Texte intégral
Interview du ministre délégué aux Affaires européennes, M. Alain Lamassoure, au « Journal du Dimanche » (Paris, 1er janvier 1995)
Q. : Aujourd'hui, la France prend la présidence de l'Union européenne. Pour quoi faire ?
R. : Nous avons trois objectifs. Nous attendons que l'Europe contribue mieux à la création d'emplois et au soutien de l'économie, notamment avec l'ouverture de quatorze grands chantiers, dont quatre concernent directement la France. Dès 1995 s'ouvre le chantier du TGV-Est qui offrira 20 000 emplois pendant dix ans. Avant 1996, trois autres chantiers démarreront : les liaisons TGV Lyon-Turin et Paris-Madrid par l'Est (Montpellier-Barcelone) et l'Ouest (Bordeaux).
D'autre part, nous voulons que l'Europe contribue à la paix et à l'équilibre sur le continent européen lui-même. Cela signifie la poursuite du plan d'action européen en Bosnie et de la conférence de stabilité en Europe. Cette conférence – une idée d'Édouard Balladur – devrait s'achever en mars 1995 sur un pacte où les États confirmeront la stabilité des frontières existantes et garantiront les droits de minorités.
Enfin la présidence française sera marquée par la mise en place de relations privilégiées avec de grands partenaires voisins : monde méditerranéen et Afrique. Une conférence Europe-Méditerranée se tiendra dans la seconde moitié de l'année. C'est aussi sous notre présidence que vient à renouvellement la Convention de Lomé liant l'Europe et l'Afrique. Nous avons deux objectifs : maintenir la priorité africaine dans la politique européenne de développement et introduire une conditionnalité politique dans cette aide.
Q. : En passant aujourd'hui de douze à quinze pays, l'Europe ne s'affaiblit-elle pas ? Vous ralliez-vous au projet de la CDU allemande d'une Europe à deux vitesses ?
R. : L'Europe à quinze n'est pas plus faible, au contraire. Elle est plus riche car l'Autriche, la Finlande et la Suède sont plus riches que la moyenne des douze pays ; cela allégera d'autant les contributions des pays membres, donc des Français. Elle sera aussi plus homogène jusqu'alors, deux pays n'acceptaient pas toutes les règles : la Grande-Bretagne refuse la politique sociale et l'union monétaire, comme le Danemark.
Nous devons commencer à préparer l'élargissement futur aux pays de l'Europe centrale et orientale. Or nous vivons encore sous des procédures mises au point pour un Marché commun de six pays, peu adapté pour faire vivre l'Union européenne à douze ou à quinze, inadapté pour faire fonctionner une union politique de 25-30 États. Nous pensons, comme nos amis allemands, qu'il faut à la fois être capables d'élargir l'Union européenne à ces nouveaux pays et permettre, parmi les membres actuels, à ceux qui veulent aller plus loin et plus vite de le faire sans attendre les retardataires. L'union économique et monétaire se fait. Ce qui se passe notamment en Bosnie montre que l'Europe a besoin d'une politique commune, y compris militaire. C'est la grande question que nous poserons à nos partenaires, en particulier à nos amis allemands, à la conférence inter-gouvernementale de 1996.
Q. : Jacques Delors ayant renoncé à se présenter, quel est le candidat, déclaré ou potentiel, qui défendra le mieux l'Europe dans la campagne présidentielle ?
R. : Nous verrons quand celle-ci sera ouverte. Mais il est indispensable que chacun présente ses grands choix européens. La première tâche du Président élu en mai par les Français sera de présider le Conseil européen de Cannes, qui va conclure les six mois de présidence française, et de définir les orientations de la France pour la grande négociation de 1996.
RTL : lundi 2 janvier
J.-P. Defrain : La France préside l'Union européenne depuis hier, et durant six mois. C'est un moment historique puisqu'elle ne présidera plus pendant au moins huit ans, c'est cela ?
A. Lamassoure : Oui, puisque la présidence tourne tous les six mois, nous sommes maintenant quinze pays, depuis hier, l'Autriche, la Suède, la Finlande nous ont rejoints, et donc la prochaine présidence française sera vers 2002.
