Texte intégral
Monsieur le Président du Congrès,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
En vertu du pouvoir que lui confère l'article 89 de la Constitution, Monsieur le Président de la République a décidé de soumettre au Parlement, convoqué en Congrès, le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie que les deux Assemblées ont voté en termes identiques.
L'honneur me revient donc aujourd'hui de présenter ce projet de loi constitutionnelle, qui permettra la mise en œuvre de l'accord que j'ai signé à Nouméa, le 5 mai dernier, avec Monsieur le député Jacques Lafleur, président du R.P.C.R. et Monsieur Roch Wamytan, président du F.L.N.K.S. Cet accord porte également la signature de Monsieur Pierre Frogier, député et de Monsieur Simon Loueckhote, sénateur.
L'accord de Nouméa est un succès pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France. Il ouvre une nouvelle période de paix pour ce territoire, à l'histoire trop longtemps troublée. Il permettra à ses habitants d'affirmer leur identité propre, d'exercer des responsabilités croissantes dans la conduite des affaires publiques et de continuer leur marche vers le progrès social et le développement économique.
Le 6 juin 1988, les accords de Matignon signés par Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur et Michel Rocard, ont permis aux différentes communautés de la Nouvelle-Calédonie de fonder de concert une paix retrouvée. Une loi référendaire, adoptée par le peuple français le 9 novembre 1988, prévoyait que les Néo-Calédoniens se prononceraient sur le maintien du territoire dans la République au terme de la période de dix ans ouverte par ces accords. Selon l'idée proposée, en 1991, par M. Jacques Lafleur, la perspective s'est affirmée de la recherche commune d'une « solution consensuelle », évitant la victoire d'un camp sur l'autre qui aurait exacerbé les oppositions, réveillé les souvenirs d'un passé dont personne ne souhaitait le retour et compromis les acquis des accords de 1988.
Tout comme les accords de Matignon, auxquels le lie une étroite filiation, l'accord de Nouméa est le fruit d'un dialogue entre des hommes de bonne volonté qui ont accepté, sans renier leurs convictions ni renoncer à leurs aspirations, de parcourir ensemble un nouveau chemin pour sceller leur destin commun.
Après de longues discussions, un accord a donc pu être trouvé. Je renouvelle aux responsables néo-calédoniens qui l'ont signé mes félicitations pour leur courage, leur hauteur de vue et leur sagesse. À la tête du Gouvernement, et avec l'appui du secrétaire d'État à l'Outre-mer, M. Jean-Jacques Queyranne, je suis fier d'avoir pu faciliter ce dialogue qui assure la paix, prépare l'avenir et honore la République française.
La signature de cet accord a suscité en Nouvelle-Calédonie, dans toutes les communautés, une réaction de soulagement, puis une large adhésion. La consultation qu'il est prévu d'organiser, avant la fin de cette année, devrait permettre aux électeurs de Nouvelle-Calédonie de confirmer qu'ils approuvent l'accord signé en leur nom.
J'ai retrouvé ce sentiment de soulagement et cette adhésion au cours des débats qui ont été conduits dans chaque assemblée. Remarquablement préparés par vos rapporteurs, Madame Catherine Tasca et Monsieur Jean-Marie Girault, vos échanges ont été marqués par une très grande qualité, l'absence de toute polémique et le sentiment unanimement partagé que temps de la concorde et de la réconciliation était venu. Tous les groupes politiques représentés ont appelé à voter pour ce projet de loi.
On a souvent – et très légitimement – félicité les négociateurs. Je veux ici rendre aussi hommage aux intervenants dans le débat parlementaire, députés et sénateurs, pour avoir su – pour avoir voulu – traduire avec conviction et parfois émotion ce que nous ressentons tous. Le Parlement, à cette étape historique, a clairement pris la mesure de l'enjeu.
La qualité de ces débats est finalement le meilleur écho de l'approbation marquée par la Nation toute entière à l'égard de l'accord de Nouméa.
Cet accord dont nous mesurons tous l'importance, je veux devant vous en rappeler les lignes de forces.
L'accord de Nouméa comporte un préambule et un document d'orientation. Le contenu du premier donne son sens au second. Contrairement à ce que quelques-uns ont affirmé, ce préambule ne constitue en rien un reniement par la France de son action en Nouvelle-Calédonie depuis la prise de possession effectuée en 1853, encore moins une mise en cause de la légitimité à y vivre des populations qui se sont installées en Nouvelle-Calédonie depuis cette date.
Ce préambule est un texte de réconciliation. Ainsi que l'a bien exprimé Monsieur le sénateur Loueckhote devant le Sénat : « En aucun cas il ne s'agit de régler des comptes, en évoquant un passé, dont nous n'avons pas été les acteurs, mais dont nous sommes les héritiers ».
Ce préambule rappelle les souffrances endurées par les hommes et les femmes qui peuplent la Nouvelle-Calédonie, mais aussi le développement qui y a été engagé. Il évoque, lucidement et sereinement, les ombres et les lumières de l'histoire de cette terre. Il conclut sur la nécessité de refonder le contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie.
