Déclarations et article de MM. Robert Hue, secrétaire national du PCF, et candidat à l'élection présidentielle de 1995, et de M. André Lajoinie, parues dans "Le Monde" du 7 décembre 1994 et dans "L'Humanité" du 6, 14 et 15 décembre, sur l'emploi et les salaires, sa proposition d'augmenter les salaires inférieurs à 15000 Frs d'au moins 1000 Frs, et sur les mesures proposées pour la Sécurité sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Robert Hue - Secrétaire national du PCF, et candidat à l'élection présidentielle de 1995 ;
  • André Lajoinie - Membre du PCF

Média : L'Humanité - Le Monde

Texte intégral

L'Humanité : 6 décembre 1994 - Un article d'André Lajoinie
Emploi et salaires : une rencontre d'actualité

Jusqu'à une période récente, le patronat et le pouvoir parvenaient à faire prévaloir chez les salariés qu'accepter la baisse de son pouvoir d'achat était une des conditions nécessaires à la relance de l'emploi. Depuis ces derniers mois, des luttes significatives comme celles de Radio-France, de Pechiney, du secteur public ou bien de GEC-Alsthom ont bouleversé cette idée reçue. Simultanément, la Bourse a flambé, les exportations de capitaux ont doublé, les gâchis de profits, de fonds publics et de crédit ont battu tous les records.

L'un des piliers du dogme imposé à la société française selon lequel il y aurait une contraction entre salaires et emploi commence à être ébranlé. Cette évolution est due pour partie au fait que la « reprise » annoncée conforte un certain nombre de salariés dans l'idée qu'il est aujourd'hui possible d'en recevoir les fruits en manière de rémunération, mais plus profondément elle procède certainement de l'expérience et d'une réflexion sur l'incapacité d'une politique de modération salariale à inverser la courbe du chômage. Il y a 400 000 chômeurs de plus depuis que la droite est revenue au pouvoir, le chômage officiel dépasse les 3 millions, le niveau réel du sous-emploi est estimé à 5 millions, les ouvriers et les employés gagnent 7 500 francs en moyenne et plus de la moitié des salariés sont payés au-dessus de 8 250 francs par mois.

Une évolution des mentalités

La France est, parmi les pays développés, le pays des bas salaires, et la misère, l'exclusion, la précarité sont devenue des phénomènes de masse. Tout cela montre combien il est indispensable de chercher à rompre avec la politique conduite au cours de la décennie écoulée.

Tous ceux qui persistent à considérer le travail humain comme un coût à comprimer coûte que coûte seront obligés de prendre en compte l'évolution des mentalités qui se fait jour. Mais les dirigeants de la droite et du patronat redoublent cependant dans l'attaque contre les salariés. Par ailleurs, Jacques Delors s'est prononcé pour une nouvelle réduction du coût du travail et contre l'idée de ramener la durée légale du travail à 35 heures par semaine sans perte de salaire.

Les communistes, pour leur part, sont aux côtés des salariés et de leurs familles pour contribuer au succès de leurs luttes. À partir d'elles, ils cherchent à rassemble pour construire une alternative réelle à cette politique de droite qui oppose salaires et emploi en vue de satisfaire aux exigences de la rentabilité financière.

Un des sujets essentiels

C'est dans ce contexte que la proposition de Robert Hue d'augmenter de 1 000 francs au minimum tous les salaires nets jusqu'à 15 000 francs prend de front le consensus qui veut en opposant salaires et emploi culpabiliser les salariés. Évidemment, développer la demande de consommation n'est que l'un des piliers d'une croissance d'un type nouveau pour l'emploi. Cette proposition est un pavé dans la mare, elle est au cœur de ce qui sera l'un des sujets essentiels du grand débat politique national de la prochaine période. Comme l'expliquait notre candidat à l'élection présidentielle, elle « est de nature à relancer la consommation et donc à être créatrice d'emplois en contribuant à la reprise de l'activité économique. Il y a une cohérence entre la prise en compte des besoins en matière d'emploi et celle des besoins en matière de pouvoir d'achat des salariés ».

