Texte intégral
L’ÉVÈNEMENT DU JEUDI – 5 novembre 1998
Question
Après la France, l’Italie et la Finlande, les écologistes entrent au gouvernement en Allemagne. Est-ce le début d’une « internationale verte » ?
Dominique Voynet
- « Il y a aujourd’hui en Italie et en Allemagne des Verts ministres, notamment de l’Environnement mais aussi dans d’autres secteurs, y compris avec des responsabilités essentielles. Quand je suis allée à Bonn au congrès des Grünen, je leur ai dit : « Si vous avez réussi, c’est grâce à nous ! » C’était une boutade, mais pas totalement.Il y a eu dans plusieurs pays d’Europe des expériences de majorité pluraliste incluant des écologistes. Ils ont démontré à l’Environnement leurs capacités à gérer, à passer des compromis, à innover sans tout révolutionner. Cela a rendu plus facile le choix de Schröder d’oser un Vert (Joschka Fischer) au ministère des Affaires étrangères »
Question
Jusqu’où va l’interaction entre les Verts en France, en Allemagne et dans les autres pays européens ?
Dominique Voynet
- « Il y a une fédération européenne des partis verts qui fonctionne depuis longtemps. Les Verts français lorsqu’ils siégeaient au Parlement européen, de 1989 à 1994, y ont joué un rôle plus important qu’aujourd’hui. Au début, on ne se retrouvait qu’une ou deux fois par an. A présent, le secrétariat de la fédération se réunit tous les mois ou tous les deux mois. C’est lui qui a élaboré l’ossature du programme européen commun à tous les Verts des pays de la Communauté. Il y a des contacts plus faciles avec certains qu’avec d’autres. Avec les Grünen, les relations ont toujours été du style « Je t’aime, moi non plus ». Ils étaient très forts à un moment où nous étions très faibles. »
Question
Ils jouent un peu trop aux grands frères à votre goût ?
Dominique Voynet
- « Pour eux, nous étions incapables d’accéder à des responsabilités. Ils ne voyaient pas les inconvénients de la centralisation par rapport à leur système fédéral et de l’absence chez nous de financement public sérieux avant 1995. Or ce sont les « mauvais » qui ont les premiers accédé aux responsabilités gouvernementales dans le cadre d’un contrat de gestion. Ce qui nous a fait du bien. En 1997, Fischer est venu discuter avec nous de la meilleure façon de se préparer au rendez-vous électoral. En septembre dernier, une grosse délégation des Grünen s’est déplacée pour travailler sur les contenus qui peuvent assurer le succès d’un accord. Nous avons dépassé plusieurs années de méconnaissance respective. L’axe franco-allemand est aussi solide maintenant chez les Verts que chez les chrétiens-démocrates ou les sociaux-démocrates. »
Question
Ce qui se passe en Allemagne vous facilite la tâche .
Dominique Voynet
- « Et vice-versa. La taxation de l’énergie (essence, gazole, qu’ils défendaient pendant la campagne et qui faisait hurler en Allemagne, correspond à la position officielle du gouvernement français dans les négociations communautaires et internationales. Cela a aidé les Grünen à l’inclure dans l’accord avec le SPD. En retour, cela nous aidera puissamment que la position officielle de notre premier partenaire soit désormais la sortie du nucléaire. Cette position n’est pas partagée par l’ensemble du Gouvernement mais l’accord politique que j’ai signé avec Lionel Jospin prévoit qu’on se donne des marges de manœuvre énergétiques et j’entends que cet accord soit respecté. Je suis convaincue que Jospin y tient autant que moi. »
Question
A côté du programme allemand, le contrat PS-Verts n’apparaît-il pas un peu frileux ?
Dominique Voynet
- « Seuls les gens qui ne connaissent pas les spécificités de chaque pays et n’ont pas lu ce contrat, peuvent dire ça. Il est ambitieux et précis, par exemple sur la lutte contre le chômage. Dans l’accord conclu entre le SPD et les Grünen, on s’attaque au chômage par le temps partiel et la flexibilité du travail. Chez nous, c’est les 35 heures. »
Question
Oui, mais au chapitre de l’environnement ?
