Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le secteur agro alimentaire, notamment les résultats des échanges commerciaux à destination de l'Union européenne et la politique de qualité et d'identification des produits agro alimentaires, Paris le 18 octobre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 18 ème Salon International de l'Alimentation (SIAL) à Paris le 18 octobre 1998

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Chers Collègues,
Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le commissaire général,

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie d’avoir bien voulu accepter mon invitation à participer à l’inauguration de ce 18e Salon Internationale de l’Alimentation.

J’espère que vous aurez eu plaisir à visiter ce qui constitue l’un des grands salons internationaux de l’agroalimentaire, et une occasion unique pour les entreprises françaises et étrangères de faire connaître leurs produits, leurs innovations et de nouer des relations commerciales.

Vous aurez pu apprécier la diversité des produits, des savoirs-faire, des technologies, et vous faire une idée concrète des conditions de la concurrence qui règne sur le marché mondial des produits agro-alimentaires.

Le secteur agroalimentaire représente un enjeu considérable pour notre économie. Il est le premier employeur de main-d’œuvre en France, et l’un des tous premiers secteurs industriels par le chiffre d’affaires.

Les exportations ont contribué de manière décisive à la croissance de ce secteur au cours des dernières années.

Les entreprises françaises occupent, vous le savez, une place importante dans les échanges internationaux de produits agro-alimentaires, puisque la France est le second exportateur de produits agroalimentaires du monde.

En 1997, le secteur agricole et agroalimentaire a dégagé un excédent record de 67 milliards de francs dont 56 milliards pour les seuls produits transformés.

Ces résultats ont été obtenus grâce au dynamisme des exportations qui ont augmenté de 11,6 %.

Je voudrais à ce propos faire quelques observations sur le développement des échanges mondiaux de produits alimentaires.

Ma première observation, c’est que le commerce agroalimentaire a profité essentiellement de l’intensification des relations entre les pays européens.

Près de trois-quarts des exportations françaises sont à destination d’un pays de l’union européenne.

Au total, 80 % de l’excédent de notre balance commerciale agroalimentaire provient de nos échanges avec nos partenaires européens.

Curieusement alors qu’on ne cesse de parler de mondialisation, cette spécialisation européenne des échanges extérieurs est de plus en plus marquée, et nos exportations orientées autrefois sur les pays non-européens le sont de plus en plus en direction de l’Europe.

Deuxième constatation, le moteur de ces échanges agroalimentaires est aujourd’hui constitué par les biens transformés, et les produits agricoles non transformés, immédiatement consommables par le consommateur final.

Depuis 1991 le solde des produits transformés est supérieur à celui des produits bruts. C’est lui qui assure le maintien de nos excédents agroalimentaire malgré le déclin de l’excédent agricole.

De 1990 à 1997 l’excédent de nos échanges de matières premières agricoles est passé de 35 à 29 milliards de francs. Cette diminution s’explique en grande partie par la chute de l’excédent des échanges de céréales.

Dans le même temps l’excédent de nos échanges de produits transformés est passé de 16 milliards à 35 milliards de francs.

Et cette tendance se confirme année après année.

Elle témoigne du fait que les atouts de notre agriculture résident dans sa capacité à fournir sur le marché communautaire et sur le marché mondial des produits élaborés à haute valeur ajoutée, qui sont vendus à des prix rémunérateurs pour les producteurs, parce qu’ils bénéficient d’un savoir-faire, de technologies, d’une image qui les rendent attractifs.

À mesure que s’affirme le rôle des produits transformés dans le commerce agroalimentaire, s’affirme aussi celui des firmes, en particulier des firmes multinationales. Sait-on par exemple que la production des groupes agroalimentaires étrangers sn France est supérieure aux importations françaises de produits agroalimentaires.

C’est dire que la stratégie de ces groupes multinationaux, l’évolution de leur structure, sont dès maintenant et seront encore plus demain déterminantes pour l’évolution du commerce international.

Le commerce mondial des produits agroalimentaires n’est donc plus un commerce de produits standards, régulé par des prix au terme d’une concurrence entre producteurs. Il prend plutôt la forme d’échanges régionaux, organisés par les Pouvoirs publics et les groupes multinationaux, portant sur des produits différenciés, transformés, et de plus en plus proches de la consommation finale.