Développer, avec les salaires et la formation, la qualification des hommes est absolument indispensable pour redresser l'économie française. Et c'est pour répondre à cette exigence qu'il faut accroître l'efficacité des productions : produire plus et mieux, en vue de satisfaire les besoins, en gâchant moins de capitaux. Cela exige une tout autre utilisation de l'argent des profits, des fonds publics et des crédits. Tout cela ouvre sur l'exigence d'une politique radicalement nouvelle favorisant l'intervention et la maîtrise des salariés, des citoyens dans les gestions et dans les affaires du pays. Les communistes ont des propositions dans ce sens qu'ils souhaitent mettre en débat dans les mois qui viennent.

C'est dans cet esprit qu'ils organisent les 10 et 11 décembre prochains (1) une rencontre nationale sur les luttes et les solutions pour l'emploi. Sous forme d'examen collectif de luttes actuelles et de réflexion sur les solutions à mettre en œuvre seront posés concrètement les problèmes politiques d'aujourd'hui. Cette rencontre sera un temps fort pour faire connaître et discuter de la cohérence et de la crédibilité de nos propositions pour lutter contre le chômage et pour le pouvoir d'achat.

(1) Au siège du Comité national, à 9 h 30, le samedi 10 décembre.

 

Le Monde : 7 décembre 1994 
Robert Hue

Un PDG célèbre pour imposer la « rigueur » aux salariés avoue lui-même un « salaire » mensuel de 1 million de francs ! La « reprise », c'est surtout pour les profits, dont la cuvée 1994 s'annonce exceptionnelle… Ceux-là mêmes à qui l'on refuse des augmentations de salaires entendent parler de « pots de vin » faramineux distribués par leurs entreprises. Ils constatent qu'au-delà des « affaires », c'est tout le système qui détourne au service de l'argent-roi les richesses issues de leur travail.

La France se trouve dans les derniers rangs des pays d'Europe pour les « coûts salariaux ». Bas salaires, vie étriquée, privations : tel est le lot de millions de familles. La colère monte. Légitime. « On ne peut vivre ainsi à notre époque, dans un pays comme le nôtre. » C'est vrai. Et j'ajoute qu'on ne peut développer une économie moderne sur le mépris des salariés et l'assèchement de la consommation.

Une enquête d'opinion révèle qu'une immense majorité de Français veut que la « reprise », le « retour de la croissance » soient complétés par des mesures ambitieuses leur permettant d'en connaître les retombées. C'est juste. Mais le gouvernement et le patronat refusent. Hier, pour hâter la reprise il fallait « accepter des sacrifices » ; aujourd'hui, il faudrait continuer parce qu'il y a reprise ! Pour ces gens-là, ce n'est jamais le moment d'entreprendre les salariés ! Et quand il arrive à M. Balladur de reconnaître la nécessité d'une relance de la consommation, il se garde bien d'un donner les moyens. Hypocrisie, quand tu nous tiens !

Je fais une proposition simple et réaliste : une augmentation d'au moins 1 000 francs pour tous les salaires inférieurs à 15 000 francs par mois. C'est une proposition simple : valable au plan national, elle constitue un appui aux actions des salariés qui, dans chaque entreprise, avec leurs organisations syndicales, définissent les revendications qui leur paraissent es mieux adaptées, selon le niveau des rémunérations pratiquées. C'est une proposition réaliste : elle coûterait environ 200 milliards de francs sur un an. Dois-je le rappeler ? En 1993, les profits des entreprises se sont élevés à 1 200 milliards, et ils ont fortement progressé.

Un élément incontournable de l'élection présidentielle

Je n'ignore pas le problème que poserait une telle mesure à nombre de PME-PMI. Contraindre les banques à ne plus les étrangler à coup de frais financiers serait un premier moyen leur permettant d'augmenter les salaires. Et je suis favorable à des dispositions – fiscales et autres – leur permettant de satisfaire à cette obligation.