J.-P. Defrain : Aujourd'hui, un Président pro-européen, F. Mitterrand, en mai prochain un autre président de la République qui n'aura peut-être pas les mêmes idées sur l'Europe. Bref, à Bruxelles, certains de nos partenaires estiment qu'il ne faut pas attendre d'initiative majeure de la France ?
J.-P. Defrain : Ce calendrier a un mauvais côté qui est que la France va assumer la présidence à un moment où elle sera en période électorale. Pour essayer de limiter les conséquences négatives de ce phénomène, nous nous sommes coordonnés avec le pays qui assurait la présidence avant nous, l'Allemagne, qui d'ailleurs s'est trouvé dans la même situation, et le pays qui assurera la présidence après nous, l'Espagne, de manière à ce que le calendrier de travail soit adopté en commun. Je crois que nous y sommes bien parvenus. Ce calendrier a par contre un avantage qui est que c'est pendant cette période que les Français vont avoir à choisir leur président de la République, et donc que les candidats à la présidence devront présenter leur programme pour l'Europe.
J.-P. Defrain : Doit-on réétudier Maastricht ?
A. Lamassoure : Rendez-vous a été pris en 1996 pour mettre à jour le Traité de Maastricht. La première chose qu'aura à faire le Président que les Français vont élire en mai, sera de présider, au nom de la France le Conseil européen qui est prévu à Cannes à la fin du mois du juin, et qui devra donner des orientations pour préparer ce rendez-vous de 1996, où nous devons faire deux choses : adapter les institutions européennes à un nombre de membres qui va s'accroître encore, car nos institutions ont été conçues pour faire fonctionner ce que l'on appelait le marché commun. On n'a pas changé les institutions alors que l'on est devenu Douze, et nous voulons maintenant bâtir une union politique, à l'échelle du continent, qui donc pourra accepter une trentaine de membres.
J.-P. Defrain : Ce sont les grandes idées mais on connaît les dossiers qui préoccupent les Français, l'emploi, la sécurité. Vous croyez que les Français se font encore des illusions sur ces thèmes ?
A. Lamassoure : Je crois que 1994 aura été l'année qui aura vu le retour de la croissance. Nous sommes sortis de la crise économique en 1994. Et il faudrait en 1995 se fixer trois objectifs qui correspondent aux objectifs de la présidence française. Faire en sorte que 95 soit l'année du retour à la création d'emplois, du retour à la paix sur le continent européen, en Bosnie et ailleurs, et que ce soit l'année d'une redéfinition des relations entre l'Europe et le bassin méditerranéen.
J.-P. Defrain : Ce sont des vœux ?
A. Lamassoure : Ce sont des objectifs politiques. Qu'est-ce qu'il y a derrière concrètement ? Retour à la création d'emplois. Nous avons défini l'année dernière un programme de grand réseau de communication européen, quatorze chantiers. Quatre de ces chantiers, des TGV, concernent la France.
J.-P. Defrain : Mais ça crée combien d'emplois ?
A. Lamassoure : Prenons un exemple concret, le TGV Paris-Strasbourg-Europe centrale, c'est 20 000 emplois pendant dix ans. Et il y a trois autres chantiers de ce genre. Deuxième exemple, pour la paix sur le continent européen, nous poursuivons nos efforts pour le plan de paix en Bosnie-Herzégovine et au-delà.
J.-P. Defrain : Des efforts qui sont vains ?
A. Lamassoure : Un cessez-le-feu a été signé hier pour quatre mois et parallèlement nous travaillons au règlement politique parce que cesser le combat est une chose mais parvenir à un règlement politique acceptable par l'ensemble des communautés en guerre est évidemment nécessaire pour consolider la paix. Et au-delà, étant donné que ces problèmes de minorité ou de frontières contestées peuvent se poser ailleurs en Europe centrale, nous avons lancé l'année dernière une conférence sur la stabilité en Europe qui va déboucher en mars prochain sur un pacte de stabilité à travers lequel tous les pays concernés se mettront d'accord pour un règlement des problèmes de minorités.
J.-P. Defrain : Comme l'a dit F. Mitterrand, il faudra beaucoup d'énergie et d'enthousiasme pour faire avancer les dossiers ?
A. Lamassoure : Nous n'en manquons pas. Le troisième objectif, ce sont les relations avec la Méditerranée. Ce qui s'est passé en Algérie il y a quelques jours, nous incite à faire plus.
