Déclaration de M. René Monory, président du Sénat, sur le bilan de la session parlementaire, au Sénat le 22 décembre 1994.

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Circonstance : Clôture de la session parlementaire d'automne le 22 décembre 1994

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le ministre, 
Mes chers collègues,

Si j'osais une formule un peu lapidaire pour féliciter mes collègues du travail accompli, je dirais : « Le Sénat retrouve sa voix », tant il est vrai qu'il a été particulièrement influent au cours de cette session.

Il n'y a plus, mes chers collègues, de loi votée sans l'accord du Sénat. Une fois encore, tous les textes ont été adoptés par accord entre les deux assemblées, soit par le jeu normal de la navette, soit après réunion des commissions mixtes paritaires.

Il n'y a donc plus de loi votée sans que soient examinées les modifications du Sénat, dont 85 % environ sont retenues dans les textes définitifs.

De surcroît, 55 % des projets de loi ont été déposés en première lecture sur le bureau de la Haute Assemblée, ce dont nous vous remercions, monsieur le Premier ministre.

Nos discussions, approfondies, sont désormais mieux organisées, même si elles ne le sont pas encore suffisamment. Plus de 410 heures de séance peuvent rivaliser avec le record absolu de 424 heures sous la Ve République. Malgré cela, les séances de nuit ont été moins nombreuses et moins longues. Nous avons encore beaucoup d'efforts à faire, mais la voie est désormais tracée d'un travail mieux conçu, plus humain, plus normal.

La presse trouve à nos travaux un nouvel intérêt que j'explique par le sérieux des propositions de nos commissions et l'engagement de nos collègues en séance publique.

L'opinion du Sénat compte. Elle est mieux connue. Elle est res­pectée. Le Sénat donne de la voix.

La représentativité sénatoriale, jadis contestée, est aujourd'hui appréciée. Dans le désordre des idées, la confusion ou la précipitation, l'apport du Sénat au débat politique est toujours positif et concret, pétri du bon sens des élus locaux que nous sommes, raisonné et modéré, c'est-à-dire finalement fidèle à ce que sont les Français.

Légiférer correctement nécessite qu'on accepte de se donner du temps pour réfléchir et du temps pour délibérer.

Le temps de la réflexion, nous avons pu l'organiser dans cet espace de dialogue qu'est le Sénat. Plus de 150 réunions ou colloques se sont tenus dans l'enceinte du Palais du Luxembourg en 1994, sur des sujets aussi variés et importants que les relations franco-allemandes, l'avenir de l'hôpital, le contrôle parlementaire et les politiques publiques d'évaluation, les perspectives du transport aérien. On ne dira jamais assez combien il est important de nos jours de poser publiquement des problèmes de plus en plus compliqués, dans la clarté et la transparence, et d'accepter leur confrontation à toutes les opinions.

Nos commissions ont su tirer parti de cette forme sénatoriale de concertation et de préparation et en usent très positivement pour affûter leurs propositions et polir leurs convictions. Je voudrais tout spécialement mentionner ici la mission d'information de la commission des lois sur la présomption d'innocence et le secret de l'instruction. Personne ne peut reprocher au Sénat de n'avoir pas anticipé un débat d'une brûlante actualité. Nous avons choisi la voie de la sagesse et de la réflexion. Je ne doute pas qu'elle débouche sur des propositions concrètes dans les premières semaines de 1995.

J'évoquerai aussi le groupe d'études sur la douleur, qui s'est attaqué à un véritable problème de société touchant chacun d'entre nous. Il a trouvé un prolongement législatif immédiat dans des amendements au projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social.

Je voudrais signaler combien nous pouvons être fiers du développement de l'action internationale du Sénat.