Dominique Voynet
- « Je trouve notre accord très honorable et j’en suis fière. Pour les déchets ménagers, par exemple, la méthode française n’a été développée pour l’instant par aucun autre pays européen. Notre stratégie des espaces protégés est bien plus en avance que celle de l’Allemagne. Ce qui nous manque, c’est le rapport de forces au sein de la société pour faire respecter l’accord. Les Grünen et nous allons nous appuyer les uns sur les autres pour renforcer ces rapports de forces et réaliser la synergie entre les attentes de la société et les propositions portées par les Verts. Le soutien du public peut nous aider à déplacer des montagnes. C’est très net dans le cas de la pollution de l’air. Les citoyens bougent et le Gouvernement évolue. »
Question
Les écologistes européens vont-ils effacer les frontières ?
Dominique Voynet
- « Au Conseil, comme au Parlement européen il y a quelques années, j’ai mesuré combien il est difficile non pas de se dire européen mais de l’être dans ses actes de tous les jours. Autour de la table du conseil des ministres européen, c’est difficile de dire qui est Vert, social-démocrate ou conservateur, tant le poids des cultures et des attitudes nationales à l’égard de la nature et de l’environnement est encore prédominant. Pourtant je sens l’émergence d’un mouvement Vert européen. Dans le domaine de la démocratie, nous sommes tous en faveur d’une constitution fédérale de l’Europe et de la conquête de libertés et de droits nouveaux pour le citoyen européen. Je le vois aussi dans le dialogue avec le Sud et l’établissement de relations équitables avec les pays en voie de développement. »
Question
N’allez-vous pas aussi vous trouver en concurrence, par-exemple avec les Grünen au sujet des déchets nucléaires allemands ?
Dominique Voynet
- « Non, ça c’était le gouvernement précédent qui prétendait assumer les déchets, les envoyait pour retraitement en France et se montrait incapable de les reprendre. Aujourd’hui, le retraitement est remis en cause, ce qui se traduira par le retour des déchets allemands en Allemagne ; cela suppose aussi que les Allemands se dotent comme nous d’une stratégie de gestion de leurs déchets. Cette question est extrêmement complexe. Il n’y a pas de solution d’ingénieur. C’est un choix politique qui doit résulter d’un débat approfondi avec les citoyens. Aujourd’hui, en France, si on se limitait à une discussion à l’Assemblée nationale, cela donnerait une majorité écrasante pour le nucléaire et on pousserait la poussière sous le tapis. C’est la culture prédominante. »
Question
Pourriez-vous défendre des projets communs aux Verts italiens, allemands, français ?
Dominique Voynet
- « Il faut d’abord en finir avec le consensus mou qui règne au Parlement européen. Il y a un accord entre chrétien-démocrates et sociaux-démocrates pour se répartir les présidences à tour de rôle, une sorte d’alliance sacrée pour bloquer ce qu’ils appellent les extrêmes. Il y a aujourd’hui treize pays dotés de majorités progressistes. Je pense que le moment est venu d’essayer à Strasbourg et à Bruxelles des gens susceptibles de passer ensemble un contrat de législature écologiste et de gauche. Et ce Parlement, avec sa majorité progressiste, devrait être capable de se faire respecter et d’aller jusqu’à la censure de la Commission si elle ne faisait pas de la construction d’une Europe sociale sa priorité. »
Question
On vous sent parfois réticente vis-à-vis de l’Europe, bien qu’elle soit votre meilleur soutien dans la politique de l’environnement ?
Dominique Voynet
- « Réticente, moi ? Le fait d’avoir choisi Daniel Cohn-Bendit, franco-allemand, comme tête de liste aux élections européennes, c’est un acte de foi dans l’Europe ! »
Question
Aucune méfiance vis-à-vis de lui ?
