Interview de M. Alain Lamassoure, ministre chargé des affaires européennes au Journal polonais "Rzeczpospolita", allocution et déclaration à la presse, sur le calendrier et les modalités d'adhésion de la Pologne et des pays d'Europe centrale à l'Union européenne, Varsovie le 25 novembre 1994.

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Circonstance : Visite officielle à Varsovie (Pologne) les 25 et 26 novembre 1994-allocution au collège européen de Natolin le 25

Média : Rzeczpospolita

Texte intégral

Q. : Quel est le but de votre visite en Pologne ?

R. : Je me rends à Varsovie à un double titre : en tant que ministre français des Affaires européennes d'abord, mais également en tant que ministre siégeant au Conseil des ministres de l'Union européenne. En tant que ministre français je ferai le point des relations bilatérales franco-polonaises avec mes différents interlocuteurs, M. Olechowski et M. Saryusz-Wolski. Les relations entre la France et la Pologne sont excellentes. En revanche les relations économiques ne sont pas toujours à la hauteur de la qualité de nos relations politiques. Je rencontrerai les hommes d'affaires français implantés en Pologne pour voir avec eux comment améliorer concrètement les choses.

Q. : Vous avez publié au mois de mai un projet sur l'avenir de l'Union européenne, qui prévoit d'abord une réforme des institutions européennes et seulement ensuite l'élargissement de d'Union européenne aux pays du groupe de Visegrad. Cependant le programme du Chancelier Helmut Kohl prône l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale à Union européenne comme la priorité de l'Union. Selon vous, la réforme des institutions et l'élargissement à l'Est ne pourraient-ils pas se faire en parallèle ?

R. : La position de l'Union européenne, et pas seulement de la France, sur l'élargissement aux pays de l'Europe centrale et orientale est tout à fait claire. L'Union doit accueillir dix pays de cette région. Il s'agit des 4 pays de Visegrad, des 2 États balkaniques, Bulgarie et Roumanie, des 3 États baltes et de la Slovénie. Le principe de cette adhésion est acquis sans ambiguïté. Il ne s'agit donc plus de savoir si l'élargissement à l'Est se fera mais comment il se fera. Deux conditions préalables doivent être remplies avant que les négociations formelles puissent s'ouvrir. La première concerne les Douze, bientôt les Seize. Les institutions actuelles de l'Union européenne ont été initialement conçues pour un petit Marché commun à 6. Elles doivent aujourd'hui faire fonctionner une Union économique de 16 membres. Ce sera très difficile. Il est exclu qu'elles puissent en l'état permettre un fonctionnement efficace et démocratique d'une union politique de 20, 25 ou 30 membres. C'est pourquoi des réformes de fond doivent être entreprises.

Tel sera l'objet de la conférence intergouvernementale qui s'ouvrira en 1996. La seconde exigence concerne les pays candidats eux-mêmes. L'adhésion à l'Union implique que les nouveaux adhérents aient des relations de bon voisinage avec leurs voisins et qu'ils "n'importent" pas avec eux dans l'Union des problèmes non résolus de frontières ou de minorités. C'est pourquoi le Premier ministre français, M. Balladur, a proposé une Conférence sur la stabilité, initiative reprise par l'Union européenne dans son ensemble. Cet exercice de diplomatie préventive doit s'achever au printemps prochain. La Pologne qui a déjà signé des accords de bon voisinage avec tous ses voisins, a un rôle à jouer pour faire bénéficier de son expérience l'ensemble de la région.

Q. : Il existe une opinion que l'une des raisons pour laquelle la France reste réservée quant à l'adhésion rapide des pays d'Europe centrale et orientale à l'Union européenne serait la crainte de voir l'Union dominée par l'Allemagne.

R. : Je ne suis pas d'accord avec cette opinion, il est naturel que l'Allemagne du fait de la géographie, l'histoire et les relations économiques, accorde une importance particulière à la situation en Europe centrale et orientale. La France et l'Allemagne n'ont pas une approche fondamentalement différente de l'élargissement à l'Europe central et orientale. Tout comme nous les Allemands sont soucieux que cet élargissement ne se limite pas à une zone de libre-échange. Tout comme nous, ils souhaitent que des réformes institutionnelles aient lieu avant le nouvel élargissement. Il y a quelques semaines les ministres des Affaires étrangères français et allemand ont réuni à Paris les ambassadeurs de tous les pays de l'Europe centrale et orientale qui doivent être admis à l'Union pour examiner le problème de leur adhésion. Je participais moi-même à ces travaux. J'ai constaté comme tout un chacun que nous partagions la même conception des relations à venir entre les pays d'Europe centrale et orientale et l'Union européenne. L'élargissement à l'est ne se fera pas en jouant Bonn contre Paris ou Paris contre Bonn, mais parce que Bonn et Paris, en accord avec les autres États membres de l'Union, auront su définir ensemble les modalités de cet élargissement. Les dirigeants politiques des pays concernés, les autorités polonaises entre autres, le comprennent parfaitement.

La France n'est aucunement réservée à l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale à l'Union. Je ne crois pas qu'une Union élargie à l'Est soit dominée par l'Allemagne. Ce n'est pas ainsi que nous raisonnons. La construction européenne n'est pas un jeu à somme nulle. Lorsqu'un État trouve avantage à une situation donnée, ce n'est pas au détriment d'un autre État de l'Union. C'est particulièrement vrai entre la France et l'Allemagne dont les liens réciproques font que ce qui renforce l'Allemagne renforce aussi la France. Heureusement, l'Europe d'aujourd'hui n'est pas celle d'avant 1914.

Q. : Certains hommes politiques français, comme par exemple le Président de l'Assemblée nationale, Philippe Séguin, réclament une ouverture plus grande de l'Europe aux pays de l'Est. Qu'en pensez-vous ?

R. : Il est exact que certaines voix, pas seulement françaises, souhaitent que l'élargissement à venir soit plus rapide et plus large que celui actuellement envisagé. Certains envisagent notamment que la Russie puisse un jour faire partie de l'Union européenne. Telle n'est pas la position de la France. La Russie par son histoire, une partie de son territoire, sa culture appartient incontestablement à l'espace européen. Cependant son point démographique, l'étendue de son territoire, son rôle international et les responsabilités qu'elle détient à ce titre, les liens qu'elle conserve avec d'autres régions du monde font qu'elle n'est pas seulement européenne et que son adhésion à l'Union européenne bouleverserait du tout au tout la nature et le visage de l'Europe que nous construisons depuis plus de 30 ans. C'est pourquoi les Douze pensent plutôt à un partenariat étroit entre la Russie et l'Union européenne qu'à une adhésion pure et simple.

Q. : Selon une opinion exprimée de plus en plus souvent ces derniers temps, les pays du groupe de Visegrad n'intégreront pas l'Union européenne tous à la même date, la Pologne et la République tchèque seraient les deux premiers pays qui deviendront membres de l'Union. Pouvez-vous confirmer cette opinion ?