J.-P. Defrain : L'Europe ne doit-elle pas venir en aide à certains pays en proie aux attentats ?
A. Lamassoure : Il faut que nous aidions davantage ces pays et il faut que l'aide que nous leur accordons soit à la fois plus importante, plus efficace en matière économique et qu'elle ait une conditionnalité politique. Pendant la présidence allemande, nous avons redéfini nos relations avec les pays d'Europe centrale et orientale qui ont vocation à rejoindre l'Union européenne, nous devons, pendant la présidence française, redéfinir nos relations avec l'ensemble du bassin méditerranéen. La Méditerranée a connu l'année dernière un événement positif considérable, le processus de paix entre Israël et les Palestiniens. Elle a connu aussi des tensions très graves, notamment en Algérie.
J.-P. Defrain : C'est surtout ce qui s'est passé entre la France et l'Algérie ?
A. Lamassoure : C'est pourquoi ce que nous voulons faire pendant la présidence française, c'est proposer à tous les pays riverains de la Méditerranée un cadre de coopération euro-méditerranéen comportant à la fois une aide financière, des relations commerciales privilégiées et un dialogue politique.
J.-P. Defrain : E. Balladur autorise désormais les membres de son gouvernement à parler, donc, souhaitez-vous qu'il y ait un candidat de l'UDF ?
A. Lamassoure : Je souhaite que les idées de l'UDF soient dans la présidentielle et l'UDF décidera de ce qu'elle fait. Pour ma part, je jugerai en fonction des programmes européens des uns et des autres.
J.-P. Defrain : Ça veut dire qu'un candidat UDF peut se présenter ?
A. Lamassoure : S'il le souhaite et si l'UDF souhaite le soutenir. C'est la responsabilité des partis politiques. Je jugerai en fonction des programmes européens des uns et des autres étant donné que nous devrons, en 1996, avoir une Europe profondément modifiée, j'ai parlé d'un nouveau pacte fondateur pour l'Europe, capable d'accueillir de nouveaux membres, d'être plus efficace, plus démocratique et d'ajouter à la dimension économique et monétaire déjà acquise par le Traité de Maastricht, une dimension diplomatique et militaire. Nous avons parlé de la Bosnie, l'enseignement à tirer de cette crise, c'est que c'est aux Européens de se mêler des affaires du continent. Ils ont besoin pour cela d'une politique étrangère commune et des moyens militaires d'une politique étrangère.
J.-P. Defrain : Lorsque la campagne présidentielle va commencer, certains ministres devront-ils démissionner ? Je pense à ceux qui sont des chefs de parti et qui vont soutenir des candidats qui ne seront pas E. Balladur s'il est candidat.
A. Lamassoure : C'est à chacun de décider de ce qu'il fera.
J.-P. Defrain : Mais comment A. Juppé peut soutenir l'action du gouvernement d'E. Balladur et faire campagne pour J. Chirac ? Le cas peut se poser pour M. Bayrou ?
A. Lamassoure : Vous leur poserez la question. Je ne suis pas chef de parti, je constate simplement que ce problème s'est posé en 1988 et que personne n'a démissionné. Et dans les grands domaines de l'action de l'État, je pense que la continuité n'a pas été mise en cause par cette situation.
J.-P. Defrain : Est-ce que le ministre A. Lamassoure estime qu'E. Balladur doit faire connaître sa décision rapidement afin de clarifier les choses ?
A. Lamassoure : Je crois qu'il a annoncé qu'il se prononcerait en janvier, ça me paraît un bon calendrier.
J.-P. Defrain : Et vous souhaitez qu'il se présente ?
A. Lamassoure : Je crois que personne ne comprendrait qu'il ne se présente pas compte tenu de la réussite de ce qu'a été sa politique économique et sa politique européenne depuis deux ans.
J.-P. Defrain : Que pensez-vous des bisbilles au sein de la majorité ?
A. Lamassoure : J'espère que maintenant que nous sommes arrivés dans la phase préélectorale, les choses vont se clarifier et que la majorité sera en ordre, de manière à arriver à cette échéance dans de bonnes conditions et surtout, que les Français auront devant eux un choix clair et que les options nationales, européennes, internationales des uns et des autres permettront aux Français de se décider en toute connaissance de cause.
J.-P. Defrain : Dans quel état sera la majorité après les présidentielles ?