Dominique Voynet
- « Si on veut qu’il trouve sa place chez nous, il faut l’aider en disant ce qui va et ce qui ne va pas. On a vu ses défauts et on assume ça ensemble. Il vient régulièrement dans ce bureau pour travailler et parler de la campagne. On fait le pari que la greffe va prendre entre les Verts et lui. Ce n’est pas de la méfiance, juste une vigilance saine et normale. »
Question
Approuvez-vous son objectif affiché de damer le pion aux communistes ?
Dominique Voynet
- « Que les Verts aient envie de faire un bon score, c’est une évidence. Que ce soit au détriment d’un des partenaires de la majorité plurielle, ça ne me paraît pas une nécessité. Loin de là. J’espère que chacune des cinq composantes de la majorité va consolider sa position et bien traverser un débat qui n’est simple pour personne. Moi, je ne me bats pas contre quelqu’un, mais pour un projet. »
Question
Comment est-on à la fois concurrents aux élections et solidaires au Gouvernement ?
Dominique Voynet
- « Si on était d’accord sur tout, on serait dans le même parti. Jospin est pour l’Europe des États-nations et nous, pour une Europe plus fédérale. Où est le drame ? C’est aussi un débat qui existe chez les Verts et à l’intérieur du PS. On a d’ailleurs prévu une réunion de travail sur l’Europe avec les cinq composantes de la majorité plurielle en janvier. »
Question
Vous ne dites jamais la gauche plurielle ?
Dominique Voynet
- « Il y a la gauche. Et les Verts. »
Question
Les Verts ne sont donc pas de gauche ?
Dominique Voynet
- « Le mot gauche ne résume pas la diversité de la majorité actuelle. »
Question
Un bon score aux européennes vous conduira-t-il à demander à la gauche en général et à Jospin en particulier de mieux tenir compte de vos exigences ?
Dominique Voynet
- « Exigences, ce n’est pas le mot juste. Nous avons signé un accord politique et je fais en sorte que, régulièrement, soient débattus les thèmes sur lesquels on s’est engagés les uns et les autres. Je ne sors pas de cette logique. En acceptant de participer au Gouvernement, je savais que ce serait dur. Il y a des jours où l’on gagne et d’autres où l’on perd, les jours où l’on s’arc-boute pour maintenir ses positions et ceux où l’on peut avancer. »
Question
N’avez-vous jamais songé à sortir de la majorité ?
Dominique Voynet
- « Il faut dresser les bilans sur des périodes assez longues. A une époque, le conseil national des Verts voulait faire un bilan tous les deux mois, je trouvais ça trop court. Puisqu’on s’est engagé pour la durée de la législature, ce n’est pas sur deux mois qu’on vérifie le respect du contrat. C’est dans la durée. »
Dominique Voynet
Le bon moment pour faire le bilan, ce sera quand ?
- « En ce moment, par nos assemblées générales. Nous avons proposé aux militants de poursuivre notre stratégie, elle est gagnante. On a soumis au vote un texte d’orientation qui a recueilli plus de 67 % des voix. Les deux tiers des militants Verts font le même bilan que nous. Tous les deux ans, à l’occasion du congrès, c’est la grande évaluation. Et, tous les six mois, il faut vérifier que le contrat est respecté et rectifier la barre s’il ne l’est pas. »
Question
Ça, c’est entre vous. Mais à l’intérieur de la majorité ?
Dominique Voynet
- « J’ai demandé à Lionel Jospin qu’on ait des rencontres régulières de la majorité. Il m’a dit très justement : « C’est l’affaire des partis, pas celle du Gouvernement. » Les partis ont du mal à le faire. Le plus difficile, ce n’est pas le respect de l’accord, mais tout ce qui se passe tous les jours et dont l’accord ne parle pas. On en discute. »
Question
N’avez-vous pas été déçue de ne pas obtenir le remplacement du ministre de l’Agriculture démissionnaire par un Vert ?
Dominique Voynet
- « Non, je sais sur quoi l’on bute. Le Président de la République est très attaché à la politique agricole commune et au suivi de la négociation communautaire. Je savais que ce ne serait pas un Vert. Mais notre demande d’occuper d’autres ministères que celui de l’Environnement est légitime et Lionel Jospin le pense aussi. Il me l’a dit en venant déjeuner ici. Il trouve bien que nous ayons fait nos preuves. »
Question
Mais il ne vous donne pas satisfaction ?
