Texte intégral
M. SÉGUIN : Monsieur Delors, bonsoir.
J'ai envie de vous poser la question que tout le monde se pose : Serez-vous, oui ou non, candidat aux élections présidentielles de 1995 ?
Mme SINCLAIR : Bonsoir, Jacques Delors.
M. DELORS – Bonsoir, Anne Sinclair.
Mme SINCLAIR : Voilà la question que, en effet, tous les Français se sont posés cette semaine et j'oserai dire, c'est même la seule question que nous avons réussi à rapporter d'un reportage dans la rue après que vous ayez annoncé votre décision. Alors, moi aussi, j'ai envie de vous la poser ce soir, tout de suite, d'entrée de jeu : Jacques Delors, êtes-vous, oui ou non, candidat à l'élection présidentielle ?
M. DELORS : Parlons d'abord du fond et je vous répondrai ensuite. Je veux simplement ajouter que la pression médiatique n'est pas de mon fait. Il n'y a qu'à regarder mon calendrier d'engagement pour voir que je n'ai vraiment pas de temps pour agiter le microcosme.
Mme SINCLAIR : Cela vous a tout de même fait plaisir cette pression qui montait, cette attente. Finalement, c'est une situation assez inédite qu'on ait plus parlé de la prise de décision d'un homme que du fond éventuellement de cette décision et, en d'autres temps, cela vous aurait agacé.
M. DELORS : Non, non, j'ai été plutôt déçu parce que j'aurais préféré qu'on me parle des idées qu'il y avait dans mon livre. Et, d'ailleurs, je suis reconnaissant à Alain Madelin d'avoir fait un article. Il en a fait une lecture sélective mais au moins il a engagé le débat.
Mme SINCLAIR : On va y venir. Mais l'accusation de suspense, est-ce que cela vous a agacé ou est-ce vrai que vous avez laissé faire un peu depuis plusieurs semaines ?
M. DELORS : Je n'ai pas laissé faire fallait absolument que passe le dernier événement important de mon mandat, c'est-à-dire ce Conseil européen à Essen. Je ne vais pas faire perdre de temps aux téléspectateurs mais imaginez que j'ai annoncé ma décision avant, cela rendait ma position impossible à Essen pour défendre les dossiers que j'avais à défendre et qui d'ailleurs ont obtenu quelques succès.
Mme SINCLAIR : Si je vous ai bien compris, on va parler du fond, comme vous dites, c'est-à-dire que l'on va parler de l'Europe, on va parler de la Société française, on va parler de l'emploi. La décision, vous la donnerez dans celle émission.
M. DELORS : Bien sûr. J'aurais préféré la donner plus tard mais puisqu'on a l'impression que cette pression médiatique agace tout le monde, allons-y pour ce soir.
Mme SINCLAIR : Seulement, à qui vais-je m'adresser tout au long de l'émission, est-ce encore à l'actuel Président de la Commission ?
M. DELORS : Ah oui, déontologie oblige, vous vous adressez au Président de la Commission européenne jusqu'au 23 janvier.
Mme SINCLAIR : Donc, ce n'est ni au futur candidat éventuel, ni à l'expert international, aujourd'hui, qui a un regard sur la société française.
M. DELORS : Je serai encore obligé de faire quelques réserves dans mes propos. Alors si vous voulez savoir vraiment ce que je pense franchement sur tout, vous serez obligée de me réinviter.
Mme SINCLAIR : Nous allons enchaîner. Nous allons faire une minute de pause et nous allons parler de l'Europe qui a tenu la vedette cette semaine.
Mme SINCLAIR : 7 sur 7, eu compagnie de Jacques Delors qui donnera sa réponse tout à l'heure à la question : s'il sera ou non candidat ?
M. DELORS : On va parler de l'Europe, l'Europe qui sera au cœur du débat présidentiel et qui a été au cœur de la semaine. Une page s'est tournée hier, Viviane Junkfer, Joseph Pénisson.
ZOOM :
Adieu, au revoir, bienvenue, Essen tourne une page. C'est le dernier Sommet des Douze, ils seront désormais Quinze.
Mme SINCLAIR : Jacques Delors, vous avez, à Essen, plaidé contre le chômage, pour des réformes sociales, pour les grands travaux. On a l'impression que les Douze + 3 vous ont écoulé mais qu'au bout du compte il y a eu surtout un catalogue de bonnes intentions.
M. DELORS : Non, je crois qu'on ne peut pas dire cela. D'abord, en ce qui concerne les grands réseaux d'infrastructure que j'avais proposés il y a un an à Bruxelles…
Mme SINCLAIR : C'est-à-dire pour dire aux gens des autoroutes, – c'est cela les grands travaux…
M. DELORS : Les autoroutes, les trains à grande vitesse. Tout ce qui peut permettre de circuler plus vite et moins cher, d'aider à l'aménagement du territoire et notamment au désenclavement des régions les plus périphériques, 14 projets ont été adoptés.
Mme SINCLAIR : …3 financés seulement.
M. DELORS : Non, non, les 14 seront mis en œuvre, puis financés avant la fin de 1995. Et ces projets représentent tout de même sur 10 ans 90 milliards d'écus, plus de 600 milliards de francs.
En second lieu, pour l'emploi. J'ai fait adopter cinq orientations générales pour améliorer le contenu en emploi de la croissance, pour éviter que les gouvernements tombent dans l'euphorie parce que l'expansion à repris…
Mme SINCLAIR : En disant que la croissance ne satisfait pas.
M. DELORS : Et donc le Livre Blanc est pleinement en vie et maintenant, je n'en suis pas peu fier, l'emploi est élevé au même rang que les critères de convergence pour l'union économique et monétaire. Chaque année, il y aura un rapport spécial sur l'emploi. L'emploi est la priorité des priorités.
Mme SINCLAIR : On va revenir aux pays de l'Est qui ont fait partie aussi du menu d'Essen et de l'élargissement de l'Europe à ces pays d'Europe centrale et orientale. Mais vous avez fait aussi ms adieux à Essen après 10 ans de la Présidence de la Commission et 10 ans à la tête de l'Europe. D'ailleurs, tous les chefs d'États et de gouvernements vous ont rendu un hommage qui a dû vous émouvoir ce week-end. Qu'est-ce qui reste de ces 10 ans ? Est-ce qu'au bout du compte l'Union a progressé ? Ou, au contraire, est-ce plutôt le désenchantement et une sorte d'indifférence qui s'est emparée des Européens aujourd'hui ? Un Européen sur deux pense que l'Europe ne va pas bien ?
M. DELORS : Il suffit de regarder ce qu'était l'Europe en 1984 pour se rendre compte de la différence. En 1984, tout le monde parlait d'euroscepticisme, d'europessimisme et aujourd'hui, même si les opinions publiques, parce que l'Europe précisément a pénétré dans leur vie professionnelle et dans leur vie privée, sont plus soucieuses, plus incertaines, il n'empêche que l'Europe a progressé et que, comme l'a dit le Chancelier Kohl en me remerciant et comme l'a dit François Mitterrand, on a tout de même fait beaucoup de travail en 10 ans. Nous avons résisté aux événements qui sont survenus et ils n'étaient pas minces, telle que la chute du mur de Berlin. Par conséquent, je pense que l'Europe est aujourd'hui plus vaillante mais je reconnais que, dans l'opinion publique française, il y a une sorte d'ambiance à la britannique qui est née mais nous pourrons en reparler tout à l'heure, si vous le voulez bien. Je ne veux pas nier ce phénomène.
