Texte intégral
Je tiens tout d'abord à vous présenter les regrets du garde des Sceaux de ne pouvoir être parmi vous ce soir. En effet, M. Méhaignerie a été contraint de rentrer précipitamment dans son département d'Ille-et-Vilaine afin de présider plusieurs réunions ayant trait aux récentes inondations et à la mise en place des procédures d'indemnisation. Il m'a demandé de vous faire part de son souhait de recevoir très prochainement à la chancellerie les participants aux tables rondes afin d'avoir avec eux un échange sur le bilan de ces deux journées de travaux sur les perspectives d'évolution de l'ordonnance du 2 février 1945, dans sa lettre comme dans son application au jour le jour.
Je vais maintenant vous donner lecture du texte même de l'allocution que le garde des Sceaux avait prévu de prononcer devant vous.
Vous venez de consacrer deux journées à travailler sur l'ordonnance du 2 février 1945 et je vous en remercie. C'est en effet un signe, celui de l'intérêt de la collectivité pour ce secteur de la justice aujourd'hui confronté à de grands défis. Et c'est un apport car nous pourrons améliorer grâce à vos travaux le fonctionnement de nos institutions, et par là, la qualité des réponses aux jeunes dont nous avons la charge.
Quelles que puissent être les situations spécifiques des jeunes que nous avons en charge particulièrement dans une période de travail rare, de vie sociale heurtée et de valeurs incertaines, ces réponses doivent s'inspirer d'une politique globale pour la jeunesse. Le gouvernement a entrepris d'en poser des fondements que je souhaite évoquer.
D'abord l'école qui est le bien commun de toute la jeunesse et qui doit être l'école de l'égalité des chances. Pour nos mineurs, nous savons combien il est nécessaire qu'il en soit ainsi. À l'initiative du ministre de l'Éducation nationale, le Conseil des ministres du 7 décembre a adopté un nouveau contrat pour l'école assis sur un effort budgétaire considérable.
Le Premier ministre a adressé l'été dernier un questionnaire à l'ensemble des jeunes de 15 à 25 ans. À cette initiative sans précédent, il y a eu un écho considérable puisqu'un million et demi de jeunes ont répondu. Sur la base de ces réponses, un certain nombre de mesures ont déjà été retenues par le gouvernement. Elles s'inscrivent dans quatre orientations : affirmer la citoyenneté, mieux écouter la jeunesse, favoriser l'accès à la vie professionnelle, renforcer l'aide aux projets et à l'autonomie.
Ainsi, le gouvernement qui a engagé un dialogue avec les jeunes veut-il mettre en place une politique globale de la jeunesse afin de mieux répondre aux aspirations de celle-ci.
Pour ce qui nous concerne plus particulièrement, j'estime que le droit et la justice sont porteurs de citoyenneté en ce sens qu'ils reconnaissent dans chaque jeune la dignité d'un sujet de droit. L'un et l'autre sont porteurs de sûreté dans la vie sociale. Traçant les limites du permis et de l'interdit, ils témoignent du lien qui doit exister entre chacun et une collectivité. Les jeunes sont d'ailleurs parfaitement conscients de l'importance de ces messages. Il suffit de constater le succès qu'ils font aux opérations « portes ouvertes » dont les tribunaux prennent l'initiative.
Mais, nous le savons, la justice est souvent interpellée aujourd'hui dans le domaine pénal.
En effet, l'augmentation ces dix dernières années de la délinquance des mineurs notamment en ce qui concerne les petits délits et les atteintes aux biens a contribué à renforcer le sentiment d'insécurité chez nos concitoyens. Deux reproches principaux sont adressés à l'institution judiciaire dans sa manière d'appréhender la délinquance juvénile : d'une part, l'absence de réponse judiciaire et le recours excessif au classement sans suite et, d'autre part, la lenteur de cette réponse, d'autant plus préjudiciable lorsqu'il s'agit de personnalités en cours de développement comme le sont les adolescents âgés de 13 à 18 ans.
Conscient de ce problème, j'ai, dès mon arrivée à la chancellerie, demandé à quatre parlementaires de me rendre un rapport comportant des propositions pour que la justice puisse mieux appréhender le problème des mineurs multirécidivistes.
Ce groupe, présidé par Mme de Veyrinas, appelait mon attention sur des améliorations à accomplir pour mieux connaître les situations, l'intérêt d'un traitement plus rapide des procédures, la nécessité de rendre l'action de la justice plus perceptible, le besoin de renforcer nos capacités de prise en charge éducative. Le plan pluriannuel pour la justice que j'ai fait adopter par le Parlement a permis d'avancer sur ces points : ainsi des réformes procédurales permettront d'accélérer la réponse judiciaire notamment en permettant la convocation des mineurs par officier de police judiciaire et en élargissant l'éventail des mesures que peut prendre le juge des enfants saisi au pénal. De même, une loi-programme a-t-elle apporté des moyens nouveaux pour la protection judiciaire de la jeunesse en prévoyant 400 millions de francs d'autorisation de programme sur cinq ans ainsi que la création de 400 emplois. Ces moyens nouveaux permettront notamment de renforcer l'hébergement si utile à des mineurs dont l'abandon et la déstructuration peuvent expliquer aussi l'entrée dans la délinquance.
