Texte intégral
La lettre confédérale : 27 juin au 3 juillet 1994
Le meilleur pour la fin
Les derniers décrets d'application de la loi quinquennale sur l'emploi viennent d'être publiés. Ils organisent la fusion des institutions représentatives du personnel et modifient le contingent d'heures de délégation dans les PME.
Une seule vraie question reste posée : quels peuvent être les effets de ces dispositions dans une loi pour l'emploi ?
La représentation du personnel s'est imposée aux entreprises. Le législateur de l'époque voulait faciliter l'expression du personnel. Il savait que cela devait être facteur de développement, celui de l'entreprise et celui de ses salariés.
Mais peut-on imposer ce qui tient de la volonté, celle pour l'entreprise de vouloir faire ensemble, d'organiser une véritable participation, de donner et de reconnaître à chacun sa place en développant le dialogue ?
L'entreprise humaine ne se construit pas avec la loi, même si celle-ci est utile pour dicter les règles nécessaires à l'organisation du dialogue.
En cela, le législateur de l'époque avait raison. Il ouvrait le champs à l'organisation discutée et négociée, à la responsabilité des acteurs pour trouver les voies les mieux adaptées aux questions de l'emploi, de la formation, de la carrière, de l'organisation du travail, …
Nous sommes – il faut se rendre à l'évidence – toujours dans un pays de droit. C'est à tort que cette nouvelle loi interdit en le supprimant, justement dans les PME, un crédit d'heures indispensable. Ne peut-on, en effet, laisser à la négociation, le soin de prévoir la meilleure utilisation de ce crédit disponible dans l'entreprise ? L'adapter aux besoins de consultation des salariés sur les questions essentielles attachées à la vie et à l'évolution de l'entreprise et à son projet ?
Au fond, c'est l'état d'esprit plus que la loi qu'il faut changer dans l'entreprise. Si l'ambition est bien l'emploi, le meilleur aurait été gardé pour la fin.
La Lettre confédérale – Encart N° 566 du 27 juin au 3 juillet 1994 – Point presse CFTC – 23 juin 1994
En attendant Godot… Agir !
Le Conseil confédéral de la CFTC, réuni du 15 au 17 juin a défini ses priorités pour les mois à venir, après l'échéance des élections européennes.
Juin 1994 : changement de décor
Le gouvernement Balladur s'était appliqué jusqu'à présent à promouvoir l'idée de réforme, avec des décisions importantes dans quelques domaines. La réforme du régime général des retraites, la séparation des branches de la sécurité sociale, la loi quinquennale sur l'emploi en sont les principaux exemples dans le domaine social.
Cette volonté a été contrariée sur certains dossiers, pour des raisons budgétaires (risque dépendance) ou par rejet par l'opinion (CIP). Il lui a fallu distiller les décrets d'application de la loi Giraud pour tenter d'éviter de nouvelles levées de boucliers, que le climat politique favorise.
Après les élections européennes, le gouvernement se trouve maintenant dans une trajectoire clairement préélectorale, mais le social continuera d'être sur le devant de la scène, car il constitue un thème essentiel de l'enjeu électoral. Le financement et les priorités des régimes sociaux (la sécurité sociale notamment) le rôle du paritarisme et même l'avenir du syndicalisme seront l'objet de remises en question et de débats animés, même si les décisions doivent être renvoyées à plus tard.
Depuis un an, le patronat a laissé le gouvernement occuper les premiers rôles dans le domaine social. En avril dernier il a fait une ouverture pour la relance du dialogue social, mais les entretiens bilatéraux ont montré qu'il y avait « loin de la coupe aux lèvres ». La priorité pour la CFTC est donc d'amener les représentants patronaux et les chefs d'entreprise à négocier réellement sur les terrains du temps de travail, de l'emploi, de la formation.
Une certaine reprise économique est là, en Europe et en France. Servira-t-elle l'emploi ? Peut-on obtenir une mobilisation pour l'emploi dans les entreprises ? Les entreprises ont appris à répercuter brutalement sur l'emploi les baisses d'activités. Seront-elles aussi rapides pour les hausses ?
La CFTC mettra en avant deux options de base :
L'assiette des charges sociales des entreprises pourrait être modifiée et dissociée des salaires, de manière à ne plus pénaliser les entreprises « de main d’œuvre », mais l'effort global des entreprises ne doit pas être réduit pour autant.
Les entreprises ne doivent pas retarder une modernisation qui est nécessaire à leur développement, mais les gains de productivité dégagés doivent être négociés dans un sens favorable à l'emploi, notamment en agissant sur la réduction de la durée du travail. Le récent rapport de l'OCDE sur l'emploi conforte la CFTC dans cette option.
Il s'y ajoutera une dimension internationale, avec notre objectif d'un GATT social permettant une croissance sociale dans les pays en voie d'industrialisation et dans les pays les plus défavorisés, sans provoquer de rupture sociale en Europe.