Mme SINCLAIR : Il reste que l'on est tout de même encore toujours à définir ce que doit être l'Europe, – on va y revenir- et où elle doit s'arrêter.
M. DELORS : L'Europe, elle existe. Pensez, par exemple, l'évolution économique, nous sommes de plus en plus interdépendants. Nous sommes aujourd'hui la plus grande puissance économique du Monde avant les États-Unis. Nous sommes le plus grand Marché du Monde. Nous avons tout de même, malgré la récession, créé net 7 millions d'emplois en 10 ans. Donc, tout de même les fondations de la Maison Europe sont là. Maintenant, comment faire l'architecture de cette Maison.
Mme SINCLAIR : Avant d'en faire l'architecture, savoir qui doit entrer dans la Maison. Vous avez publié un livre qui a été non seulement très lu, puisqu'il y a plus de 100.000 exemplaires qui ont été achetés, publié chez Odile Jacob, qui s'appelle "L'unité d'un homme" et qui est le fruit de vos conversations avec le sociologue, Dominique Wolton.
Dans ce livre, vous dites bien que l'Europe ne doit pas inclure la Russie. Or, aujourd'hui, vous savez bien qu'il y a un certain nombre de voix qui disent, au contraire, la Russie doit entrer dans l'Europe, on ne pourra pas faire l'économie de l'Europe sans elle. Alors, que faire de la Russie ?
M. DELORS : Je pense que la Russie est une grande puissance en elle-même mais que son entrée dans l'Union européenne nous amènerait jusqu'aux confins de l'Asie et même en Asie et que par conséquent il n'y a pas beaucoup de gens de bon sens qui veulent mettre la Russie dans l'Union européenne. Simplement, nous devons avoir avec la Russie, je le répète, reconnue comme grande puissance, un accord de partenariat et de coopération serré. C'est ce que nous avons fait à Corfou. D'ailleurs, l'attitude même de Monsieur Eltsine vis-à-vis de nous a changé à ce moment. S'il n'y avait pas eu cet accord, il se serait opposé à la perspective d'élargissement aux pays de l'Europe de l'Est et du Centre comme il s'est opposé à leur entrée dans l'Alliance atlantique, n'oubliez jamais cela.
C'est parce que précisément il sait que nous sommes une. Union de paix, un marché attractif, une puissance qui peul les aider et avec qui il peut travailler, que Eltsine voit sans tristesse, sans ennui le fait que, demain, nous ouvrions nos portes à la Pologne, à la Tchéquie, à la Slovaquie, à la Hongrie, à la Roumanie, à la Bulgarie.
Mme SINCLAIR : En quoi cela va de soi, d'ailleurs que ces pays doivent entrer dans l'Europe ? Vous dites : "La Russie, ce n'est pas notre univers", mais ceux-là oui ?
M. DELORS : C'est l'Europe. Si vous prenez, par exemple, le magnifique livre de Stéphane Sweigue sur l'Europe, vous voyez que, depuis le début du siècle, Vienne, Budapest, Berlin, Varsovie, c'est l'Europe. Les intellectuels, les hommes de Sciences et de Culture se promenaient dans toute l'Europe. Ils ont été déchirés ensuite par ces fameuses guerres civiles, sanglantes entre-nous, mais c'est l'Europe.
Mme SINCLAIR : Stéphane Sweigue, il y a tout de même eu deux guerres mondiales qui ont gelé beaucoup de choses.
M. DELORS : Oui, oui, mais c'est l'Europe. Croyez-moi, j'ai fait un gros effort pour intéresser précisément les intellectuels à l'Europe, eh bien, ils se sont réveillés après la chute du mur de Berlin, comme si l'Histoire nous restituait l'Europe dans son entièreté. "C'est un phénomène fantastique. C'est pour cela d'ailleurs qu'il y a eu des disputes inutiles.
Quels sont les problèmes des générations à l'avenir, de ceux qui vont gouverner maintenant ? C'est comment concilier l'extension de nos valeurs de paix, de reconnaissance mutuelle entre-nous, qui sont tout de même des acquis de la construction européenne, comment concilier ces valeurs avec l'élargissement à 27, voire 30 pays ? Comment le faire ?
Et, deuxièmement, comment le faire tout en gardant une Europe qui, selon moi, doit être une puissance politique, généreuse et forte ? Comment faire les deux en même temps ? Vous avez vu le spectacle de la CSCE, 52 pays sans institutions, sans âme, ils n'ont rien décidé. Est-ce que c'est cela que l'on veut pour l'Europe ? C'est le contre-exemple, ça.
Mme SINCLAIR : Avant de passer justement à quelle architecture de l'Europe demain ? Juste encore un mot de : Qui peut entrer ? La Turquie frappe à la porte depuis longtemps. Elle fait d'ailleurs partie du Conseil de l'Europe. Cette semaine, des députés kurdes ayant proclamé leur attachement au peuple kurde ont été condamnés à 15 ans de prison pour délit d'opinion. Peut-on faire entrer un pays qui bafoue les Droits de l'Homme ?
M. DELORS : Dès que j'ai appris la demande même du procureur de condamnation à mort, Madame Danielle Mitterrand m'a téléphoné aussitôt, j'ai signé avec François Mitterrand et d'autres un appel.
Un appel aux juges turcs mais aussi au gouvernement turc car il est absolument scandaleux d'arrêter des députés, qui devraient avoir l'immunité parlementaire, pour des simples délits d'opinion alors qu'une complicité avec Je PKK n'a pas été prouvée. Parmi ceux qui ont été arrêtés, certains, et même une femme, ont subi des violations extraordinaires.
Mme SINCLAIR : Vous avez protesté mais est-ce que, demain, on doit les faire entrer tant qu'ils bafouent ainsi les Droits de l'Homme ?
M. DELORS : Eh bien, moi, je suis contre. Et, d'ailleurs même, pour réaliser avec eux l'Union douanière qui a été promise, je pense qu'il faut qu'ils nous donnent des gages en ce qui concerne le respect des Droits de l'Homme. Il faut bien distinguer cette question de cette du PKK et ne rien mélanger.
Mme SINCLAIR : Parlons Lierne de celle architecture de l'Europe. Vous avez donné une interview au journal allemand. Le Spiegel, il y a quelques semaines, qui a fait grand bruit, grand bruit d'ailleurs parce que vous alliez au-delà de ce que vous dites précisément dans votre livre. Vous avez parlé de "fédération d'États nationaux, demain, pour l'Europe", qu'est-ce que cela veut dire et pourquoi ce choix ? Parce que "fédéralisme" est un mot qui fait peur.
M. DELORS : Il ne faut pas diaboliser le mot "fédéralisme". Que veut dire le "fédéralisme" ? Cela veut dire définir clairement qui fait quoi, à l'échelon européen, à l'échelon national, voire à l'échelon régional ? Donc, c'est un système structuré, une architecture qui permet aux citoyens de voir plus clair. Ce qui n'est pas le cas actuellement avec le traité de Maastricht.
Mme SINCLAIR : On pense de même aux Etats-Unis ou à l'Allemagne, c'est-à-dire une entité supranationale de ces différentes nations qui la composent.