Dominique Voynet
- « Sur la base du rapport de forces législatives, c’est compréhensible. En fonction du résultat des européennes, j’espère que nous reprendrons cette discussion. Il faudra - il le sait - que les Verts prennent une part plus importante. Dans quelques semaines ou quelques mois, on considérera qu’ils sont un élément déterminant et qu’ils doivent être représentés de façon plus équitable. »
Question
N’avez-vous pas le sentiment d’avoir été parfois un peu trop gentille avec Lionel Jospin ?
Dominique Voynet
- « Oui, sans doute, mais dans le contexte d’une première expérience de Gouvernement. Nous avons prouvé notre capacité à prendre en compte les préoccupations des autres forces de la majorité. Avec environ 6 % des voix, il est logique de ne pas revendiquer 100 % de l’expression et de la décision. Et puis, seul ministre Vert, je ne peux pas partir au combat sur tout, à la don Quichotte, contre les moulins à vent. Je m’épuiserais pour rien. Je choisis donc les thèmes sur lesquels je peux établir un rapport de forces en m’appuyant sur la population, sur un mouvement vigilant, sur le soutien d’élus PS à l’Assemblée. Car il y en a qui ne sont pas pour le nucléaire ou pour l’extension des dates de l’ouverture de la chasse ! Bref, j’essaie de suivre une stratégie et de ne pas me faire ballotter. »
Emission « Polémiques » le 8 novembre 1998
Michèle Cotta : Bonjour. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans un autre décor que celui de « Polémiques » au journal télévisé à la suite d’une grève du personnel de construction des décors. On sera donc un peu serré dans la deuxième partie de cette émission mais il n’y en aura, j’espère, que plus de chaleur pour aborder le problème des retraites et surtout celui des retraités. La retraite, telle que nous la connaissons depuis des années, on paie une cotisation pendant quarante ans et puis on reçoit une retraite après soixante ans, cette retraite-là est-elle menacée ? Comment prendra-t-on sa retraite après 2002 ? Et qui paiera ? Les actifs seront-ils assez nombreux pour payer les retraites des inactifs ? Nous en parlerons dans la deuxième partie de cette émission. Mais tout de suite, notre invitée, c’est d’abord Dominique Voynet, ministre écologiste de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement que je reçois avec Sylvie Pierre-Brossolette du Nouvel Économiste. Si vous voulez bien, Dominique Voynet, nous allons parler peut-être pour commencer d’un sujet qui n’a pas grand-chose à voir avec vos préoccupations ministérielles en tout cas, de l’affaire des mutins. Ces mutins de 1917 qui se sont rebellés contre l’offensive catastrophique du général Nivel. Alors, Lionel Jospin vient de décider de réintégrer ces mutins dans la mémoire ou dans l’histoire de ce siècle, de cette guerre. A votre avis, a-t-il eu tort, a-t-il eu raison ? Est-ce que ce n’est pas une polémique un peu inutile et en tout cas assez dépassée ?
Dominique Voynet : Le hasard a fait qu’il m’a été donné hier d’inaugurer un monument aux morts dans un petit village du Jura et je peux vous dire, l’heure n’était pas à la polémique, quelles que soient les opinions politiques des participants, l’heure était à la mémoire et aussi à la préparation de l’avenir. J’ai été touchée de voir qu’il y avait beaucoup d’enfants, beaucoup d’enfants qui savaient ce qui s’était passé et qui avaient envie de dire à leur façon, en chantant, en récitant des poésies, « plus jamais la guerre ! »…
Michèle Cotta : Ce n’est pas tout à fait cela, ce n’est pas tout à fait ce qu’a dit Lionel Jospin !