R. : Personne ne peut dire aujourd'hui quels seront les prochains pays qui entreront dans l'Union européenne. Ce que je puis dire, c'est que la Pologne, au même titre notamment que la République tchèque, est un des pays qui a accompli les réformes les plus importantes pour le passage à l'économie de marché. Si elle poursuit ainsi dans la voie qu'elle s'est fixée, et je n'ai aucune raison d'en douter, je suis persuadé qu'elle sera parmi les premiers à être en mesure de reprendre à son compte les règles du grand marché européen et de faire face à la concurrence économique qui y règne.

Q. : Est-il vrai que l'Union européenne serait actuellement en train de préparer les critères d'adhésion à l'Union pour les pays de l'Europe de l'Est ?

R. : Outre les deux préalables dont je vous ai parlé précédemment, les conditions d'une adhésion à l'Union sont bien connues. Elles s'appliquent à tous. Il convient que l'État candidat soit démocratique. Cette condition est évidemment remplie par la Pologne. Il faut également qu'il soit en mesure de reprendre la totalité de l'acquis communautaire sans dérogations permanentes, c'est-à-dire l'ensemble de la législation interne aux Douze qui permet de faire fonctionner un marché de 360 millions de consommateurs dans des conditions de concurrence égales pour tous. Au total cette législation compte environ 300 directives et règlements. Elle est très contraignante et impliquera une ouverture complète du marché polonais, l'intégration dans une Union douanière, la libre circulation totale des biens, des personnes, des services et des capitaux. Aujourd'hui chacun s'accorde à considérer que l'économie polonaise ne serait pas en mesure de résister au choc de la concurrence existant au sein de l'espace communautaire. Il est vraisemblable que des périodes transitoires, sans doute longues, seront nécessaires. Enfin le pays candidat doit manifester la volonté politique de participer et de reprendre à son compte la politique étrangère et de sécurité commune telle qu'elle se dessine depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht. Je pense toutefois que cet aspect des négociations ne posera pas de grosses difficultés à la Pologne.

Q. : On estime que la Pologne et les autres pays du groupe de Visegrad deviendront membres de l'Union vers l'an 2000. Cette date vous paraît-elle réaliste ?

R. : Il est très difficile de fixer une date dès aujourd'hui. Cela risquerait de susciter de faux espoirs. Je me contenterai de constater que si tout se passe comme nous l'envisageons, la conférence sur les réformes constitutionnelles devrait s'achever fin 1996, et la réforme entrerait en vigueur vers 1997-1998. Si par ailleurs l'exercice sur la conférence sur la stabilité s'achève comme prévu l'année prochaine, les conditions seront remplies vers 1997-1998 pour l'ouverture des négociations avec un nouveau "train" de candidats à l'adhésion. Comment et de qui sera-t-il composé ? Combien de temps dureront les négociations ? Huit ans, comme dans le cas de l'Espagne et du Portugal, un an et demi comme dans le cas de l'élargissement actuel ? Nul ne peut répondre avec certitude à ces questions. Ce qu'on peut dire, c'est que vers la fin du siècle les conditions devraient être réunies pour qu'un nouvel élargissement ait lieu.

Q. : Estimez-vous que la coopération de la Pologne et des autres pays du groupe de Visegrad avec l'Union européenne pourrait être plus importante ? Si oui, dans quels domaines ?

R. : Dès le départ, la France a pensé que le rapprochement des pays d'Europe centrale et orientale avec l'Union européenne doit s'accompagner d'un renforcement de la coopération entre ces pays eux-mêmes. Il n'est en effet pas souhaitable qu'au moment même où ces pays aspirent à entrer dans un grand marché européen, leur coopération marche mal. En outre, la coopération régionale est une bonne école de la coopération communautaire et permet de renforcer les solidarités de bon voisinage. Évidemment la coopération régionale n'est aucunement un substitut à l'entrée de ces États dans l'Union. Bien au contraire, elle est un moyen de la rendre plus proche. La France suit de près la coopération instaurée au sein du groupe de Visegrad et verrait d'un bon œil son renforcement, par exemple par l'accélération du calendrier de passage au libre-échange à une Union douanière, et également son élargissement à de nouveaux membres, Slovénie, États balkaniques, etc. Évidemment, il appartient aux seuls États de Visegrad de déterminer leur degré de coopération.

 

DIPLOMATIE DUQUE
25 novembre 1994
DPIC – Bulletin quotidien

Monsieur le Ministre, 
Monsieur le Directeur, 
Messieurs les Ambassadeurs, 
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais vous dire d'abord combien je suis heureux de me retrouver ce soir parmi les étudiants du Collège de Natolin.

J'ai beaucoup entendu parler de Natolin, en particulier mais pas uniquement par M. le Ministre Saryusz-Wolski, qui considère à juste titre ce Collège, à la fois comme institution et comme ensemble architectural, comme son œuvre. Comme tous les visiteurs, je suis très impressionné par la qualité des bâtiments, de l'aménagement, qui arrivent à concilier le respect de la tradition architecturale et la modernité nécessaire à vos travaux.

Je voudrais, avant peut-être que nous répondions, Monsieur le Ministre Saryusz-Wolski et moi-même, à vos questions, de façon à ce que ce ne soit pas une simple conférence mais un véritable débat, vous proposer quelques éléments de réflexion sur l'élargissement de l'Union européenne et vous dire quels sont les points de ce que l'on pourrait appeler la doctrine française à l'égard des pays d'Europe centrale et orientale.

Je crois que dans le collège où nous sommes, à quelques semaines de la présidence française de l'Union européenne, présidence qui sera importante pour le cheminement des pays d'Europe centrale et orientale vis-à-vis de l'Union européenne, il peut être intéressant que nous en débattions ensemble.

L'Union européenne a été conçue au départ comme un simple marché commun. Un accord commercial, qui existait entre six pays de l'Europe de l'Ouest. Cet accord s'est élargi peu à peu jusqu'à six autres États et en même temps on est passé des questions commerciales à une coopération économique beaucoup plus vaste. Puis, à partir de 1989-1990, récompensant les efforts héroïques accomplis notamment ici en Pologne, la grande révolution de la liberté c'est étendue sur l'ensemble de la partie orientale du continent.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation complètement nouvelle qui nous amène à transformer la vision que nous nous faisons de la construction de l'Europe, qui doit nous amener à compléter cette construction économique par une dimension politique véritable, qui lui a fait jusqu'à présent défaut. En même temps, nous devons adapter cette Union européenne à un nombre de membres, je vais y revenir, qui va augmenter considérablement par rapport aux effectifs initiaux. Nous avons constaté depuis quelque temps que la Pologne, que la Hongrie et d'autres pays d'Europe centrale et orientale expriment soit publiquement et officiellement, soit informellement, la volonté de rejoindre l'Union européenne.

