Interviews de M. Hervé de Charette, ministre du logement et délégué général des Clubs Perspectives et réalités, à France 2 le 12 janvier et à France-inter le 24 janvier 1995, sur la controverse avec M. Nicolas Sarkozy sur la proposition de prime à la mise sur le marché de logements vacants, sur la nécessité d'un candidat UDF pour la présidentielle et sur les syndics de copropriété.

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Média : France 2 - France Inter

Texte intégral

France 2 : Jeudi 12 janvier 1995

D. Bilalian : Comment prenez-vous la réaction de N. Sarkozy à votre proposition de prime à la location ?

R. : C'est vrai que rien n'a été décidé. Ce que je crois pouvoir dire c'est qu'au sein de la vie gouvernementale, il y a ce qu'A. Juppé appelait il y a deux jours : la bonne conduite et la mauvaise conduite. Ça, c'est plutôt la mauvaise conduite parce que les mesures que je propose, est-ce qu'elles sont utiles ? Oui puisqu'il y a un problème de logements vacants. Je prends un exemple : à Paris, il y a 118 000 logements vides. Sur ces 118 000, on considère qu'à peu près la moitié sont des logements vraiment vides, c'est-à-dire depuis plusieurs années. Donc, c'est utile d'essayer de faire quelque chose pour essayer de les remettre sur le marché parce qu'il y a des besoins. Alors, est-ce que c'est une mesure qui est socialement bonne ? Parce que, dans ce qu'a dit N. Sarkozy, c'est ça qui m'a choqué, il a dit : ce n'est pas une bonne mesure car c'est une mesure qui est socialement inéquitable. Pas du tout, au contraire, elle est destinée à tous. La prime automobile, je ne sais pas quelle est votre situation mais vous ne faites pas partie des plus démunis...

D. Bilalian : Non, mais j'ai profité de la prime Balladur.

R. : Voilà. Si vous avez changé votre deuxième voiture, prime Balladur, si vous vouliez offrir une troisième voiture à un de vos jeunes enfants, prime Balladur, si vous aviez une Rolls et que vous vouliez la changer, prime Balladur. Autrement dit, c'est une mesure générale, simple, très pratique parce qu'elle fait repartir le marché de l'automobile de façon générale. Ce que je propose pour le logement, c'est au fond de la même idée, très simple et pas très chère et assez efficace. Et je peux vous dire que j'avais travaillé sur cette question depuis de très longs mois pour vérifier que ce serait bien efficace et juste. Je suis très attaché, et depuis deux ans je ne fais que ça, à ce que la politique du logement soit par priorité destinée aux familles modestes. L'accession des familles modestes à la propriété, le logement HLM, le logement des plus démunis.

D. Bilalian : Donc, mesure juste et en plus sur la forme, vous rejoignez M. Juppé : on ne doit pas se parler comme ça entre ministres ?

R. : Il me semble. Et même, je voudrais encore dire une chose, quand on est au sein d'un gouvernement, il faut plutôt défendre l'action du gouvernement, il ne faut pas défigurer l'action de l'un d'entre eux. Ou bien alors, je dirais : casse-cou.

Q: Justement, on est dans une période où ça va devenir difficile entre chiraquiens, balladuriens et puis des hommes comme vous qui êtes UDF. Est-ce que ça va être encore possible de rester dans un tel gouvernement ?

R. : Je crois qu'il faut en effet avoir des idées très claires sur ce sujet. Je sais qu'on a vécu ça entre 86 et 88 et, à l'époque, il y avait eu quelques éléments dont on peut tirer la leçon aujourd'hui. L'action gouvernementale, le Premier ministre a dit : il faut continuer à gouverner jusqu'au dernier moment, jusqu'au dernier jour, c'est ce que je fais. Et il faut le faire avec bonne volonté, détermination et avec solidarité et amitié entre nous. On fait partie du même gouvernement, on a fait du bon travail, il faut continuer. Et deuxièmement, je comprends très bien que certains soient en campagne pour tel candidat, certains autres pour tel autre, on peut peut-être faire le partage. Je suis maire de ma commune et membre du gouvernement, j'arrive à ne pas mélanger les choses.

D. Bilalian : Vous n'êtes pas décidé, vous ne savez pas pour qui vous appellerez à voter ?

R. : Je répète avec netteté ce que je souhaite. Nous nous sommes réunis hier au sein du bureau de l'UDF et j'ai été frappé...

D. Bilalian : M. Rossi a dit : notre candidat naturel, c'est E. Balladur.

R. : Certains prendront E. Balladur, moi je maintiens qu'il serait hautement souhaitable qu'il y ait, dans cette campagne électorale, un candidat qui représente les valeurs de l'UDF. Pourquoi ? Parce qu'elles sont centrales dans la société française. L'Europe, l'emploi, l'honnêteté dans la vie publique, voilà nos valeurs. Je crois qu'elles ont bien leur place aujourd'hui. Et attendez, ce n'est pas fini.