Dominique Voynet : Je crois que dans cette affaire, ce qui me paraît absolument nécessaire de la part de la communauté nationale, c’est de faire un effort de compréhension, un effort de compassion plus que de pardon ou de réintégration dans la communauté nationale. Je me demande si nous pouvons, nous qui n’avons pas connu cette guerre horrible juger de l’aridité de ce que plus personne aujourd’hui n’appelle les « sentiers de la gloire ». J’ai envie que l’on soit très modeste, très simple et que l’on ne se donne pas les moyens de juger de la détresse terrible de l’isolement, de la pauvreté de ces gens qui étaient effectivement abandonnés à la mort… Je pense que leur sursaut de révolte, c’était aussi un geste de confiance dans la paix et dans la vie à reconstruire.
Michèle Cotta : Mais alors, Lionel Jospin a eu raison de faire cette mise au point ou non selon vous ?
Dominique Voynet : Je pense qu’il était plus que temps de la faire oui, et qu’il a eu raison bien sûr.
Sylvie Pierre-Brossolette : Bon, alors apparemment, ce n’est pas l’avis de Jacques Chirac qui a rappelé à l’ordre son Premier ministre. Non seulement en déplorant qu’il n’ait pas été prévenu mais semble-t-il en désapprouvant sur le fond cette position. Le chef de l’État à votre avis dans cette affaire est-il dans son rôle ou est-ce qu’il fait un peu de la politique pour marquer un point au sein de la cohabitation ?
Dominique Voynet : J’aimerais mieux penser qu’il ne fait pas de politique mais qu’il s’exprime sur un sujet qui lui tient à cœur d’une façon personnelle. Je crois que la qualité de la cohabitation tient quand même beaucoup à la qualité et au respect qu’éprouvent l’un pour l’autre le Premier ministre et le président de la République. Je crois que chacun doit rester à sa place, doit rester dans son rôle et qu’ils doivent discuter ensemble, en tête à tête de ce qui les sépare, de ce qui éventuellement… de ce qui fait problème entre eux sans se livrer à de vaines polémiques.
Michèle Cotta : Apparemment, ils…
Sylvie Pierre-Brossolette : Jospin aurait dû prévenir le chef de l’État ?
Dominique Voynet : Peut-être qu’il a considéré que c’était tellement évident, que le moment était venu peut-être d’avoir un regard plus serein sur ce qui s’était passé à ce moment-là qu’il n’a pas jugé utile de prévenir le Président de la République qui, lui-même à d’autres moments, a su faire la preuve de sa capacité à assurer la cohésion nationale.
Michèle Cotta : Alors, on passe à la politique plus carrément dans votre secteur. Les Verts n’ont pas voté hier le budget de la défense sous le prétexte qu’il incluait des simulations d’essais nucléaires. Est-ce que vous comptez faire définitivement et à tous les stades, au Parlement, dans les partis et sur les estrades de la lutte contre le nucléaire votre cheval de bataille comme les verts allemands ?
Dominique Voynet : Je crois que l’essentiel dans cette affaire est de réfléchir à la meilleure façon d’assurer la défense et la sécurité de la France. Je suis convaincue qu’il est indispensable de continuer à construire l’Europe. Une Europe politique, une Europe sociale, une Europe des droits des citoyens européens, une Europe aussi qui assume ses responsabilités à l’égard du reste du monde et notamment des pays en voie de développement, qu’ils se situent au Sud de la Méditerranée ou à l’Est…
Michèle Cotta : Et le nucléaire là-dedans ?
Dominique Voynet : Je ne suis pas convaincue que de ruineuses simulations d’essais nucléaires puissent nous permettre d’avancer en la matière.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais sur le plan de la production nucléaire, vous avez affirmé que la France devait ou allait même virer de bord un peu à l’image de vos amis allemands. Dans votre esprit, « virer de bord », cela veut dire diminuer de combien la production de l’énergie du nucléaire sachant que 80 % de notre électricité vient de là, est-ce que c’est possible et est-ce que le Gouvernement peut vous entendre là-dessus ?