Comment répondre à cet appel ? Le Conseil européen, sommet des chefs d'État et de gouvernement, de Copenhague, il y a 18 mois, a clairement indiqué que tous les pays d'Europe centrale et orientale qui étaient des démocraties et des États de droit avaient vocation à rejoindre la Communauté européenne.

Ce principe est acquis. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir selon quelles modalités.

Quels sont les éléments de ce que j'appelle la doctrine française ?

Premier principe, cette perspective d'élargissement de la Communauté, qui était inscrite déjà dans le Traité de Rome, le tout premier Traité en 1957, et qui a donc été confirmée par le Conseil européen de Copenhague, est offerte à tous les pays du continent européen. Elle s'applique donc à toute l'Europe, mais seulement à l'Europe Elle s'applique à l'Europe centrale. Elle s'applique à l'Europe balkanique, ce qui veut dire que le Jour où la paix sera revenue dans les Balkans et où toutes les républiques issues de l'ex-Yougoslavie seront à leur tour des régimes démocratiques et des États de droit, en paix chacune avec ses voisins, ces pays pourront aussi poser leur candidature à l'Union européenne. Elle s'applique aux États baltes. Et là s'arrête la frontière géographique du continent européen, c'est-à-dire à la frontière de ce qu'on appelle aujourd'hui la Communauté des États indépendants.

C'est un premier principe de la doctrine française. Peut-être que d'autres partenaires ne sont pas du même avis et ont une carte géographique différente. C'est celle, pour notre part, sur laquelle nous travaillons.

Deuxième principe : puisqu'il va falloir adapter l'architecture de la maison européenne pour un nombre d'habitants, de locataires, beaucoup plus élevé, 1 faut donc procéder à la révision des traités européens. Nous avons prévu pour cela une date en 1996. Nous avons besoin d'une transformation très profonde pour deux raisons

Première raison, je l'ai évoquée tout à l'heure, notre Union européenne qui était d'abord économique, que nous avons élargie par le dernier traité, le Traité de Maastricht en 1951, à l'Union monétaire, en donnant un objectif et un calendrier pour l'Union monétaire de l'Europe, nous devons la compléter par une union politique comportant une politique étrangère commune – le principe existe déjà dans le Traité de Maastricht – mais aussi une politique de défense commune car l'expérience nous montre qu'il n'y a pas de politique étrangère sans véritable outil, diplomatique d'une part, mais aussi militaire, un outil de défense au service de cette politique étrangère.

Je m'expliquerai un peu plus en détail sur ce point particulier, à travers les enseignements que nous devons tirer, me semble-t-il, de la tragédie actuelle en Bosnie. Depuis que le traité de Maastricht s'applique, c'est-à-dire depuis un an, et que désormais l'Europe des Douze a dans ses compétences la politique étrangère, nous avons obtenu un progrès par rapport à la situation antérieure. Désormais, il y a une politique commune des Douze à l'égard de l'ex-Yougoslavie, alors qu'au début de la guerre civile en ex-Yougoslavie, nos douze pays n'étaient pas tous sur la même ligne.

Désormais, nous avons tous la même position, et c'est d'ailleurs l'Europe qui a proposé et fait approuver par l'ONU le plan de paix, le projet de plan de règlement politique sur la Bosnie. Le plan qui est sur la table, qui est la seule proposition concrète de règlement politique de la situation en Bosnie et au-delà, de l'ensemble de l'ex-Yougoslavie, a été accepté ultérieurement par les Américains, par les Russes, par l'ensemble de la communauté internationale, a été accepté il y a quelques semaines par les Serbes de Belgrade et n'est pour l'instant contesté que par les Serbes de Bosnie. C'est un progrès. Depuis un an, sur ce grand sujet de politique étrangère, les Européens parlent d'une seule voix et agissent ensemble, d'un même mouvement.

En revanche, le même exemple de Bosnie montre bien les limites de notre capacité. C'est que lorsque nous constatons que l'une des parties au conflit refuse le plan de paix, continue à faire la guerre, nous n'avons pas les moyens militaires au service de cette politique étrangère, pour imposer le plan de paix sous l'égide de l'ONU. Nous sommes donc obligés de faire appel à d'autres partenaires, et d'autres organisations internationales, l'ONU, l'OTAN, les Américains, les Russes, les Ukrainiens, etc. Si bien que, en 1994, les Européens ne se sont pas encore donné les moyens de gérer les affaires de l'Europe, de ramener la paix sur le continent européen.

Nous considérons donc, en France, qu'en 1996, le premier objet de la grande révision du Traité européen, du Traité de Maastricht, doit être de compléter la politique étrangère – qui encore une fois ne figure que comme un objectif, comme un principe, dans le Traité de Maastricht – par une véritable politique de défense commune.

La deuxième chose que nous devons faire en 1996, c'est adapter les institutions, le système de décision. Comment décide-t-on aujourd'hui dans l'Union européenne ? Vous l'apprenez ici, au Collège de Natolin, et certainement que, au départ, lorsqu'en vous fait pour la première fois la description de ce système de décision, cela doit vous paraître étrange On a d'un côté, une Commission qui est composée de fonctionnaires nommés désormais pour 5 ans. Une fois qu'ils sont nommés, ceux qui les ont nommés ne peuvent plus les révoquer, les changer, même s'ils ne donnent pas satisfaction. Cette Commission a seule le droit d'avoir des idées, de faire des propositions. Ces propositions sont ensuite soumises à un organisme qui s'appelle le Parlement, qui est élu au suffrage universel, mais qui n'a pas véritablement les pouvoirs d'un parlement et qui pour l'essentiel émet un vote, dans des débats, comme un vrai parlement, mais n'a pas le dernier mot en matière législative. Son vote à, non pas toujours, mais le plus souvent, une valeur d'avis consultatif. À ce moment-là, le texte est soumis à un autre organe, qui est un organe législatif, qui lui a le dernier mot pour adopter les lois européennes, mais qui s'appelle Conseil des ministres et qui réunit les représentants des États membres. D'ailleurs, la plupart des ministres siégeant au Conseil des ministres ne sont pas conscients du fait que quand ils vont à Bruxelles, dans cet organe appelé Conseil des ministres, ils se comportent comme des législateurs et non pas comme des membres d'un gouvernement.

Ce qui fait que, lorsque dans nos pays – en tout cas cela se passe ainsi en France, je ne sais pas s'il en est de même en Pologne – une décision impopulaire est prise au niveau national, tout le monde sait qui est responsable : ce sont le gouvernement et la majorité parlementaire qui le soutient qui sont considérés comme coupables. Mais quand une décision impopulaire est prise au niveau européen, on ne sait pas qui a pris la décision. L'opinion publique ne le sait pas parce que ce système institutionnel est trop complexe. En outre, il y a certaines décisions qui ne peuvent être prises en Europe qu'à l'unanimité autour de la table du Conseil des ministres. Ce principe avait été posé en 1958 lorsque nous n'étions que six autour de la table. À douze, l'unanimité est déjà beaucoup plus difficile à obtenir. Lorsque nous serons à vingt ou vingt-cinq, naturellement cela deviendra tout à fait impossible.