France Inter : Mardi 24 janvier 1995,

Q. : On a vu beaucoup de ministres choisir leur camp. Et vous, M. de Charrette ?

R. : Je sais ce que je vais faire et je vais vous le dire d'un mot. Je n'ai pas l'intention, aujourd'hui, de manifester une préférence ou un choix pour l'un ou pour l'autre. Je constate comme quelque chose qui est tout à fait désolant, pour le courant de pensée que je représente, c'est-à-dire l'UDF, que ce courant de pensée ne soit pas représenté. Il n'est pas présent, alors que nous avons des convictions fortes : sur l'Europe, sur le rythme qui, à notre avis, doit être intense, des réformes nécessaire pour traiter un problème français massif qui est celui du chômage. Je pourrais parler aussi de la démocratie des institutions. Nous avons, sur ces trois sujets, à l'UDF, défendu depuis toujours des idées fortes. Voilà qu'aujourd'hui, au moment où les choses se décident, l'année 1995 c'est l'année des grands choix des Français, nous allons être absents. C'est une situation à laquelle je n'ai pas l'intention de me résigner. Aujourd'hui, il y a deux candidats estimables et respectables, qui seraient certainement de très bons présidents de la République, simplement je ne crois pas que ça corresponde pleinement à ce que je pense, à ce que l'UDF a toujours défendu. Même si un certain nombre de formations politiques composant l'UDF ont fait leur choix, je le regrette, je le déplore. Je continue à espérer que, dans les semaines qui viennent, cette situation peut être changée. Tel est l'objectif politique que je poursuis. Faire en sorte que ces convictions politiques de l'UDF soient présentes dans le grand choix politique des Français. Ça suppose qu'il y ait un candidat. Nous verrons, dans les semaines qui suivent, si c'est possible.

Q. : Imaginons qu'il n'y ait pas de candidat qui corresponde à ces valeurs, il faudra bien décider pour qui l'on vote ?

R. : Vous avez raison. Je ne suis pas Don Quichotte. Je me bats avec ardeur et conviction sans trop de souci de ma situation personnelle. Si ça ne se résout pas comme je le veux, il faudra bien faire son choix. C'est pour ça qu'en tant que responsable des clubs Perspectives et Réalités, j'ai décidé de les convoquer pour le début mars, heure à laquelle nous serons en mesure d'apprécier les choses.

Q. : Il y a aussi V. Giscard d'Estaing et R. Barre, qu'en pensez-vous ?

R. : Quand on regarde quelles sont les personnalités fortes capables d'être Président de la République et qui correspondent à ces convictions fortes que je viens d'évoquer, il y en a deux qui s'imposent, dans l'ordre : V. Giscard d'Estaing ou R. Barre. R. Barre s'est exprimé à la télévision. Il a dit des choses auxquelles je souscris pour l'essentiel. Je pense aussi que V. V. Giscard d'Estaing serait le meilleur Président de la République française. Je ne suis pas sourd et pas aveugle. Je vois bien quelles sont les difficultés que chacun comprend et connaît, et c'est pour cela que je veux utiliser les semaines qui viennent pour voir ce qui peut bouger. Mais le pire n'est jamais sûr. À ceux qui veulent, il n'y a pas d'obstacle qui résiste.

Q. : Vous avez eu des mots assez durs à l'égard de certains de vos collègues du gouvernement qui se sont peut-être un petit peu empressés de choisir leur camp. Vous avez trouvé ça indécent. Est-ce que ça complique beaucoup la vie d'un gouvernement quand ça se sépare comme ça en deux ?

R. : Non, je n'ai pas à employer, à l'égard de mes amis de l'UDF qui ont fait le choix de se rallier à É. Balladur, des mots durs. Mais c'est vrai que je trouve que c'est un choix désolant. Quand on se bat dans la vie politique, ou bien on se bat pour sa carrière auquel cas il faut se précipiter, le premier arrivé a raison, ou bien on se bat parce qu'on a des convictions et alors il faut prendre un peu de risques pour soi-même et ce n'est pas bien grave parce que c'est vos convictions qui l'emportent. Alors, c'est vrai que j'ai dit et que je persiste à dire que le PR et les centristes, au moins pour les centristes, étaient porteurs de vraies convictions, ils les ont mises dans leur poche un peu vite.

Q. : Vous êtes satisfait de votre bilan en 1994 ?

R. : Oui, c'est simple. Quand le gouvernement actuel a été formé en mars 1993, le rythme des constructions neuves était de 235 000 logements an. C'était le rythme en mars. À la fin de l'année 1994, nous faisons le bilan de cette année, nous avons construit en France 302 000 logements. Nous avions l'objectif d'atteindre 300 000 en 1994, nous n'étions pas sûrs d'y parvenir, c'est fait. Est-ce que ça suffit ? Non. Puisque c'est l'INSEE qui nous fournit un bon indicateur, il faut atteindre, pour avoir une situation normale d'équilibre entre l'offre et la demande, 330 000 logements par an. Donc, c'est l'objectif 1995. Mais enfin, nous avons fait les deux-tiers du chemin. C'est déjà ça et c'était conforme à l'objectif que nous avions poursuivi, il faut donc s'en féliciter.