Dominique Voynet : Évidemment, vous l’avez noté, la formule « virer de bord » était très prudente. Elle montrait que nous voulions ouvrir les choix énergétiques de l’avenir, nous donner un petit peu plus de marge du côté des économies d’énergie d’une part, de la diversification des économies d’énergie mais elle ne brisait pas…
Michèle Cotta : Ce n’est pas un virage à 180° vous voulez dire…
Dominique Voynet : Mais elle ne brisait pas le grand tabou de la politique française. Alors, on a le droit de parler d’à peu près tous les sujets aujourd’hui, on a le droit de dire qu’un grand chantier avec beaucoup de matériel et peu d’êtres humains est peut-être moins intéressant que beaucoup de petites initiatives locales permettant de créer plus d’emplois mais on n’a pas le droit de poser ce genre de question dans le domaine du nucléaire.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais vous voulez diminuer de combien ?
Dominique Voynet : Je vais y répondre mais c’est quand même formidable qu’en France, on ne puisse pas poser des questions du style « quelle est la rentabilité du système nucléaire français ? Combien d’emplois pour quel investissement ? Quelles conséquences pour l’avenir ? Quelle internalisation des coûts si l’on prend en compte les déchets nucléaires et le démantèlement des centrales ? » Toutes ces questions devraient être posées de façon tout à fait sereine mais c’est presque impossible de le faire. Alors, je ne veux pas raisonner en pourcentage…
Michèle Cotta : C’est la pensée unique du nucléaire quoi !
Dominique Voynet : C’est la pensée unique, complètement. Et d’ailleurs, en osant poser ces questions, j’ai comme un petit frisson, hein, et comme l’impression qu’il serait facile de franchir la ligne jaune de ce qui est autorisé ou non.
Sylvie Pierre-Brossolette : Donc pas d’objectif chiffré donc…
Dominique Voynet : L’objectif pour moi, c’est d’ouvrir les choix de l’avenir et de faire en sorte que le débat soit mené de la façon la plus sereine possible. Je souhaite que l’on puisse en tout cas regarder de très près les scénarios qui ont été élaborés par le Commissariat au plan et qui montrent qu’à l’avenir, le scénario qui privilégie la diversification énergétique, les économies d’énergie et la sobriété en la matière, est celui qui permet d’assurer le mieux l’indépendance de notre pays d’une part mais aussi l’efficacité économique du système.
Michèle Cotta : Alors justement, on parle de projets d’avenir mais pour Robert Hue par exemple, l’abandon du nucléaire serait le retour à la lampe à pétrole. Alors, ce serait… lui pense que c’est aussi un coup à l’indépendance nationale. Alors, qu’est-ce que vous répondez à Robert Hue sur la lampe à pétrole ?
Dominique Voynet : Sur la lampe à pétrole d’une part que cela ne manque pas de confort mais, surtout…
Michèle Cotta : Pour les frigidaires, c’est un peu…
Dominique Voynet : Non, mais ça fait à peu près vingt ans que l’on entend, chaque fois que les écologistes posent des questions sur l’efficacité des solutions qui nous sont proposées et qui sont souvent des solutions de fuite en avant assez technocratiques, qu’on nous entend dire, « oui les écologistes, vous voulez nous ramener dans des cavernes où vous rongerez des carottes habillés de peau de bête… ». Je crois que la démonstration a été faite que bien souvent, nous avions anticipé un certain nombre de difficultés et d’impasses du mode de développement actuel, je pense par exemple à la critique du tout-automobile en ville où le Parti communiste est aujourd’hui complètement sur les positions des écologistes et assurant d’ailleurs un travail excellent entre mon ministère et celui de Jean-Claude Gayssot. Mais pour en revenir à Robert Hue, je crois qu’il y a beaucoup de sujets sur lesquels nous ne sommes pas d’accord. L’énergie nucléaire ou la politique de défense en sont de bons exemples. Sur d’autres sujets en revanche, nous sommes tout à fait d’accord et unis parfois face au Parti socialiste, je pense au problème des sans-papiers. D’où l’utilité d’une majorité plurielle où chacun…
Michèle Cotta : … Qui englobe toutes les divergences…
Dominique Voynet : Non, non, où chacun soit capable aussi de poser les questions que les autres composantes ne se posent pas et de se trouver finalement le garant de la qualité du débat entre nous.