M. DELORS : Faire une fédération des états-nations d'Europe, ce n'est pas faire les Etats-Unis d'Europe. La preuve, c'est que j'ai indiqué ensuite que, dans cette fédération, on prendrait au sommet des décisions soit à l'unanimité, soit à la majorité qualifiée. Et d'ailleurs si le fédéralisme était aussi odieux, pourquoi a-t-on accepté des éléments de fédéralisme dans le traité actuel ? Le vote à la majorité qualifiée dans certains cas, qu'est-ce que c'est ? Du fédéralisme. La subsidiarité, c'est-à-dire renvoyer plus près des citoyens, qu'est-ce que c'est ? Sinon le fédéralisme. Croyez-moi, le fédéralisme est le seul système qui permet la transparence et qui rejette tous les risques de centralisation. Mais en mettant ensemble fédération et États-nations, je l'ai fait volontairement parce que, en face, il y a des gens soit qui font des textes mi-chèvre, mi-choux, pour ratisser large, l'époque s'y prête, ou bien des gens sont contre l'Europe tout en disant qu'ils sont Européens.
Mme SINCLAIR : Cela dit, quand on regarde attentivement votre livre, vous vous en méfiez tellement du mot "fédéralisme" qu'il n'y est pas. Vous parlez en effet des États-nations…
M. DELORS : …Non, mais c'est vrai j'ai durci le trait pour sortir de la grisaille actuelle. Parce que, actuellement, tout le monde a peur de son ombre, essaie de ratisser large, comme je vous ai dit, il fallait donc choquer. Je trouve que la provocation est souvent un moyen de faire progresser les choses.
Mme SINCLAIR : Sondage de la SOFRES pour 7 sur 7, précisément sur celle question : Parmi ces deux conceptions de l'Europe, quelle est celle que vous préférez ?
Une fédération d'États dont les décisions adoptées par la majorité des membres s'appliquent dans tous les pays : 21 %.
Une coopération étroite entre les gouvernements nationaux au sein du Conseil européen : 66 %.
Sans opinion : 13 %.
Évidemment, la question est compliquée.
M. DELORS : Non, non, mais je vais dire aux Français tout de suite que si l'on prend le système qui a, à 66 %, leur faveur…
Mme SINCLAIR : …C'est le système actuel.
M. DELORS : Non, c'est la CSCE, on ne prendrait aucune décision. Mais en revanche dans le système que je préconise, il y aurait quelquefois des décisions à l'unanimité. Par exemple, s'il s'agit de décider d'une action commune en matière de politique étrangère, il faut l'unanimité ou à la limite un État peut dire : "Moi, je n'y participe pas". Vous voyez donc, je ne suis pas un maximaliste. Simplement, Anne Sinclair, réfléchissez une minute, regardez cette CSCE mais regardez autre chose…
Mme SINCLAIR : …CSCE, on est 52.
M. DELORS : Oui, on est 52 mais regardez ce qui se passe en matière de politique étrangère commune pourtant prévue par le Traité de Maastricht, il faut l'unanimité, eh bien rien ne se passe. Réfléchissez un instant, si, demain, il n'y a pas un ciment politique dans l'Europe, que deviendra cette politique agricole commune que j'ai défendue, n'en déplaise à Monsieur Chirac ! que j'ai défendue sur le terrain, concrètement ?
Le contrat de mariage implique des obligations et des droits pour tous. Nous, nous avons des acquis, par exemple, ta Convention de Lomé, l'insertion des départements d'Outre-Mer, la politique agricole commune, tout cela ne tient que parce que, nous aussi, nous avons fait des concessions et c'est le paquet d'ensemble. Le paquet d'ensemble ne peut tenir que par une volonté politique. Tous ceux qui disent autre chose nous amènent à une dérive, vers une zone de libre-échange sans âme et aux dépens des intérêts de la France. Il faut bien se rappeler de cela : "aux dépens des intérêts de la France."
Mme SINCLAIR : Édouard Balladur dit autre chose, vous allez me dire si c'est aux dépenses des intérêts de la France, il dit : "les pays européens doivent s'unir selon les sujets et ceux qui veulent faire la monnaie ensemble ne sont pas obligatoirement ceux qui veulent faire la défense ensemble". Cela parait plus pragmatique mais n'est-ce pas plus réaliste ?
M. DELORS : J'en ai parlé avec lui parce que c'est un texte qui ratisse large, Monsieur Bosson et Monsieur de Villiers peuvent y trouver leur compte-, il m'a dit que je l'avais mal lu. Mais sa théorie des cercles, cela peut amener quoi un jour ? Supposez que la France veuille une politique commerciale extérieure forte et que ce ne soit de l'avis ni des Allemands, ni du Bénélux, ni des Anglais, ils pourraient faire un cercle ensemble plus ouvert. Qui en paierait les conséquences ? Nos entreprises, nos exportations. Je vous le répète, il faut un ciment politique, il faut parler clair aux Français.
Nous voulons l'Europe pour le rayonnement de la France parce que nous pensons que nos marges de manœuvre, à nous comme aux autres, sont très restreintes, que de grandes puissances arrivent. Nous voulons nous unir sur un paquet clairement défini et seule une approche fédérale permet de le faire. Et, d'ailleurs, ce serait une grande amélioration par rapport au Traité de Maastricht dont la partie politique est très confuse dans ce domaine.
Mme SINCLAIR : Vous avez parlé de la Conférence pour la Sécurité en Europe où il n'a été quasiment rien dit sur la Bosnie. En revanche, à Essen, les Douze ont choisi d'appuyer la Forpronu. Vous avez le sentiment que retirer les Casques bleus aujourd'hui serait la dernière marche de la honte ?
M. DELORS : Je pense que depuis quelques mois les Douze qui vont devenir Quinze sont enfin d'accord et je vais me permettre, puisque je suis Président de la Commission…
Mme SINCLAIR : …Encore.
M. DELORS : Respectueux de leurs décisions de vous dire leurs thèses :
Premièrement, qui accepte d'intervenir militairement en Bosnie ? Personne.
Deuxièmement, que nous reste-t-il comme arme ? La diplomatie, d'où le travail du groupe du contact. Et, là, François Mitterrand et Alain Juppé font du bon travail.
Troisièmement, nous voulons mener une action humanitaire et celle action humanitaire s'appuie sur la Forpronu. Et celle Forpronu restera, malgré les humiliations qu'elle rencontre aujourd'hui à Sarajevo…
Mme SINCLAIR : …Il était question de la retirer il y a quelques jours.
M. DELORS : Oui, mais elle restera jusqu'à ce qu'elle devienne intenable. Le but, c'est l'action humanitaire. Voilà quelle est la position des Douze actuellement. Ils sont tous d'accord et ils pensent que c'est la position la plus réaliste.
Mme SINCLAIR : Vous parliez de fédéralisme tout à l'heure, d'action commune…
M. DELORS : …Ceci dit, je n'en garde pas moins mon propre point de vue.
Mme SINCLAIR : Tous les discours sur : "Ah, si l'Europe avait eu une politique étrangère commune", n'est-ce pas franchement hypocrite car, comme vous le dites aujourd'hui, en faisant comme cela, qui avait envie d'envoyer des soldats de son pays mourir pour Bihac, même s'il y avait une politique étrangère commune ?
