Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à RTL, le 5 octobre 1998, sur la crise financière internationale, l'opposition à la ratification du traité d'Amsterdam et l'abandon de la souveraineté nationale

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - La crise ne justifie-t-elle pas l'Europe, qui est tout de même une zone moins déstabilisée que le reste du monde ?

- « Je crois que, dans un premier temps, l'Europe a bénéficié d'une part, de la baisse du prix des matières premières, et d'autre part, du reflux des capitaux asiatiques. Mais aujourd'hui, quand j'entends parler de l'euro bouclier protecteur, je me pose la question suivante : est-ce que c'est le bouclier protecteur par rapport à la baisse des bourses ? Pas du tout. Est-ce que c'est le bouclier protecteur par rapport à la baisse de la croissance ? Pas du tout, puisque le FMI prévoit, pour l'Europe comme pour le reste du monde, une baisse de la croissance. »

Q - Une baisse de la croissance, mais tout de même à un niveau beaucoup moindre qu'ailleurs ?

- « Ecoutez, ce que je constate aujourd'hui, c'est qu'on se dirige tout droit vers un euro surévalué, au début de l'année prochaine - puisque l'euro n'existe pas encore -, c'est la volonté des banquiers centraux de Francfort, et un dollar qui ne fait que baisser. Ce sont les conditions mêmes ...»

Q - Mais l'Europe n'est pas responsable de cela !

- « Je crois que les Européens sont responsables de la politique monétaire qu'ils font. Or l'euro, tel qu'il est conçu, dans le Traité de Maastricht, est un euro surévalué, puisque l'objectif du Traité de Maastricht c'est la stabilité des prix, plutôt que l'emploi, plutôt que la croissance. C'est toute la différence d'ailleurs avec le FED américain, par exemple. »

Q - Mais vous ne faites pas confiance aux différents gouvernements de gauche - ils sont 11 en Europe, à gouverner 11 pays -, pour obtenir que la Banque centrale européenne se comporte autrement ?

- « Moi je ne fais pas confiance aux socialistes. Je suis deux fois contre le socialisme : je suis contre le socialisme en France - qui fait des dégâts et qui démolit la société, on le voit bien avec le Pacs ; et je fais pas confiance à l'Europe socialiste. Et depuis l'arrivé de M. Schroeder, il y a beaucoup de gens en France qui se disaient : Tiens, grâce à l'Europe on va pouvoir faire des réformes en France, et qui maintenant se posent des questions, parce que l'Allemagne d'aujourd'hui n'est plus l'Allemagne rhénane de M.Kohl, l'Allemagne de l'après-guerre. C'est l'Allemagne de Berlin, qui regarde vers l'Est et vers le Nord, et qui fera payer au prix fort la volonté française de rester dans le carcan franco-allemand. Je crois qu'il faut voir plus large aujourd'hui pour la France. L'Europe c'est trop petit pour la France. La vraie vocation de la France c'est le monde. »

Q - Le RPR tient aujourd'hui une convention sur l'Europe, à laquelle participe C. Pasqua, dont vous espérez pourtant l'alliance. Alors s'il retourne au bercail qu'allez vous faire ?

- « Je crois que la convention du RPR, sauf erreur de ma part, a pour sujet de préoccupation le Traité d'Amsterdam. Et c'est une vraie épine dans le pied de ceux qui veulent au RPR, faire ratifier le Traité d'Amsterdam c'est la fin de la Constitution française ; c'est la fin de la loi française et c'est la fin du territoire français ! »

Q - Attendez, on va en parler. Mais si C. Pasqua retourne avec le RPR, que faites vous, vous ? Vous allez vous retrouver tout seul ?

- « Eh bien, il vaut mieux être seul avec le peuple français, ou en tout cas une grande partie du peuple français, que soumis à une norme extérieure, à laquelle vous ne croyez pas. Parce que je connais beaucoup de députés RPR et beaucoup de militants du RPR, qui sont des militants gaullistes, et qui ne conçoivent pas cette véritable machination. C'est-à -dire nos dirigeants qui cachent au peuple français qu'il y a un traité, le Traité d'Amsterdam, qui est la liquidation de notre démocratie. Il y a beaucoup de gens qui ne le conçoivent pus. Alors maintenant... »

Q - Si P. Séguin est tête de liste pour le RPR et l'Alliance, alors qu'il a voté contre Maastricht, quel espace va-t-il vous rester ?

- « Attendez, M. Mazerolle. La question qui se pose aujourd'hui ce n'est pas la question des élections européennes. »

Q - C'est important quand même...

- « Comme dit très bien C. Pasqua : "Pour l'instant tout le monde s'en fout !" La question qui est ... »

Q - Oui, mais enfin, si vous êtes tout seul, je ne sais pas si vous vous en moquerez encore.

