Texte intégral
LE FIGARO. - comment recevez-vous le sarcasme de Philippe Séguin sur « l'appel du 18 juin » ?
Charles PASQUA. – Les sarcasmes ne sauraient occulter problèmes de fond. L'action que je mène n'a qu'un seul but : sensibiliser les Français aux menaces qui pèsent sur la souveraineté nationale, qui est mise à mal. Le vote intervenu au Parlement sur la Nouvelle-Calédonie aurait de quoi inquiéter ceux qui sont attachés aux valeurs de la République. Lorsqu'on voit décréter la limitation du corps électoral, pour le scrutin qui aura lieu dans quinze ou vingt ans, à ceux qui sont installés dans le territoire aujourd'hui, et la préférence nationale au profit des Canaques ! Si on proposait le tiers de ces mesures en France, on aurait la révolution. Tout ça au mépris des principes républicains : lorsqu'un référendum d'autodétermination aura lieu, s'il est favorable à l'indépendance, ce sera acquis ; si la réponse est au maintien dans la France, le tiers du Congrès du territoire aura le droit de demander deux autres référendums, jusqu'à obtention du résultat souhaité ! Tout cela n'a plus rien à voir avec l'autodétermination. C'est de la prédétermination, et je ne comprends pas, comment un certain nombre de mes amis peuvent laisser passer des choses pareilles sans rien dire.
LE FIGARO. - Mais votre cible prioritaire, c'est le traité d'Amsterdam…
- Nous sommes confrontés à de nouveaux abandons de pans entiers de la souveraineté nationale. Qu'on soit pour ou contre, il faut demander aux Français de se prononcer. Ça ne parait pas déraisonnable ! Après tout, ils peuvent décider que la France a assez existé. Il y a sept cents ans que l'Idée de souveraineté nationale inspire l'Etat à travers les rois et les Républiques ; on peut considérer que la France, en tant que nation indépendante, a fait son temps. Mais alors, il faut demander aux Français de trancher, et tout le monde s'inclinera. C'est le référendum qui a tranché pour Maastricht, c'est le référendum qui doit trancher pour Amsterdam.
LE FIGARO. - Ça n'en prend pas le chemin ...
- Personne ne peut le dire, Personne ne le sait. Nous verrons bien. Il s'agit pour moi de sensibiliser nos compatriotes. Je m'y emploie et je continuerai à m'y employer.
LE FIGARO. - « Demain la France », c'est un nouveau parti politique ?
- Absolument pas. Le rôle des partis, notamment ceux de L'Alliance, c'est de préparer la prochaine alternance, d'établir un programme de gouvernement. Nous, nous sommes sur une partie capitale mais différente de l'action politique : la défense de notre souveraineté. On pourra préparer tous les programmes qu'on voudra, compte tenu des pouvoirs qui resteront au gouvernement et au Parlement, à quoi cela servira-t-il ?
LE FIGARO. - L'idéal gaulliste ne vous paraît-il donc plus défendu ?
- L'est-il ? La réponse est non. Devrait-il l'être ? La réponse est oui. Est-il d'actualité ? La réponse est également oui : ce qu'on appelle le gaullisme n'est que la traduction d'un sentiment profond de notre peuple qui s'est déjà manifesté au travers des siècles et qui se manifestera sûrement encore. Le gaullisme continue à exister parce qu'il est plus ancien que De Gaulle. Chaque fois que quelqu'un, dans ce pays, se lèvera contre ce qui paraîtra inéluctable au plus grand nombre, il sera gaulliste.
LE FIGARO. - De Gaulle aurait très bien pu lancer un processus d'indépendance de la Nouvelle-Calédonie…
- Il a toujours été pour l'autodétermination. Moi, je ne suis pas choqué qu'on consulte les Néo-Calédoniens sur l'indépendance. Ce qui me choque, c'est qu'on me dise : comme le scrutin aura lieu dans quinze ans, tous les Français qui viennent s'installer à partir d'aujourd'hui n'auront pas le droit de vote.
C'est une nouvelle forme d'apartheid ! Et des gens qui se réclament des mêmes sentiments que moi ont voté ça ? Dans leur esprit, ça met un terme aux affrontements en Nouvelle-Calédonie. Mais ça porte un nom : le renoncement. On croit qu'on résout les problèmes ainsi ? Au contraire : on s'engage dans la voie de l'aventure.
LE FIGARO. - Pourquoi, selon vous, cette attitude s'impose-t-elle ?
- Parce que nous sommes confrontés à une situation que la France a déjà connue, et qui est celle de l'avachissement. De ce point de vue, la cohabitation n'arrange rien, et les Français ont tendance à penser aussi que la solution à leurs problèmes viendra d'ailleurs.
LE FIGARO. - La solution ne peut-elle vraiment pas venir de l'Europe ?
- A mon avis, cette Europe, elle est déjà dépassée. La mondialisation va dix lois plus vite que la construction européenne. On devrait s'ouvrir davantage sur le monde : c'est d'ailleurs ce que fait le président de la République lorsqu'il va à l'autre bout de la planète. La mondialisation est une chance supplémentaire pour la France. Alors que l'Europe a tendance à nous enfermer dans un carcan bureaucratique, la mondialisation nous en libère. On devrait sauter par-dessus cet obstacle, alors qu'on s'y' empêtre. On va transférer la sécurité, la justice à la Commission de Bruxelles, qui est déjà noyée, qui est incapable de gérer tout ce qui lui a été confié. On ne peut pas gérer à quinze ; on va passer à vingt-quatre ou à vingt-cinq. Tout ça, est ridicule ! Mais si l'Europe veut jouer un rôle, ce n'est pas une Europe intégrée qui peut le faire, c'est une Europe basée sur les Etats et qui met en commun un certain nombre de moyens : d'abord la défense et la politique étrangère.
LE FIGARO. - Pourquoi n'êtes-vous qu'un groupe relativement restreint à défendre ces idées ?
- Elles sont beaucoup plus répandu qu'on n'imagine. Et elles le seront plus encore, dès lors que les Français en auront compris les enjeux.
LE FIGARO. - Votre jugement sur ta cohabitation est sévère, De Gaulle aurait-il pu cohabiter, par exemple avec François Mitterrand ?
- Ah, non ! Sûrement pas ! La cohabitation telle qu'elle existe est tout à fait contraire à l'esprit des institutions. Je crois que, à partir du moment où le président de la République avait décidé de dissoudre l'Assemblée, il aurait dû s'engager beaucoup plus à fond. Probablement, s'il l'avait fait, aurait-il gagné. A partir du moment où il y avait une majorité hostile, il fallait qu'il revienne devant le peuple, il a choisi une autre démarche, qui est conforme à une certaine interprétation de la Constitution. Mais c'est ce qui rend les choses difficiles aujourd'hui.