M. DELORS : Depuis 1970, nos ministres des Affaires étrangères se rencontrent pour se concerter sur les problèmes de politique étrangère, malgré quelques succès, – je rappellerai l'Afrique du Sud, la paix au Moyen Orient ou, là, vraiment ils ont vu clair à l'avance, ils ont soutenu des positions, je peux vous dire que, face au drame yougoslave, ils étaient divisés pour des raisons historiques, géographies et géopolitiques et que, par conséquent…
Mme SINCLAIR : …Ils le seraient demain s'il y avait une politique étrangère commune
M. DELORS : …C'est pour cela que je vous ai parlé d'action commune, là ou vraiment il semble qu'ils ont un intérêt commun. Par exemple, si, demain, ils voulaient faire une action vis-à-vis de la Turquie, même s'il y a un pays qui n'est pas d'accords, ils devraient pouvoir la faire, une action de rapprochement, après avoir bien réfléchi. Évidemment, je condamne ce qui s'est passé en Turquie mais la question qui se pose de savoir si, en délaissant la Turquie, nous n'allons pas l'abandonner à l'islamisme et à l'intégrisme musulman ? C'est une question qui se pose. Voilà des grands problèmes de politique étrangère.
Mme SINCLAIR : Vous avez dit : "Je peux dire ce que pensent les Douze, je n'en pense pas moins moi-même", que pensez-vous sur la Bosnie ?
M. DELORS : Je ne veux pas faire la comptabilité des erreurs et tout cela. Je dis simplement que, derrière celle guerre civile s'est profilé une idéologie de mort, le nettoyage ethnique, et je ne peux pas l'oublier. En tant qu'homme de ma génération, responsable, je ne suis pas fier, même si ceci agace certains chefs d'États, je dois le dire, je ne suis pas fier et je crains qu'un jour mes enfants ou mes petits-enfants ne supportent la conséquence de cela. Je n'ai pas besoin d'en dire plus.
Mme SINCLAIR : La semaine, Jacques Delors, a été faite d'autres sujets, des sujets qui inquiètent, comme l'avenir de la Sécurité sociale ou des sujets qui ont remué l'opinion comme les épouvantables accidents de camions cette semaine.
PANORAMIQUE.
– Série noire : les camionneurs sur la sellette. Coup sur coup, deux terribles accidents impliquant des poids-lourds font de nombreuses victimes.
– Écoutes : Gilles Ménage, actuel PDG d'EDF et ancien directeur de Cabinet de François Mitterrand, est mis en examen pour atteinte pour l'intimité de la vie privée dans l'affaire des écoutes téléphoniques.
– Économie(s) : Pauvre Sécurité sociale, c'est le 15e plan en 20 ans et le diagnostic est toujours le même : déficit chronique.
Mme SINCLAIR : Jacques Delors, on va parler de l'emploi dans un instant mais, dans votre livre, vous explique votre approche particulière des problèmes de Société. Vous dites notamment : "Il va falloir remettre la Société en mouvement", qu'est-ce que cela veut dire exactement ça ?
M. DELORS : Cela veut dire que l'on ne peut faire des réformes, à condition que les réformes soient utiles, bien entendu, que si les Français deviennent les propres acteurs de leur changement. Or, dans une Société ou plutôt dans une démocratie où s'est créé le vide entre un Pouvoir ultra médiatisé, d'un côté, une opinion publique, de l'autre, que l'on sollicite uniquement par sondages, quand les intermédiaires entre le Pouvoir centralisé et les citoyens eux-mêmes ne font que des grands-messes, quand les parlementaires n'ont pas les moyens de travailler, c'est-à-dire d'exprimer les aspirations des citoyens et, ensuite, de leur expliquer des décisions, la Société ne bouge plus. Et quand on regarde de Bruxelles la Société française, par apport à l'adaptation qu'elle doit faire au Monde, depuis plusieurs années, elle est immobile, donc il faut la remettre en mouvement. On ne fait pas des réformes d'en haut, on ne le fait qu'en mettant les gens dans le coup. Voilà ce que ça veut dire.
Mme SINCLAIR : Alain Madelin qui est ministre des Entreprises, vous le citiez tout à l'heure, visiblement il vous a piqué, dans "Le Monde", cette semaine, il vous dit : "Cher Jacques Delors…" et il ajoute : "vous êtes plus conservateur que réformateur et, tout ce que vous dites aujourd'hui, vous le disiez déjà il y a 20 ans".
M. DELORS : Je vais lui répondre parce qu'il ne cite pas les passages de mon livre. Quand, par exemple, il dit : "Vous avez la nostalgie de la planification", mais je parle de la planification pour des raisons bien précises…
Mme SINCLAIR : Ça, vous faites l'éloge du Plan, j'ai la référence aussi.
M. DELORS : Oui, mais je dis là : "Quand on parle de planification, inutile de sortir son revolver, le débat ne peut avoir lieu que si l'on précise ce que l'on entend par là. Je rêve que, un jour, on puisse restaurer une Institution qui soit une boîte nationale à idées, un carrefour pour l'expression des gens, un moyen de scruter l'avenir". Il ne s'agit pas de la planification soviétique ou même de la planification à la française des années 60.
Mme SINCLAIR : Cela ne fait pas très neuf, ça. Vous dites : "Il faut exiger la renaissance du Commissariat au Plan comme lieu de débat d'idée sur la Société".
M. DELORS : Je me rappellerai toujours, à propos du modernisme, parce que c'est un mot qui est encore à la mode, la chanson de Maurice Chevalier, il chantait : "C'est peut-être moins bien mais c'est nouveau et, si c'est nouveau, c'est rigolo". Moi, j'essaie de concilier la tradition et la modernité. C'est comme si tout ce qui avait été fait avant nous ne nous-servait ni de leçon, ni d'expérience, ni de référence c'est absurde !
Et, en ce qui concerne l'homme du passé, je conseille à Monsieur Madelin de regarder "Times Magazine" d'il y a quelques semaines. On y voyait la renaissance de la social-démocratie et cette renaissante se faisait sur le thème du communautarisme, c'est-à-dire que nous considérons que l'individu n'est pas simplement une entité en soi mais qu'il se caractérise par ses appartenances et c'est comme cela qu'il se réalise.
Il y avait trois photos dans le "Times Magazine", Tony Blair, 39 ans, patron du Parti socialiste britannique, Rudolf Scharping 49 ans, patron du SPD allemand qui a fait un beau succès et Jacques Delors 69 ans, d'ailleurs, j'espère qu'il y a des petits jeunes qui vont le remplacer, mais vous voyez que je ne suis pas si vieux que ça. Ce sont les Américains, je prends un jugement américain très sévère d'habitude pour les socialistes en général.
Mme SINCLAIR : Je vous écoute la, les Français aussi, ils doivent se demander, en ce moment, si c'est, en effet, un futur candidat qui parle ou si c'est un appel à un futur candidat de Gauche de se mettre dans les pas du delorisme ?
M. DELORS : Non, mais je veux dire simplement que je suis un homme qui a mon âge mais que mes idées ne sont pas des idées du passé. Je suis fier de tenir compte de l'expérience du passé, d'être fidèle à des valeurs et, en même temps, d'être un innovateur et personne ne le conteste. D'ailleurs, je le répète, Monsieur Madelin, que je remercie d'avoir lancé le débat, a fait une lecture sélective de mon livre.
Alain Madelin ayant eu sa réponse, on va faire une pause d'une minute et on va parler de l'emploi.