Sylvie Pierre-Brossolette : Apparemment, vous ne serez pas unis aux européennes puisque l’objectif des verts est de dépasser le PC. Est-ce que c’est très convivial au sein de la majorité plurielle de donner comme objectif à son parti de dépasser celui du voisin qui siège au même Conseil des ministres et au fond, quel objectif donnez-vous à votre liste dirigée par Daniel Cohn-Bendit ?
Dominique Voynet : Alors l’objectif des verts n’est pas de dépasser le PC. Daniel Cohn-Bendit a utilisé cette formule malheureuse à un moment, je crois, où il voulait galvaniser les militants verts et les convaincre qu’il était la bonne personne au bon endroit pour cette campagne européenne. Notre objectif, c’est de faire le meilleur score possible dans une majorité plurielle qui se porte bien…
Sylvie Pierre-Brossolette : C’est combien le meilleur score possible pour vous ?
Dominique Voynet : Le meilleur score possible, c’est au-delà de ce que nous avons fait la dernière fois c'est-à-dire au moins 5 % et dix élus. Disons que je serais satisfaite avec un score de 7 à 8 %.
Michèle Cotta : Alors, Daniel Cohn-Bendit, pour ne parler que de lui, a désiré faire la connaissance, dit-il, de Robert Hue…
Dominique Voynet : Il a raison, il a raison.
Michèle Cotta : Il l’a fait… Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de paradoxal à désigner comme tête de liste de liste française quelqu’un qui ne connaît pas les dirigeants français ?
Dominique Voynet : Robert Hue n’est pas dirigeant du Parti communiste depuis si longtemps, il a eu un énorme travail à faire pour accompagner…
Michèle Cotta : Daniel Cohn-Bendit connaît mieux les autres ?
Dominique Voynet : … Pour accompagner la mutation du Parti communiste mais c’est vrai que Daniel Cohn-Bendit a été très présent dans la vie politique française à un moment où Robert Hue n’était pas, n’avait pas le niveau de notoriété qu’il a aujourd’hui. Cela ne me gêne pas du tout, moi, que Daniel Cohn-Bendit soit avant tout un Européen pour mener la liste européenne des verts et convaincre qu’il faut d’urgence relancer la construction européenne et ne pas se contenter des très mauvais, et des désastreux traités de Maastricht et d’Amsterdam.
Sylvie Pierre-Brossolette : Est-ce qu’un autre paradoxe à propos de Cohn-Bendit ne vous gêne-t-il pas, il est beaucoup plus libéral que la moyenne de vos militants. Est-ce que vous n’avez pas fait surtout un coup médiatique en le désignant comme tête de liste ? Est-ce que vous ne dérogez pas un peu à vos convictions ?
Dominique Voynet : Daniel Cohn-Bendit est certainement un peu plus libéral sur le plan économique et un peu moins libéral sur le plan sociétal. Je crois qu’il correspond aux interrogations de bon nombre de Français. Quelqu’un qui est capable de se regarder avec un petit regard extérieur, de ne pas avoir une approche étroitement nationale est idéalement placé pour relancer une Europe qui ne va pas si bien que cela. Moi, je suis un petit peu frappée de voir que la campagne européenne s’approche alors que les grands partis finalement donnent l’impression de ne pas bien savoir où ils vont mettre les pieds. On a l’impression que les leaders des grands partis se repassent le mistigri « ah non, non, surtout pas, cher camarade, tu serais tellement mieux placé que moi pour animer cette liste, vas-y je t’en prie, je trouve… »
Michèle Cotta : Pourtant, vous n’y êtes pas allée vous-même ! Vous n’y êtes pas allée vous-même.
Dominique Voynet : Parce que nous avons des dispositifs au sein des verts qui interdisent de façon très stricte le cumul des responsabilités et des mandats et que bien évidemment, je m’y plie comme les autres animateurs des verts.