J'y suis personnellement très attaché. En 1994, j'ai reçu, avec nos collègues, une quarantaine de chefs d'État et de gouvernement pendant que l'ensemble des sénateurs Et fonctionnaires accueillaient 187 visites et stages de personnalités étrangères ; 105 missions ont été par ailleurs organisées à l'étranger, souvent pour contrôler des élections, toujours pour s'informer et rédiger un rapport à la disposition de tous. Cette expérience est essentielle à la compréhension des évolutions récentes. C'est en se projetant à l'extérieur que la France retrouvera le chemin d'une croissance durable; c'est en appréhendant mieux la manière dent nos partenaires font face à la crise que nous pourrons prendre les bonnes décisions. Le Sénat s'est ouvert parce que la France doit s'ouvrir encore davantage.

C'est en anticipant, en comparant, en préparant en amont nos délibération que nous répondrons à l'attente des Français et que nous serons fidèles à la mission que notre Constitution confère au Sénat.

Le temps de la délibération, nous l'avons pris. L'examen du projet de loi pour le développement du territoire est, à cet égard, exemplaire: plus de deux années de travail, un colloque national et une consultation des élus ont permis à 74 orateurs et 600 amendements de nourrir Je projet gouvernemental que nous avons examiné en dix jours pendant plus de quatre-vingts heures. Les questions de fond que nous avons examinées à cette occasion demeurent au cœur de la problématique de toute politique d'aménagement du territoire. Il faut décentraliser la matière grise, organiser la péréquation et renforcer encore la coopération intercommunale.

Un pas important a été fait. Le Sénat souhaite que nous continuions, tant la route est longue et l'espérance profonde.

Pour faire de bonnes lois, nous ne pouvons pas siéger sous la pression, dans l'urgence. Vous savez, monsieur le Premier ministre, que c'est un sujet qui me tient à cœur : 30 % des projets de loi ont été discutés en urgence cet automne, ce qui constitue une augmentation par rapport au printemps. L'urgence, qui peut se justifier parfois, prive les assemblées d'un dialogue enrichissant compte tenu de leurs modes d'élection différents. Les membres de l'assemblée saisie en premier n'ont pas connaissance des propositions de la seconde. Seuls quatorze parlementaires font vivre la navette. C'est peu et c'est insuffisant. Je vous remercie d'autant plus d'avoir renoncé à la déclaration d'urgence sur des textes importants concernant la justice ou la sécurité. J'y vois la preuve de la considération que vous avez pour le Parlement. Vous avez raison, parce qu'il reste la source de la légitimité démocratique. Nous sommes sensibles aux marques d'estime que vous avez su avoir pour le Sénat, marquant en cela votre attachement au bicaméralisme. Nous vous en remercions.

La conférence des présidents s'est penchée sur l'application des lois votées selon la procédure d'urgence, et tous nos collègues ont eu connaissance des étonnantes statistiques que nous avons élaborées avec le secrétariat général du Gouvernement. Non seulement les lois votées en urgence sont plus difficilement et plus tardivement appliquées que celles qui sont adoptées selon la procédure normale, mais 75 % d'entre elles ne sont pas totalement appliqué dans les six mois qui suivent leur promulgation. On comprendra alors que le législateur n'apprécie pas de statuer sous la pression, même s'il n'a jamais refusé au Gouvernement de légiférer rapidement quand les intérêts de l'État sont en cause.

Oui, mes chers collègues, nous avons bien travaillé au cours de cette session pour adopter quarante-huit texte de loi, dont vingt-deux conventions, au cours de cinquante-six séances, qui ont donné lieu à plus de 2 500 amendements.

Le Sénat est plus actif et plus vivant que jamais : soixante et une questions d'actualité, 1 200 questions écrites, neuf propositions de résolution déposées et cinq d'entre elles devenues définitives, quatorze rapports d'information en sont des signes tangibles.

Le bicamérisme, une fois de plus, a montré son utilité, en enrichissant le travail du législateur, en lui offrant le recul et la sagesse indispensables. Lorsqu'une liberté publique est en cause, deux chambres, ce sont deux chances. Je pense à l'amendement d'un député qui concernait la presse ; je pense à la mise en cause de certains fonctionnaires à l'occasion du vote sur les déclarations de patrimoine. Sur ces sujets et sur bien d'autres, la Haute Assemblée apporte aux institutions une vision différente et moins sujette aux modes et aux passions. Elle constitue une garantie de plus pour le citoyen et un rouage indispensable à un processus harmonieux d'élaboration de la loi.

