble, et plus particulièrement – au fait de connaissances très récentes qui sont encore l'apanage du spécialiste. Il importe que nos médecins :
– soient alertés sur les maladies génétiques puissent en faire un diagnostic rapide ;
– qu'ils connaissent les principaux éléments du conseil génétique ;
– qu'ils soient capables d'assumer le suivi des patients pour organiser les mesures exactes de leur confort.
À l'hôpital, la généralisation des services de génétique sera entreprise avec, pour objectif, que chaque centre hospitalier universitaire dispose d'un tel centre. Mais il ne s'agit nullement – par le renforcement de la spécialité de généticien – d'isoler la génétique au sein du milieu hospitalier. Il faut concevoir cette discipline et ces services comme un soutien à toutes les disciplines et à tous les services hospitaliers qui feront un appel croissant à leurs compétences.
Le second volet du plan génome et santé concerne la recherche et tout particulièrement l'essor de la thérapie génique. Cet enjeu est d'une telle importance que j'ai demandé aux Professeurs JP. Cano de conduire une mission d'experts afin de conseiller le Gouvernement sur les mesures à prendre dans ce domaine. Le professeur Cano m'a remis son rapport il y a quelques semaines et j'ai jugé utile de vous le communiquer aujourd'hui.
Mais [mots illisibles] réaliser une véritable filière française de thérapie génique impliquant les laboratoires de recherche publique ; les industriels intéressés et, finalement, les hôpitaux. Il s'agit, depuis les modèles expérimentaux, jusqu'aux patients de coordonner et d'harmoniser les efforts proposant un financement spécifique. M. Fillon vous exposera les dispositions concernant les recherches d'amont. La tâche plus particulière de Ministre de la Santé est de préparer l'équipement hospitalier.
La création de centres cliniques de thérapies géniques, réutilisant les compétences pluridisciplinaires associera des équipements spécifiques pour les soins et des laboratoires de proximité, apte à assurer le suivi des patients. Ces centres doivent être considérés comme des structures non figées, capable de s'adapter aux évolutions futures de la thérapie génique et seront créés sur une base compétitive par appel d'offre.
Le financement – donc la réalisation – de cette filière vient de débuter par un appel d'offre commun portant sur près de 40 MF, lancé par le Ministère de la Santé et le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, l'ANRS, l'Association Française contre les Myopathies et la LNCC.
La thérapie génique apporte une pharmacopée radicalement nouvelle : elle s'adresse au moins à son début des maladies ou à des situations pathologiques rares. Nous devons donc étudier activement un statut de développement adapté : peut-être en nous inspirant de celui des médicaments dits orphelins développé par les États-Unis et le Japon.
Et cette réflexion doit utilement se dérouler à l'échelon européen. Ce pourrait être l'un des sujets évoqués lors de la prochaine présidence française. Ces conditions d'adaptation ou développement des nouveaux médicaments ne sont, j'y insiste, nullement une tolérance, mais un mécanisme visant à adapter les meilleures conditions sécuritaires au développement des thérapies nouvelles.
La France doit garder, dans cette compétition pour la médecine du troisième millénaire, la place d'excellence qu'elle a toujours occupée.
Et elle doit le faire avec l'éthique qui est la sienne et que les lois bioéthiques ont rappelé avec force et affirmation du primal de l'homme en tant qu'individu, le respect de sa dignité et du consentement libre et éclairé, droit d'accès aux soins pour tous.
Le Monde : 24 novembre 1994
Y aura-t-il un évènement plus important, en cette fin de siècle, que la compréhension par l'homme du message héréditaire de son espèce et son apprentissage à le modifier ? C'est ainsi que nous entrevoyons aujourd'hui la possibilité de guérir les maladies génétiques – celles qui sont dues au défaut d'un gène – ainsi que des possibilités radicalement nouvelles pour guérir les maladies complexes devant lesquelles nous sommes encore démunis : les cancers résistants, le sida, les maladies dites « dégénératives » ou « inflammatoires ».
Avec les progrès de l'ensemble de la biologie, le champ du possible est devenu infini, simplement limité par notre imagination et par notre capacité à entreprendre. Quel est le pouvoir du politique devant ce feu nouveau que l'homme s'approuve peu à peu ? Devons-nous, au nom de la liberté de savoir et de perspectives fascinantes, laisser libre cours à toutes les initiatives ? Devons-nous contraindre, au risque de ralentir, voire d'interdire, des solutions thérapeutiques sans équivalent ?
Un statut législatif
La France fut récemment le premier pays au monde à institutionnaliser la réflexion sur la bioéthique. Elle vient de se doter de lois remarquables couvrant le champ des recherches et des pratiques médicales les plus exposées aux risques de dérives. L'Europe prépare une convention générale sur l'éthique biomédicale. À l'échelon mondial, l'Unesco a créé un Comité international de bioéthique qui mène une réflexion spécifique sur les thérapies géniques.
Ces réflexions, ces législations et ces réglementations nous montrent que l'éthique du vivant transcende la diversité des croyances et des cultures pour affirmer le primat de l'homme, le respect de sa dignité et de son consentement, le respect du patrimoine génétique de l'humanité, le droit d'accès aux soins pour tous. La modification délibérée du matériel génétique de cellules vivantes ne se justifie que pour guérir les maladies. La question de la manipulation du patrimoine héréditaire présentant les cellules sexuelles, celles qui, fusionnant, formeront l'embryon, est beaucoup plus critique.
La position du gouvernement français est celle de la plus grande prudence, affirmant le principe de l'intangibilité du génome humain. C'est bien ici la tentation eugénique que le gouvernement français souhaite écarter. Cette attitude conservatoire n'interdit pas, de manière définitive, toute possibilité d'avenir : lorsque les problèmes techniques auront été maîtrisés, il sera peut-être possible de corriger une maladie héréditaire chez un couple pour en libérer sa descendance.
Cette confiance en nos capacités à maîtriser ces nouvelles techniques est partagée par nos concitoyens qui font preuve de sérénité et d'assurance dans l'avenir des possibilités des thérapies géniques. Le gouvernement français se doit de favoriser fortement l'essor des thérapies géniques et de l'organiser dans le respect de l'initiative des chercheurs. La création d'une filière de recherche doit remplir cet objectif. Nous devons aussi étudier un statut législatif adapté aux médicaments de la thérapie génique qui diffèrent radicalement, par les risques qui sont potentiellement attachés, de la pharmacopée classique.
Nous ne devons ni sacraliser ni banaliser la thérapie génique. Il apparaîtra peut-être paradoxal aux esprits rigoureux qu'au moment où la question du contrôle des dépenses de santé se pose avec acuité, le gouvernement favorise des traitements nouveaux particulièrement dispendieux. Est-il raisonnable, est-il acceptable, en termes de dépenses sociales, que la France soit un élément moteur pour les thérapies géniques ? Prenons le parti des ambitieux et des gagnants. En contrôlant ses dépenses de santé, la France peut résolument trouver les moyens financiers de ses capacités intellectuelles et de sa vocation d'excellence en matière bio médicale.