A. Lamassoure : Elle sera unie derrière le vainqueur.
J.-P. Defrain : Vous êtes optimiste !
Le Figaro : 4 janvier 1995
Le Figaro : L'élargissement aux pays d'Europe de l'Est n'a pas toujours réuni un consensus au sein de l'Union européenne. Paris souhait notamment que l'on n'« oublie » pas les pays méditerranéens. S'est-il fait entendre ?
Alain Lamassoure : Il n'y a aucun désaccord sur la perspective d'élargissement à l'Europe centrale et orientale. Ni les Allemands ni au fin des Quinze. Il est admis, conformément à ce qui figurait déjà dans le traité de Rome, que l'adhésion à la Communauté européenne est ouverte à tous les pays démocratiques d'Europe centrale et orientale (Peco) depuis la chute du Mur de Berlin.
La stratégie de pré-adhésion a été définie au Conseil européen d'Essen. Elle comporte un volet économique : il passe par la réorientation du programme phare de manière à offrir à ces pays davantage d'aides aux investissements des grandes infrastructures pour combler leur retard. Ce programme doit aussi se fixer pour objectif d'encourager les Peco à coopérer entre eux au plan économique.
Il y a également un volet politique qui consiste à maintenir un dialogue permanent avec les pays de l'Est. Ce qui n'avait pas été fait pour préparer les adhésions de l'Espagne, de l'Autriche, etc. Dès maintenant nous invitons les pays de l'Est associés à l'Union européenne à participer à certaines de nos réunions. Ils ont pris part pour la première fois au niveau de leurs chefs de gouvernement au Conseil européen d'Essen. Pendant la présidence française, il y aura chaque mois des réunions de niveau ministériel avec eux : Conseil des ministres des Affaires étrangères, de l'Économie et des Finances, de l'Agriculture, etc.
D'autre part, à Essen, on a demandé à la Commission européenne d'essayer de mesurer les conséquences pour l'Union européenne mais aussi pour les pays de l'Est, de leur entrée dans l'Union. Cela est particulièrement important dans le domaine agricole et en ce qui concerne les réformes législatives. Celles-ci leur seront nécessaires pour adapter leur législation au cadre juridique du marché unique européen. Nous aurons les premières conclusions de la Commission européenne pendant la présidence française et nous devrons en tirer les conséquences politiques.
Il est vrai par ailleurs que la France insiste, avec l'Espagne et l'Italie en particulier, pour que, parallèlement à cet effort pour préparer l'adhésion de l'Europe centrale, nous développions nos relations avec la Méditerranée. Nous voulons faire de 1995 une grande année méditerranéenne.
Le Figaro : Concrètement, qu'allez-vous faire pour que ce volet Méditerranée se développe en même temps que l'autre dossier qui est déjà très lourd ?
A. Lamassoure : D'abord, nous allons mener à bien les négociations déjà engagées au plan bilatéral avec certains des grands pays méditerranéens. Je pense à un accord d'association d'un nouveau type avec la Tunisie et le Maroc.
Avec la Tunisie, il reste un dernier obstacle à surmonter sur le régime d'importation de l'huile d'olive dans l'Union européenne. Avec le Maroc, les négociations ont été difficiles en particulier sur la tomate et certains produits agricoles, ainsi que sur la pêche.
Le Figaro : N'y a-t-il pas des préalables à la négociation avec le Maroc sur un accord entre ce pays et l'Espagne concernant la pêche ?
A. Lamassoure : Il a fallu d'abord adapter l'accord de commerce que nous avions passé avec le Maroc sur le régime de la tomate à la suite de l'Uruguay Round. Rabat demandait aussi de renégocier de façon prématurée l'accord spécifique sur la pêche. Ces deux préalables sont maintenant levés. Sur la pêche, nous sommes d'accord pour un nouveau régime à compter de mars prochain.
Par ailleurs nous avons bien avancé dans les négociations avec Israël. L'Union européenne a décidé de passer un nouvel accord avec l'État hébreu au titre, notamment, de l'encouragement du processus de paix. Le précédent accord remontait à 1975 à une époque où Israël était handicapé par la situation au Proche-Orient. Nous devrions pouvoir aboutir pendant la présidence française.