- « Attendez M. Mazerolle. Il y a une question qui est plus urgente et plus grave que de savoir si je suis seul ou pas, c'est : qu'est-ce que ça va donner l'euro le 1er janvier, quand la France va être gouvernée par un Gouverneur, M. Duisenberg - il va être installé à Francfort - et qui ne recevra plus aucune instruction, même pas de M. Lafontaine, quand il dit qu'il faut faire baisser les taux d'intérêt ? Et puis deuxièmement : qu'est ce qui se passera après le Traité d'Amsterdam ? Eh bien tous nos pouvoirs, en matière législative - par exemple, pour l'immigration, la sécurité et le droit d'asile - passeront, dans cinq ans , entre les mains de la Commission de Bruxelles, sur laquelle, ce matin, M. Cotta, a fait un carton assez justifié ? Alors moi je ne veux pas de cela ! Moi je ne veux pas confier le pouvoir, nos pouvoirs - monétaire, économique, législatif - à des fonctionnaires extérieurs qui ne subissent aucun contrôle. »

Q - Sur l'immigration, dans cinq ans : si la France le veut bien, puisque la décision de déférer les pouvoirs à l'Europe sera prise à l'unanimité. Donc la France dans cinq ans a toujours le droit de dire non.

- « D'abord, pourquoi changer la Constitution dans ce cas-là , si c'est pour rester dans le système actuel ? Non, on change la Constitution hélas, pour donner les pouvoirs au Conseil européen, sur propre décision de la Commission de Bruxelles. Et puis dans cinq ans, il y a deux choses qui vont changer, automatiquement : dans cinq ans, il y aura l'abolition de tous les contrôles aux frontières internes de l'Union européenne - je dis bien de tous les contrôles. Et dans cinq ans, il y aura le monopole d'initiative de la Commission de Bruxelles pour tous les problèmes concernant l'immigration. Cela c'est automatique. Et donc on voit déjà les dégâts que cela va faire. C'est-à -dire que les technocrates de Bruxelles conçoivent tout de manière unique, mais aussi, demain, le territoire unique. »

Q - Mais alors J. chirac, L. Jospin, le Gouvernement français, tout cela n'existe pas ?

- « Eh bien, écoutez, M. Jospin, lui, il ne croit qu'à la rédemption par l'impôt et la dépense publique, et il passe son temps à démolir la société. Parce que c'est quand même une coïncidence ! »

Q - Mais le Président de la République est là quand même pour garantir l'intérêt français !

- «  c'est quand même une coïncidence que la dyarchie qui nous gouverne, accepte de liquider, en même temps, la famille avec le Pacs, et la nation avec le Traité d'Amsterdam. Alors, vous me parlez du Président de la République, mais moi ce que j'attends de J. Chirac, c'est deux choses : c'est qu'il propose une vision de la France qui soit établie sur la démocratie française et non pas sur l'autorité des fonctionnaires européens. Et la deuxième chose : qu'il s'oppose au socialisme. Moi quand j'entends M. Schroeder dire, de M. Chirac : "C'est finalement un social-démocrate modéré", eh bien moi je ne suis pas content. »

Q - Quand dans votre livre, vous dépeignez la France comme un pays soumis, un peu comme si l'Europe était une dictature, vous n'avez pas l'impression d'aller un peu loin ?

- « Quand vous avez entendu monsieur le commissaire T. de Silguy au début de l'été - vous n'étiez pas encore en vacances - nous dire : "Je donne aujourd'hui aux pays européens, dont la France, des cartons jaunes pour éviter d'avoir à donner à l'automne des cartons rouges", mais pour qui se prend-il ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Alors on a tout l'été donné, par exemple, cartons rouges pour les familles de France, parce qu'il n'y aura plus de cartes de réduction pour les familles nombreuses ; cartons rouges pour le textile français ; cartons rouges pour l'agriculture française, etc, etc. Qu'est-ce que ça veut dire tous ces cartons rouges ? C'est l'empire de la norme ! »

Q - A part le catastrophisme, vous avez un autre message à nous adresser ?

- "La méthode c'est une Europe remise à l'endroit. Il y a deux manière de construire l'Europe : la mauvaise et la bonne. La mauvaise : c'est celle qui est utilisée depuis quelques années ; c'est-à -dire que c'est l'Europe de Bruxelles, des fonctionnaires qui contrôlent les nations. Et la bonne : c'est l'inverse, ce sont les nations qui contrôlent les fonctionnaires de Bruxelles. C'est cela qu'on doit faire, c'est cela qu'on devrait faire et cela qu'attend le peuple de France. D'ailleurs, si on consultait le peuple aujourd'hui, par référendum, pourquoi croyez-vous que M. Chirac et M. Jospin ne veulent pas de référendum sur le Traité d'Amsterdam ? Parce qu'ils savent que le peuple français répondrait non. Le peuple français veut l'Europe - moi je suis profondément européen - mais l'Europe des nations et non pas l'Europe fédérale. L'Europe fédérale, c'est une Europe dans laquelle les nations gardent des pouvoirs pour que ça marche mieux. Par exemple, on pourrait aujourd'hui, revenir à la préférence communautaire en matière agricole au lieu de faire une loi qui consiste à transformer les agriculteurs en cotonniers de la DDA. »