Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Le Monde" du 28 août 1998, sur la réduction du temps de travail (notamment l'accord conclu en juillet dans la métallurgie), la maîtrise des dépenses de santé et la préparation du congrès de la CFDT en décembre 1998.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Comment jugez-vous le climat social de la rentrée ?

« Les Français semblent avoir le moral. Sous les effets du retour de la croissance et de l’amélioration de la situation économique, un capital confiance s’exprime autant en direction du président de la République que du Premier ministre. Ce contexte porteur crée un moment propice pour que le Gouvernement donne  son action une visibilité plus grande, et impulse une confrontation démocratique plus intense, mieux maîtrisée et finalisée.

Les dossiers lourds, en chantier ou à venir, nécessitant une bonne compréhension par tous des raisons d’agir et du sens des décisions prises. C’est tout simplement une garantie d’efficacité et donc de réussite pour le moyen terme autant que pour le court terme. Il ne faudrait pas que le Gouvernent s’installe fans un bocal et pense qu’il puisse se passer de la confrontation avec les partenaires sociaux est la société civile autrement que sous l’urgence. La société française est capable de se dynamiser autour de de quelques projet fondamentaux, le passage à l’euro et l’après euro, la réforme de l’éducation, l’avenir des retraites, l’emploi et le financement de la sécurité sociale… De tels sujets peuvent s’ouvrir, selon le cas, à l’initiative du Gouvernement ou des partenaires sociaux, à condition que chacun joue pleinement son rôle. »

Q - Le patronat est-il prêt à jouer son rôle dans cette confrontation démocratique ?

« Le patronat est toujours dans une phase de réflexion intense sur ce que doit être sa mission. J’espère que cette phase arrivera rapidement à son terme. Car un pays qui n’a plus de vitalité contractuelle, où le dialogue social n’existe que sous l’impulsion de l’Etat, ou en réaction à son action, et en état de faiblesse. La capacité à traiter des questions qui relèvent au premier chef de la responsabilité des entreprises et des salariés n’est pas assumée. »

Q - Quel jugement portez-vous sur l’accord conclu en juillet dans la métallurgie sur les 35 heures ?

« Cet accord particulier est une mise en forme contractuelle du cahier revendicatif de l’Union des industries métalogique et minières, applicable au 1er janvier 2000. Il relève de l’intimidation dans l’espoir de faire obstacle au développement de la négociation dans les entreprises, en amont de la date-butoir. Il veut exercer une pression sur le contenu de la deuxième loi annoncée par le Gouvernement pour le 1er janvier 2000. L’UIMM a rédigé une sorte d’avant-projet de loi, retenant la version la plus statique et la plus bête de l’usage de la réduction du temps de travail. Au moins sait-on maintenant ce que la deuxième loi ne put être. »

Q - Craignez-vous que cet accord serve de modèle à d’autres branches ?

« C’est sans doute l’espoir de l’UIMM, mais il existe quelque deux cents branches qui ne ressemblent pas. En tout cas, ce qui compte aujourd’hui pour la CFDT, c’est d’être à l’initiative de l’ouverture de négociations dans les branches et les entreprises qui s’inscrivent dans une vision dynamique de l’utilisation de la durée du travail. C’est le terrain qui nous départagera ! »

Q - Et l’accord sur le sucre ?

« Il va falloir apprendre à raisonner sans accord-étalon. L’accord signé dans le sucre est bon pour ce secteur confronté à des restructurations à venir ou étaient inscrites des suppressions d’emploi à grande échelle. Personne ne rêve que dans ce type de situation, la réduction du temps de travail parvienne, par un effet magique, à créer des emplois. Par contre, elle aura au moins l’avantage d’en sauver. »

Q - La CFDT n’ a pas fait entendre sa voix sur le rapport Malinvaud.

« Si la fonction de ce rapport est d’aider le Gouvernement à enterrer l’engagement qu’il a pris de procéder, au travers de la loi de financement de protection sociale de 1998, à une première étape de révision de l’assiette des cotisations patronales pour l’assurance-maladie, c’est pour le moins cavalier. L’évolution du financement de la protection sociale, dans sa relation avec l’emploi, demeure un impératif qui mérite mieux qu’un changement de pied précipité et qui ne peut pas faire l’économie d’une concertation franche et approfondie avec toutes les parties concernées. »

Q - Comment maîtriser les dépenses de santé, alors que l’effet des mesures du plan Juppé que vous avez soutenu, semble s’essouffler ?