Ce préambule a l'ambition de fonder un avenir commun sur une reconnaissance du passé partagé. C'est pourquoi les Néo-Calédoniens de toutes origines ont pu se reconnaître dans cette affirmation de leur égale dignité, dans la diversité de leurs héritages. Je remercie Monsieur François Colcombet d'avoir déclaré, lors du débat à l'Assemblée nationale, que le préambule était « un texte qui méritait d'être lu et relu ».
Pour toutes ces raisons, l'accord de Nouméa est ancré dans les réalités de notre temps.
La seconde partie de l'accord de Nouméa, intitulée « Document d'orientation », dessine les institutions de la Nouvelle-Calédonie pour une période de vingt années, annonce les mesures de nature à encourager le développement économique et social et prévoit les consultations qui seront organisées en 1998, puis à la fin de la période ouverte par l'accord de Nouméa.
Sa première section est consacrée à l'identité kanake. Elle est essentielle à l'équilibre de l'accord. Il ne s'agit pas, comme certains ont voulu le croire, d'organiser la société néo-calédonienne sur un fondement ethnique ou communautaire, mais de reconnaître que les Kanaks ont une identité particulière, assise sur une organisation sociale et des valeurs culturelles qui leur sont propres.
Par son article 75, la Constitution admet déjà la possibilité pour des citoyens de la République d'avoir un statut personnel qui ne soit pas le « statut civil de droit commun », tel qu'il résulte des dispositions du code civil. En l'état actuel, le statut de droit commun prévaut sur le statut particulier ; les juridictions n'acceptent pas le retour vers le statut particulier – c'est-à-dire coutumier – d'un citoyen qui y a précédemment renoncé. Or, de nombreux Kanaks, sans l'avoir personnellement choisi, se sont trouvés privés du statut coutumier. L'accord de Nouméa prévoit donc la possibilité d'un retour vers ce statut, gage d'une meilleure reconnaissance de la coutume.
Je veux enfin évoquer les dispositions de l'accord relatives à la culture Kanak. Celle-ci pourra trouver une nouvelle chance de rayonnement grâce au Centre culturel Jean-Marie Tjibaou, remarquable œuvre architecturale qui fait honneur à notre pays. Je l'ai inauguré aux côtés de Madame Tjibaou. Il sera le foyer de diffusion de cette culture originale, en même temps qu'un lieu d'échanges avec les autres cultures océaniennes et, par la culture française, avec les cultures européennes.
L'organisation particulière dont la Nouvelle-Calédonie bénéficie entant que territoire d'outre-mer traduit déjà une large autonomie, marquée notamment par le principe de spécialité législative et par d'importantes compétences confiées aux provinces et au Congrès du territoire. Cependant, et comme l'avaient voulu les signataires des accords de Matignon, l'exécutif du territoire reste actuellement assuré par le représentant de l'État, contrairement aux exécutifs des provinces qui reviennent aux présidents des assemblées.
Les signataires de l'accord de Nouméa, ont voulu aller plus loin, pour permettre aux institutions locales d'assumer la responsabilité de toutes les compétences qui n'ont pas un caractère régalien. Toutefois, comme ils l'ont souhaité avec sagesse, les transferts de compétences seront progressifs afin de laisser aux acteurs le temps de se former à leur plein exercice.
L'exécutif de la collectivité néo-calédonienne sera confié à un collège, élu de manière à représenter les principales forces politiques. Les délibérations les plus importantes du Congrès ne seront soumises qu'à un contrôle de constitutionnalité avant publication.
Une mention particulière doit être faite des compétences internationales. Sans mettre en cause la compétence générale de l'État en cette matière, l'accord prévoit de reconnaître à la Nouvelle-Calédonie la possibilité, dans ses secteurs de compétences, de nouer avec les États du Pacifique ou certaines organisations internationales des relations comportant la faculté de conclure des accords. L'expérience des dix dernières années a montré que l'insertion de la Nouvelle-Calédonie dans la Pacifique sud était pour elle une chance. L'intérêt manifesté par les pays de cette région pour l'accord de Nouméa souligne que l'approfondissement de ces relations peut être prometteur. Les nouvelles compétences de la Nouvelle-Calédonie en cette matière faciliteront cet approfondissement.
Les signataires de l'accord de Nouméa, comme ceux des accords de Matignon, ont bien compris que l'émancipation de la Nouvelle-Calédonie ne pouvait résulter seulement de dispositions institutionnelles. Un meilleur partage des responsabilités au sein des différentes communautés, un rééquilibrage économique notre les régions de Nouvelle-Calédonie, une plus grande justice sociale sont tout aussi nécessaires.
Les dispositions de l'accord de Nouméa devront sur ce point être complétées par des textes nationaux comme locaux et par des conventions, par lesquelles l'État manifestera une nouvelle fois la solidarité nationale à l'égard de la Nouvelle-Calédonie.