Ce qui veut dire que ce système complexe qui était tout à fait efficace, opérationnel quand il ne devait gérer qu'un simple accord commercial, maintenant que nous allons être une Union économique, monétaire, politique, est à la fois inefficace et non démocratique, incompréhensible par les citoyens. Nous voulons, nous devons donc l'adapter de manière à ce qu'il soit efficace, démocratique et puisse s'appliquer à une Union politique de vingt ou trente membres. C'est pourquoi, j'ai dit que, en 1996, l'Europe avait besoin d'un nouveau pacte fondateur, un nouveau traité, qui sera le contrat commun, le Pacte passé par l'ensemble des pays européens. Nous souhaitons que la Pologne, que les autres pays d'Europe centrale et orientale puissent entrer dans une maison solide, dans une Europe forte et efficace. C'est le second principe, le préalable en quelque sorte de la réforme de 1996.

Troisième principe, il faut que nous nous donnions une perspective, c'est-à-dire un calendrier et des mécanismes pour réussir l'élargissement de l'Union. Je serai tenté, pour ma part, de conseiller un peu ce que nous avons fait entre les Douze lorsque nous avons voulu compléter la Communauté économique par l'Union monétaire. Cela a été fait à l'occasion du Traité de Maastricht. Nous avions réalisé le Marché commun, un espace économique dans lequel circulent librement entre les Douze, les marchandises, les capitaux, les personnes, dans des conditions égales de concurrence, puisque la législation européenne a permis d'harmoniser les règles de concurrence, les aides d'État aux entreprises, le droit de la propriété commerciale, etc.

Nous nous sommes rendus compte que dans cet espace qui permet à toutes les entreprises d'avoir le même marché intérieur, aussi vaste que le marché communautaire, nous ne pouvions plus supporter les dévaluations d'une monnaie de l'un d'entre nous. Par exemple, il y a deux ans, la monnaie espagnole a perdu 20 à 30 % de sa valeur, puis la monnaie italienne, puis la monnaie britannique. Évidemment, cela fausse considérablement les conditions de concurrence, les rapports de prix. L'étape suivante obligée, quand vous avez fait un véritable marché commun, est donc de stabiliser la valeur des monnaies les unes par rapport aux autres, donc d'avoir une politique monétaire commune, donc d'avoir en réalité une monnaie commune.

Nous avons voulu faire l'Union monétaire, mais nous ne pouvions pas la faire du jour au lendemain parce que du fait de politiques économiques différentes, du fait de la crise économique, certains États avaient une gestion des finances publiques plus rigoureuse que d'autres. Certains d'entre nous étaient notamment endettés fortement vis-à-vis du reste du monde. Or, quand un ensemble de pays décide d'avoir la même monnaie, cela veut dire qu'ils mettent ensemble en contrepartie toutes les créances et toutes les dettes de chacun d'entre eux vis-à-vis du monde extérieur. S'il se trouvait que certains États soient beaucoup plus endettés que les autres, tout se passerait comme si les États bien gérés, qui n'ont pas de dettes, prenaient à leur charge, le jour de la fusion des monnaies, les dettes des États mal gérés, ce qui évidemment n'est pas acceptable pour les États bien gérés.

Nous nous sommes donc donnés un calendrier raisonnable de quelques années – 5 ans, 7 ans – et nous nous sommes donnés en même temps des critères permettant de mesurer les progrès dans la convergence de nos économies les unes avec les autres et dans le redressement de la situation de nos finances publiques. Nous nous sommes engagés à conduire les politiques économiques de convergence permettant de respecter les critères à la date nommée et c'est une contrainte extraordinairement forte. Cela veut dire que, malgré la crise économique que nous avons connue pendant deux ans, malgré le calendrier électoral, qui fait que périodiquement nos gouvernements doivent se soumettre à leurs électeurs, nous nous sommes tous engagés à conduire une politique de rigueur, de redressement des finances publiques, et nous avons rendez-vous tous les ans, à l'automne, pour voir où en sont les uns et les autres.
Nous sommes convenus dans le Traité qu'au bout de 5 ans, à la fin de 1996, nous nous rencontrerions pour faire le bilan de ces politiques, voir en fonction des critères quels sont les résultats des uns et des autres, et si ii y aura une première fenêtre d'opportunité pour passer à l'Union monétaire. Si une majorité de pays respecte les critères, ils pourront passer à l'Union monétaire. Si ce n'est pas le cas, un deuxième rendez-vous est prévu deux ans plus tard pour faire le point et décider de l'Union monétaire.

Mon sentiment est qu'une démarche du même type pourrait être proposée immédiatement après 1996, sur la base du nouveau Traité, aux pays d'Europe centrale et orientale et que nous devrons nous mettre d'accord ensemble sur un calendrier et sur des critères permettant de mesurer les progrès des uns et des autres dans la convergence. Par exemple, la Pologne, pour participer à l'Union européenne, aura à adapter toute sa législation économique. Pour que les conditions de concurrence soient égales entre nous, nous avons eu besoin en effet d'adopter environ 300 lois européenne communes. Nous allons donc vérifier, nous allons comparer l'état de vos législations nationales avec l'état de la législation européenne pour voir quelles sont les modifications de vos lois qui sont nécessaires pour les rendre compatibles avec la nôtre. Il y a là un travail important, en particulier pour les Parlements nationaux des pays concernés.

Cette démarche permettra de donner des repères, unie perspective, un calendrier, à vos politiques économiques internes. Ainsi, les gouvernements, les majorités politiques au pouvoir dans chacun des pays d'Europe centrale et orientale pourront se situer, se définir par rapport à cette perspective et, même si à la faveur des élections, des changements de majorité interviennent, le cap pourra être maintenu si naturellement les peuples concernés le souhaitent, de la même manière que lorsqu'il y a eu en France un changement de majorité politique, aux Pays-Bas, en Grèce, la politique économique tendant à se rapprocher de l'Union monétaire a été poursuivie. Cet engagement évite des retours en arrière.

Quatrième principe, ce que j'appelle la période des fiançailles. Au fond, nous sommes d'accord pour un mariage, pour constituer ensemble une grande famille. Mais nous savons aussi, pour les raisons que je viens de rappeler, que nous aurons besoin d'une période intermédiaire. Nous devons essayer pendant cette période intermédiaire de multiplier les échanges et de nous préparer à l'adhésion proprement dite, à la constitution de la famille. Que pourra comporter ce contrat de fiançailles ?