Mme SINCLAIR : Reprise de 7 sur 7 avec Jacques Delors, nous parlerons politique et de sa décision tout à l'heure. On continue sur l'emploi et sur la Société française dans ce livre "L'unité d'un homme". Vous parlez de la Société des deux tiers, vous dites : "Il y a deux tiers dans le coup et un tiers d'oubliés". Est-ce un constat sans un mea culpa ? Ou bien est-ce que cela veut dire que les socialistes, au fond, n'ont pas fait ce qu'ils auraient dû, je ne veux pas dire "vous avec" parce que vous n'avez été associé qu'au début, mais tout de même ?
M. DELORS : Oui, je pense que, dans tous les pays européens, le risque existe. Il est dû à l'importance du chômage à la mauvaise organisation des villes qui rejettent à la périphérie les pauvres et pas simplement les immigrés mais les pauvres. Il est dû aussi à l'accélération du progrès technique qui déstabilise beaucoup de gens, notamment qui est très difficile à vivre pour le monde agricole et pour les petits exploitants, pour les artisans, pour les patrons de PME, pour les salariés, pour tout le monde. Donc, devant cette accélération du Monde, devant aussi cet effort pour moderniser mais parfois aveuglément, eh bien on constate que tous les pays européens engendrent un chômage très fort et que, d'autre part, on risque d'avoir des gens qui restent sur le bord de la route. Cela est vraiment contraire à ma philosophie politique mais c'est également contraire à la philosophie de tous ceux qui, dans le mouvement ouvrier ou dans la social-démocratie, grâce à l'État-providence, ont voulu que chacun ait sa chance dans la Société et soit couvert en cas d'un risque grave qui l'affecte.
Mme SINCLAIR : Cela dit, vous parlez de l'État-providence dans votre livre qui donne, pour vous et vous le regrettez, souvent une Société, ce que vous appelez, de créanciers, ce qui veut dire au fond d'assistés.
M. DELORS : C'est cela actuellement…
Mme SINCLAIR : …C'est cela la crise du modèle.
M. DELORS : C'est cela actuellement l'engourdissement du système social-démocrate, c'est qu'on a tait énormément de progrès. Songez que s'il n'y avait pas eu la Sécurité sociale, nous aurions connu, après le choc pétrolier, une crise économique plus grave que celle de 1930 dont on peut encore voir les images. Donc, je pense qu'il est très important de revoir ce système.
Il est engourdi pourquoi ? Parce que les gens se sont habitués. Il y a des Institutions, des livres, des allocations familiales qui vous couvrent pour l'assurance-maladie, qui vous riaient vos retraites, qui paient les accidents du travail, des indemnités de chômage et puis personne ne considère le système, ce qu'il coûte. Donc il y a une trop grande distance entre ces Institutions, ce que l'on reçoit d'un côté et puis ce que l'on paie de l'autre. Il faut remettre les citoyens dans le coup, il faut remettre la Société en mouvement, on en revient là.
Mme SINCLAIR : C'est à eux que vous dites : "On ne pourra pas avoir le beurre et l'argent du beurre…
M. DELORS : …Absolument…
Mme SINCLAIR : C'est-à-étire, on ne pourra pas tout faire, à la fois remettre la Sécurité sociale, enfin la laisser telle qu'elle est, faire une politique contre le chômage et baisser les impôts.
M. DELORS : Contrairement à ce qu'on dit, je ne préfère pas la feuille d'impôts à la feuille de paie mais je dis simplement que, si on promet à la fois d'augmenter la feuille de paie et de diminuer la feuille d'impôts, on ment aux Français et on les conduit par des songes. Car regardez les besoins qui sont devant nous, les besoins en matière de Sécurité sociale, le coût de l'assurance-maladie, même si des réformes peuvent être faites, regardez ce qu'il faudrait faire dans nos banlieues pour le logement social, regardez ce qu'il faudrait faire pour créer des emplois de proximité, il faut trouver de l'argent pour tout cela. Donc, on ne peut pas à la fois promettre de réduire le chômage, de maintenir le système de Sécurité sociale et de baisser les impôts que paient les Français sous une forme ou sous une autre, c'est impossible !
Donc, quand Monsieur Balladur dit : "je ne veux pas de réformes sans fracture et quand Monsieur Chirac nous promet" des réformes sans facture, je dis que tous les deux mentent aux Français.
Mme SINCLAIR : Et quand Monsieur Emmanuelli ne dit pas exactement ce que vous dites, que fait-il ?
M. DELORS : Il y a un débat à l'intérieur du Parti socialiste comme il y en a partout.
Mme SINCLAIR : Quand précisément vos camarades socialistes disent : "La réduction du temps de travail, en gros ce que vous dites d'ailleurs, est inéluctable mais elle ne peut pas s'accompagner d'une baisse de salaire", que leur répondez-vous ?
M. DELORS : Je dis tout d'abord qu'il nous faut prépare une Société l'on travaillera moins grâce au progrès technique. La question est de savoir si ce gain de temps nous permettra de donner du travail à tout le monde ou bien si, moi, je continuerai à travailler 14 heures par jour, à faire un travail intéressant pendant que d'autres seront condamnés à être rejetés dans la Société ? Voilà la question.
Or, tout ceci doit être pensé, d'où l'idée d'une Institution-vigie comme le Commissariat du Plan, d'où l'idée du dialogue social, de préparer les gens à l'avenir. Aujourd'hui, quelqu'un qui travaille tout le temps consacre 70.000 heures dans sa vie au travail, dans 20 ans, ce sera 40.000 heures, comment s'organiser pour offrir à tous des chances et aussi comment gérer ce temps ? Est-ce que ce sera vraiment un temps choisi ? Il y a donc là un bouleversement de la Société qu'il faut préparer.
Cela peut se faire de façons différentes : Par exemple, dans l'industrie automobile qui a perdu 170.000 emplois en dix ans…
Mme SINCLAIR : …Et qui va en perdre l'année prochaine encore.
M. DELORS : On pouvait se poser la question comme à Volkswagen en Allemagne : Ne faut-il pas travailler que 35 heures, renoncer à une partie du salaire, faire une baisse de salaire, peut-être pas pour les plus faibles mais pour les autres, de façon à garder le même nombre de salariés ?
Par exemple, lorsque je propose, je ne suis pas le seul, Monsieur Giscard d'Estaing aussi, une baisse des charges sociales pour diminuer le coût du travail, qu'est-ce que je fais sinon encourager à garder des travailleurs ?
Mme SINCLAIR : Du travail sur ceux qui sont le moins payés, sur les plus bas salaires ou globalement ?
M. DELORS : On peut le faire globalement. Je préfère qu'on le fasse sur les bas salaires parce que cela aura un effet plus grand, plus fort et que cela permettra de créer beaucoup d'emplois de proximité, ces fameux emplois de services, mais c'est une mesure générale.
Vous voyez que tout ceci est lié et que, par conséquent, il faut dès maintenant le penser. Alors que dit la Droite ? La Droite dit : "Tout cela, c'est la main invisible du marché qui le fera. On laisse les puissants le faire". Moi, je dis : "On le fera en rendant les Français sensibles à ces changements, en mobilisant les organisations patronales et syndicales pour qu'elles fassent des accords, des accords décentralisés".