Et puis, il est important de noter qu’une part croissante de nos exportations sur les pays tiers se fait sans restitutions, ce qui témoigne de l’amélioration de la compétitivité globale de nos produits sur les marchés mondiaux.

Ce sont ces constatations qui ont dictée les prises de position que j’ai exprimées à Bruxelles sur la réforme de la PAC.

Dans une telle situation, la baisse systématique et généralisée du prix des matières premières agricoles, afin de regagner des parts de marché en Europe et d’en conquérir à l’exportation ne me paraît pas être une réponse appropriée.

Les conditions dans lesquelles l’Union européenne serait capable d’intégrer les pays d’Europe centrale et orientale, le développement économique des nouveaux adhérents à l’Union européenne, l’organisation du marché européen élargi, me paraissent plus déterminants pour l’évolution de nos exportations agroalimentaires que ce que nous pourrions gagner par une baisse forte des prix des céréales ou de la viande bovine.

Je constate malheureusement que le débat sur ces questions est pour le moment réduit à son strict minimum dans les enceintes communautaires, et il faut le dire, malheureusement aussi en France.

Je tire de ces observations un certain nombre de conclusions sur les responsabilités qui reviennent aux pouvoirs publics pour assurer la poursuite du mouvement engagé.

Les turbulences que l’économie mondiale connaît depuis plusieurs mois sont venues nous rappeler que la libéralisation des marchés financiers et commerciaux ne suffisait pas à garantir la prospérité du monde.

Le retournement brutal de conjoncture enregistré dans les pays asiatiques, présentés hier comme l’exemple des miracles rendus possibles par le libéralisme économique, a remis à l’ordre du jour la nécessité, pour les États, de collaborer et de fixer les règles pour éviter les catastrophes. On en parle désormais dans des enceintes ou il n’était question, hier, que de « laisser-faire, laisser passer ».

L’intervention des pouvoirs publics est nécessaire pour établir et faire respecter la règle du jeu des échanges internationaux. Les exportateurs qui sont confrontés quotidiennement aux difficultés le savent bien.

De ce point de vue, l’Europe a devant elle des échéances décisives. Les négociations reprendront prochainement dans le cadre de l’organisation mondiale de commerce, et leur conclusion pèseront lourdement sur les possibilités de développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur notre continent.

Il n’est pas envisageable que les négociations abordent ces négociations sans avoir la ferme volonté de préserver une politique agricole commune qui garantisse à la fois un certain mode d’organisation sociale de notre agriculture et la prospérité de nos entreprises.

La responsabilité des pouvoirs publics, c’est aussi de fixer un cadre juridique, national et communautaire qui permette l’expression des vrais atouts de développement de nos entreprises et de notre agriculture.

De ce point de vue, je suis convaincu que la diversité et la spécificité de nos produits constituent une des explications de nos succès à l’exportation.

C’est incontestablement un des points forts de l’agroalimentaire français.

Cette caractéristique est le résultat de nos traditions, du savoir-faire de nos agriculteurs, de nos artisans et de nos industriels. C’est aussi une retombée positive de la politique de qualité menée depuis plusieurs décennies qui a permis le développement de productions sous appellation d’origine contrôlée, et plus récemment des labels, de l’agriculture biologique ou encore des produits sous certification de conformité.

Cette diversité, qui est une richesse, il faut la préserver.

C’est le sens des deux règlements communautaires adoptés le 14 juillet 1992, l’un relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine, l’autre relatif aux attestations de spécificité des produits agricoles et des denrées alimentaires.

La France a joué un grand rôle dans la préparation et l’adoption de ces règlements parce qu’elle bénéficiait d’une expérience ancienne en matière de politique de défense de la qualité et de l’identification de l’origine des produits alimentaires. Mais ce sont des idées qui prenne place petit à petit dans toute l’Union européenne.

Il m’est apparu que cette politique de qualité et d’identification des produits méritait d’être renforcée et précisée, c’est pourquoi la loi d’orientation agricole qui vient d’être adoptée par l’Assemblée Nationale comprend un certain nombre de dispositions relatives à ce sujet.