D'abord, il faut améliorer ce qui existe, en particulier en matière commerciale et en matière d'assistance financière. En matière commerciale, il y a maintenant six pays d'Europe centrale et orientale qui ont passé des accords d'association, dits accords européens, accords de préférence commerciale qui doivent mener au libre-échange avec l'Union européenne. Des accords du même genre sont en cours de négociation avec les pays baltes et avec la Slovénie. Nous sommes tout à fait d'accord pour considérer qu'il faut les améliorer.

Dans un premier temps, ces accords ont profité davantage à l'Union européenne qu'aux pays bénéficiaires. Les exportations de l'Union vers les pays bénéficiaires ont triplé pendant que les exportations des pays d'Europe centrale vers l'Union ont doublé. Nous constatons que cela représente quand même un avantage important pour les pays d'Europe centrale puisque dans les quatre années qui ont suivi leur ouverture vers l'Ouest, leurs exportations en direction de l'Europe des Douze ont augmenté de 83 %, alors que leurs exportations dans la même période ont régressé de 10 % vers les États-Unis, de 18 % vers le Japon et de 37 % vers le Canada. Si, pendant les premières années, le déficit dans les échanges a été au détriment de l'Europe centrale, je constate que dans le cas par exemple des relations commerciales entre les France et la Pologne, pour les six premiers mois de cette année, les exportations polonaises ont augmenté de 20 %, les importations polonaises ont augmenté de 18,5 % et donc nos échanges se rapprochent maintenant de l'équilibre. Tant mieux, mais cela doit nous inciter à faire encore mieux. Cet après-midi avec M. le Ministre Saryusz-Wolski, nous avons regardé ce qu'en matière agricole nous pouvions faire, en particulier à la suite de l'accord de l'Uruguay round, en matière textile, à travers le trafic de perfectionnement passif ou en matière de mise en œuvre des instruments de politique commerciale, de manière à éviter que des importations subitement très fortes qui peuvent déséquilibrer la marché d'un produit donné chez nous, ne donne pas lieu à une guerre commerciale mais au contraire à un traitement concerté.

Deuxième domaine où nous pouvons faire mieux, l'assistance financière La aussi le résultat déjà obtenu est important. Il y a maintenant quatre ans que le groupe des vingt-quatre pays les plus industrialisés a décidé d'aider à la transition démocratique en Europe centrale. Sur ces vingt-quatre pays, la Communauté européenne assure 60 % de l'aide financière à l'Europe centrale. C'est bien, mais il faut faire mieux. Il faut rendre les conditions d'attribution de l'aide plus souples et il faut augmenter l'aide de manière à ce qu'elle soit mieux adaptée aux besoins de ces pays. En même temps, nous devons dès maintenant, sans attendre l'adhésion, faire bénéficier les pays d'Europe centrale et orientale de certains programmes communautaires, jusqu'à présent limités aux Douze. Les Douze se sont mis par exemple d'accord, il y a six mois à Corfou, pour définir un grand réseau de communication – chemin de fer et autoroutes – européen. Il faut dès maintenant préparer la continuation de ce réseau de manière à ce qu'il couvre l'ensemble du continent et non seulement sa partie occidentale. De la même manière, en matière de programme de recherche, nous allons consacrer des sommes importantes, de l'ordre de 12 milliards d'écus sur 4 ans, à un programme-cadre de recherche européen. Il faut que vos industries, vos laboratoires, puissent bénéficier de ce programme dans des conditions comparables à celles des nôtres.

Parmi les éléments aussi du contrat de fiançailles, devrait figurer à notre sens un encouragement à ce qu'on appelle la coopération régionale. Il est en effet souhaitable que, tout en ayant des relations de plus en plus développées avec nous, les pays d'Europe centrale coopèrent entre eux. Nous allons d'ailleurs nous retrouver dans une situation paradoxale dans quelque temps : c'est que les PECO vont se retrouver chacun dans une situation de libre-échange avec l'Union européenne tout en maintenant des barrières douanières entre eux. C'est une situation assez étrange. Certaines initiatives ont été prises pour remédier à ce paradoxe, notamment l'accord de Visegrad. Au-delà, l'expérience que nous avons connue en Europe de l'Ouest montre que tout ce qui peut être fait pour développer la coopération entre pays voisins va dans le bon sens et en fait accélérera l'adaptation de ces pays à la vie en commun à l'intérieur de l'Union européenne. Nous souhaitons donc qu'il y ait dans le programme PHARE une ligne spéciale d'aide, d'encouragement à la coopération régionale.

Enfin, dans cette période intermédiaire, et je dirai surtout, car c'est un des aspects les plus importants, les pays d'Europe centrale et orientale doivent obtenir les garanties de sécurité dont ils ont besoin.

Le ministre des Affaires étrangères d'Israël, M. Shimon Pérès, un homme qui a le sens de l'humour, confiait quelques jours après la signature de l'accord de paix entre l'OLP et Israël, à quelques-uns d'entre nous : "Quand vous perdez votre ennemi, c'est terrible, parce que vous perdez votre politique étrangère".

Avec la disparition de l'Union soviétique, avec la disparition du communisme, l'Ouest, l'Europe, a perdu un ennemi. Et pourtant, nous avons encore un sentiment d'insécurité. Et pourtant, il y a la guerre aujourd'hui au cœur du continent européen. Et pourtant, il existe en plusieurs endroits des minorités inquiètes de leur sort. Il existe des États inquiets de la loyauté des minorités qui vivent chez eux. Cela pose d'autant plus de problèmes que ces minorités sont souvent transfrontalières, sont souvent situées dans plusieurs pays voisins. Il existe aussi des frontières qui ne sont plus internationalement garanties. Car, au moment de la signature de l'acte d'Helsinki en 1975, tous les États qui existaient à l'époque en Europe avaient reconnu les frontières de l'époque, mais l'explosion de l'Union soviétique, de la Fédération tchécoslovaque, de la Fédération yougoslave, a remis en question cette reconnaissance internationale. Nous vivons donc sur un continent qui est plus instable, qui est dangereux. Et l'on comprend que les pays qui sont situés au cœur de ce continent, parfois à côté de grands voisins eux-mêmes instables, aient besoin de garanties de sécurité.

Le France considère que la sécurité du continent dans la période actuelle exige la mise en place d'un véritable système comportant plusieurs éléments, d'abord la recherche d'accords de bon voisinage entre pays européens, en particulier les pays qui sont concernés par les problèmes de minorités. C'est dans cet esprit qu'a été proposée la conférence de stabilité qui doit déboucher au printemps prochain sur an pacte de stabilité en Europe, et qui se déroule actuellement à travers le travail de deux groupes de négociation appelés "tables régionales de négociation", la table baltique pour les pays du nord et la table d'Europe centrale.