Moi, je ne serais pas choqué que dans une entreprise qui marche, on passe de 39 heures à 35 heures, on recrute des jeunes et que, en même temps, on ne baisse pas les salaires des plus faibles mais qu'on demande un effort aux autres. Mais tout ceci dépend de la situation de chaque entreprise. Alors pourquoi faire des mesures générales au pas cadencé ? Ce n'est pas bon.
Mme SINCLAIR : Robert Hue, dans "Le Monde", cette semaine, comme un certain nombre d'organisations syndicales, dit : "Pour hâter la reprise, il fallait accepter des sacrifices. Aujourd'hui, il faudrait continuer parce qu'il y a reprise. Ce n'est jamais le moment d'augmenter les revenus des salariés".
M. DELORS : L'avertissement va ut la peina d'être lancé parce qu'il est vrai que, expliquer depuis 20 ans, aux gens qu'ils doivent s'adapter, qu'il faut de la rigueur, alors qu'ils n'en voient pas les résultats sur le plan de l'emploi, cela suffit ! Il est des circonstances dans lesquelles on peut envisager une augmentation des salaires et d'ailleurs il y en aura avec la reprise de la croissance. Mais la question se posera dans chaque entreprise : Comment va-t-on répartir la plus-value, ce qu'on a dégagé, la richesse supplémentaire ? Va-t-on la donner tout aux salariés ? Leur a-t-on donné leur juste part ? Oui, pour l'investissement, pour la création de nouveaux emplois. C'est cela qui est en cause. C'est pour cela que j'associe toujours l'idée de solidarité et de responsabilité car si les Français n'assument pas leurs responsabilités, il n'y aura plus de solidarité.
Mme SINCLAIR : Quand Édouard Balladur vient à la télévision, comme dans le journal de Patrick Poivre d'Arvor, cette semaine, et dit : "C'est l'objectif du Gouvernement d'essayer de faire baisser, le nombre de chômeurs de 200.000 par an, c'est-à-dire sur 5 ans, environ 1 million", est-ce un objectif jouable selon vous ? A-t-il raison dans sa balance ? Que pensez-vous de sa bataille contre le chômage ?
M. DELORS : C'est un objectif souhaitable mais il faudra qu'il sorte de son immobilisme s'il est élu. Président de la République pour le réaliser parce que, pour l'instant, c'est l'immobilisme total. Donc, il y a simplement la croissance qui est revenue, comme dans tous les pays européens, et qui amène un changement, fort heureusement, de la situation. Et contrairement à ce que dit Monsieur Madelin, la croissance, à elle seule, ne suffira pas.
J'ai indiqué à Essen, pour convaincre de l'utilité de mon Livre blanc, que si les pays européens faisaient 3 % de taux de croissance, ce qui est fort, chaque année, jusqu'à l'an 2000, le taux de chômage resterait de 7 % en Europe en 2000 et de 8 à 8,5 en France.
Mme SINCLAIR : C'est-à-dire que vous ne croyez pas aux mesures d'accompagnement de la croissance du plan emploi du Gouvernement français ?
M. DELORS : Non, non, elles sont insuffisantes. Il faut aller plus fort et il faut être plus imaginatif. Évidemment, on ne peut pas faire plaisir à tout le monde.
Mme SINCLAIR : Dernière partie des images de la semaine : la politique chez nous, la corruption en Italie et j'espère, Jacques Delors, que, derrière ces images, vous allez enfin nous répondre.
PANORAMIQUE.
– Mani pulite : L'homme qui a fait trembler l'Italie jette l'éponge. Le juge Antonio Di Pietro, symbole de la lutte contre la corruption, démissionne parce qu'il se sent, dit-il, manipulé.
– Votera, votera pas : Flottement autour du projet de loi anti-corruption. Qui va voter quoi et quand ?
– Ira, ira pas : C'est la guerre des nerfs. Alors que le Landerneau politique spécule sans fin sur la candidature ou non de Jacques Delors à l'Élysée, Édouard Balladur lève lui aussi un coin du voile.
Mme SINCLAIR : Jacques Delors, je vous repose ma question du début de l'émission : êtes-vous, oui ou non, candidat à l'élection présidentielle ?
M. DELORS : Anne Sinclair, par exception, je vais lire, ce qui est rare chez moi puisque, même mes exposés, je les fais d'habitude à partir de peu de notes, mais c'est trop important.
Comme beaucoup le savent, je n'ai jamais organisé ma vie en fonction d'une carrière à réaliser ou de postes à conquérir. J'ai toujours essayé de choisir de travailler et de militer là où j'estimais être le plus utile pour les valeurs que je défends, pour la Société et pour mon pays. Et c'est dans ce même esprit que j'ai orienté mes réflexions de ces derniers mois.
J'ai décidé de ne pas être candidat à la Présidence de la République. Ce n'est pas une décision qui fut facile à prendre, je voudrais donc l'expliquer le plus simplement possible.
Autant le dire d'emblée et de la manière la plus claire, beaucoup de raisons personnelles me poussaient à dire "non". Je vais atteindre 70 ans, je travaille sans relâche depuis 50 ans, il est plus raisonnable, dans ces conditions, d'envisager un mode de vie plus équilibré entre la réflexion et l'action.
Si en dépit de la force de ces éléments personnels, j'ai beaucoup réfléchi à la perspective d'un nouvel engagement, c'est parce que je crois que mon pays a besoin de profondes réformes, notamment pour rénover la démocratie, nous en avons parlé ce soir, encourager la participation des citoyens, lutter contre le chômage et l'exclusion et donc rétablir le lien social, assurer la cohésion de notre pays. Sans oublier, mais pourrais-je l'oublier, le caractère vital pour la France de demeurer l'inspiratrice d'une Europe politique, puissante et généreuse à la fois.
Je suis sûr que les Français aspirent à reconstruire une Société fondée sur la solidarité envers tous mais aussi sur la responsabilité de tous.
La question qui se posait à moi était dit lors de savoir si, dans l'hypothèse où je serais élu Président de la République, j'aurais la possibilité et les moyens politiques de mener à bien ces réformes indispensables. Après avoir longuement réfléchi et consulté, je suis arrivé à la conclusion que l'absence d'une Majorité pour soutenir une telle politique, quelles que soient les mesures prises après l'élection, ne me permettait pas de mettre mes solutions en œuvre.
Je vous le dis franchement, je ne souhaiterais pas, après avoir été être obligé de cohabiter avec un gouvernement ne partageant pas mes orientations. J'aurais alors le sentiment d'avoir menti aux Français en leur ayant proposé un projet pour la France qui ne pourrait pas être mis en œuvre avec leur participation active.
Là est mon devoir qui rejoint la nécessité d'apporter plus de cohérence et de transparence dans la vie démocratique : ne pas donner d'illusions aux Français. En effet, les déceptions de demain seraient pire que les regrets d'aujourd'hui.
Je serai sans doute critiqué par certains pour une attitude qui n'est pas habituelle dans la vie politique mais j'espère que les Français qui connaissent mes convictions et ceux qui m'ont manifesté ces derniers temps leur encouragement comprendront les raisons et surtout les analyses qui, en fin de compte, m'ont amené à cette décision.
Mme SINCLAIR : Jacques Delors, c'est donc la nouvelle que nous attendions : vous n'êtes pas candidat à la Présidence de la République. Vous venez de le dire à la fois pour des raisons personnelles et pour des raisons de politique.