Ces dispositions permettront de mieux distinguer trois caractérisations qui sont trop souvent confondues :
– les signes d’identification de la qualité que sont les labels et les certifications de qualité qui sont fondés sur la reconnaissance d’une qualité supérieure et de caractéristiques spécifiques préalablement fixées ;
– les signes d’identification de l’origine que sont les appellations d’origine contrôlée et les indications géographiques protégées qui sont la reconnaissance d’une ou plusieurs qualités spécifiques liées au terroir et à la zone de production de production ou de transformation ;
– les signes d’identification d’un mode de production que sont l’agriculture biologique et l’agriculture de montagne.

Je suis convaincu que les dispositions de cette loi permettront à tous, et notamment aux consommateurs d’y voir plus clair. Cette clarification apportera de nouveaux succès.

La responsabilité de l’État, c’est aussi de fixer des règles claires permettant d’apporter aux consommateurs toutes garanties sur la qualité sanitaire des produits alimentaires qui leurs sont proposés, et de mettre en place les moyens de faire respecter ces règles.

La création par la loi du 1er juillet 1998 de « l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments », chargée d’évaluer les risques sanitaires et nutritionnels éventuels des aliments, y contribuera.

Cette Agence devrait entrer en fonction au début de l’année 1999.

Les services de mon ministère continueront pour ce qui les concerne, à jouer leur rôle de contrôle et de réglementation, afin de garantir la salubrité des produits et la santé animale.

Dans ce domaine également, la loi d’orientation agricole permettra de renforcer le contrôle sur les conditions d’élevage et la qualité des aliments.

Il est également nécessaire d’adapter notre législation à l’apparition des organismes génétiquement modifiés dans nos champs et dans nos assiettes.

Le commissaire Fischler sait à quels débats difficiles ce sujet donne lieu à Bruxelles. Ceux que nous connaissons en France ne sont, à vrai dire, pas moins passionnés.

Le principe de précaution qui guide le gouvernement dans chacune des décisions qu’il est amené à prendre rend indispensable l’édification d’un dispositif de suivi des OGM qui soit fiable et incontestable.

Le dispositif de « biovigilance » prévu par la loi d’orientation agricole permettra de contrôler l’impact des végétaux génétiquement modifiés sur l’environnement.

Il est aussi la condition indispensable à la mise en place de règles d’étiquetage propres à répondre à la demande des consommateurs.

Pour importantes qu’elles soient, ces préoccupations relatives à la qualité et la sécurité ne doivent pas faire oublier la fonction économique fondamentale de l’industrie alimentaire qui est de nourrir les hommes à travers la transformation des productions agricoles brutes.

Dans nos économies développées, l’industrie agroalimentaire constitue l’essentiel des débouchés des productions agricoles.

C’est pourquoi une bonne organisation des rapports entre les producteurs agricoles et les transformateurs est de plus en plus nécessaire.

Qu’il s’agisse d’ajuster les volumes produits, de répondre aux exigences qualitatives de la distribution ou du consommateur, d’assurer la traçabilité à l’intérieur des filières de production, il est indispensable que de solides relations contractuelles, soient non seulement autorisées, mais facilitées, voire encouragées. C’est le souci du gouvernement qui, dans le projet de loi d’orientation agricole propose l’extension et l’adaptation des règles interprofessionnelles aux filières spécialisées dans les productions sous signe de qualité, qu’il s’agisse des filières relatives à l’agriculture biologique, des appellations d’origine ou des labels.

Je crois dans le développement, voire la systématisation des relations contractuelles et interprofessionnelles dans la plupart des filières agroalimentaires, en France mais aussi bien sûr dans l’Union européenne et sans doute au-delà. Pour s’en convaincre, il suffit d’avoir en tête les obstacles rencontrés pour résoudre les problèmes que posent les exigences des consommateurs relatives aux organismes génétiquement modifiés ou encore celles qui touchent à l’alimentation animale, et demain, au bien-être des animaux.

Ce dialogue interprofessionnel doit être équilibré. Je suis convaincu, en effet, que les industries agro-alimentaires ont besoin d’agriculteurs forts, indépendants et porteurs de projets, et non d’agriculteurs intégrés, réduits au rôle de fournisseurs de matières premières à bas prix. Le progrès n’est jamais né de l’asservissement.

En guise de conclusion, je voudrais redire ma confiance dans la solidité de l’industrie agroalimentaire en général, française en particulier, et mon attachement à son développement, car le sort de l’agriculture est intimement lié à celui des industries agroalimentaires.

Merci pour votre attention et bon SIAL.