Q. : Vous aviez l'idée d'accorder une prime aux propriétaires de logements qui sont vacants s'ils acceptent de les remettre sur le marché. Tout le monde n'était pas d'accord au sein du gouvernement ?

R. : Dans la situation de crise actuelle, il y a quelque chose de très choquant, c'est que, à côté de gens qui voudraient bien se loger, il y a des gens qui sont très modestes mais aussi des gens qui ont des revenus moyens, vous avez des logements vides, des logements anciens qui restent vides pendant 2, 3, 4, 5 ans et que personne ne cherche à louer. C'est ça le problème. Et il y a là quelque chose non seulement paradoxale mais un peu choquant pour celui qui recherche le bien public. Et donc, j'ai eu l'idée qu'en effet une bonne solution serait, par une prime, d'inciter dans les mois qui viennent, c'est-à-dire maintenant, immédiatement, les propriétaires ou certains d'entre eux à mettre leur logement libre sur le marché. Est-ce que c'est une bonne mesure ? Évidemment oui. Quand je regarde la situation des propriétaires, certains peuvent me dire : mais si nous ne mettons pas nos logements sur le marché, c'est parce que nous, propriétaires, nous avons été matraqués fiscalement pendant 10 ou 15 ans. C'est vrai et donc la première chose à faire, ou du moins la chose la plus importante, c'est de changer cette situation et de rétablir une fiscalité juste pour l'immobilier. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, je le sais. Nous avons fait des choses, mais il y a du retard. Il y a du retard parce que c'est très cher, ça demande à l'État un investissement très important, et dans la situation budgétaire actuelle ce n'est pas facile. Donc, ce que je propose, ce n'est pas une mesure qui règle définitivement le problème, c'est une mesure d'urgence, en attendant que la fiscalité immobilière au cours des années qui viennent, je l'espère, soit enfin placée au bon niveau. Prenons une mesure d'urgence qui est une mesure incitative. C'est une mesure juste parce qu'elle est destinée à toutes les familles et qu'elle est accompagnée en particulier d'une mesure spécifique pour les familles les plus défavorisées, puisque j'ai prévu dans mon dispositif, celui qui est à l'examen pour l'instant, qu'il y ait une autre prime spéciale pour les associations qui se dépensent sans compter au profit des sans-abri, des mal-logés, etc.

Q. : En tant que ministre du logement, vous ne devez pas être insensible à ces pratiques. Est-ce que vous êtes au courant de ces pratiques ?

R. : Leur nature est d'être clandestine, par conséquent on ne vient pas me le raconter dans mon bureau du ministre du Logement, vous vous en doutez bien. C'est très bien ce que fait Le Parisien, c'est très utile dans la vie collective que les moyens de communication permettent de révéler, de montrer les choses. Donc, c'est utile de le dire. En second lieu, il ne faut pas non plus jeter l'opprobre sur une profession toute entière. Les syndics sont utiles pour les copropriétés, ils sont même indispensables. Alors, qu'il y ait parmi eux des moutons noirs, il faut les montrer du doigt et qu'ils puissent être sanctionnés par des procédures judiciaires : tant mieux. Autrement dit, nous avons besoin de syndics qui fassent bien leur métier pour le service des copropriétés, mais on n'a pas besoin de gangsters et par conséquent, c'est parfait s'il y a non seulement la 'mise en examen de ceux qui se révéleraient être coupables, mais ensuite que la presse fasse son métier en le montrant au grand jour. Je voudrais vous donner une information : actuellement, la principale association représentant les propriétaires, qui s'appelle l'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI), discute avec les deux principales organisations qui représentent cette profession des syndics sur ce point, c'est-à-dire passer entre eux une sorte de convention de loyauté mutuelle.

Q. : Étonnamment, ils n'ont pas voulu réagir sur ce dossier ?

R. : Parce qu'ils ne veulent pas entrer dans ce débat tel qu'il apparaît dans la presse. Mais je crois que c'est très important qu'il y ait du sérieux, de la rigueur. En particulier, je voudrais dire que les syndics vous disent que leurs honoraires n'ont pas été relevés depuis 40 ans, ils sont libres depuis 1986. C'est vrai qu'ils ont été bloqués, mais depuis 1986 ils sont libres. Autrement dit, ils peuvent se faire payer normalement le service qu'ils donnent car c'est vrai qu'ils rendent un service.

Q. : Ce n'est jamais nécessaire de tricher ?

R. : De tricher en se le mettant dans la poche.

Q. : Mais ces professions immobilières n'ont quand même pas toujours de la chance, il y a beaucoup de pression quand on est dans l'immobilier ?

R. : Oui, c'est un domaine dans lequel il y assez souvent des choses qui apparaissent et qui sont inquiétantes. Nous l'avons vu dans le milieu HLM, nous avons vu un certain nombre de dossiers qui sont sortis, et dans lesquels avec les responsables HLM, nous sommes décidés à être de la plus grande rigueur et moi le premier, parce qu'on ne peut pas accepter que l'argent public social soit détourné. Je peux vous dire que, dès qu'un dossier apparaît et si jamais il en apparaissait d'autres, je serais sur ce point sans concession, qu'on le sache bien.