Si vous voulez bien, on va tout de même revenir là-dessus parce que, durant toutes ces semaines, il s'est créé une attente. Le suspense, on en parlait tout à l'heure, est monté, Vous avez dit : "j'ai pris ma décision, je le dirai avant Noël", "ça y est, je l'ai prise", "je suis soulagé de l'avoir prise"…
M. DELORS : …Excusez-moi, je n'ai parlé qu'une fois à propos d'une interview à un autre sujet et j'ai dit : "j'ai pris ma décision il y a quatre jours". Si vraiment j'avais dit "non", de quoi avais-je l'air ?
Mme SINCLAIR : Est-ce que les Français ne peuvent pas se dire : "Il a joué avec nous depuis quelques semaines faire monter au fond cette attente et cette pression" ?
M. DELORS : Est-ce moi qui ai publié tous les sondages à raison de trois ou quatre par semaine ? Est-ce moi qui ai fait des articles ? J'étais à mon travail à Bruxelles, en Europe, dans des voyages, dans des missions. Je refusais des interviews. Je n'en ai fait que quelques-unes à l'appui du livre. Ce n'est pas moi, voyons !
Mme SINCLAIR : On va essayer de comprendre parce que, c'est vrai, vous le dites dans le communiqué que je viens d'entendre…
M. DELORS : …Je suis assez scandalisé, vous savez sans doute que j'ai beaucoup d'estime, pour prendre un exemple, pour Bayrou qui a été élu et je lui prédis un grand avenir, il aurait pu s'épargner ce petit numéro sur ma valse "j'y vas-t-y ou j'y vas-t-y pas ?". Il n'y avait pas de valse. D'abord, je devais attendre le 25 janvier mais j'ai dit, parce que je veux que mes camarades socialistes puissent se retourner car ils ont des chances, que je voulais le dire avant et le dire publiquement.
Mme SINCLAIR : Précisément, vos camarades socialistes, vous les mettez dans un mauvais cas. Je vais vous proposer le sondage que nous a fait la SOFRES au cas où vous répondriez ce que vous avez répondu ce soir :
Si Jacques Delors n'est pas candidat à l'élection présidentielle, croyez-vous que la Gauche a d'autres candidats de valeur et garde ses chances de gagner l'élection présidentielle ou perd toutes chances de gagner l'élection présidentielle ?
– La Gauche a d'autres candidats de valeur et garde ses chances : 18 %.
– La Gauche perd toutes chances de gagner l'élection présidentielle : 67 %.
Ça, c'est chez l'ensemble des interviewés.
Et chez les sympathisants de Gauche :
– La Gauche a d'autres candidats de valeur et garde ses chances : 23 %.
– Elle perd toutes ses chances : 66 %.
D'une part, cela dément un peu ce que vous disiez à l'instant, "c'est qu'elle a d'autres candidats peut-être pour gagner" et, deuxièmement, ne croyez-vous pas que, demain, elle va vous en vouloir d'avoir attendu jusqu'à maintenant ?
M. DELORS : Je ne pouvais pas le faire avant, ce n'est pas moi qui ai vu ce mouvement d'opinion, qui l'ait fabriqué.
Mme SINCLAIR : Est-ce qu'il n'était pour rien dans votre réflexion ? Est-ce que, au fond, vous ne vous êtes pas dit – vous aviez parlé, vous-même, de devoir –, n'était-ce pas votre devoir vis-à-vis de ces électeurs-là ?
M. DELORS : Jusqu'au mois de juin, j'envisageais de soutenir Michel Rocard. Ensuite, il y a eu une période de latence, des changements au sein du Parti socialiste et, à partir du mois d'octobre, les sondages ont montré que j'arrivais en tête dans l'espoir que l'on faisait en moi pour l'avenir, je ne parle même pas de la Présidence de la République. À partir de ce moment-là, je me suis posé la question. Mais je n'allais pas tout de même entrer dans la politique française avec les fonctions que j'occupe, donc je donne ma réponse le plus tôt possible. Je pouvais très bien attendre jusqu'au 23 janvier. Je le fais simplement par égard pour mes amis socialistes, il leur reste quatre mois avant les élections.
Mme SINCLAIR : À votre avis, qui a des chances parmi vos amis socialistes ? On parle de Jack Lang, Pierre Mauroy, Lionel Jospin, Michel Rocard, peut-être… Martine Aubry…
M. DELORS : Ils ont tous leurs qualités, ils en décideront eux-mêmes.
Mme SINCLAIR : Vous ne vous prononcez pas sur celui que vous aimeriez voir ?
M. DELORS : Je vais même vous ajouter quelque chose parce qu'il ne faut tout de même pas voir tout en noir. Si, demain, le Parti socialiste et le Parti radical se mettent d'accord sur un candidat, celui-ci arrivera obligatoirement en deuxième position au premier tour des élections présidentielles et figurera au deuxième tour.
Autre exemple : Depuis le début de la Ve République ou plutôt depuis 1969, 69 mis à part, mais après 69, le Parti socialiste qui représentait 20 ou 30 % dans l'opinion publique a toujours eu son candidat au deuxième tour avec des scores entre 48 et 52 %. Le Parti socialiste, même s'il ne fait pas 40 % aux élections législatives, demeure le recours des Français pour la Gauche. Donc il en sera ainsi cette fois-ci.
Mme SINCLAIR : Les motivations politiques dont vous parliez, vous dites : "C'est la crainte de ne pas pouvoir exercer un mandat, évidemment si vous étiez élu, avec une majorité qui est aujourd'hui de 480 députés". D'abord, est-ce que l'arme de la dissolution n'était pas une arme dans la foulée d'une élection présidentielle ? Et puis on avait entendu d'autres thèses, notamment évoquées par Martine Aubry, celle d'un référendum sur les Institutions avec une limitation de la durée du mandat du Président et puis un changement du mode de scrutin, ce qui pouvait refonder les différentes majorités.
M. DELORS : J'ai retourné tout cela dans ma tête. Je ne suis pas un grand partisan de la dissolution et des élections à répétition, je préfère respecter le tempo électoral. Mais si j'avais été élu face à une Assemblée de Droite aussi massive, avec aussi l'agressivité qui caractérisent beaucoup d'entre-deux, il aurait fallu sans doute dissoudre. Alors, la meilleure hypothèse, c'est dissoudre avec un référendum ramenant le mandat présidentiel à 5 ans et avec un mode d'élection, avec une portion de proportionnelle. Eh bien, malgré cela, je peux vous le dire. il n'y aurait pas de majorité pour la politique que je préconise dans ce livre.
Pourquoi ? Parce que, lorsque François Mitterrand a été élu, l'année d'avant, en 1980, dans les enquêtes d'opinion, la Gauche était à 47 %, il suffisait de gagner 3 points ou 4 pour être Président de la République. Depuis deux ans, la Gauche est à 40 % et c'est donc presque un miracle que j'arrive, dans des sondages à quatre mois des élections, je ne me fais pas d'illusion faire 51, 52, 53. Supposez même que je maintienne cela, cette différence serait due à mon équation personnelle et n'arriverait pas à se répercuter dans les élections. Donc, je me trouverais avec une majorité opposée.