Une autre réponse me semble devoir être apportée comme je l'ai indiqué lors du Conseil des ministres du 18 janvier dernier par l'extension du traitement en temps réel des procédures pénales qui est actuellement suivi par une vingtaine de parquets dont certains concernant des ressorts prioritaires pour la politique de la ville.
Ceci devrait permettre d'accroître considérablement la rapidité et l'effectivité de la réponse judiciaire en organisant une information systématique des magistrats du parquet des mineurs par les officiers de police judiciaire dès le début de l'enquête et dans le temps où le délinquant est encore dans les locaux des services de police ou de gendarmerie. Le taux de classement sans suite, qui est particulièrement important dans certains ressorts en ce qui concerne les mineurs puisqu'il dépasse parfois 50 %, sera réduit, ce qui remotivera sans nul doute les services de police qui seront informés dans tous les cas et immédiatement des suites réservées à la procédure qu'ils viendront de traiter. Pour le délinquant, et notamment lorsqu'il s'agira de sa première infraction, le fait de savoir que son acte ne restera pas sans suite fera diminuer le sentiment d'impunité qui trop souvent se développe dans les quartiers difficiles. Pour la délinquance des mineurs, qui est essentiellement faite de petits délits, les parquets devront diversifier les réponses judiciaires. Cette diversification consistera à distinguer les cas où la saisine du juge des enfants est indispensable, pour mettre en place une prise en charge éducative et permettre ainsi la resocialisation d'un individu, de tous les cas, qui font souvent actuellement l'objet d'un classement sans suite, pour lesquels devront être développées les mesures de médiation et de réparation.
On le voit, si les principes de protection et d'éducation tels que posés par l'ordonnance de 1945 restent au coeur de nos objectifs, les défis d'aujourd'hui pour les mettre en oeuvre sont considérables. Aussi, la motivation, la compétence et le positionnement de ceux qui sont sur le terrain sont essentiels. En effet, actuellement 200 000 jeunes font l'objet d'un suivi judiciaire chaque année, le fonctionnement de ce dispositif a un coût : plus de 2 milliards de francs pour l'État, pour le budget de la protection judiciaire de la jeunesse, 14 à 15 milliards environ pour les départements à travers les dépenses d'aide sociale à l'enfance. En effet, les besoins de financements sociaux augmentent tandis que la ressource publique d'État ou des collectivités locales stagne au mieux. L'importance de la maîtrise des coûts s'impose dès lors à tous afin de rendre pour nos jeunes, notre système de protection le plus efficace possible. Conscient des difficultés qui sont nées de la loi de décentralisation encore récente puisqu'elle remonte à une dizaine d'années, et notamment de la nécessité de prévoir des conventions entre l'État et les conseils généraux afin d'assurer une meilleure coordination des acteurs sur le terrain, j'ai, avec le ministre d'État et des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, et en accord avec l'Association des présidents des conseils généraux, décidé de confier une mission conjointe à l'inspection générale des services judiciaires et à l'inspection générale des affaires sociales sur ce point. Un rapport va m'être remis prochainement et je compte, pour y donner suite, organiser une réunion avec toutes les parties concernées. Cette mise à plat des difficultés et la mise en oeuvre d'une politique contractuelle me paraissent essentielles.
Déjà, dans certains départements, comme dernièrement celui des Vosges, une concertation effective s'est engagée sur le terrain et des schémas départementaux communs à l'État et aux conseils généraux, ont pu être signés.
Je conclurai mon propos en faisant l'éloge, comme le veut l'usage en pareille circonstance, de l'institution – le mot n'est sans doute pas trop fort – dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire. En effet, l'ordonnance du 2 février 1945 a doté notre pays d'un instrument juridique remarquable, fondé sur la primauté de la réponse éducative en ce qui concerne les mineurs. Ce principe n'a rien perdu de sa valeur. Il est pleinement au coeur des exigences d'aujourd'hui : ainsi la France a-t-elle pu ratifier la Déclaration universelle des droits de l'enfant sans rien devoir modifier de sa législation interne. Il n'exclut pas la diversité dans les formes de réponse à la délinquance, devenue phénomène de société. Il permet toutes les adaptations possibles à un contexte nouveau. Telle est la qualité d'un grand texte, audacieusement pensé à l'origine, servi dans la durée par des professionnels passionnés, conforté dans son intuition de base par l'épreuve des faits.
Ancrés dans cette tradition, les acteurs d'aujourd'hui sont armés pour regarder la réalité en face et la traiter comme il convient avec leur générosité et dans le souci de l'intérêt général.
Mesdames et Messieurs, je vous en remercie.