En outre, nous considérons bien entendu que les alliances qui subsistent, l'Alliance atlantique, américaine et européenne, l'UEO, qui rassemble les Européens, ont leur rôle à jouer, un rôle important, dans la sécurité du continent européen aujourd'hui. D'où la mise en place par l'Alliance atlantique du Partenariat pour la Paix et l'ouverture de l'UEO à l'ensemble de l'Europe centrale et orientale à travers le statut particulier d'associé-partenaire. À l'initiative du Premier ministre français, l'UEO avec ses nouveaux associés-partenaires va élaborer un livre blanc sur la sécurité de l'Europe. Tous ensemble, et seuls d'ailleurs au sein de cette enceinte, les Européens s'interrogeront sur la sécurité, sur les dangers qui pèsent sur nous, éventuellement sur les menaces, et à partir de ce diagnostic commun, nous préparerons la politique de défense commune que nous mettrons en œuvre lorsque nous serons tous réunis dans l'Union européenne.

À ce système de sécurité, il faudra ajouter aussi un nouvel accord sur le désarmement conventionnel en Europe, sur la maîtrise des armements. C'est un point important pour réduire les tensions. Nous sommes en train d'appliquer actuellement des traités qui ont été mis au point en matière de contrôle du niveau des armements conventionnels à la fin de la guerre froide, dans la logique de la guerre froide, dans lesquels par exemple les armes à la disposition de l'armée polonaise ont été comptabilisées comme des armes hostile, à la France, et réciproquement. Nous sommes naturellement aujourd'hui, Dieu merci, dans une situation politique complètement différente et nous devons donc mettre à jour les traités de désarmement de façon à les adapter à la nouvelle donne de la sécurité européenne.

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques éléments de ce que j'ai appelé la doctrine française pour l'Europe centrale et orientale. Je dis doctrine française, en réalité je crois que ces principes sont très largement partagés par nos partenaires. Nous souhaitons pouvoir les mettre en œuvre et commencer dès maintenant, à la faveur de la présidence allemande de l'Union européenne et du Conseil européen qui aura lieu dans 15 jours, et pendant la présidence française puis la présidence espagnole qui suivront immédiatement.

J'achèverai et je conclurai par un mot sur la Pologne, sur notre chère Pologne, Monsieur le Ministre. Un mot pour vous remercier vous-même et tous nos amis polonais de votre hospitalité d'aujourd'hui. Je voudrais dire devant les jeunes Polonais ici présents mais aussi ces jeunes qui viennent de toute l'Europe que lorsqu'on vient ici à Varsovie, on ne peut être que très impressionné par les résultats obtenus par la Pologne. Ces résultats ont été obtenus par la combinaison, d'abord d'un très grand courage dans la définition des réformes – qui aurait cru il y a 4 ans 4 la réussite de la thérapie de choc polonaise ? – et de la persévérance. Plusieurs gouvernements se sont succédés dans votre pays depuis 4 ans, mais la ligne générale de la politique économique, de l'engagement européen, également de la recherche de la participation euro-atlantique, cette ligne générale a été poursuivie avec constance.

Le peuple polonais a courageusement suivi, il s'est prêté a des transformations gigantesques qui ont eu des conséquences considérables dans la vie personnelle de beaucoup d'hommes et de femmes. Il a manifesté parfois son inquiétude, sa colère, il l'a montré a l'occasion des élections, il y a eu des changements politiques, mais pourtant le cap a été maintenu. La croissance atteint maintenant un niveau qui représente le ruban bleu sur le continent européen, en particulier pour la production industrielle, et malgré une note négative, importance du taux d'inflation, on peut dire que les principaux clignotants de l'économie polonaise sont maintenant bien orientés.

Si cette politique est maintenue, si elle réussit également dans les pays voisins, qui contribuent à porter la croissance polonaise, je considère que ce pays a tous les atouts pour être un des "dragons" de l'Europe. Cette image symbolise une économie extrêmement dynamique dans laquelle les jeunes ont pris le pouvoir : jeunes chefs d'entreprises, jeunes journalistes, jeunes créateurs dans tous les domaines y compris dans le domaine culturel, une économie d'un pays qui a faim de réussite.

Je voudrais vous féliciter, vous encourager à continuer et vous dire que la France sera auprès de la Pologne, sera auprès des pays d'Europe centrale et orientale, dans la période très cruciale que nous allons vivre et qui marquera une étape très importante pour nos relations.

Il y a toujours eu entre la France et la Pologne une relation privilégiée qui relève de l'ordre des sentiments et pas seulement des intérêts communs.

L'histoire, la grande histoire, a voulu aussi que, à la fin du XVIIIe siècle, la France soit le théâtre et donc l'auteur d'une première révolution de liberté, la grande histoire a voulu qu'à la fin du XXe siècle, ce soit la Pologne qui soit l'auteur d'une nouvelle grande révolution de la liberté qui a secoué le monde entier.

Je souhaite que la France et la Pologne soient à l'avenir les deux piliers de la grande Europe de la liberté !


25 novembre 1994
DPIC – Bulletin quotidien

Mesdames, Messieurs,

J'effectue aujourd'hui à Varsovie une visite officielle à double titre ; en tant que ministre français aux Affaires européennes et en tant que représentant du Conseil des ministres de l'Union européenne.

J'ai rencontré notamment le Président Walesa, le ministre des Affaires étrangères, M. Olechowski, et le Plénipotentiaire du gouvernement pour l'Intégration européenne, M. Saryusz-Wolski. J'ai eu également des entretiens à la Diète et au Sénat.

Vous savez que la France va présider l'Union européenne pendant la première moitié de 1995 et j'ai indiqué aux dirigeants polonais que nous souhaitions pendant cette période pouvoir préciser le calendrier, les critères et les modalités d'adhésion de la Pologne et des pays d'Europe centrale à l'Union européenne.

Pour prendre une comparaison, une image, nous avons décidé de nous marier. Nous devons donc préciser les conditions du mariage et en même temps organiser la période de fiançailles qui est devant nous. Pendant cette période intermédiaire, cette période de fiançailles, nous voulons à la fois développer nos relations et préparer l'adhésion.

Il faut développer nos relations commerciales. Nous avons en cours un important accord d'association et nous avons vu avec M. Saryusz-Wolski comment améliorer certains points, notamment à la suite de la signature de l'Uruguay round, en matière agricole et notamment en matière de litiges antidumping.

Cet accord commercial a permis un développement spectaculaire des relations entre nos deux pays, dans un premier temps au profit de la France. Maintenant les échanges se rééquilibrent, avec une augmentation de 30 % des exportations polonaises vers la France au premier semestre 1994.

Après le commerce, nous devons développer l'aide financière de l'Union européenne à la Pologne. Nous sommes d'accord pour modifier, améliorer ce qu'on appelle le programme PHARE et pour augmenter le montant de l'aide.

Enfin, nous voulons développer aussi nos relations politiques. Vous savez qu'une première réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union et des pays d'Europe centrale a eu lieu, il y a un mois, à Luxembourg.