Michèle Cotta : Parlons si vous voulez bien de l’autorité mondiale sur l’environnement que réclame Jacques Chirac. Qu’est-ce que vous en pensez ? Vous êtes pour, vous êtes contre ? Est-ce que c’est une façon de critiquer votre action qu’il juge peut-être limitée ?
Dominique Voynet : Je ne crois pas que ce soit le cas. Il y a deux ans, Helmut Kohl avait avancé cette idée d’une autorité mondiale de l’environnement. Depuis, le débat, je dirais, avance petit à petit et Jacques Chirac a rappelé l’intérêt qu’aurait une autorité mondiale et je partage tout à fait ce souci. D’une part parce que cette autorité mondiale, qui est une sorte d’équivalent pour l’environnement de l’organisation du commerce, pourrait prévenir la dégradation de la situation au niveau planétaire, pourrait aussi faire en sorte qu’en cas de catastrophe naturelle majeure, les états réagissent le plus vite possible. Elle pourrait permettre aussi de limiter la criminalité écologique qui est énorme, qu’il s’agisse du transport de déchets à travers la planète ou du trafic des espèces protégées. Cela dit, le discours français sur l’autorité mondiale de l’environnement intéresse mais il ne trouvera une crédibilité que quand notre pays cessera d’être aussi, je dirais, prudent et presque pingre dans ses contributions à l’égard des grandes organisations qui se préoccupent d’environnement au niveau mondial. La France n’a pas de leçon à donner en la matière. Elle devrait, pour asseoir sa crédibilité, renforcer sa contribution.
Michèle Cotta : Et sur la réduction des gaz à effet de serre, est-ce que vous considérez qu’il faut… Vous avez dit qu’il fallait agir de manière agressive et de manière active pour les empêcher mais au fond, est-ce que pour le coup, quels sont les pays qui vous suivent vraiment ?
Dominique Voynet : Tous les pays européens. La position des pays européens est très solide, très stable, et ils ont joué un rôle tout à fait essentiel dans les décisions qui ont été prises l’année dernière à Kyoto. Les pays européens disent des choses évidentes, toutes simples. A savoir, les pays riches d’Amérique du Nord et d’Europe ont d’énormes responsabilités puisqu’ils émettent par tête les plus grandes quantités de gaz à effet de serre. Donc, c’est à eux que revient la première phase d’efforts par une réduction des émissions nationales des gaz à effet de serre. Nous disons aussi que les pays en voie de développement ont droit à un développement équitable, ce qui suppose de notre part des transferts de technologies massifs pour leur permettre d’éviter de reproduire les erreurs que nous avons faites nous-mêmes au même stade de développement. Nous ne devons pas, en gros, leur donner des leçons et les priver des moyens de se développer, au motif que le climat de la planète serait menacé. Nous devons les aider à le faire.
Sylvie Pierre-Brossolette : Avant d’en arriver au débat sur les retraites, une question sur le PACS qui est en ce moment en train d’être débattu à l’Assemblée nationale. Est-ce qu’il fallait vraiment bouleverser beaucoup de codes civils et autres pour simplement reconnaître les couples homosexuels et quels effets donnent les débats houleux qui ont lieu en ce moment ?
Dominique Voynet : Alors, le Parlement donne de lui-même une image parfois pénible lorsque les préoccupations des citoyens semblent ne pas être suffisamment prises en compte au motif de joutes politiciennes. Cela dit, moi, je suis convaincue qu’il fallait un texte pour réintégrer dans la communauté nationale ces millions de couples qui ne rentrent pas dans le modèle dominant, oui, bien sûr…
Sylvie Pierre-Brossolette : Il fallait reconnaître le couple homosexuel ?
Dominique Voynet : Mais c’est une réalité. C’est une réalité que connaissent les Français. Chacun connaît autour de soi des couples d’hommes ou des couples de femmes ou des familles bouleversées par cette réalité. Donc, le reconnaître, oui, cela me paraît une évidence.
Michèle Cotta : Dominique Voynet, merci. Et au revoir parce que vous partez je pense à Buenos Aires ?
Dominique Voynet : Je pars à Buenos Aires.