Nous allons également ouvrir dès le mois de janvier des négociations en vue de nouveaux accords avec l'Égypte et sans doute avec la Jordanie. Enfin, dernier exemple mais non le moindre, les relations avec la Turquie. Il y a quelques mois nous nous sommes mis d'accord avec les Turcs pour négocier avec eux la constitution d'une union douanière entre l'Union européenne et la Turquie à compter du 1er janvier 1996. Au plan technique nous avons bien avancé et nous espérions pouvoir conclure lors d'une rencontre organisée le 19 décembre dernier. Nous nous sommes heurtés à un veto de nos Partenaires grecs. Une nouvelle rencontre aura lieu avec les Turcs le 7 mars. Nous espérons que d'ici là les Grecs reverront leur position et qu'en même temps, sur les problèmes des droits de l'homme et sur celui de Chypre, la Turquie sera en mesure de faire les efforts nécessaires pour faciliter ses relations avec l'Union européenne.
Au-delà de ces accords bilatéraux en cours de négociation, 1995 devrait être une année d'initiatives de l'Europe vers le sud de la Méditerranée. Cette région connaît des événements extrêmement positifs comme le processus de paix au Proche-Orient, qui est engagé mais qu'il faut consolider et encourager. Je rappelle au passage que l'Union européenne est le premier pourvoyeur d'aide à cette région avec une première tranche de 500 millions d'écus qui a été débloquée en faveur des Palestiniens et la possibilité d'une deuxième tranche de 500 millions d'écus pour les autres pays au fur et à mesure qu'ils se joindront au processus de paix. Pour la Jordanie, c'est déjà acquis, nous espérons que ce sera bientôt le cas pour la Syrie et le Liban.
La deuxième catégorie d'événements qui font de la Méditerranée une région en mouvement est la montée des intégrismes, en particulier en Algérie. Nous proposerons donc pour enrayer les développements négatifs, un cadre de partenariat euro-méditerranéen. Nous offrirons à chacun de ces pays un accord de coopération privilégiée avec l'Union européenne comportant un élément commercial, avec la perspective, à terme, d'une zone de libre-échange ; un élément de coopération financière et un dialogue politique. À cette fin sera organisée – sans doute sous la présidence espagnole – une conférence euro-méditerranéenne. Elle rassemblera tous les pays de l'Union et tous les pays riverains de la Méditerranée.
Le Figaro : Existe-t-il encore des craintes du côté français que l'élargissement se fasse au détriment de l'approfondissement ?
A. Lamassoure : Nous avons fait admettre par nos partenaires au Sommet de Corfou en juin dernier que ce que l'on appelle l'approfondissement, c'est-à-dire la mise à jour des institutions européennes, devait précéder tout nouvel élargissement. Ce qui veut dire que l'Autriche, la Finlande et la Suède seront les premiers et les derniers pays à adhérer au traité de Maastricht. Les nouvelles adhésions se feront sur la base du « traité de 1996 » puisqu'une Conférence à cette fin est prévue à ce moment-là.
À Corfou, un calendrier a été adopté : il comprend trois phases. La première est celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Elle recouvre le bilan du traité de Maastricht un an après sa mise en œuvre et l'inventaire des problèmes posés. Ce bilan et cet inventaire sont demandés à chaque institution européenne. Le Parlement européen y travaille, la Commission fera de même ainsi que le Conseil des ministres. Nous avons l'intention de proposer au Conseil européen de Cannes, à la fin de la présidence française, un document qui synthétisera les remarques des uns et des autres et énoncera les problèmes à traiter. Tout l'enjeu de la Conférence de 1996 sera ainsi fixé.
Dès maintenant il existe deux approches : une minimaliste selon laquelle il suffirait d'adapter la demi-douzaine d'articles dont le traité de Maastricht a prévu l'éventuelle mise à jour ; et une approche plus ambitieuse qui est celle du gouvernement français, selon laquelle l'Europe aura besoin en 1996 d'un nouveau Pacte fondateur. Les institutions avaient été créées pour un marché commun de six pays et nous voulons bâtir une union politique ouverte à une trentaine de pays.
Après la présidence française, se déroulera la deuxième phase de la préparation de la Conférence de 1996, avec la mise en place d'un Comité des Sages qui représentera chaque pays avec deux membres du Parlement européen dont Élisabeth Guigou, et qui travaillera sur la base des orientations qui auront été définies pendant le Conseil européen de Cannes.