Pendant sa présidence, la France a l'intention d'organiser chaque mois une réunion au niveau ministériel entre l'Union européenne et les pays d'Europe centrale. Les ministres des Affaires étrangères, les ministres de l'Industrie, les ministres de l'Agriculture, les ministres de la Recherche, les ministres de la Justice, auront ainsi l'occasion de se rencontrer de façon à développer nos relations et à préparer l'adhésion.

J'achèverai en indiquant que j'ai été très favorablement impressionné par l'image que donne aujourd'hui la Pologne. La réforme économique se poursuit, le taux de croissance est très élevé, l'investissement est très élevé et traduit la modernisation du pays. Si la politique de réforme est maintenue et si elle continue à ce rythme, la Pologne a tous les atouts pour devenir un "dragon" de l'Europe.

Q. : Vous indiquez que vous souhaitez multiplier les rencontres au niveau ministériel entre l'Union et les PECO, mais les représentants de ceux-ci ne seront pas invités au sommet d'Essen. N'est-ce pas un peu contradictoire ? Quelles sont les raisons pour lesquelles la Pologne n'est pas invitée à Essen ?

R. : Je ne le sais pas. Je n'ai pas la réponse à votre question. Nous l'avons appris comme vous. C'est une décision qui dépend de la seule présidence. Ce que je peux vous dire ou répéter, c'est que la France pour sa part a l'intention d'associer la Pologne et les pays d'Europe centrale au moins une fois par mois à toutes les réunions ministérielles qui auront lieu sous sa présidence.

Ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que sur le plan des principes, la possibilité pour la Pologne d'entrer dans l'Union européenne est acquise. Naturellement, la décision même dépendra du peuple polonais et des États membres quand nous aurons un traité. Ce que j'ai dit au Parlement polonais, c'est que nous y travaillons dès maintenant. Nous avons donc dépassé le stade des questions de principe. Par exemple, nous étudions dès maintenant ce que veut dire l'adhésion en matière agricole et en matière de rapprochement des législations, parce que le grand marché européen est régi par environ 300 lois sur la concurrence, sur les normes techniques, sur les aides publiques aux entreprises, sur la protection de la propriété commerciale, etc., et que la Pologne aura donc à adapter ses lois nationales à cette législation communautaire. C'est donc pour nous un travail quotidien dès maintenant.

Q. : Étant donné que les négociations entre la Pologne et l'Union européenne durent depuis longtemps et qu'on a déjà parlé aussi bien du calendrier que des critères, est-ce que quand vous parlez de période de fiançailles, cette période de fiançailles n'est pas en quelque sorte déjà derrière nous ?

R. : Nous avons déjà depuis 4 ans maintenant noué des relations privilégiées avec la Pologne. Le passage à l'intégration de la Pologne pose des problèmes très différents de ceux que nous avons connus jusqu‘à maintenant et extrêmement complexes. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Pour prendre un exemple, en politique économique interne, la privatisation de toute l'industrie polonaise ne peut pas se faire du jour au lendemain.

Il y a des choses qui dépendent de la Pologne et des choses qui dépendent de l'Union européenne. Parmi les choses qui dépendent de la Pologne, il y a l'adaptation des lois nationales aux lois européennes et donc il y aura un travail législatif considérable à faire par le Parlement polonais.

Parmi les choses qui dépendent de l'Union européenne, il y a l'adaptation des institutions de l'Europe. Au fond, l'Union européenne est comme une maison qui est actuellement habitée par douze membres et qu'il va falloir transformer pour en héberger vingt ou trente. Nous devons par exemple adapter notre système de décision au Conseil des ministres européen. Aujourd'hui, il y a encore certaines décisions que l'on ne peut prendre qu'à l'unanimité. L'unanimité, il était facile de la trouver quand nous n'étions que six, mais quand on est vingt ou vingt-cinq autour d'une table, il n'y a aucune chance de trouver l'unanimité. Nous avons prévu un grand rendez-vous en 1996 pour adapter l'architecture de la maison européenne et naturellement nous associerons les futurs habitants à la conception de cette architecture.


5 octobre 1994
National Hebdo

LE PEN : "Halte à la désintégration française"

Charles Pasqua vient d'inaugurer une grande mosquée à Lyon, pendant que des lycéennes de plus en plus nombreuses portent le voile. Quoi de plus normal que de pratiquer sa religion ? Le drame est que l'islam a une composante sociale et politique, et que des intérêts étrangers manipulent des masses de plus en plus nombreuses sur notre sol. Charles Pasqua s'apprête à accueillir les "intellectuels" menacés par le FIS. Quoi de plus sacré que le droit d'asile ? Le drame est qu'on donne ainsi la main à d'anciens tueurs et qu'on ouvre le sol français à la guerre civile. Derrière des simulacres de débat sur la liberté de conscience et la solidarité se monte une opération en tenaille contre l'identité française, au moyen d'une immigration encore pacifique (pour combien de temps), cheval de bataille du mondialisme.

N. H. : Quelle est la portée de ce que l'on nomme les "incidents de banlieue ?" Croyez-vous que les médias les minimisent ?

Jean-Marie Le Pen : Il est tout à fait certain que les médias les minimisent. Ils suivent en cela une consigne générale qui porte à la fois sur l'énumération des faits, l'appréciation qu'on en fait, leur signification. Je vous en rappelle un seul exemple : le mot "jeunes" tend à masquer que, dans l'immense majorité des cas, les "incidents" sont le fait d'immigrés, jeunes ou autres. Tant et si bien que l'on apprend parfois qu'un "jeune" a 48 ans et qu'il est clandestin. Il y a une volonté très nette de l'Établissement de cacher aux Français la vraie nature des "incidents de banlieue".

Q. : Alors qu'on leur donnait naguère pour cause des présumées "bavures policières", plusieurs sociologues partent maintenant "d'une guerre de clans à l'américaine", que vous redoutiez dès 1987. Peut-elle s'étendre ? Craignez-vous un embrasement général ? De quelles forces dispose l'État pour s'y opposer ?

R. : La présence d'étrangers inassimilés parce que non assimilables, compte tenu de leur nombre, constitue un danger mortel pour l'État et les citoyens. La sécurité, première des libertés pour les citoyens, n'est plus assurée, d'où un stress permanent pour les plus faibles qui ne sont pas capables de se défendre, qu'on dissuade de se défendre, et qu'on sanctionne s'il leur prend la fantaisie de se défendre. Hélas, cette tendance s'accentue, et je ne pense pas que l'on puisse faire face demain à une situation à la libanaise qui pourrait en résulter. Je ne dis pas que c'est forcé, mais c'est possible. Et je crois qu'il est du devoir de l'État de se donner, dans cette hypothèse, les moyens politiques, policiers et même militaires d'y répondre – ce dont il est incapable aujourd'hui. J'ajoute que la présence chez nous d'immigrés ouvre aux pays dont ils sont originaires une sorte de "droit d'ingérence" qui affaiblit considérablement notre indépendance.