« Faire le deuil de cette réforme, cela serait faire le deuil de la « sécu ». Chacun sait qu’une réforme de cette envergure ne peut produire tous ses effets que dans la durée, ce qui suppose qu’il n’y ait aucun doute sur son caractère irréversible. Le chantier n’est rien de moins que la réécriture des ordonnances de 1945 ! L’ensemble des mesures prises - maîtrise des dépenses et réorganisation du système santé - ne doit souffrir d’aucune pause, d’aucune hésitation. Cela relève d’une action résolue, constante, car toute expectative risque de remettre en cause la dynamique, donc la réussite.

Les circonstances ont voulu que les fondations d’une réforme d’envergure de l’assurance maladie, pour laquelle nous avons milité depuis longtemps, aient été jetées par un Gouvernement de droite mais que son édification revienne à un Gouvernement de gauche. J’ai la faiblesse de penser que c’est une chance, une garantie de pérennité et de plus large adhésion. »

Q - Quelles sont, selon vous, les conséquences de l’annulation des conventions liant les caisses d’assurance-maladie aux médecins ?

« L’annulation par le Conseil d’Etat du système de reversement, et non de son principe, replace le Gouvernement et le Parlement au cœur d’une controverse de fond : la conception du rapport entre les conditions d’exercice de la médecine et la responsabilité collective des prescripteurs de soins dans l’économie générale de la santé. Il y a un risque de nouvelle radicalisation et de surenchère. Tant que le cadre législatif ne sera pas défini, les relations conventionnelles, notamment au sein de la Caisse nationale d’assurance maladie, ne connaîtront par leur plein développement. La voie et étroite. Il faut réussir le passage. Les quatre mois qui viennent seront décisifs. »

Q - Où en est-on sur l’assurance-maladie universelle destinée aux personnes plus démunies ?

« Cette assurance universelle, qui doit garantir à tous une couverture maladie, est un élément constitutif et fondamental de la réforme. Sa création doit devenir réalité d’ici à la fin de cette année. »

Q - Comment appréciez-vous la manière dont le Gouvernement gère les privatisations ?

« J’observe que le retrait financier de l’Etat n’est plus perdu comme un renoncement, ni même comme le résultat d’une contrainte, quand il permet de construire des partenariats pertinents au service du développement de l’entreprise ou d’une filière industrielle. L’atout pour être en meilleure position française ou européenne dans la concurrence mondiale devient évident. C’est le cas pour les industries de défense, l’aéronautique et l’électronique grand public. »

Q - Vous décernez le même satisfecit au Gouvernement pour la gestion des sans-papiers ?

« Il y avait une nécessité de régularisation des sans-papiers. En ouvrant cette procédure, le Gouvernement est confronté aux limites qu’il a lui-même posées à cet objectif. Ne faut-il pas plutôt définir des critères motivant les refus de régularisation, ce qui éviterait l’arbitraire ressenti par les personnes concernées ? Je crains qu’en maintenant un nombre important de clandestins officiels, on tolère implicitement l’alimentation des filières du travail clandestin. Au-delà, la France est en droit de décider du flux de personnes qu’elle peut et veut accueillir : c’est cette maîtrise qui appelle des dispositions précises. »

Q - Comment abordez-vous votre congrès de décembre ?

« A la CFDT, un congrès n’est jamais une formalité et c’est heureux. Ce congrès doit être un vrai temps fort de notre vie démocratique. Les options proposées par le bureau national sur les orientations pour demain, comme celle émanant d’organisations qui contestent, doivent pouvoir s’exprimer clairement. Trois thèmes seront en débat : missions et fonctions du syndicalisme confédéré ; le syndicalisme face au défi de la mondialisation ; et l’enjeu de la démocratie, tant dans notre pays qu’à l’intérieur de la CFDT. Le bureau national souhaite que ce débat collectif et approfondi s’écarte des comportements de défiance ou de caricature. La CFDT en sortira rassemblée et grandie. »

Q - Certains notent un rapprochement entre la CFDT et la CGT.

« Si la période est propice à un certain dégel des relations intersyndicales, nous
 nous en réjouissons et saurons saisir cette opportunité, tant des évolutions sont souhaitables. Des échanges sont réguliers avec l’UNSA, irréguliers avec d’autres organisations syndicales, et ils s’amorcent avec la CGT. Aujourd’hui, la CGT manifeste une volonté de s’inscrire d’une manière nouvelle sur la réduction de la durée du travail, elle a aussi évolué par rapport à ses conceptions européennes, autant de signaux que nous observons avec attention. »