Cela fait décidément trop longtemps que l'on oppose salaires et emploi pour aboutir à avoir en même temps bas salaires, chômage et précarité ! Nous sommes, au contraire, à un moment de notre histoire où il faut, comme cela s'est fait en d'autres périodes, procéder à un relèvement des revenus du travail, notamment els bas et moyens salaires. C'est un choix qu'il faut avoir le courage de faire : pour la justice sociale et pour l'efficacité économique. Je porterai cette proposition tout au long des semaines et des mois qui viennent, jusqu'à en faire un élément incontournable de l'élection présidentielle. Un élément par rapport auquel il faudra bien que quiconque se réclamant de la gauche et du progrès se détermine.


L'Humanité : 14 décembre 1994
Robert Hue : trois mesures pour sauver la Sécu

Au cours de l'allocution qu'il a prononcée à Calais, Robert Hue a évoqué : « Cet acquis auquel notre peuple est si légitimement attaché : la Sécurité sociale. » Il a notamment déclaré : « Cela fait quinze années que des attaques de plus en plus graves ont lieu contre la sécurité sociale. Et, visiblement, le gouvernement de M. Balladur pense que l'heure est venue d'en finir avec tout ce qui faisait la force et l'originalité de notre système français de protection sociale. Un premier rapport sur l'assurance maladie et la santé vient d'être publié. Un deuxième sur le financement de la protection sociale est déjà sur le bureau du premier ministre. »

Les conséquences de Maastricht

Au nom des critères de convergence de Maastricht, il faudrait, quelles qu'en soient les conséquences sociales, tailler dans les dépenses. Cela va de l'utilisation de la justice pour fermer les hôpitaux et cliniques jugés « excédentaires » aux menaces contre les médecins qui refuseraient de restreindre suffisamment les soins. Il en est de même envisagé de mettre en concurrence la Sécurité sociale avec les assurances privées. Ces dernières sélectionneraient les clients riches et en bonne santé et les autres devraient se contenter d'une sécurité sociale au rabais ou même de l'aide sociale.

Les nouveaux projets de la droite

Avec les projets gouvernementaux pour le financement, on aggraverait encore les choses. On parle ainsi de tripler les cotisations maladie des retraités, d'étendre la CSG aux retraités et aux chômeurs non imposables, et de la faire passer pour tous de 2,4 % aujourd'hui à 5 % et même à 7 %.

Et le pire, c'est que le but avancé de cette avalanche de mauvais coups, c'est tout simplement de faire un nouveau cadeau aux patrons en les exonérant de cotisations. Le chiffre est précis : 175 milliards !

Il faut dire « Non », résolument Non ! Le progrès social n'est pas un « luxe » dont il faudrait se passer quand l'économie va mal. La Sécurité sociale n'est pas une « charge » à réduire, mais la garantie d'une vie plus épanouie dans une société moins brutale et plus solidaire, et un atout pour l'avenir. Car pour sortir le pays de la crise, je dis qu'il faut construire sur du solide, c'est-à-dire sur le développement des capacités humaines et non sur leur mutilation, comme c'est le cas aujourd'hui.

Trois mesures

Voilà pourquoi je propose trois mesures pour un financement juste et efficace de la Sécurité sociale.

Je propose, en premier lieu, de remplacer la CSG, cet impôt particulièrement injuste, par la taxation de tous les revenus financiers au même taux que les salaires. Cette mesure rapporterait 77 milliards.

Ensuite, des moyens réels doivent être mis en place pour le recouvrement des dettes patronales à la Sécurité sociale.

Enfin, il faut cesser la pratique d'exonération des entreprises des cotisations sociales qui leur incombent. Au lieu de cela, je propose d'instaurer une modulation du taux de ces cotisations, encourageant les entreprises à créer, sous le contrôle des salariés, des emplois efficaces, et à relever les salaires.

Dans le même temps, cette modulation devrait pénaliser les entreprises qui font de la croissance financière au détriment de la production utile et de l'emploi en réduisant la masse salariale.

J'ajoute que la proposition de relever de 1 000 francs tous les salaires inférieurs à 15 000 francs par mois comblerait l'intégralité du trou de la Sécurité sociale.

C'est donc clair, selon moi, les moyens existent pour redonner tout son souffle et toute sa portée à notre système de Sécurité sociale que le monde nous envie et que les tenants du système de « l'argent-roi » s'acharnent aujourd'hui à détruire.