Q. : Y a-t-il "quatre cents quartiers chauds" comme le prétendent les médias, ou bien n'importe quelle banlieue d'immigration peut-elle demain basculer ?

R. : N'importe quelle banlieue d'immigration peut basculer à propos de n'importe quel événement susceptible d'une répercussion médiatique provocatrice. Cela est aggravé par deux facteurs techniques particulièrement sensibles en région parisienne : 1) comme en 68 déjà, l'extrême stupidité des informations, radios ou télévisées. 2) l'extrême mobilité des "jeunes" grâce aux moyens de transport.

Q. : Libération parle du "plan secret du gouvernement" pour accueillir les "réfugiés d'Algérie". Cela aussi vous l'annonciez depuis longtemps. Croyez-vous que l'afflux massif de réfugiés influera sur la situation déjà existante ?

R. : Elle peut agir ou renforcer le volume d'étrangers et constituer un élément supplémentaire de conflit entre les communautés algériennes ; et entre les communautés musulmanes. Les bruits se multiplient à tous les niveaux, sur une vaste opération de réception de masse par Charles Pasqua.

Q. : Comment apprécier alors ses déclarations de guerre à l'islamisme ?

R. : Cette contradiction est claire comme le jour. La lutte proclamée de ce fier-à-bras contre le prétendu islamisme sert à justifier l'appui donné au FLN, dont les gaullistes sont les amis – et les obligés – de toujours. Cela risque bien évidemment de déboucher sur une double guerre civile algéro-algérienne en France et en Algérie. Et cela n'a rien de nouveau. On a connu cela pendant la guerre d'Algérie entre le MNA et le FLN. J'ai vu personnellement, à l'époque, des patrouilles du FLN avec leur brassard dans les rues du XVe arrondissement de Paris. On leur avait concédé le pouvoir de faire la loi parmi leur communauté. Nihil novi sub sole.

Q. : Quelles mesures d'urgence préconise le FN ?

R. : 1) Inverser le courant de l'immigration. 2) Refuser tout réfugié. Même si leur situation est tragique, elle est de leur fait, elle procède de leur dictature. Ils sont victimes de procédés dont ils ont usé contre les Français et les musulmans fidèles à la France. D'ailleurs, s'ils veulent fuir, pourquoi ne choisissent-ils pas des pays limitrophes ou bien les parangons des droits de l'homme que sont les États Unis, ou le Canada ou l'Australie ?

Q. : Si le FIS prend le pouvoir, comment peut-on l'aider à rapatrier ses nationaux ?

R. : À partit du moment où l'on aura affaire à un gouvernement démocratiquement désigné, il deviendra ,plus facile de parler qu'avec une dictature militaire FLN. Le FIS professe sa volonté de respecter ses concitoyens. S'il devait revenir sur ses engagements, étant donné que l'Algérie vit sur les accords économiques qu'elle a passés avec la France, nous ne manquons pas de moyens de coercition pacifiques et légitimes. Mais je préfère envisager d'abord la négociation et la bonne entente entre gouvernements légitimes. ll faut comprendre que, si nous ne voulons pas d'islamisme en France, nous n'avons rien contre l'islam dans son aire de civilisation.

Q. : Précisément : quid la grande mosquée de Lyon ?

R. : La question qu'elle pose n'est pas la pratique d'une religion minoritaire et récente en France, mais celle de l'implantation d'une influence étrangère, grâce aux moyens financiers de l'Arabie Saoudite, et des islamistes. Je me résumerai d'une phrase : oui à la liberté de conscience, non à la conquête religieuse et culturelle.

Q. : Conquête ? Une des querelles qui vous sont faites tient au nombre des immigrés : y a-t-il un moyen de quantifier l'invasion en cours ?

R. : M. Barreau a évalué à dix millions le nombre d'étrangers entrés en France en 30 ans. Et ce n'est pas moi qui ai dit que avant la fin du siècle l'Ile-de-France sera majoritairement étrangère, c'est un haut fonctionnaire socialiste. J'observe qu'on dégonfle chaque année le nombre d'étrangers de ceux qui acquièrent, de façon purement formelle, la nationalité française. Alors, qui empêche un véritable dénombrement des étrangers ?

Q. : Que pensez-vous de l'évolution du mot "intégration" depuis la guerre d'Algérie ?

R. : C'est assez gag. L'objectif des partisans de l'Algérie française était l'intégration, celle de l'Algérie à la France, et celle des populations à la communauté française. C'était un objectif noble et légitime dans la mesure où les départements d'Algérie étaient français, et où les musulmans étaient victimes d'une discrimination raciste depuis le décret Crémieux qui avait accordé la nationalité française aux seuls autochtones israélites. Mais aujourd'hui l'intégration ne peut-être qu'un geste de volonté individuelle : il faut que l'impétrant souhaite devenir français, en fasse la demande, et soit accepté par la communauté nationale. Ces choses-là ressemblent au mariage, et il est clair, quelles qu'en fussent les circonstance, que les référendums de séparation ont été massifs en 1962. Les peuples algérien et français n'ont pas voulu vivre ensemble. Aujourd'hui, je souhaite qu'ils entretiennent les meilleurs rapports possibles, mais dans le cadre d'une relation ordinaire d'État à État.

Q. : Quelle est l'importance des "foulards" ? En particulier, comment jugez-vous les tribunaux administratifs qui déjugent l'Éducation nationale ? Les corps constitués ne se liguent-ils pas avec le pouvoir politique pour désintégrer la République ?

R. : Nous sommes effectivement en période de désintégration plutôt que d'intégration. L'autorité n'est plus respectée, les tribunaux se prononcent à l'encontre des lois. Cela constitue un épisode de la grande guerre entre mondialistes et nationalistes, entre patriotes et cosmopolites.

Q. : Croyez-vous qu'un appel solennel du président du FN au pays arabes et aux activistes musulmans, pourrait hâter le retour dans l'ordre d'une bonne part d'immigrés dans leur pays ?

R. : Si j'étais au pouvoir, oui. Ce genre d'initiative est d'ailleurs à notre programme. Dans le respect de la justice, et la dignité de tous. Nous n'avons rien contre l'islam, mais on ne peut intégrer quelqu'un, même individuellement, si notre pays, notre civilisation, n'exercent pas sur lui une attraction forte. Être citoyen suppose des droits et des devoirs, qui signifient que l'on veut vivre ensemble, alors qu'aujourd'hui beaucoup d'immigrés ne viennent chez nous que pour profiter de certains avantages. Par aveuglement ou idéologie, nous accumulons tranquillement les conditions du désordre et de l'affrontement. C'est une sottise mortelle.

Propos recueillis pur Muriel PLAT