Le Figaro : Est-ce que durant cette présidence française on aura le temps de parler de la monnaie unique ? Est-ce que l'on peut encore croire à l'échéance de 1997 ?
A. Lamassoure : On croit plus que jamais à l'échéance 1997-99. Pendant la présidence française se poursuivra le suivi communautaire des politiques économiques de convergence de divers États membres. Il est frappant de constater que les quinze États se sont engagés dans des politiques économiques permettant de remplir ces critères à la date prévue. Y compris le Royaume-Uni et le Danemark qui ont pourtant la clause de sortie. Avec le retournement de conjoncture économique, une demi-douzaine de pays peuvent par ailleurs espérer remplir les critères à la date prévue.
Le gouvernement français a l'intention de tout faire pour que la France soit en mesure de les respecter selon le calendrier prévu.
À côté de cette surveillance des politiques économiques il y faudra prendre un certain nombre de mesures techniques pour préparer l'émission de l'écu. Ceci devra se faire sous présidence française.
Aujourd'hui nous sortons de la récession, donc les choses s'améliorent mécaniquement et nous sommes presque tous repartis dans la bonne direction. On fera le point comme prévu lors du traité fin 96 mais l'hypothèse selon laquelle une majorité de pays figureraient dans l'Union monétaire avant la fin du siècle est redevenue très crédible. Il est évident que ce qui a été le mieux conçu dans le traité de Maastricht, c'est la partie monétaire. Nous avons donc intérêt à respecter à respecter le cheminement défini par le traité ; les critères comme le calendrier.
Le Figaro : La révision de la PAC, notamment dans le contexte de l'adhésion des pays de l'Est à l'Europe, constituera-t-elle l'un des dossiers prioritaires de la présidence française ?
A. Lamassoure : Normalement, il n'y a pas de grande échéance pour la Politique agricole commune sous la présidence française. La réforme de la PAC a contribué, avec la conjoncture internationale, à permettre aux agriculteurs français de bénéficier d'une augmentation de revenus de plus de 10 % en 1994. Elle a aidé à résorber les excédents et elle a eu l'effet souhaité en ce qui concerne l'équipement entre l'aide par le soutien des prix et l'aide directe aux revenus pour les petits agriculteurs. Enfin, cette politique à montrer sa souplesse puisque Jean Puech a obtenu une réduction de la jachère obligatoire de trois points pour tenir compte du rééquilibrage des marchés. En tout état de cause, notre agriculture est devenue plus compétitive et les revenus des petits agriculteurs des zones défavorisées sont soutenus.
Quel sera cependant le bilan à moyen terme de cette réforme, notamment au vu de l'application de l'Uruguay Round ? Et surtout, comment allons-nous coordonner nos politiques agricoles avec celles des pays d'Europe centrale et orientale ? La France a demandé une étude sur l'impact de la future adhésion des Peco, mais les conclusions n'en seront certainement connues que sous la présidence espagnole. Il est clair que certains de ces pays ont un potentiel agricole considérable. En même temps, l'agriculture est souvent le domaine où ils ont le moins bien engagé la réforme (à l'exception de l'Albanie). Nous devons en tout cas éviter à court terme que nos propres exportations subventionnées découragent la réforme agricole dans ces pays ; mais à moyen et long terme, nous devons éviter que les marchés européens soient déstabilisés par de très fortes augmentations de la production agricole chez nos voisins de l'Est.
Le Figaro : La Convention de Lomé arrive d'autre part à terme dans les six mois qui viennent. Certains de nos partenaires se réjouissent que ce dossier incombe à la présidence française…
A. Lamassoure : Le calendrier fait bien les choses car cela fait partir, de nos priorités. En mars 1995 il faudra renouveler le volet financier de la Convention de Lomé. C'est ce qu'on appelle le huitième fonds européen de développement. Il nous faudra maintenir, dans la politique de coopération européenne, la priorité africaine. Nous aurons beaucoup d'efforts à faire pour en convaincre nos partenaires qui sont un peu découragés. Cela signifie maintenir à tout le moins le niveau d'aide en écus constants qui a été accordée à l'Afrique au cours de la période précédente. Il faut surtout faire en sorte que cette aide soit plus efficace en termes économiques mais aussi en termes politiques. Il faut qu'elle contribue aux efforts de transition démocratique qui sont engagés depuis quelques années sur le continent africain.