Parmi les dispositions essentielles, la reconnaissance d'une citoyenneté néo-calédonienne au sein de la citoyenneté française est une novation juridique dont le Gouvernement ne méconnaît pas la portée. Elle correspond au point d'équilibre des aspirations des Néo-Calédoniens en ce concerne leur personnalité : l'identité kanak, la citoyenneté néo-calédonienne et la nationalité française. Cette citoyenneté comporte deux traductions dans l'accord de Nouméa : les limitations apportées au corps électoral et les mesures pour préserver l'emploi local.
Les accords de Matignon avaient prévu que les électeurs appelés à se prononcer sur le projet de loi soumis à référendum en novembre 1988 seraient seuls autorisés à participer au scrutin d'autodétermination et aux élections des conseils de province et du Congrès. Les accords n'ont pu être appliqués sur ce dernier point.
Les signataires de l'accord de Nouméa ont donc souhaité que l'engagement pris alors soit respecté pour la période qui s'ouvre en 1998. Il convient de souligner que naturellement tous les citoyens français en Nouvelle-Calédonie conserveront le droit de voter pour les scrutins nationaux. Les restrictions ne s'appliqueront que pour les élections aux institutions locales. En raison des particularismes néo-calédoniens, il n'apparaît pas contraire aux principes démocratiques que des citoyens qui ne passent que quelques années seulement sur le Territoire ne déterminent pas les décisions qui concernent celui-ci spécifiquement.
De même, la situation du marché du travail en Nouvelle-Calédonie doit être appréciée au regard de données tout à fait particulières. Ce marché est très étroit, particulièrement dans certains secteurs. L'arrivée de quelques centaines de personnes peut introduire des déséquilibres importants, alors même que l'État et les collectivités mettent en œuvre des moyens considérables pour former des personnes originaires du Territoire. La décision d'association à l'Union européenne des « Pays et territoires d'outre-mer », catégorie à laquelle appartiennent les territoires d'outre-mer français, prévoit déjà des possibilités de limiter l'accès au marché du travail, y compris pour des nationaux, lorsque la situation le justifie dans certains secteurs, à la condition de ne pas introduire de discriminations entre ressortissants de l'Union européenne. La Constitution française ne permet pas la mise en œuvre de ces dispositions. L'introduction dans le droit local de mesures permettant de remédier à ces déséquilibres paraît donc en elle-même justifiée, sans qu'il y ait mise en cause de nos principes fondamentaux, dès lors que la réponse est proportionnée à la difficulté objectivement rencontrée et qu'aucune discrimination ne peut être introduite pour des droits sociaux.
Enfin, l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie proposée par l'accord de Nouméa est évolutive, comme je l'ai rappelé à propos des transferts de compétences.
Au terme du processus, après vingt ans – voire quinze, si le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le décide –, il y aura lieu à consultation électorale des populations intéressées, sur le point de savoir si l'évolution doit se poursuivre par le transfert des compétences régaliennes – auquel cas il y aurait indépendance, quelle que puisse être la nature des liens que le nouvel État déciderait d'établir avec la France –, ou si son terme doit être le maintien de l'organisation issue de l'accord de Nouméa, à son dernier stade d'évolution, puisque les partenaires se sont accordés sur l'irréversibilité des transferts de compétence qui seront opérés.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis permettra la mise en œuvre de l'accord de Nouméa, auquel se réfère son article 2. Celui-ci deviendra l'article 76 de la Constitution, lorsque les électeurs qui devaient participer au scrutin d'autodétermination prévu par la loi référendaire du 9 novembre 1988 auront approuvé cet accord lors de la consultation qui sera organisée sur le Territoire d'ici la fin de l'année.
L'article 3 de ce projet de loi constitutionnelle indique quels sont, pour l'application de l'accord de Nouméa, les principaux points sur lesquels la loi organique ou la loi devront apporter les précisions nécessaires. Ces textes sont en préparation. La loi organique sera présentée au Conseil des ministres avant la fin de l'année pour être soumise au vote des assemblées au début de l'année prochaine. Ceci permettra la mise en place des nouvelles institutions locales après organisation d'élections sur le Territoire, dans un délai maximum d'un an après le vote du projet de loi constitutionnelle.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
L'accord de Nouméa fait se lever de grands espoirs.
Les hommes et les femmes de ce territoire lié à la France par une déjà longue histoire, et tout particulièrement ceux qui ont eu le courage d'engager leur nom en signant l'accord de Nouméa, ont mis toute leur confiance dans les responsables de la République. Ils m'ont fait part de leur émotion devant la qualité des débats qui se sont tenus à l'Assemblée nationale comme au Sénat et devant la profonde compréhension des réalités de ce Territoire qu'ils ont perçue chez vous.
Dans le cadre de ce premier Congrès de la XIe législature, vous allez, par votre vote, vous prononcer sur la modification constitutionnelle qui permettra d'ouvrir la perspective tracée par l'accord signé le 5 mai 1998.
C'est une nécessité juridique, exigée par la Constitution. Mais c'est aussi – et avant tout – un acte politique majeur auquel l'ampleur de votre adhésion donnera une force et une valeur irremplaçables.
Dans la solennité de la réunion du Congrès à Versailles, votre vote achèvera de convaincre les Néo-Calédoniens de l'attention avec laquelle la République veut répondre à leur attente.