Les partenaires sociaux doivent reprendre l'initiative
Dans la période qui s'ouvre il appartient aux partenaires sociaux de reprendre l'initiative des adaptations sociales, dans le sens de l'emploi. Ce sera encore la meilleure manière de répondre aux critiques sur le paritarisme.
Évidemment, la publication du décret permettant la mise en place par l'employeur d'une institution unique dans les entreprises de moins de 200 salariés est inopportune car l'heure n'est vraiment pas à la réduction des moyens du dialogue social (la CFTC, favorable à une simplification, s'est opposée à la réduction du crédit d'heures).
Il faut souhaiter que la négociation sur la formation professionnelle, là encore sous la pression gouvernementale, ne contribue pas, elle aussi, à limiter le partage des responsabilités entre employeurs et syndicats.
Dans la préoccupation prioritaire de l'emploi, le Conseil confédéral a fixé ses orientations pour le développement des emplois de service. Pour la CFTC il n'y a pas lieu de limiter cet objectif à tel ou tel domaine de service : les services effectués dans la sphère domestique, les services de consommation ou de communication, les services touchant à la vie en société et l'environnement méritent tout autant un effort de développement.
Le critère du soutien aux créations d'emplois doit être la réponse aux besoins des personnes et l'amélioration de la qualité de vie. La logique de traitement social du chômage ne doit pas venir fausser l'objectif, pas plus dans ce domaine d'activité que dans d'autres.
L'offre de service doit être mieux organisée, notamment pour les services à dominante domestique, par le développement des services associatifs, pour lesquels la qualité doit être garantie.
L'aide publique doit combiner l'aide fiscale ou sociale à l'utilisateur et aux prestataires.
Le chèque service doit assurer non seulement la couverture sociale, mais aussi une couverture conventionnelle garantissant des relations du travail complètes. Les métiers de service doivent être des métiers professionnels évolutifs grâce à la formation et à la reconnaissance des qualifications.
Ce n'est en tout cas vraiment pas le moment de remettre en cause le mode de calcul actuel du SMIC. Pour la CFTC ce serait un casus belli.
La CFTC fera également des propositions pour que les dispositifs d'aide à l'insertion liés à l'indemnisation soient simplifiés et rendus plus performants. La première étape pourrait concerner les conventions de conversion qui ont souffert de l'explosion des licenciements économiques.
Dans le domaine de la protection sociale, les propositions de la CFTC porteront sur la responsabilisation de l'ensemble des acteurs, et notamment des professions médicales.
La question des fonds de pension pose en fait deux problèmes : celui du financement de l'investissement des entreprises, d'une part, et celui du financement des retraites, d'autre part. Ces problèmes ne doivent pas être confondus et la CFTC ne peut pas accepter que l'avenir des régimes de retraite soit perturbé pour favoriser l'investissement des entreprises.
Il s'agit donc pour l'essentiel de pallier aux insuffisances prévisibles de ressources des régimes de retraite.
La première étape de cette anticipation a été la fixation progressive du taux obligatoire ARRCO et AGIRC respectivement à 6 et 16 %. Mais un complément sera nécessaire et la montée en charge de l'épargne individuelle le confirme.
Mais cette réponse est socialement insuffisante, car purement individuelle. Il n'y a pas de raison particulière de la faire subventionner davantage qu'aujourd'hui par l'entreprise et la collectivité. Faut-il vraiment exclure la capacité des régimes de retraite complémentaires à constituer des réserves suffisantes pour les années où la crise démographique se fera le plus sentir ? Capitalisation et solidarité sont-elles nécessairement incompatibles ?
Par contre la CFTC serait favorable à un renforcement de la participation et à une évolution des plans d'épargne d'entreprises permettant de mutualiser l'investissement des salariés dans les fonds propres des entreprises, à condition qu'ils en restent maîtres.
Priorité aux jeunes
Le 24 juin 1984, il y a tout juste dix ans, une extraordinaire vague populaire balayait la loi instaurant le système unifié et laïc de l'éducation. Cet événement pesa si lourd que personne ne semble souhaiter aujourd'hui célébrer cet anniversaire.
Et pourtant, il y a beaucoup à réfléchir sur les faits récents. La loi famille ne prend pas suffisamment au sérieux les attentes des familles. Ce n'est pas en supprimant le 1 % logement que l'on résoudra les problèmes des banlieues. Ce n'est pas non plus un simple questionnaire qui rendra la confiance aux jeunes. On est plus proche d'une démarche efficace avec les mesures annoncées par M. Bayrou, parce qu'elles apportent des réponses pratiques à des questions essentielles... si elles voient le jour.
Notre société doit absolument mettre la priorité à l'éducation et l'intégration des jeunes. Ce doit être une politique globale et non des opérations au coup par coup.
Le 75e anniversaire de la CFTC, qui sera célébré le 15 octobre prochain, marquera cette volonté de la CFTC de relever le défi de l'avenir de nos enfants.