L'Humanité : 15 décembre 1994
Robert Hue : pour l'espoir à gauche je prends mes responsabilités


Aujourd'hui, des millions d'hommes, de femmes de gauches, de progressistes s'interrogent : « Sera-t-il possible de battre la droite ? Y a-t-il une perspective, un espoir à gauche ? » C'est avec la plus grande franchise que je veux leur répondre.

Je suis convaincu qu'il n'y a aucune fatalité à la domination de la droite.

Pourquoi la gauche a-t-elle gagné en 1981 ? Parce que c'est avec des valeurs de gauche, des propositions de gauche qu'elle s'est présentée.

Pourquoi y a-t-il eu ensuite désillusion, colère, rejet, puis victoire de la droite ? Parce que les engagements n'ont pas été tenus. Parce que les gouvernements socialistes ont fait des politiques de droite, avec des ministres issus de la droite centriste.

La gauche peut devenir majoritaire

La gauche peut-elle à nouveau être forte, devenir majoritaire ? Sans hésiter je réponds : oui.

Je serai clair : ce n'est pas en « bricolant » à la hâte un accord électoraliste ou en désignant un « candidat unique », en faisant mine d'ignorer les désaccords actuels entre les forces de gauche que l'on y parviendra. Il faut respecter les citoyens. Et l'expérience a montré en 1965 et 1974 qu'un tel candidat unique – qui pourtant à l'époque s'appelait François Mitterrand – ne peut qu'être battu.

Une perspective alternative

Pour que la gauche gagne, la condition majeure, incontournable, c'est qu'elle soit bien à gauche.

Toutes les enquêtes d'opinion le montrent, sur de grandes questions de société, pour contester les choix qui privilégient « l'argent pour l'argent » au détriment de l'homme, et pour affirmer des aspirations au changement, des majorités existent autour d'idées rencontrant les valeurs de gauche.

Ou bien les forces de gauche, de progrès, dans toute la richesse de leur diversité, se mettent à l'unisson de ces aspirations, de ces exigences, et une majorité politique peut se dégager pour battre la droite et faire vivre une autre politique. Ou bien elles ne le font pas, et la droite continue de dominer par absence de perspective alternative susceptible de faire lever une espérance.

C'est pourquoi j'ai pris depuis plusieurs mois déjà l'initiative d'appeler à la construction, dans le dialogue et dans l'action, d'un Pacte unitaire pour le progrès entre les salariés, les citoyens et les forces de gauche et de progrès.

Répondre à votre attente

Aujourd'hui, des millions d'hommes, de femmes souhaitent avant tout que la droite soit battue, afin qu'elle ne soit plus en mesure de mettre en œuvre sa politique qui leur fait tant de mal. Pour cette seule raison, ils avaient mis de l'espoir dans la candidature de Jacques Delors.

Je m'adresse à eux en leur disant : battre la droite, oui.

Gagner pour une autre politique, une politique de gauche répondant à vos aspirations, oui. C'est possible. Il faut pour cela que, dans sa diversité, son pluralisme, la gauche vous propose de vous prononcer pour des choix nouveaux, bien à gauche, sur lesquels vous pouvez vous rassemble majoritairement.

Chacun, parmi les forces de gauche, de progrès, est confronté à cette question, et à la nécessité de prendre ses responsabilités pour répondre positivement à vos attentes.

Ma candidature est à votre disposition

Pour ce qui me concerne, je prends mes responsabilités. Quelle que soit par ailleurs votre opinion sur les analyses et les choix fondamentaux des communistes – et cette opinion j'entends la respecter – vous savez que ma candidature vise à ce que puisse s'exprimer et être entendue l'exigence de mesures concrètes pour l'emploi, les salaires, la protection sociale l'avenir des jeunes, le progrès et la justice sociale, et une volonté forte d'union à gauche pour une politique de vrais changements.

Cette candidature, je la mets à votre disposition pour que l'élection d'avril prochain puisse être un moment important dans l'affirmation de l'exigence d'une union nouvelle pour une perspective à gauche.

C'est à l'impulsion du grand débat national nécessaire sur ces questions, et à la création des conditions pour que s'exprime le plus fort possible cette exigence que je vais m'employer de toutes mes forces durant la campagne électorale.