Je ne voudrais pas pour autant, mes chers collègues, que vous considériez que je suis satisfait de l'ensemble de nos méthodes de travail.

Un effort de prévision doit être fait. Les ministères doivent préparer pendant l'intersession les projets qu'ils soumettront, à l'exception de tout autre, à la délibération du Parlement pendant les sessions. Grâce à M. le ministre chargé des relations avec le Sénat, nous avons pu disposer du programme de nos travaux un peu plus longtemps à l'avance, du moins en début de session. Je voudrais d'ailleurs le remercier de sa constante disponibilité, de son amabilité et ce son efficacité.

Il me paraît important, par ailleurs, que soient assurées et garanties les règles constitutionnelles relatives aux droits et prérogatives du Parlement. Nous avons été saisis de demandes de levée de l'immunité parlementaire de deux de nos collègues dans des conditions peu convenables. J'ai dû m'opposer à une commission rogatoire de deux juges d'instruction qui n'avaient pas respecté les règles strictes. J'ai dû demander l'intervention du garde des sceaux pour faire respecter la Constitution et les procédures qui en découlent. Je souhaite, avec le bureau du Sénat, que nous ne soyons plus placés dans de telles situations.

L'immunité parlementaire, héritée de l'époque de la Révolution française, est destinée à protéger l'exercice du mandat parlementaire et à garantir l'indépendance du pouvoir législatif ; elle n'est ni un pri­vilège ni un avantage. S'il faut la réformer, il faut le faire par la voie constitutionnelle, non par des procédés qui, ajoutés à d'autres, auraient pour conséquence de jeter le discrédit sur nos institutions.

Ici aussi la justice a besoin de soutien et de considération, non de spectacle ou de boucs émissaires. Nous y avons d'ailleurs beaucoup travaillé au cours de cette session en votant trois projets de loi importants qui nous ont occupés pendant vingt-deux heures.

Les magistrats savent qu'ils trouveront toujours au Sénat l'écoute et l'attention que mérite la lourde tâche régalienne qu'ils remplissent au service de l'État.

Au moment des vœux traditionnels de fin d'année, je souhaite vous remercier tous, mes chers collègues, du travail accompli. Nous pouvons en être fiers. Nous n'aurions pas pu le faire sans le concours inestimable des fonctionnaires de tous grades de la Haute Assemblée.

Qu'ils trouvent ici, avec l'ensemble de ceux qui, dans les groupes ou plus près de vous, travaillent au bon fonctionnement de notre institution, l'expression de notre gratitude et de nos vœux les plus chaleureux pour ces fêtes familiales.

Nous vous adressons, monsieur le Premier ministre, nos meilleurs vœux pour vous-même et les vôtres.

Je voudrais dire aussi aux journalistes qui rendent compte de nos travaux que nous les en remercions chaleureusement. Qu'ils continuent à manifester de l'intérêt pour le Sénat, nous nous efforcerons de leur en donner encore l'occasion !

Nous nous retrouverons vraisemblablement très bientôt pour une session extraordinaire que j'espère courte, monsieur le Premier ministre.

Qu'il me soit néanmoins permis de souhaiter que le débat électoral qui s'ouvre soit l'occasion de poser les vrais problèmes qui préoc­cupent nos concitoyens et de rappeler qu'il appartient à chacun d'entre nous d'y veiller en y participant avec le calme et la hauteur de vues qui lui manquent parfois.

C'est à cette condition que nous pourrons préserver l'unité fragile de notre pays. Au moment où nous entrons dans une période électorale, nous nous devons de toujours y penser en privilégiant, selon nos habitudes, l'avenir de la France.