Le Figaro : La France veut un renforcement des sanctions en cas de non-respect des directives. La durée de la présidence française permettra-t-elle d'avancer réellement sur ce dossier ?
A. Lamassoure : La balle est dans le camp de la Commission. La France a rédigé un mémorandum pour poser le problème et suggérer quelques pistes. Nous sommes d'accord pour laisser aux États la responsabilité de faire appliquer les lois et ne pas créer de tribunal ni de droit pénal européen, mais il faut encadrer l'action des États. Il faut par exemple les obliger à traiter les infractions au droit communautaire comme s'il s'agissait d'infractions au droit international en matière douanière, de normes techniques, de normes sanitaires.
France Inter : jeudi 5 janvier 1995
A. Ardisson : Soutenez-vous le Premier ministre ?
A. Lamassoure : Je souhaite qu'E. Balladur soit candidat, comme la plus grande partie de mes amis de l'UDF, parce que, parmi les candidats crédibles, qui ont une chance pour la prochaine élection présidentielle, il me semble être celui qui est le plus proche des idées de l'UDF. Il a démontré ses très grandes qualités d'homme d'État depuis deux ans, depuis la manière dont il a réglé la crise monétaire d'août 1993 jusque dans la manière dont il a traité l'affaire de l'Airbus la semaine dernière. Électoralement, il est l'un de ceux qui a le plus de chances.
A. Ardisson : Vous ne soutiendrez pas la candidature UDF de C. Millon ?
A. Lamassoure : Si l'UDF présente un candidat, ou plus exactement, s'il y a une candidature UDF, cela peut produire le résultat de faire apparaître que ce candidat a moins de voix que J.-M. Le Pen, ou bien cela peut compromettre la candidature de celui des candidats crédibles qui est le plus proche de l'UDF. Donc, cela ne me paraît pas une bonne idée.
A. Ardisson : Vous confirmez qu'E. Balladur va annoncer sa candidature dans les jours qui viennent ? On parle du 20 janvier…
A. Lamassoure : C'est à lui de le dire.
A. Ardisson : Les échéances électorales ne constituent-elles pas un handicap à la présidence française de l'Union européenne ?
A. Lamassoure : Le calendrier électoral est, à certains égards, un handicap, notamment en raison du fait que pendant le premier semestre où la France préside l'Europe elle connaîtra également la campagne présidentielle. En sens inverse, le calendrier européen a des avantages et, notamment, vont se succéder à la présidence de l'Union, l'Allemagne, la France, l'Espagne et l'Italie, les 4 grands pays qui partagent la même vision de la construction européenne à un moment clé, le moment de l'entrée de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande, moment aussi où nous allons préparer le grand rendez-vous de 1996 où il va falloir mettre à jour le Traité de Maastricht. Nous allons profiter de cette perspective.
A. Ardisson : Vous évoquez la remise à plat du Traité de Maastricht en 1996. J. Chirac a récemment parlé d'un nouveau référendum sur Maastricht. Pensez-vous que c'est nécessaire ?
A. Lamassoure : Non. Le Traité de Maastricht a essentiellement pour but de faire décider l'Union monétaire. Dans le Traité, le principe de l'Union, le calendrier de cette Union, 1997/1999, les conditions pour la réaliser, la bonne gestion économique des divers pays, sont précisés. Les Français ont été amenés à se déterminer, à voter eux-mêmes en 1992 et ils ont majoritairement accepté le Traité. Donc je ne vois ras les raisons d'y revenir. Par contre, nous allons être amenés à modifier profondément le Traité de Maastricht sur d'autres sujets que la monnaie. Par exemple, sur la politique étrangère et la Défense, si les Européens donnent un sentiment d'impuissance en Bosnie c'est parce qu'ils n'ont pas les moyens de mener une politique étrangère de Défense commune. En outre, cela permettra à la maison européenne, qui avait été conçue au départ pour 6 pays, qui en compte aujourd'hui 15, de permettre l'adhésion des pays de l'Est qui frappent à notre porte. Ce nouveau Traité de 1996 devra être soumis aux Français.
A. Ardisson : Sur la Tchétchénie ou l'Algérie, ne serait-il pas urgent que l'Europe montre qu'elle existe politiquement ?