Je vais vous raconter une histoire : lorsque, en 1983, je ne me suis pas mis d'accord avec François Mitterrand pour devenir Premier Ministre…
Mme SINCLAIR : Après que vous ayez été ministre des Finances…
M. DELORS : …Voilà, et que j'ai plaidé la rigueur et que j'ai gagné la bataille du SME, il m'a dit : "C'est normal que ce soit vous", je lui ai dit : "Oui, mais je veux avoir la monnaie" comme l'avait eue Monsieur Raymond Barre. François Mitterrand n'a pas accepté. Il m'a dit l'année d'après, en plaisantant, "dans le fond, vous me proposiez d'être le roi fainéant et, vous, le maire du Palais". Eh bien, moi, demain, je ne veux pas être Président de la République pour devenir un roi fainéant et avoir un maire du Palais à Matignon qui fait une politique contraire à ma pensée. Je ne veux pas mentir aux Français qui, aujourd'hui, ont confiance en moi. Je le regrette vivement mais c'est comme ça.
Mme SINCLAIR : Vous parliez des Centristes tout à l'heure, vous parliez de François Bayrou à l'instant. Il a été, hier, élu du Président du CDS et, dans ce livre, vous parlez du CDS, vous parlez des Centristes en disant : "J'ai souvent été proche d'eux, je me sens souvent proche d'eux". Est-ce que, à votre avis, ils sont définitivement arrimés dans la Majorité, ancrés dans la Majorité ?
M. DELORS : En tout cas, ils n'ont pas donné de signe depuis que les sondages me sont favorables. Ils me font souvent penser à quelqu'un qui a besoin d'une prime d'assurance. Ils s'adressent à une compagnie dénommée Balladur et puis ils se disent : "Au cas où elle serait insuffisante, je vais aller à une compagnie de réassurance et cette compagnie s'appelle Delors". Non, il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. On ne peut pas me critiquer violemment maintenant et puis donner aux Français le spectacle, en juin prochain, que l'on s'embrasse et que l'on fait un gouvernement ensemble. Un peu de retenue, au moins.
Les Français en ont assez de la politique, vous le dites, vous-même, tous les journalistes le disent. Alors, moi, je ne veux pas donner ce spectacle d'un renversement d'alliance, tout d'un coup, comme ça miraculeusement, avec un clin d'œil.
Ce que je dis honnêtement, c'est qu'à mon avis dans la crise spirituelle et morale que traverse la France, le CDS, s'il revient aux sources de la démocratie chrétienne, a un avenir. À lui de le saisir. Et je pense qu'un homme, comme François Bayrou, a des qualités pour cela.
Mme SINCLAIR : Dans la crise de la Société française, il y a les affaires. Trouvez-vous que la France est gravement atteinte par les affaires ? Est-ce aussi un élément qui a compté dans votre décision ?
M. DELORS : Comme le disait le premier homme qui a pensé au management en France, il disait : "Il y a le même pourcentage de gens pas honnêtes dans tous les corps de métiers. Il y a le même pourcentage d'imbéciles, il y a le même pourcentage de fous". La classe politique française est correcte, loyale, propre. Il y a des choses qui ne vont pas, Monsieur Séguin a réuni une Commission, il a fait des propositions très intéressantes.
Elles seront examinées la semaine prochaine. Je verrai, d'après les amendements, ce qu'il en reste mais surtout le critère de mon jugement sur la Majorité actuelle sera de savoir si elle accepte l'application de ces mesures au 1er janvier 1995 et non pas au 1er septembre 1995 comme il en est question. Ça, ce sera un test important car cela voudra dire : "Encore quelques mois, Monsieur le bourreau, pour que, dans les circonstances actuelles, je puisse amasser le maximum d'argent pour ma campagnes".
Mme SINCLAIR : Ce sera un test important pour votre édification personnelle…
M. DELORS : …Pour celle des Français aussi.
Mme SINCLAIR : Ce que je veux dire, c'est que votre décision que vous avez annoncée ce soir est irrévocable ?
M. DELORS : Bien sûr. On ne va pas jouer avec les nerfs des Français, avec le Parti socialiste ou la Gauche en général.
Mme SINCLAIR : Dernière question sur ce thème et sur l'émission : Il faut peut-être tordre le cou à une rumeur qui courait que, finalement, vous avez un vrai désir d'être aimé de l'ensemble des Français. Faire campagne, c'est vrai que c'était risqué, vous vous aliéniez la moitié d'entre eux.
M. DELORS : Il suffit de regarder mes 10 années en Europe et voir la façon dont j'ai été attaqué par la presse anglaise, les manifestations qui ont eu lieu contre moi, les bagarres que j'ai menées pour faire avancer mes idées européennes et on sera édifié, si on veut bien l'être, mais la mauvaise foi est toujours possible.
Mme SINCLAIR : Tout votre livre, Jacques Delors, on en a beaucoup parlé ce soir, c'est vrai, est un hymne à la participation des citoyens. Comment combinez-vous le fait de les exhorter à prendre une vraie participation à la vie publique et, vous-même, au moment précis où vous avez beaucoup de cartes en main, évidemment vous pourriez être battu, vous pourriez ne pas réussir, mais vous vous retirez, vous, de la vie publique ?
M. DELORS : Je vais m'adresser aux femmes et aux hommes de la Gauche dont les ancêtres et même certains d'entre eux chantent une chanson qui dit : "Il n'y a pas de sauveur suprême". Il n'y a pas de docteur miracle, pas plus Jacques Delors que d'autres. Moi, je suis au coude à coude avec ceux qui veulent lutter contre l'injustice, qui veulent que leur pays rayonne et qui sont Européens parce qu'ils pensent que c'est aujourd'hui la seule manière de léguer à nos enfants un ensemble de nations qui leur permettent d'être indépendants, prospères et de choisir leur vie.
Je reste au coude à coude avec eux et là ou je serai, je pense à Ions ceux qui militent contre l'exclusion sociale, contre le sida et autres, il y en a des gens admirables en France, eh bien, si je peux être aussi admirable qu'eux en continuant à militer, j'en serais heureux. Mais je ne voulais pas prendre une décision qui m'amenait à entrer dans des combinaisons et à mentir aux Français. Je suis pour un changement radical de la façon de concevoir la politique, je suis pour que les Français participent, pour une démocratie active, pour une Société en mouvement, contre la Société des deux tiers. Je ne pouvais pas leur donner l'assurance que, moi, Président de la République, je trouverais une majorité pour le faire.
Vous savez, me retrouver dans les salons de l'Élysée comme le couronnement de ma carrière, cela n'a jamais été mon but. Mon but, c'est d'être utile. Je tâcherai de l'être dans les années qui viennent, à la mesure de mes moyens, financiers, physiques et intellectuels.
Jacques Delors, merci.
Merci d'avoir apporté la réponse ce soir et de l'avoir expliquée avec, je crois, des mots qui toucheront les téléspectateurs.
La semaine prochaine, je recevrai Alain Juppé.
Dans un instant, le journal de 20 heures qui, bien sûr, va revenir sur la nouvelle de la soirée : Jacques Delors n'est pas candidat à la Présidence de la République.
Le journal de 20 heures de Claire Chazal qui recevra Jack Lang. Jack Lang qui doit être très triste de la nouvelle que vous avez annoncée, ce soir, vous n'êtes pas candidat à la Présidence de la République.
M. DELORS : Est-il vraiment triste ?
Mme SINCLAIR : Merci à tous. Bonsoir.