Texte intégral
La discussion de la contribution française au budget communautaire est l'occasion de soulever une question simple : quel budget pour l’Europe ? Telle est en effet la question essentielle qu'il convient de nous poser à propos d'un prélèvement budgétaire important, évalué pour 1999 à quelques 95 milliards de francs.
Les discussions de « l'Agenda 2000 » au premier rang duquel la réforme de la PAC, constituent à cet égard un indicateur privilégié des orientations de l'Europe à Venir. Or, que nous propose t-on dans ce cadre ? D'un côté, une réforme de la PAC défavorable à la France. De l'autre, une redéfinition du financement communautaire aux conditions de l'Allemagne, au risque de remettre en cause les politiques communes et le principe de solidarité entre États membres. Enfin, un élargissement dont l'Allemagne bénéficierait au premier chef mais dont clic refuse pourtant d'assumer solidairement le coût, à hauteur de sa richesse nationale.
Après avoir payé, dans les années quatre-vingt-dix, un lourd tribut en termes de croissance et d'emplois aux dogmes rigides de l'Union monétaire, la France se retrouverait ainsi en passe de perdre sur tous les tableaux ? C'est évidemment inacceptable. D'autant plus inacceptable que la globalisation de la crise financière nous confronte aujourd'hui à une série de défis majeurs, que la France ne saurait aborder en position de faiblesse.
Revenons plus précisément sur ces différents points. En ce qui concerne la réforme de la PAC, deux mesures dominent les propositions de la Commission de Bruxelles. D'une part une baisse des prix d'intervention dans les trois principaux secteurs (céréales, viande bovine et lait), compensée par des aides directes au revenu. D'autre part, une nouvelle répartition des tâches entre l'Union et les États membres, dans laquelle ces derniers disposeraient, grâce à l'introduction d'une modulation dans les aides directes, des moyens de prendre en compte leurs spécificités, sectorielles comme régionales.
Si les montants respectifs des baisses de prix et des compensations proposées sont évidemment appelés à évoluer au cours des discussions entre États membres, une chose est toutefois, dès à présent, certaine : l'Europe qui s'est construite autour du couple franco-allemand repose sur un accord fondateur dont la remise en cause changerait radicalement la donne européenne.
Je veux parler, bien sûr, de l'acceptation par la France en 1961, d'un désarmement accéléré des tarifs douaniers à l'intérieur de la Communauté, très favorable à l'industrie allemande, en échange de l'approbation des principaux règlements agricoles de base, qui donnèrent naissance à la PAC, première « politique commune », en janvier 1962. C’est à cette aune qu'il faut apprécier les orientations de la réforme de la PAC.
Si la nouvelle répartition des tâches entre Union et États membres consiste à leur donner - à enveloppe globale constante voire supérieure - les moyens d'une gestion plus rigoureuse de leur développement agricole, en fonction de leurs priorités et de leurs spécificités nationales, alors nous sommes d'accord. S'il s’agit au contraire d'enclencher ainsi un démantèlement accéléré de la PAC, en préalable à un nouveau cycle de négociations à l'O.M.C., alors bien sûr, nous y sommes farouchement opposés. Les révisions radicales (fortes baisses des prix préparant la suppression des quotas de production), aujourd'hui suggérées dans le secteur du lait par certains États membres font à cet égard craindre le pire. On ne saurait trop insister sur la gravité d’un tel cas de figure, que ne manquerait pas d'accentuer la mise en œuvre des autres volets de « l’Agenda 2000 ». En effet, la réforme des fonds structurels et la préparation de l'élargissement de l'Union ne manqueront pas de conjuguer leurs effets pour amoindrir encore les taux de retour de la France, pour le plus grand profit de l'Allemagne. Étroitement liée, économiquement, aux pays candidats à l'adhésion.
A propos du dernier volet de « l'Agenda 2000 », le financement de l'Union au début du siècle prochain, il me paraît indispensable de poser d'emblée deux principes forts, afin d'en préciser clairement les enjeux.
D'une part, il est indispensable de remettre en perspective les revendications contestataires de l'Allemagne et de ses alliés en matière de contribution financière. Lorsque l'on compare en effet la part de chaque État dans le PNB de l'Union à sa part dans le budget communautaire, force est de constater - à l'exception du Royaume Uni - une indéniable correspondance. L'Allemagne, qui représente 36% de la richesse communautaire, contribue ainsi à la hauteur de 28,2 % au budget communautaire, tandis que la France qui représente 17,2 % de la richesse communautaire y contribue à hauteur de 17,5 %. Où est donc ici le scandale dénoncé par nos quatre partenaires européens ? Où est « la situation pas tenable » qui serait, selon certains, celle de la France, au motif qu'elle serait « seul grand pays de l'Union à ne pas être contributeur net dans des proportions significatives au budget Européen » ?
D'autre part, la définition du financement de l'Union dans la période 2000-2006 ne saurait se faire ni aux dépens des politiques communes - et en particulier, de la PAC, fer de lance de la construction européenne -, ni au prix d'un abandon du principe même de la solidarité entre États membres. C'est à cette aune, une fois encore, qu'il faudra examiner les propositions avancées en la matière par la Commission européenne. A cet égard, l'hostilité du gouvernement au cofinancement national des dépenses de la PAC, qui compenserait la réduction des aides communautaires directes aux agricultures, va dans le bon sens. Il en est de même de la proposition française de révision des méthodes de calcul de la « contribution brute », de nature à clarifier le débat. Les discussions entre États membres, cependant, ne font que commencer et la plus grande vigilance s'impose. Le pire serait Je démantèlement de la PAC, la domination des fonds structurels et l'augmentation de la contribution.
Au travers du débat récurrent sur la contribution française au budget communautaire, ce sont ainsi les enjeux, décisifs pour l'avenir de notre pays, de « l'Agenda 2000 », qui transparaissent, dans ses quatre volets principaux :
- financement de l'Europe entre 2000 et 2006 ;
- réforme de la PAC ;
- réforme des fonds structurels ;
- préparation de l’élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale.
La réponse de la France se doit d'être à la mesure des défis posés, dont la globalisation actuelle de la crise financière, apparue il y a dix-huit mois en Asie du Sud-Est, renforce encore l'acuité.
Elle risque en effet d'amplifier le coût de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, économiquement affaiblis et de raviver les attaques contre la PAC ou les mécanismes de solidarité entre États membres. Ceux-ci soumis du fait de la crise à un risque budgétaire important, mais empêtrés dans les rigidités introduites par la monnaie unique et le Pacte de stabilité, sont par ailleurs confrontés à la perspective du renchérissement de l'euro face au dollar, qui ne peut qu'accentuer les effets de la crise sur les économies européennes. Tout cela compliquera d'autant les discussions sur « l’Agenda 2000 ».
Dans ce contexte, trois mesures s'imposent. D'une part, l'abandon du Pacte de stabilité au profit des politiques budgétaires nationales coordonnées. D'autre part, la modification des statuts juridiques de la BCE, introduisant la croissance et l’emploi au cœur de ses objectifs. Enfin, Je lancement rapide, au niveau de l'Union, d'initiatives de soutien massif à la croissance et à remploi par la mise en œuvre de grands chantiers d'infrastructures et de grands projets de recherche européens. Ces trois mesures sont la seule réponse à hauteur des menaces qui présent sur l'Union. Il ne s'agit plus de savoir si mais quand les États membres s'y décideront.