A. Lamassoure : C'est ce que la France souhaite. Dans la cadre de la présidence de l'Union, nous avons proposé à nos partenaires de mettre la Russie devant ses responsabilités et de lui rappeler les engagements qu'elle a pris au titre de l'Organisation de sécurité de coopération en Europe. Les Européens n'ont pas un droit d'ingérence mais ils sont un droit de regard au sein de l'OSCE. Tous les membres de cette organisation, dont la Russie, se sont engagés à faire preuve de mesure dans l'utilisation de l'armée, par exemple pour des opérations de maintien de l'ordre. La Russie est un État souverain, elle a le droit, comme tout État, de défendre son intégrité territoriale lorsque celle-ci est remise en cause par un soulèvement armé, mais les dirigeants russes doivent savoir que le fait de bombarder par l'aviation, par les chars, des populations civiles, alors que le rapport de forces est de 100 contre 1, ne fait pas partie du modèle de démocratie européen.
A. Ardisson : Et l'Algérie ?
A. Lamassoure : Il y a une position commune de l'Europe. Contrairement à ce qui est dit parfois, il n'y pas une position française qui se distingue de celle de la communauté internationale. Nous ne soutenons aucun camp, nous essayons d'aider le peuple algérien en particulier en matière économique et nous appelons au dialogue. « Nous » ce n'est pas seulement la France, c'est toute la communauté internationale, l'aide économique et financière est celle du FMI, et elle a été celle de l'ensemble de l'Union européenne, qui, à l'unanimité, a décidé un soutien à une politique économique qui met l'Algérie sur les bons rails. Il reste maintenant à aider au processus de dialogue qui est nécessaire pour que l'Algérie puisse sortir de cette situation de guerre civile.
A. Ardisson : Quels vont être les dossiers prioritaires de cette présidence française ?
A. Lamassoure : L'emploi, d'abord. Il faut que l'Europe puisse mieux contribuer à la création d'emplois. 1994 a été l'année du retour à la croissance. Il faut que 1995, en France et en Europe, soit celle du retour à l'emploi. Pour cela, nous allons lancer les 14 grands chantiers correspondant aux grands réseaux de communication européen et notamment le TGV-Est.
A. Ardisson : Ces 14 grands chantiers font suite au Livre blanc de J. Delors. Vous jouez la continuité ?
A. Lamassoure : Ils font suite aux décisions prises au Conseil européen d'Essen qu'avaient proposées la Commission européenne. En particulier, il y a 4 grands chantiers de TGV qui concernent la ·France. À lui seul, le TGV-Est Paris-Strasbourg représente 20 000 emplois en 10 ans. En outre, deuxième priorité, le retour de la paix sur le continent. Ailleurs en Europe, les mêmes problèmes de minorité ethnique ou de frontières non reconnues peuvent dégénérer. C'est pourquoi nous avons mis en place une Conférence sur la stabilité en Europe. C'est une idée d'E. Balladur qui doit déboucher sur un pacte de stabilité à conclure en mars prochain, par lequel tous les pays qui ont ces problèmes s'engageront à y trouver des solutions pacifiques. Enfin, nous souhaitons redéfinir les relations de l'Europe avec le monde méditerranéen et le monde africain. Nous voulons mieux contribuer à la stabilité de l'ensemble méditerranéen en signant un accord, une charte euro-méditerranéenne.
A. Ardisson : H. Kohl se rend en visite privée chez E. Balladur. Il « vote » E. Balladur malgré leurs divergences sur le fédéralisme ou sur l'Europe en cercles concentriques ?
A. Lamassoure : H. Kohl ne veut pas se mêler de politique intérieure française, de même que nous ne nous sommes pas mêlés, il y a quelques mois, de politique intérieure allemande. Par contre, cela veut dire que l'axe franco-allemand fonctionne bien et que les Français et les Allemands préparent ensemble l'avenir de l'Europe et notamment 1996. Avec les Allemands, nous partageons beaucoup d'analyses, notamment celle selon laquelle il faut que les Européens fassent plus en matière de politique étrangère et de Défense. Sur les institutions européennes, nous avons parfois des divergences mais qui portent plus sur les mots que sur la réalité. Chacun ne peut que se réjouir de voir les grands dirigeants de France et d'Allemagne préparer ensemble l'échéance de 1996.